dimanche 28 juillet 2019

[Norek, Olivier] Entre deux mondes






 

Coup de coeur 💓

Titre : Entre deux mondes

Auteur : Olivier NOREK

Année de parution : 2017

Editeur : Michel Lafon

Pages : 413






 

 

Présentation de l'éditeur : 

Ce polar est monstrueusement humain, "forcément" humain : il n'y a pas les bons d'un côté et les méchants de l'autre, il y a juste des peurs réciproques qui ne demandent qu'à être apaisées. Bouleversant.

Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l'attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir.
Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu'il découvre, en revanche, c'est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n'ose mettre les pieds.
Un assassin va profiter de cette situation.
Dès le premier crime, Adam décide d'intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il est flic, et que face à l'espoir qui s'amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou.

Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu'elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d'ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.



Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Engagé dans l'humanitaire pendant la guerre en ex-Yougoslavie, puis capitaine de police à la section Enquête et Recherche de la police judiciaire du 93 pendant dix-huit ans, Olivier Norek est l'auteur de la trilogie du capitaine Coste (Code 93, Territoires et Surtensions) et du bouleversant roman social Entre deux mondes, largement salués par la critique, lauréats de nombreux prix littéraires et traduits dans près de dix pays. 
Il a aussi publié Surface, qui nous entraîne dans une enquête aussi déroutante que dangereuse. Un retour aux sources du polar, brutal, terriblement humain, et un suspense à couper le souffle.


Avis :

2016. Adam, policier de son état, fuit la Syrie pour des raisons politiques : il a d’abord dû faire partir sa femme et sa fille en catastrophe, après leur avoir donné rendez-vous à Calais, où elles doivent l’attendre dans le quartier des femmes de la «jungle». Mais lorsqu’il y arrive à son tour, aucune trace de Nora et de Maya. Au bord du désespoir, confronté à la violence quotidienne de cette zone de non-droit qu’est le camp, il survit tant bien que mal en prenant sous son aile un petit garçon soudanais, seul et livré au pire, et en établissant un lien mi-amical, mi-professionnel avec Bastien, qui vient d’intégrer les forces de police de la ville. Pour le Français, la découverte de la situation de blocage à Calais et de son rôle impossible de maintien de l’ordre, est un choc déstabilisant qui va le pousser à prendre des décisions difficiles et dangereuses, dictées par sa conscience.

Aux atrocités vécues par Adam en Syrie et par Kilani au Soudan, au sort souvent tragique imposé aux migrants par des passeurs sans foi ni loi, répondent les terribles et dangereuses conditions de vie au sein de la jungle de Calais où la police ne pénètre jamais, l’impasse dans laquelle se retrouvent les migrants prêts à tout pour franchir la Manche, le désarroi des Calaisiens qui voient leur ville péricliter et son activité économique menacée, l’action sisyphéenne des associations humanitaires, le malaise des forces de l’ordre locales qui, impuissantes, ne peuvent que, jour après jour, tenter de protéger le trafic roulier pris d’assaut par des hordes aux abois.

Le titre est éminemment bien choisi. Il traduit à lui seul le dramatique surréalisme de ces vies de migrants, indéfiniment coincées dans un infernal entre-deux, comme suspendues dans des limbes sans issue régies par la seule loi meurtrière du plus fort, et où ne subsistent que misère, violence, désespoir et folie. Derrière l’intrigue policière se profile un véritable roman de société, où apparaissent tour à tour les points de vue de tous les protagonistes, sans parti-pris ni stigmatisme, dans un récit documenté, étayé par un an d’enquête, et où rien n’est inventé.

Chacun se retrouvera dans la honte et l’impuissance des personnages décrits sans complaisance ni sentimentalisme, dans toutes leurs ambiguïtés, leurs doutes et leurs failles. Comment ne pas frémir ni s’horrifier, et en même temps se sentir dépassé, par ce récit d’une actualité toujours brûlante, car, si la jungle de Calais a été démantelée, le problème des migrants est resté entier, simplement morcelé en une foule de petites jungles moins visibles.

Ce roman coup de poing à la lecture hallucinante et perturbante est avant tout un état des lieux, une photographie objective d’un problème de société resté sans solution, mais qui ne peut que peser sur nos consciences. Coup de coeur. (5/5)



Citations :

Le flux des migrants ne s’est pas arrêté avec la fermeture du camp de Sangatte en 2003. Il s’est évidemment poursuivi, sans plus nulle part où les accueillir, et avec toujours la même volonté de passer en Angleterre. Et donc, de rester pas loin des ports pour traverser la Manche. Résultat, ils se sont mis à squatter chaque maison vide, chaque immeuble abandonné, les jardins, les parcs, les ponts et c’est vite devenu invivable. Alors il a fallu trouver un endroit pour les parquer. Le long de la côte, à l’écart du centre-ville, entre une forêt et les dunes, il y avait un ancien cimetière qui jouxtait une décharge. L’État a fait place nette à coups de bulldozer et on a invité les migrants à s’y installer il y a un an de ça. Au début, ils sont arrivés discrètement, une petite centaine de curieux tout au plus, puis l’info a traversé la planète et ils sont venus par milliers. La Jungle était née.
 – C’est légèrement inapproprié. Qui a trouvé le nom ?
 – N’y voyez pas de racisme, ce sont les migrants iraniens eux-mêmes. Quand ils sont arrivés sur place, ils ont vu un morceau de forêt, alors ils ont appelé l’endroit «la Forêt». En langue perse, jangal. Ici, on a entendu «jungle», prononcé à l’anglaise. Un simple quiproquo. Ensuite, ils y ont été consciencieusement oubliés. Mais pas par tout le monde. Les médias se sont emparés du sujet et bientôt, Calais n’était plus une des villes trésors de la côte d’Opale, mais celle des migrants et du problème de leur accueil. Le tourisme s’est cassé la gueule en un temps record, même les Anglais hésitent à venir depuis que leurs tabloïds parlent de guerre civile. L’immobilier a perdu près de quarante pour cent et les magasins se sont mis à fermer. Notre plus grosse économie et notre vivier d’emplois ici, c’est notre port. Dix millions de passagers par an traversent la Manche via Calais et c’est aussi le premier port d’Europe pour le trafic roulier.
 – Ce sont des bateaux cargos qui chargent les camions vers l’Angleterre, précisa Erika à l’attention de Bastien qui n’avait rien d’un marin. 
– Mais les chauffeurs routiers sont morts de trouille et les sociétés de transport cherchent d’autres ports pour éviter Calais.
– Juste à cause des migrants ? s’étonna Bastien.
Lizion lui adressa un regard de biais, comme s’il avait mal évalué l’ampleur de ses lacunes. Sa voix se fit presque condescendante.
– Vous savez comment ils essaient de monter dans les camions tout de même ? Les assauts sur les poids lourds. Les agressions de chauffeurs. Les accidents provoqués comme des attaques de diligence. Les barrages et les incendies sur l’autoroute. Ça vous parle ?
 

– Bon, je crois qu’on est d’accord pour dire que tous ces types dans la Jungle fuient la guerre ou la famine. On n’est pas sur une simple migration économique mais sur un exil forcé. Ce serait un peu inhumain de leur coller une procédure d’infraction à la législation sur les étrangers et de les renvoyer chez eux. On passerait pour quoi ? Mais d’un autre côté, c’est plutôt évident que personne ne veut se soucier de leur accueil puisqu’on les laisse dans une décharge aux limites de la ville. Alors on leur a créé le statut de « réfugiés potentiels ».
– C’est la première fois que j’entends ça, concéda Bastien en enfournant un euro dans la machine à café du palier.
– Cherchez pas, ça n’existe nulle part ailleurs et dans aucun texte de loi. C’est du fait maison Calais, spécialité locale. En gros, avec ce statut bâtard, on ne peut pas les interpeller. Logique, si on refuse de les intégrer à la France ce n’est pas pour les faire rentrer dans le système judiciaire. Mais on ne leur donne pas non plus la qualité complète de réfugiés, sinon, il faudrait s’en occuper. Donc avec cette appellation de réfugiés potentiels, ni on ne les arrête, ni on ne les aide. On les laisse juste moisir tranquilles en espérant qu’ils partiront d’eux-mêmes.


Leur but, c’est Youké, comme ils disent. United Kingdom. L’Angleterre. Ils restent persuadés que le travail au black y est intarissable et que les statuts de réfugié s’y distribuent comme des bons points.
– Et ce n’est pas le cas ?
– Il y a cinq ans peut-être, mais avec le Brexit, l’Angleterre s’est renfermée. Contractée même. Comme tous les pays riches qui n’ont qu’une seule trouille, c’est de voir l’autre partie du monde venir se décrotter les pompes sur leur paillasson. Quoi qu’il en soit, même si l’intégration là-bas est plus compliquée qu’avant, reste que pas mal de réfugiés ont réussi le passage. Donc les nouveaux aussi ont envie de retrouver leur famille.
– Mais s’ils la veulent, leur Angleterre, de quel droit on les retient ici ?
– Les accords du Touquet, lieutenant. Le texte place la frontière de l’Angleterre en France à Calais, et pas à Douvres. Et pour que ça reste comme ça, les British paient cher. Dernièrement, plus de vingt millions d’euros rien que pour mettre en place toute la ligne de barbelés qui protège la nationale et l’autoroute des attaques de migrants.
– C’est insensé, s’offusqua Bastien.
– Ouais. Les migrants fuient un pays en guerre vers lequel on ne peut décemment pas les renvoyer, mais de l’autre côté, on les empêche d’aller là où ils veulent. C’est une situation de blocage, on va dire.
 

Un genou au sol, Cortex comptabilisait les grenades lacrymogènes. Si Bastien avait déjà utilisé ce type de munitions, il n’en avait pourtant jamais vu autant. Il devait y en avoir environ deux cents, bien alignées, ordonnées, comme un essaim de guêpes prêtes à piquer. 
– Vous êtes sûrs que ça va être nécessaire ou c’est juste pour m’impressionner ? 
– Vous avez compris que les migrants, on n’a pas vraiment le droit de les interpeller, insista Passaro. Ou plutôt, ça n’arrange personne. Donc le seul job, c’est de les éloigner de l’autoroute pour qu’ils ne montent pas dans les camions ou agressent les chauffeurs. 
– On passe nos soirées à les allumer comme des lapins, poursuivit Cortex. C’est de la chasse, rien de plus, sauf qu’on ne ramène pas le gibier. On tire tellement de grenades lacrymo qu’elles arrivent toutes les semaines par palettes. Il y en a plus à Calais qu’à la réserve nationale du RAID. D’après le commissaire, on en a claqué pour près de deux millions d’euros en une année. Et pour zéro interpellation. Juste pour sécuriser la route vers le ferry ou vers le tunnel sous la Manche.


La violence est partout puisque la pauvreté est immense. Tu ne peux pas mettre ensemble près de dix mille hommes, venant des pays les plus dangereux de la Terre, quasiment enfermés, tributaires de la générosité des Calaisiens et des humanitaires, sans autre espoir qu’une traversée illégale, et croire que tout va bien se passer. Des morts, il y en a toutes les semaines. Les No Border les traînent aux limites de la Jungle, devant les CRS, mais parfois ils sont simplement enterrés entre les dunes et la forêt. Si un jour ils rasent la Jungle, il ne faudra pas creuser trop profond.

 
J’ai lu sur internet qu’on avait 208 fois plus de chance de gagner au loto que de naître en bonne santé, dans un pays démocratique et en paix, avec un toit sur la tête.


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vendredi 26 juillet 2019

[Tharreau, Estelle] Mon ombre assassine




 


J'ai beaucoup aimé

Titre : Mon ombre assassine

Auteur : Estelle THARREAU

Année de parution : 2019

Editeur : Taurnada

Pages : 260






 

 

Présentation de l'éditeur : 

En attendant son jugement, du fond de sa cellule, Nadège Solignac, une institutrice aimée et estimée, livre sa confession.
Celle d'une enfant ignorée, seule avec ses peurs.
Celle d'une femme manipulatrice et cynique.
Celle d'une tueuse en série froide et méthodique.
Un être polymorphe.
Un visage que vous croisez chaque jour sans le voir.
Une ombre. Une ombre assassine.



Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Après avoir travaillé dans le secteur privé et public, cette passionnée de littérature sort son premier roman en 2016, Orages, suivi de L'Impasse en 2017. Depuis, elle se consacre entièrement à l'écriture.


Avis :

Nadège Solignac a été arrêtée pour la mort d'un policier qui aurait tenté de la violer et qu'elle aurait tué en état de légitime défense. L'enquête révèle une série troublante d'accidents mortels partout où passe la jeune femme, mais scandalise l'entourage de cette institutrice modèle, si gentille et si appréciée de tous. 

Alors que se succèdent les témoignages, sans exception en sa faveur, Nadège nous livre en privé sa confession, relatant son enfance maltraitée, ses peurs et sa haine, la constitution progressive de sa personnalité de psychopathe, son comportement de façade soigneusement étudié pour donner le change, les meurtres commis sans émotion ni remord, son mépris des sentiments humains et des règles sociales, ses avertissements et ses menaces à votre encontre, vous qui ne vous méfiez aucunement de cette manipulatrice aux deux visages, et qui ignorez tout de son ombre assassine qui vous frôle peut-être à votre insu.

En alternant le récit intime de la meurtrière et la perception en complet décalage de son entourage, ce roman donne à comprendre, de manière saisissante et perturbante, ce qu'est la psychopathie, cette déficience des émotions et du contrôle des impulsions, cette inadaptation menant à des conduites antisociales, mais aussi comment un être manipulateur et pervers peut berner son entourage et commettre le pire en toute impunité pendant des années.

Fascinant et inquiétant, le récit coule de manière fluide, sans que jamais l'intérêt ne se relâche, interpellant le lecteur, le glaçant au fil d'actes terrifiants de froideur et d'amoralité, le convainquant peu à peu de son impuissance et de sa vulnérabilité potentielles, face à des prédateurs que leur entourage côtoie, parfois pendant des décennies, sans jamais se douter de rien.

Ce livre prenant et facile à lire, construit pour vous interpeller et vous déranger, vous confrontera à l'insoutenable et dangereuse insensibilité d'êtres qui évoluent discrètement et en toute impunité au milieu du commun des mortels, guettant impitoyablement leur prochaine proie. Impossible de ne pas penser au moins à une affaire récente, qui a fait ressortir le dossier de multiples disparitions antérieures, mais où l'aplomb du criminel présumé et l'absence de preuves interdisent d'avancer. (4/5)


Citations :

Les regards aimants n’existent pas. Ils ne sont qu’une apparence sociale, une technique de manipulation, une mise en confiance nécessaire. Nous sommes condamnés à vivre seuls avec nous-mêmes. L’autre n’est qu’un moyen ou un danger.

Je compris qu’il fallait choisir son camp et il n’en existait que deux : celui de la proie ou celui du prédateur.

Les gens, en général, et les plus désespérés en particulier, trouvent très réconfortant de se rapprocher des personnes plus malheureuses qu’elles. Elles ne veulent pas compatir. Elles veulent être spectatrices de leur peine pour relativiser leur propre détresse et se consoler de ne pas être seules aux abois.

… elle m’a surtout dit que les criminels ne naissent pas ex nihilo. Que la société et chaque élément qui la compose ont leur part de responsabilité, grande ou petite. Que notre indifférence, nos négligences, qu’à chaque fois que nous détournons les yeux d’un enfant ou d’une personne en détresse, nous participons peut-être à la création d’une bombe en devenir.



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lundi 22 juillet 2019

[Bourdeaut, Olivier] En attendant Bojangles





Au-delà du coup de coeur 

💓💓💓

Titre : En attendant Bojangles

Auteur : Olivier BOURDEAUT

Année de parution : 2016

Editeur : Finitude

Pages : 160






 

 

Présentation de l'éditeur : 

Sous le regard émerveillé de leur fils, ils dansent sur «Mr. Bojangles» de Nina Simone. Leur amour est magique, vertigineux, une fête perpétuelle. Chez eux, il n'y a de place que pour le plaisir, la fantaisie et les amis.
Celle qui mène le bal, c'est la mère, imprévisible et extravagante. Elle n'a de cesse de les entraîner dans un tourbillon de poésie et de chimères.
Un jour, pourtant, elle va trop loin. Et père et fils feront tout pour éviter l'inéluctable, pour que la fête continue, coûte que coûte.
L'amour fou n'a jamais si bien porté son nom.

L’optimisme des comédies de Capra, allié à la fantaisie de L’Écume des jours.
Cet ouvrage a obtenu le Grand Prix RTL - Lire 2016, Le Roman des étudiants 2016 France Culture - Télérama ainsi que le Prix France Télévision 2016.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Olivier Bourdeaut est né au bord de l’Océan Atlantique en 1980. 
L’Education Nationale, refusant de comprendre ce qu’il voulait apprendre, lui rendit très vite sa liberté. Dès lors, grâce à l’absence lumineuse de télévision chez lui, il put lire beaucoup et rêvasser énormément.
Durant dix ans il  travailla dans l’immobilier allant de fiascos en échecs avec un enthousiasme constant.  Puis, pendant deux ans, il devint responsable d’une agence d’experts en plomb, responsable d’une assistante plus diplômée que lui et responsable de chasseurs de termites, mais les insectes achevèrent de ronger sa responsabilité. Il fut aussi ouvreur de robinets dans un hôpital, factotum dans une maison d’édition de livres scolaires – un comble – et cueilleur de fleur de sel de Guérande au Croisic, entre autres.
Il a toujours voulu écrire, En attendant Bojangles en est la première preuve disponible.



Avis :

Le narrateur est un jeune garçon, qui ne comprend pas tout de la vie de ses parents, mais ce qui est sûr, c’est qu’un amour profond les lie, illuminant leur existence fantaisiste et échevelée qui n’a qu’un seul mot d’ordre : s’amuser. Pourtant, derrière les rires, les larmes ne sont pas loin, et une dure réalité va bientôt s’imposer avec brutalité, lorsque l’extravagance ira un cran trop loin.

Voici un petit livre absolument délicieux.
On le commence le sourire aux lèvres, charmé par l’irrésistible humour de ce rafraîchissant tourbillon de bonheur. Puis la lecture prend une tonalité douce-amère lorsqu’on comprend le désespoir et l’incommensurable amour qui sous-tendent cette folie de plus en plus incontrôlable. Et c’est les larmes aux yeux que l’on quitte les personnages et leur drame.

En fait, la perception du lecteur est d’abord celle du fils, longtemps protégé par le courage paternel qui lui permet de vivre une enfance émerveillée sans se douter du drame qui couve. Le regard change complètement lorsqu’on découvre les carnets intimes du père et qu’on réalise à quel point rien n’aurait pu être drôle du tout.

A la fois tragique et léger, drôle et triste, tendre et cruel, ce pétillant et savoureux roman se lit comme une parenthèse enchantée qui vous fait passer du rire aux larmes et vous laisse impressionné, ému par cet extraordinaire numéro de clown triste et cette magnifique démonstration d’amour. Au-delà du coup de coeur. (6/5)


Citations :

À cette époque, je l’ai toujours vu heureux, d’ailleurs il répétait souvent :
— Je suis un imbécile heureux !
Ce à quoi ma mère lui répondait :
 — Nous vous croyons sur parole Georges, nous vous croyons sur parole !

Il racontait de belles histoires et, les rares fois où il n’y avait pas d’invités, il venait plier son grand corps sec sur mon lit pour m’endormir. D’un roulement d’œil, d’une forêt, d’un chevreuil, d’un farfadet, d’un cercueil, il chassait tout mon sommeil. Le plus souvent, je finissais hilare en sautant sur mon lit ou caché pétrifié derrière les rideaux.
— Ce sont des histoires à dormir debout, disait-il avant de quitter ma chambre.

Dans ma chambre, il y avait trois lits, un petit, un moyen, un grand, j’avais choisi de garder mes lits d’avant dans lesquels j’avais passé de bons moments, comme ça j’avais l’embarras du choix, même si Papa trouvait que mon choix ressemblait à un débarras.

Pendant les grandes danses nocturnes, il essayait d’embrasser toutes les amies de ma mère. Mon père disait qu’il sautait sur toutes les occasions. Parfois ça marchait, donc il partait sauter les occasions dans sa chambre.



Du même auteur sur ce blog :

 
 

 

Challenge 2019/2020

vendredi 19 juillet 2019

[McArthur, Robin] Les femmes de Heart Spring Mountain





J'ai aimé

 

Titre : Les femmes de Heart Spring Mountain
          (Heart Spring Mountain)

Auteur : Robin McARTHUR

Traductrice : France CAMUS-PICHON

Parution : 2018 en américain (Ecco)
                2019 en français (Albin Michel)

Pages : 368



 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Août 2011. L’ouragan Irene s’abat sur le Vermont, laissant derrière lui le chaos et la désolation. Loin de là, à La Nouvelle-Orléans, Vale apprend que sa mère a disparu lors du passage de la tempête. Cela fait longtemps que la jeune femme a tourné le dos à sa famille, mais cette nouvelle ne lui laisse d’autre choix que de rentrer chez elle, à Heart Spring Mountain.

Elle y retrouve celles qui ont bercé son enfance : la vieille Hazel qui, seule dans sa ferme, perd la mémoire, et Deb, restée fidèle à ses idéaux hippies. Mais si elle est venue là dans le seul but de retrouver sa mère, c’est aux secrets des générations de femmes qui l’ont précédée que Vale va se confronter, réveillant son attachement féroce à cette terre qu’elle a tant voulu fuir. 


Après Le Cœur sauvage, un recueil de nouvelles unanimement salué par la critique et les libraires, Robin MacArthur signe, d’une écriture pure et inspirée par la nature sauvage du Vermont, un émouvant premier roman sur le lien à la terre natale, et offre une réflexion lumineuse sur l’avenir de notre planète.


« L’écriture de Robin MacArthur est un petit miracle. » Télérama.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Robin MacArthur est originaire du Vermont, où elle vit toujours aujourd’hui. Elle a créé avec son mari un groupe de musique folk baptisé Red Heart the Ticker, et ses nouvelles ont été publiées dans de nombreuses revues littéraires. Régulièrement comparée à Annie Proulx et Anthony Doerr, elle s’impose en deux livres seulement comme un des jeunes écrivains les plus prometteurs de sa génération.  

 

 

Avis :

Lorsqu’en 2011, sa mère Bonnie est portée disparue suite à l'ouragan Irene qui vient de frapper la côte Est des Etats-Unis, Vale quitte précipitamment son travail de serveuse et de strip-teaseuse à la Nouvelle-Orléans pour revenir dans le Vermont, à Heart Spring Mountain, ce coin perdu de nature qui est le berceau de sa famille et où elle a passé toute son enfance. C'est la première fois depuis des années qu'elle revient dans ce lieu pauvre et rural, qu'elle a fui en même temps que la toxicomanie de sa mère. Alors qu'elle se lance désespérément sur les traces maternelles, c'est bientôt tout le passé familial qu'elle se retrouve à exhumer peu à peu, déterrant des secrets longtemps tus sur sa généalogie et se réconciliant finalement avec ses racines et sa terre d'origine.

Cette vaste saga sur trois générations de femmes se déploie lentement, alternant les époques au fil de courts chapitres qui viennent peu à peu dissiper les mystères de cette famille. Les hommes en sont les grands absents, presque tous disparus ou inconnus, alors que les femmes s'agrippent courageusement à leur indépendance et à leur mode de vie rude et sauvage, au contact de la terre et de la nature.

Il aura fallu ni plus ni moins qu'un dérèglement climatique pour qu'enfin Vale puisse mettre de l'ordre dans le passé, et trouver par là la possibilité de se construire qui aura tant fait défaut à sa mère. Car comment trouver son équilibre sans connaître ses origines, surtout lorsque les secrets s'empilent au fil des générations, depuis une lointaine et oubliée ascendance amérindienne, jusqu'au mystère de pères dont on ignore l'identité ?

Sur fond de désastre climatique, au moment où les violents et perturbants bouleversements qui s'annoncent nous amènent à nous interroger et à nous recentrer sur les vrais essentiels, cette histoire nous questionne sur notre identité profonde, insistant sur l'importance du sentiment d'appartenance et la transmission entre les générations. Il nous rappelle que nous faisons partie d'un tout, que sans conscience de nos origines et sans harmonie avec notre environnement, il nous est impossible de nous sentir légitimes, de nous construire en tant qu'individus, de vivre tout simplement.

Si ce récit puissant et choral est intelligemment construit autour de beaux portraits de femmes, il ne m'a pas captivée du début à la fin. Je me suis souvent sentie perdue dans les incessants sauts entre les personnage et les époques. J’ai eu du mal à entrer dans l’histoire, à m’attacher aux personnages et à leur marginalité un peu excentrique. J’ai eu un sentiment de longueur et de lassitude, et je n’ai pas compris l’utilité des références littéraires et cinématographiques qui m’ont semblé alourdir le récit plus qu’autre chose.

Je garde donc une impression mitigée de ce livre aux qualités indéniables, mais que j'ai plus apprécié intellectuellement que véritablement aimé. (3/5)

 

 

Citation :

Le violoneux, c’est Lex. L’homme aux yeux couleur de fougère, à peine bordés de noir. Quand il joue, on dirait que son corps se détache du sol, seulement relié à la terre par un fil électrique courant de son orteil gauche au sommet de son crâne. Il tournoie autour de ce fil, tanguant légèrement, tremblant, se baissant, transporté, épanoui. La plupart du temps, ses yeux sont fermés, mais il lui arrive de regarder les danseurs et là il sourit, un sourire pareil à l’explosion d’une ampoule électrique dans cette salle tout en bois où nous dansons, où les hommes sont si tendus et les femmes si raides, le visage impassible, mais quand l’ampoule explose, l’espace d’un instant on a tous l’air tellement beaux que j’ai l’impression de pouvoir me métamorphoser en quelque chose que je n’étais pas auparavant : un faucon, une braise, les pétales épars d’une rose du Venezuela.

mercredi 17 juillet 2019

Interview de Jean-Marc Dhainaut, à l'occasion de la sortie récente de son dernier livre : Les galeries hurlantes - 16 juillet 2019




Bonjour Jean-Marc Dhainaut. Votre dernier livre Les galeries hurlantes vient de sortir aux Editions Taurnada.



Pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, j’ai 45 ans. Né à Douai, je vis dans le Pas-De-Calais et travaille dans l’industrie automobile. 



Pouvez-vous décrire votre parcours ? Quand et comment vous est venue l’envie d’écrire ?

Paradoxalement, l’écriture n’a jamais été un rêve que j’aurais pu poursuivre depuis de nombreuses années. Être publié n’avait jamais été un but. Comme je le dis souvent, je me suis retrouvé presque parachuté, il y a trois ans seulement, dans le monde de l’écriture simplement en suivant mon envie d’écrire, tout simplement. Par instinct, curiosité ou intuition, je ne sais pas. 

Quelque temps plus tôt, je m’étais d’abord mis à écrire pour mes amis, ma famille. Je distribuais des rôles à chacun, puis plongeais tout le monde dans des histoires d’épouvante (oui, déjà), mais plutôt comiques. Ça plaisait beaucoup et j’ai réalisé que je pouvais aller encore plus loin. Je me suis alors mis à écrire des nouvelles fantastiques pour des concours et cela me réussissait et me faisait comprendre que je pouvais toujours aller plus loin… Jusqu’à l’écriture et la parution de mon premier roman en 2016.



Vos romans sont des thrillers fantastiques. Pourquoi cette passion pour le surnaturel ?

Je ne parlerais pas de passion, mais plutôt d’un centre d’intérêt. L’imaginaire offre un tel champ de possibilités que j’aime y plonger. Ses seules limites sont celles de notre imagination. Tout est permis ou presque. Le surnaturel provoque des sentiments très particuliers dans un roman. Il alourdit considérablement une ambiance, un contexte, il ne fait pas simplement frissonner comme pourraient le faire les meurtres d’un tueur en série dans un thriller. Tout le monde aime se faire peur, aime l’adrénaline. Même si certains se freinent, se disent « oh non, ce n’est pas pour moi ! », appréhendent par « peur d’avoir peur », leur curiosité les pousse souvent à pousser la porte de l’étrange. Et souvent, ils en ressortent bouleversés, mais surtout agréablement surpris. 

Il faut aussi savoir écouter notre curiosité, car après tout, un vilain défaut de plus ou de moins… Si le surnaturel, dans un roman fantastique, est comme un bruit faible amplifié par la nuit et fait peur, il est aussi bien plus que cela : il permet, pour qui le veut, d’écrire de très belles histoires où se mêlent tous les sentiments humains en se jouant des sens et de l’imagination du lecteur. Il est possible de faire de belles choses avec le surnaturel. Si le cinéma aime s’en servir pour « fabriquer des machines à faire sursauter », il est facile de le modeler autrement, d’aller plus loin dans l’émotion, de faire voyager l’imagination et de faire que la peur se transforme par exemple soudain en tristesse avec des moments d’émotions très forts. C’est cela qui me plaît.



Quelles sont vos sources d’inspirations et vos influences ?
Mes sources d’inspirations sont nombreuses. Je suis quelqu’un de très curieux dans la vie, j’ai exploré plusieurs domaines, parfois juste quelque temps… Le temps d’apprendre et de passer à autre chose. Et j’ai appris beaucoup. J’ai besoin de rêver. Je me suis passionné pour des choses qui me faisaient rêver, et principalement axées autour de l’Histoire : la généalogie, l’archéologie, le Moyen-Âge, etc… 

Mais la principale reste la vie, tout simplement la vie. La mienne, celle des gens autour de moi, celle de ceux que l’on croise parfois simplement d’un regard, au détour d’une rue. La vie que l’on vous raconte parfois, celle d’un collègue, d’un ami, avec parfois et même souvent son lot de drames, une anecdote entendue... Beaucoup de mes idées viennent parfois de simples anecdotes. Par exemple, le twist de La Maison bleu horizon a été déclenché par l’une d’elles que m’a un jour racontée mon cousin à propos d’un homme ayant dîné un soir dans une maison, et qui, le lendemain, s’est aperçu qu’il y avait oublié quelque chose… C’était juste une histoire qu’il m’avait racontée dix ans avant l’écriture du roman, mais qui a ressurgi au bon moment. 

Les témoignages sur les histoires de hantises m’ont aussi beaucoup intéressé. J’en ai lu beaucoup, j’en ai aussi entendu depuis tout petit dans ma famille, mais j’ai surtout eu l’occasion de discuter et de rencontrer des témoins de ce genre de phénomènes, et j’en rencontre même encore parfois : des lecteurs que je rencontre en dédicace et qui me parlent de ce qu’ils ont vécu. 

Je m’inspire beaucoup de l’Histoire tourmentée de notre bon vieux pays. Il n’y a jamais de fantômes sans tourments, après tout… Mais j’y puise avec beaucoup de respect tout en rendant hommage à sa mémoire et à celles et ceux qui l’ont écrite pour nous. Même si je n’écris pas que des histoires effrayantes, je me plais beaucoup à explorer bon nombre d’époques. 

En ce qui concerne mes influences, c’est beaucoup plus compliqué. Si j’y songe, aucun auteur ne m’a influencé. D’ailleurs, je ne lis pas de Grands Auteurs ayant pu marquer un style, un genre ou une époque. Déjà par manque de temps, mais même aussi d’envie. Mais la seule vraie source d’influence que je ne peux m’empêcher de citer à chaque fois est une vieille série télévisée : La Quatrième dimension.



Comment est né le personnage d’Alan Lambin, que l’on retrouve pour la troisième fois dans votre dernier livre ?
Alan est né de cette fascination que nous avons, parfois même inconsciente, pour une maison de n’importe quel village, abandonnée ou non, sur laquelle chacun raconte des histoires de fantômes. Il est le fruit de nos peurs d’enfants qui parfois se sont perpétuées : celles de nos monstres sous le lit ou cachés dans l’armoire, attendant que l’on éteigne la lumière pour nous tirer les couvertures. Il est né aussi de cette envie d’exposer un personnage à toutes ces peurs, à ces endroits sinistres qui nous feraient déguerpir plus vite que notre ombre. 

Il est né de mon intérêt pour les légendes bretonnes, de mon coup de cœur pour la Bretagne (que j’ai découverte il y a déjà longtemps, car j’ai ma sœur qui a la chance d’y vivre) et de la fierté que j’ai d’être du Nord. Il me fallait un personnage qui soit le mélange de tout cela : la richesse culturelle d’une mère bretonne qui a voulu lui donner le prénom d’Alan, et les valeurs et le cœur d’un père du Nord dont il porte le nom de Lambin (qui est aussi, pour le clin d’œil, celui de mon arrière-arrière-grand-mère du côté de mon père). C’est ainsi qu’est né Alan Lambin.



Les galeries hurlantes fait revivre le passé d’une cité minière du Nord de la France. Que représente ce thème pour vous ?
Il représente énormément d’émotion, mais aussi de fierté. Je suis né dans le bassin minier, j’y vis toujours. Les mineurs ont été nombreux dans ma famille. Mon grand-père maternel était mineur, ma grand-mère, son épouse, trieuse de charbon. Mon grand-père paternel est mort de la silicose après avoir travaillé dans le charbon (une cokerie), mon arrière-grand-père paternel était mineur, un oncle que j’adorais l’a été toute sa vie. 

Bref, la mine c’est aussi mon histoire. Tant de drames s’y sont produits, tant de familles meurtries. Le cousin de ma mère est mort dans ma commune le 24 mars 1969, alors que la cage d’ascenseur dans laquelle il était monté avec 4 autres mineurs, et qui ne servait qu’au charbon et au matériel, s’est écrasée. Je ne pouvais pas ne pas rendre hommage à cette page de mon histoire, de celle de ma famille, de celle de notre pays.



Vous semblez vous amuser à jouer avec les nerfs de vos lecteurs, tant la construction de votre livre est retorse et pleine de surprises. Comment vous y prenez-vous pour écrire ? Avez-vous en tête tous les méandres du récit avant de commencer, ou faites-vous évoluer l’intrigue et ses rebondissements en cours de route ?
J’écris comme j’aime lire, et comme je suis très difficile à satisfaire en lecture, je m’applique à retranscrire tout ce que je recherche moi-même dans un roman. Je déteste m’ennuyer dans un roman, sinon je l’abandonne vite. Si l’auteur n’a pas su me capturer avant les 100 premières pages, alors il me perd complètement, et c’est en ayant conscience de cela que je construis mes histoires, ses rebondissements, son intrigue. 

Lorsque je travaille sur un nouveau roman, je prends beaucoup de notes (j’ai même un petit calepin près du lit pour noter les idées qui me réveillent la nuit), je m’envois même des textos en cas d’idée subite qui peut m’arriver n’importe quand (j’ai toujours mon téléphone sur moi) et je m’envoie régulièrement par mail des sauvegardes de mes textos (en cas de perte du téléphone). J’essaie aussi de coucher toutes mes idées et de classer mes brouillons dans des classeurs (un classeur pour chaque nouveau roman). 

Je ne commence jamais l’écriture d’un roman tant que je n’en ai pas trouvé le titre. C’est peut-être bizarre, mais le titre est pour moi comme un fil conducteur. Même si parfois il m’arrive de le changer, ce qu’il m’évoque reste la même chose. 

Je sais toujours d’où je pars et là où je souhaite arriver, au milieu, j’explore au gré des pièces du puzzle qui viennent s’ajouter et que j’assemble au fur et à mesure. Je voyage dans mes manuscrits entre le début, le milieu et la fin et j’arrange comme bon me semble ou selon mes premiers retours de « bêta-lecture ». 

J’aime aussi ressentir profondément les émotions, souvent même dans les films, et je sais donc ce qui me touche et ce que je peux donc retranscrire et partager dans mes récits. Il m’arrive d’être moi-même profondément ému par ce que je suis en train d’écrire, car je visualise, je vis ce que j’écris. Et lorsque les lecteurs me disent que mon écriture est très visuelle, qu’ils se retrouvent au cœur des scènes qu’ils lisent et en ressentent toutes les émotions à travers les images que provoque leur imagination, alors je sais que j’ai réussi à transmettre ce que je voulais. Lorsque j’écris, je m’enferme dans une bulle, je vis l’histoire, plus rien n’existe autour de moi. Et si, dans cette bulle, je peux la partager avec les lecteurs, alors c’est pour moi le plus important.



Quel est votre rythme d’écriture ? Avez-vous des rituels de travail ? Comment conciliez-vous votre activité littéraire avec votre autre métier ?
J’écris lorsque j’en ai le temps et l’envie, même s’il faut parfois que je me bouscule un peu. Mais n’ayant aucun timing à respecter, j’écris à mon rythme, tout simplement. Je n’ai pas envie de me perdre dans des longueurs. Je n’ai pas envie d’écrire de gros romans. Pour l’instant, ce que je fais me convient très bien. 

Je n’ai pas vraiment de rituel, mais j’adore écrire l’hiver, lorsque le temps est agité, que je suis dans mon canapé avec le chien, le chat, et le bois qui flambe dans la cheminée avec un bon chocolat chaud. Là, tout devient limpide dans mon imagination, je suis « en contexte », en « condition ». Parfois, lorsque j’aborde un moment particulier où je souhaite bouleverser le lecteur, l’émouvoir, j’écoute une musique douce qui va m’aider à faire jaillir ce dont j’ai besoin. Sinon, il me faut le calme. 

Ce n’est pas toujours facile avec mon travail en horaires postés. La fatigue m’empêche souvent d’écrire alors que j’en ai pourtant le temps. Alors ce temps, je me l’aménage comme je peux. Le plus pénible reste les très nombreuses relectures au fil des arrangements. Mais je ne travaille jamais sur plusieurs romans en même temps, je ne voudrais certainement pas risquer de me disperser.



Quelles sont les réactions de votre entourage face à vos publications ? Sont-ils surpris de votre imagination ?
Oui, dans mon entourage, les gens sont surpris. Peut-être même que certains y ont cru plus que moi. Mais finalement ils font aussi partie de mes aventures puisque je fais lire mes manuscrits à mes parents, ma sœur, quelques amis, avant de les envoyer à mon éditeur. J’ai ainsi mon « petit comité de lecture », comme je l’appelle. Une quinzaine de personnes, pas plus. Leur avis compte beaucoup pour moi. Enfin, je leur propose, ma démarche reste volontaire. Mais je demande un avis sincère, objectif, constructif. Des avis de complaisances ne m’aideraient en aucune manière. Si on n’accroche pas, je tiens à ce qu’on me le dise (en développant pour que je puisse bien prendre en compte les remarques). 

Je pense qu’ils sont fiers, surpris, mais fiers. Mais je n’ai jamais fait cela pour que l’on soit fier de moi ou pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit, pas même à moi-même. Je suis ma route, c’est tout, et je me satisfais du présent puisque de toute façon personne ne sait de quoi demain sera fait. Je pense aussi beaucoup à ma grand-mère paternelle, qui de là-haut, sourit peut-être lorsqu’elle me voit écrire. D’un sourire bienveillant, continuant d’espérer le meilleur pour moi. Je l’ai toujours entendu dire avec tendresse, depuis mes plus vieux souvenirs d’enfant, que l’on ferait quelque chose de moi.



Avez-vous d’autres projets d’écriture ? Retrouvera-t-on à nouveau Alan Lambin ?
Oui, j’ai d’autres idées dans le coin de la tête, et je commence à travailler sur un nouveau roman frissonnant, qui pourrait bien nous emmener, si tout se passe bien, quelque part dans une forêt mystérieuse et bien connue… 

Mais d’ici là, j’ai deux autres projets qui sont déjà terminés et signés chez ma maison d’édition, dont un qui parle d’un certain Alan Lambin… Et d’un corbeau noir qui pourrait bien revenir lui tourner autour, comme il l’avait fait dans La Maison bleu horizon… Mais chut, cela reste entre nous.



Merci Jean-Marc Dhainaut d'avoir répondu à mes questions. 
(Interview de Cannetille le 16 Juillet 2019) 

Vous pouvez retrouver Jean-Marc Dhainaut:
- sur son site
- ainsi que sur celui des Editions Taurnada.


Ma chronique des Galeries hurlantes est accessible ici. 


mardi 16 juillet 2019

[Tardieu, Laurence] Nous aurons été vivants





J'ai aimé

Titre : Nous aurons été vivants

Auteur : Laurence TARDIEU

Année de parution : 2019

Editeur : Stock

Pages : 272







 

 

Présentation de l'éditeur : 

Est-ce Lorette, partie il y a sept ans sans laisser la moindre trace ni mot d’explication, qui se tient, en ce matin d’avril 2017, de l’autre côté du boulevard ? Hannah, sa mère, croit un instant l’apercevoir. Peut-être a-t-elle rêvé. Mais, dès lors, plus rien ne peut se passer comme avant : violent séisme intérieur, la vision a fait rejaillir tout ce qu’elle avait tenté d’oublier. Ce même jour, plusieurs destins, chacun lié à Hannah, voient leur existence basculer.

Une journée particulière, donc, mais aussi trente ans de la vie intime d’Hannah Bauer, femme, artiste, mère, prise dans les soubresauts de son histoire familiale et de celle de l’Europe, Nous aurons été vivants est un hymne à la vie.



Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Laurence Tardieu est l’auteur d’une dizaine de livres. Elle a notamment publié Le Jugement de Léa (Arléa, prix du roman des libraires Leclerc 2004) et, chez Stock, Puisque rien ne dure (prix Alain-Fournier), Rêve d’amour, Un temps fou et La Confusion des peines.


Avis :

Cela fait sept ans que sa fille est partie sans plus donner de nouvelles, lorsque Hannah croit soudain l’apercevoir en train de monter dans un bus. Aussitôt, c’est comme l’éclatement d’une bulle : tout ce qu’Hannah tentait désespérément de refouler au fond de sa mémoire revient brutalement à la surface. Au travers de prégnants flash-back, les souvenirs, angoisses, espoirs, blessures, affluent en un long tracé plein d’ombres, jusqu’à ce que, peu à peu, la conscience de l'impact d’un grave traumatisme familial se fasse dans son esprit et lui ouvre enfin de nouvelles perspectives : alors, Hannah commence à comprendre et à admettre pourquoi sa fille l’a quittée sans explication et ce qui l’empêche, elle, de vivre pleinement son existence.

Pourquoi n'ai-je pu ressentir de réelle sympathie pour les personnages, pourtant si humains ? Est-ce en raison de la mélancolie d'Hannah, dont la longue introspection a fini par me sembler pesante et déprimante malgré le cheminement de l'héroïne vers la résilience et la lumière ? Ou parce que je n'ai pas affronté de gaieté de coeur les thèmes, abordés avec une si grande justesse, du temps qui passe et du temps qui reste, de l'écoulement de la vie et des différentes chances qu'elle peut offrir et qu'il faut savoir saisir ?

Quoi qu'il en soit, même minant, jamais le récit n'est ennuyeux, et surtout, il est admirablement porté par l'évident talent littéraire de l'auteur. Sous l’apparent désordre des flash-back se cache une construction habile où chaque détail est soigneusement pesé, tandis que les longues phrases fluides et rythmées témoignent d'une très jolie plume, fine et sensible, toute en délicatesse et subtilité.

Laurence Tardieu signe ici un roman de grande facture, qui lui permet indéniablement de figurer dans la cour des grands, en tout cas parmi les écrivains à suivre. (3/5)


Citations :

Tu sais, quand je regarde les gens autour de moi, les gens qui commencent à vieillir, je me dis que la vie doit être un sacré rouleau compresseur, et que si tu n’as pas dans ton existence quelque chose de puissant, quelque chose qui possède un souffle, qui te met chaque jour en mouvement, eh bien avant même que tu ne t’en rendes compte tu es devenu aussi plat et ratatiné qu’une galette. Pour moi, cette chose puissante, c’est la peinture. Plus, même, que la peinture : la création.

Comme c’est étrange d’apprendre plus de dix ans après la mort de quelqu’un qui n’était pas un proche mais a compté à un moment de notre vie, et dont on avait gardé un souvenir solaire.

Oui, lui aussi aura peur. Car à cet instant il ressent, comme jamais, le miracle qu’il y a à être en vie. A quoi cela tient-il ? A quoi cela tient-il d’être d’un côté ou de l’autre de la frontière des vivants ?

...je vais entrer dans la dernière saison de ma vie et je voudrais retourner des années en arrière, redeenir un enfant, celui qu’on protège et qui n’a pas à se soucier du poids du destin, la vie est passée trop vite, comme un songe, demain tout sera déjà fini et tout aura été perdu, est-ce que pour toi ça a été la même chose, la vie aussi passée comme un songe, est-ce pour tout le monde pareil sans qu’on vous prévienne avant, on passe de quinze à soixante ans sans s’en apercevoir, on vous dit qu’il y aura des étapes, du temps, de la chair, mais en fait il n’y a rien, rien qu’un pauvre éclair aussitôt avalé par la nuit, les vies comme les histoires d’amour sont des mythes…

- Non, Paul, tu te trompes : bien sûr que le temps passe. Il passe comme un train lancé à toute berzingue et qui ne s’arrête dans aucune gare. Il passe et laisse derrière lui des terres brûlées, qui ne revivront plus, dont personne ne fera rien. J’ai perdu mon enfance, j’ai perdu le monde de mon enfance et celui de ma jeunesse. J’ai perdu mon adolescence. À chaque instant je perds quelque chose. Et toi aussi. Et nous tous. Cela n’existe plus. Cela n’existera plus jamais. Je ne peux pas m’y habituer. Je ne peux pas le supporter. Je ne le pourrai jamais. Lorsque j’y pense, j’ai l’impression de n’appartenir à rien, de flotter dans la nuit.

… on croit pendant longtemps que la vie nous offrira plusieurs autres chances, en tout cas au moins une seconde. Or le temps passe et très vite d’un coup il est trop tard, et la vie n’a pas offert de seconde chance. La vie est simplement passée. Chaque jour, chaque mois, chaque année vécue fait que le présent devient épais, très épais, et très lourd, il s’encombre de tout ce qui a été vécu et ne peut plus se transformer en un tournemain comme s’il était de cristal, lesté par aucun poids.

C’est drôle comme la perception des choses change lorsqu’on les observe par le prisme de l’appareil, songe-t-elle. Non pas qu’on les ressente moins fortement ou plus intensément, mais elles nous apparaissent soudain uniques, comme détachées de toutes les autres choses qui existent par ailleurs. Elles semblent exister encore plus, mais uniquement en cet instant où on les découvre dans le viseur. Ce qui saute alors au visage, c’est le caractère éphémère du vivant : on capte une chose et dans le même temps nous apparaît la certitude de son effacement, de sa disparition prochaine – et, en regard, celle de notre propre disparition.

On ne s’étonne pas de retrouver chaque matin le même paysage familier, mais lorsqu’on revient bien des années après dans un lieu qu’on a parfaitement connu, le retrouver intact a quelque chose de poignant, songe Hannah. Et ce n’est pas seulement lié à l’émotion de retrouver inchangés les arbres, la lumière, les odeurs, les rochers… C’est aussi parce qu’on ne peut s’empêcher de penser : durant tout le temps où ce paysage continuait à demeurer, voilà tous les événements qui se sont produits dans ma vie : j’ai perdu ma mère, j’ai eu un enfant, j’ai exposé plusieurs fois mes œuvres, j’ai eu une longue pneumonie, je suis partie deux mois à Moscou… Comme si, face à ce paysage retrouvé inaltéré, le film de notre existence défilait en accéléré. Le temps a passé sur nos vies éphémères.