J'ai beaucoup aimé
Titre : Zacharie Blondel voleur de poules
Auteur : Philippe CUISSET
Editeur : Kyklos
Parution : 2018
Pages : 182
Présentation de l'éditeur :
Après la Commune de Paris, de nouvelles lois vont réprimer les
populations potentiellement dangereuses. La politique d'épuration
sociale, déjà violente sous le Second Empire, se durcit sous la IIIe
République. Déportation, transportation et relégation remplissent les
bagnes de métropole ou d'Outre-Mer. Les travaux forcés, vantés par
d'honorables ministres républicains, doivent aboutir à une forme de
rédemption laïque que les bagnards sont censés porter jusqu'aux
antipodes. Mais cette image colonisatrice d'une France modernisée,
industrielle et triomphante, n'est qu'une façade. En réalité, on nettoie
le territoire de cette intarissable veine de misère, on rassure les
honnêtes gens, on offre ainsi aux puissantes exploitations agricoles et
minières une main d'oeuvre à bas prix. L'administration pénitentiaire
signe avec la direction de la Société Le Nickel des « contrats de chair
humaine ». Charles Zacharie Blondel, petit agriculteur ruiné, braconnier
et voleur de poules, condamné à la relégation à l'Île des Pins, fut
victime au bagne de Nouvelle-Calédonie de ce tout premier avatar du
néo-esclavagisme colonial.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Philippe Cuisset vit à Reims où il enseigne le français.
Zacharie Blondel, voleur de poules est son premier roman publié. Ce texte a pour but d'illustrer la parole de Jim Harrison : " La responsabilité de l'écrivain, c'est de donner une voix à ceux qui n'en ont pas."
Avis :
Livre lu dans le cadre d’un partenariat entre les Editions Kyklos et le forum Partage Lecture, que je remercie. Merci également à Philippe Cuisset pour le moment de discussion autour de son livre.
Dans ce roman inspiré de l’histoire d’un vrai bagnard de Nouvelle-Calédonie, Philippe Cuisset rend la parole et le droit au souvenir à des hommes dont la « déchéance » servit de prétexte pour en faire des esclaves oubliés de tous, broyés en toute légalité.
En cette fin du XIXème siècle, Zacharie Blondel rejoint le bagne en tant que « relégué » : condamné pour récidive. Récidive de braconnage et de vol de poules, alors que la ruine de sa petite ferme le condamnait au dénuement. Il est l’un de ces milliers d’hommes (et de femmes) dont la misère troublait l’ordre public et que le premier prétexte a permis d’expédier au loin pour faire d’une pierre deux coups : tout en nettoyant la métropole de ceux qu’on considérait comme sa lie, on alimentait les colonies en main d’oeuvre quasiment gratuite et corvéable à merci. Ainsi, le bagne de Nouvelle-Calédonie sous-traitait de la main d’oeuvre aux chantiers publics, mais aussi à des sociétés privées, où les conditions de travail étaient telles que la plupart des prisonniers mouraient au bout de quelques mois. Ceux qui survivaient à leur peine devaient encore ensuite subir son doublage dans des fermes pénitentiaires, avant d’exploiter librement le lopin incultivable dont ils se voyaient attribuer la concession. Très peu avaient les moyens de quitter l’île, et quasiment tous sont morts dans l’oubli et dans des conditions épouvantables.
Le récit est sobre, plutôt rapide. J’y vois un bon exemple de « littérature maigre » : ni complaisance ni superflu, le juste choix des mots et des émotions pour faire comprendre, à travers le calvaire de Zacharie, le processus judiciaire, le fonctionnement du bagne, les conditions de vie sans espoir même après la purgation complète de la durée des peines, l’hypocrisie des administrateurs plus préoccupés de leurs carrières que du sort des détenus, les préjugés de classes allant jusqu’à la phrénologie. Le style est fluide, les tournures soignées, le vocabulaire précis : l’écriture de Philippe Cuisset est très belle. Même si l’on se doute dès le début de l’issue tragique, l’on se prend à espérer que Zacharie pourra tenir le coup et une certaine émotion imprègne les dernières pages.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture, qui rend à Zacharie le droit de « s’exhiber en un être humainement éclatant de dignité et dont il serait bon de craindre la vindicte brûlante et amère ; car elle est de celles qui danseront sur les écumes des siècles et s’en iront loin, bien loin des peines de l’Ile des pins, déposer des auréoles salées de larmes anciennes sur les sables des côtes de Saint-Martin-en-Ré ou sur les rochers de la pointe prétentieuse de Brest.» (4/5)
… la vie reprend un faible élan, les mots retrouvent un peu de sens et Zacharie se surprend à échafauder des pensées parsemées de bribes confusément tournées vers un avenir toujours incertain mais moins invincible.
Les galères furent le premier système pénitentiaire à l'échelle de la France, dès le 15e siècle. Devenues inutiles face aux vaisseaux de haut bord, elles furent supprimées par Louis XV en 1748. Les galériens débarqués furent alors affectés à des bagnes portuaires, comme à Toulon ou à Brest, pour travailler dans les ports et arsenaux de la Marine : main d’oeuvre des plus utiles quand il fallut construire la flotte française pour rivaliser avec la Grande-Bretagne pendant la guerre d'indépendance des États-Unis (1775-83), puis les guerres révolutionnaires et napoléoniennes.
Quand, au milieu du 19e siècle, la vapeur remplaça la voile et la machine le travail de force des hommes, les bagnes maritimes furent transférés vers la Guyane et la Nouvelle-Calédonie. On jugeait alors que les bagnards métropolitains concurrençaient les ouvriers honnêtes, qu’ils étaient trop dangereux pour rester sur le territoire, et on enviait l'expérience de la colonisation pénale en Australie : on pensait valoriser le développement des colonies grâce aux travail des bagnards.
Ce contexte d'impérialisme européen poussa Napoléon III à instituer les bagnes coloniaux français par la loi de 1854. La transportation au bagne fut abolie en 1938, mais il fallut attendre 1945 pour mettre définitivement fin à la détention au bagne. Les ultimes forçats furent libérés en 1953.
Dans ce roman inspiré de l’histoire d’un vrai bagnard de Nouvelle-Calédonie, Philippe Cuisset rend la parole et le droit au souvenir à des hommes dont la « déchéance » servit de prétexte pour en faire des esclaves oubliés de tous, broyés en toute légalité.
En cette fin du XIXème siècle, Zacharie Blondel rejoint le bagne en tant que « relégué » : condamné pour récidive. Récidive de braconnage et de vol de poules, alors que la ruine de sa petite ferme le condamnait au dénuement. Il est l’un de ces milliers d’hommes (et de femmes) dont la misère troublait l’ordre public et que le premier prétexte a permis d’expédier au loin pour faire d’une pierre deux coups : tout en nettoyant la métropole de ceux qu’on considérait comme sa lie, on alimentait les colonies en main d’oeuvre quasiment gratuite et corvéable à merci. Ainsi, le bagne de Nouvelle-Calédonie sous-traitait de la main d’oeuvre aux chantiers publics, mais aussi à des sociétés privées, où les conditions de travail étaient telles que la plupart des prisonniers mouraient au bout de quelques mois. Ceux qui survivaient à leur peine devaient encore ensuite subir son doublage dans des fermes pénitentiaires, avant d’exploiter librement le lopin incultivable dont ils se voyaient attribuer la concession. Très peu avaient les moyens de quitter l’île, et quasiment tous sont morts dans l’oubli et dans des conditions épouvantables.
Le récit est sobre, plutôt rapide. J’y vois un bon exemple de « littérature maigre » : ni complaisance ni superflu, le juste choix des mots et des émotions pour faire comprendre, à travers le calvaire de Zacharie, le processus judiciaire, le fonctionnement du bagne, les conditions de vie sans espoir même après la purgation complète de la durée des peines, l’hypocrisie des administrateurs plus préoccupés de leurs carrières que du sort des détenus, les préjugés de classes allant jusqu’à la phrénologie. Le style est fluide, les tournures soignées, le vocabulaire précis : l’écriture de Philippe Cuisset est très belle. Même si l’on se doute dès le début de l’issue tragique, l’on se prend à espérer que Zacharie pourra tenir le coup et une certaine émotion imprègne les dernières pages.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture, qui rend à Zacharie le droit de « s’exhiber en un être humainement éclatant de dignité et dont il serait bon de craindre la vindicte brûlante et amère ; car elle est de celles qui danseront sur les écumes des siècles et s’en iront loin, bien loin des peines de l’Ile des pins, déposer des auréoles salées de larmes anciennes sur les sables des côtes de Saint-Martin-en-Ré ou sur les rochers de la pointe prétentieuse de Brest.» (4/5)
Citations :
Une armada de gratte-papiers agissant dans l’ombre des piles de dossiers œuvre inlassablement et se livre, elle aussi, à un travail de triage de chiffons humains dont la déportation achèvera l’usure ultime.… la vie reprend un faible élan, les mots retrouvent un peu de sens et Zacharie se surprend à échafauder des pensées parsemées de bribes confusément tournées vers un avenir toujours incertain mais moins invincible.
Le coin des curieux :
Le mot bagne vient de l’italien bagno, nom d’anciens bains publics romains, reconvertis en prisons.Les galères furent le premier système pénitentiaire à l'échelle de la France, dès le 15e siècle. Devenues inutiles face aux vaisseaux de haut bord, elles furent supprimées par Louis XV en 1748. Les galériens débarqués furent alors affectés à des bagnes portuaires, comme à Toulon ou à Brest, pour travailler dans les ports et arsenaux de la Marine : main d’oeuvre des plus utiles quand il fallut construire la flotte française pour rivaliser avec la Grande-Bretagne pendant la guerre d'indépendance des États-Unis (1775-83), puis les guerres révolutionnaires et napoléoniennes.
Quand, au milieu du 19e siècle, la vapeur remplaça la voile et la machine le travail de force des hommes, les bagnes maritimes furent transférés vers la Guyane et la Nouvelle-Calédonie. On jugeait alors que les bagnards métropolitains concurrençaient les ouvriers honnêtes, qu’ils étaient trop dangereux pour rester sur le territoire, et on enviait l'expérience de la colonisation pénale en Australie : on pensait valoriser le développement des colonies grâce aux travail des bagnards.
Ce contexte d'impérialisme européen poussa Napoléon III à instituer les bagnes coloniaux français par la loi de 1854. La transportation au bagne fut abolie en 1938, mais il fallut attendre 1945 pour mettre définitivement fin à la détention au bagne. Les ultimes forçats furent libérés en 1953.
Sur le thème du bagne et de la Commune sur ce blog :
LE CORRE Hervé : Dans l'ombre du brasier
TIXIER Jean-Christophe : Les mal-aimés
WARD Jesmyn : Le chant des revenants
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