lundi 31 août 2020

dimanche 30 août 2020

[Butler, Nickolas] Le petit-fils





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le petit-fils (Little Faith)

Auteur : Nickolas BUTLER

Traductrice : Mireille VIGNOL

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2019,
                  en français en 2020 (Stock)

Pages : 350

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Après trente ans à travailler dans un petit commerce, Lyle vit désormais au rythme des saisons avec sa femme Peg, dans leur ferme du Wisconsin. Il passe ses journées au verger où il savoure la beauté de la nature environnante. Leur fille adoptive, Shiloh, et leur petit-fils bien aimé, Isaac, se sont récemment installés chez eux, pour leur plus grande joie.

Une seule ombre au tableau : depuis qu’elle a rejoint les rangs des fidèles de Coulee Lands, Shiloh fait preuve d’une ferveur religieuse inquiétante. Cette église, qui s’apparente à une secte, exige la foi de la maison entière et Lyle, en proie au scepticisme, se refuse à embrasser cette religion. Lorsque le prédicateur de Coulee Lands déclare qu’Isaac a le pouvoir de guérison, menaçant par là-même la vie de l’enfant, Lyle se trouve confronté à un choix qui risque de déchirer sa famille.

Interrogeant les liens filiaux, la foi et la responsabilité, Le Petit-fils dépeint avec justesse, tendresse et amour le combat d’un couple de grands-parents prêts à tout pour leur petit-fils.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Nickolas Butler est un écrivain américain né en 1979. Il est l'auteur de recueils de nouvelles et de romans qui lui ont valu de nombreux prix et récompenses littéraires.

 

 

Avis :

Lyle et Peg sont ravis lorsque leur fille adoptive Shiloh et leur petit-fils Isaac viennent s’installer chez eux, dans le Wisconsin. Ils ne tardent pas à découvrir que la jeune femme est sous l’emprise d’une secte religieuse, qui croit notamment au pouvoir de guérison par la prière. Ils vont vite se sentir impuissants à protéger leur petit-fils, même lorsque celui-ci se retrouvera en grand danger.

Inspiré d’une histoire vraie survenue dans le Wisconsin en 2008, le récit expose avec justesse le drame vécu par les proches des victimes de sectes, tant il est difficile d’aider qui que ce soit contre son gré. Amenés par amour à d’impossibles compromis par peur de voir se rompre le lien avec Shiloh et Isaac, Lyle et Peg vont malgré tout se heurter avec désespoir à un mur insupportablement infranchissable.

Au-delà du drame qui en constitue le thème central, ce roman explore aussi avec sensibilité le quotidien d’un couple vieillissant, ses tentatives pour éviter la confrontation familiale, ses efforts pour repousser l’inéluctable : la rupture avec leur fille, mais aussi la maladie du meilleur ami de Lyle, le gel des arbres fruitiers en fleurs dans le verger qui tient tant au coeur du vieil homme. Autant de combats, de doutes et de deuils qui font peu à peu s’effriter le monde autour de Lyle et Peg, dans une progressive perte de contrôle qui préfigure l’ombre de leur propre fin.

Malgré la gravité des sujets évoqués, l’auteur a su préserver la légèreté de la lecture et éviter le piège du mélodrame, nous offrant avec justesse et sans parti-pris un extrait de vie d’une grande crédibilité. (4/5)

 

 

Citations :

Le monde, il le savait, était divisé en deux camps, comme c’est si souvent le cas à moins qu’on ne le réduise tout aussi souvent à cela pour simplifier : les gens pour qui les cimetières étaient des endroits tristes et inquiétants ; et ceux, à son instar, qui y puisaient un sens d’unité, de stabilité et de continuité profondes. C’était comme si, au cimetière, la vie de Lyle se mettait soudain en sourdine et il se sentait flotter dans le cosmos, tel qu’il l’imaginait, avec un regard englobant tout – l’immensité de ce tout. Pour lui, c’était un lieu où l’on pouvait se rapprocher de personnes depuis longtemps disparues. Un lieu de calme et de liberté en marge du monde. Un lieu qui ne touchait pas seulement ses souvenirs, mais aussi son avenir.

Existe-t-il plus grand bonheur que d’être un enfant livré à lui-même pour explorer le vaste univers, sans un soupçon de danger ? Car ce sont les adultes qui introduisent la notion de danger dans le monde, toujours eux.

– Je ne comprends pas la religion en tant qu’institution, expliqua enfin Lyle. Sois une bonne personne. Ne fais pas de mal à tes semblables. Ne triche pas. Ne sois pas cupide. Tout ça ne semble pas bien sorcier. J’ai pas besoin d’un manuel pour rester dans le droit chemin, nom de Dieu. Ni de tablettes de pierre gravées par la foudre. Ni de récompense au paradis. J’ai pas besoin d’un jour de la semaine consacré à tout ça. Tous les jours sont importants, tous, jusqu’au dernier. Plus on vieillit, plus c’est évident.

vendredi 28 août 2020

[Mihuleac, Catalin] Les Oxenberg & les Bernstein

 

 

Coup de coeur 💓

 

 

Titre : Les Oxenberg & les Bernstein
            (America de peste pogrom)

Auteur : Catalin MIHULEAC

Traductrice : Marily LE NIR

Parution : en roumain en 2014,
                   en français en 2020

Editeur : Noir sur Blanc

Pages : 304

 

 

 
 

 

Présentation de l'éditeur :   

« Ici repose pour l’éternité Joseph Bernstein, le rabbin des produits vintage. Si vous allez au Paradis, faites appel à lui pour une paire d’ailes bonnes et pas chères, story included. Si vous vous retrouvez en Enfer, des cornes et des sabots comme chez lui, vous n’en trouverez nulle part. »

Voici une famille de Juifs américains, les Bernstein, qui a réussi à Washington DC dans les années 1990 grâce au commerce en gros de vêtements vintage. Persuadés que tout, désormais, des habits aux idées en passant par les sentiments, est plus ou moins de « seconde main », ils s’efforcent de ne voir dans le passé qu’une valeur ajoutée.

Soixante ans plus tôt, de l’autre côté de l’Atlantique, les Oxenberg achèvent de se hisser parmi la bonne société de la ville de Iași, dans l’étrange royaume de Roumanie. Jacques Oxenberg, dont on vante « les doigts beethovéniens », est le meilleur obstétricien de la région. Il vient d’offrir une auto à son épouse, laquelle lui a donné deux beaux enfants. Un gramophone égaye les soirées de leur jolie maison, mais dehors… les voix rauques de la haine commencent à gronder.

Lorsque la riche Dora Bernstein et son fils Ben se rendront à Iași, durant l’été de 2001, les deux histoires se rejoindront, entre secrets de famille et zones d’ombre de la mémoire collective.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Catalin Mihuleac,né en 1960 à Iaşi, dans le nord-est de la Roumanie, a travaillé une demi-douzaine d’années en tant que géologue. À la chute du régime communiste, il a entamé une carrière de journaliste, tout en publiant ses premiers textes satiriques. La parution de son roman Les Oxenberg & les Bernstein fut un événement en Roumanie, ainsi qu’en Allemagne où l’on a salué sa très grande originalité et sa force narrative imparable pour évoquer l’un des plus grands tabous de l’histoire roumaine contemporaine, le pogrom de Iaşi.

 

 

Avis :

Les Bernstein ont fui l’Europe dans les années trente : oublieux du passé, ils vivent aujourd’hui en Amérique, où ils ont fait fortune dans le commerce international de la fripe. Malgré la montée des persécutions antisémites pendant l’Entre-deux-guerres, les Oxenberg ont eux toujours préféré croire en leur avenir en Roumanie : ils se sont retrouvés en plein coeur de l’effroyable pogrom de Iasi, en Juin 1941. Lorsque, de nos jours, leurs affaires conduisent Dora Bernstein et son fils Ben dans cette ville, le passé finit par refaire surface, tandis que le récit nous révèle peu à peu les liens secrets entre les Oxenberg et les Bernstein.

Ce roman soigneusement fidèle à l’Histoire met d’abord en lumière un pan méconnu du génocide des Juifs en Europe pendant la seconde guerre mondiale, avec le pogrom de Iasi orchestré par le régime fasciste roumain. Sa remarquable construction, par l’alternance entre deux époques et le rapprochement progressif de deux récits, fait aussi ressortir les incommensurables difficultés des rescapés à continuer à vivre, ainsi que leurs stratégies de résilience au travers d’un mélange chaque fois très personnel de mémoire et d’occultation plus ou moins volontaire.

Avec des passages insoutenables et terribles, le texte ne se contente pas d’évoquer les évènements : il les fait ressentir au plus près en soulignant les détails les plus intimes et les plus avilissants, ceux qui vous plongent sans pudeur dans la réalité brute et vécue. En même temps, le ton est imprégné d’un humour noir et grinçant, d’une ironie mordante et d’une dérision très particulière, qui facilitent la lecture tout en achevant de déconcerter, tant ce style persifleur n’épargne ni les Juifs, ni les autres.

Au final, ni le réalisme cru, ni la lucidité amère, ne parviennent à masquer la délicatesse et la sensibilité de ce roman, à la très belle écriture et aux personnages attachants et émouvants. Dans cet océan de noirceur, Catalin Mihuleac réussit à ménager des instants de pure humanité et de poésie, comme la lettre du touchant Rabbi ou le fil rouge des petits canards en caoutchouc, jaunes avec un bec orange… Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations : 

Il y a d’autres produits vintage en plus des vêtements. Les disques vinyle par exemple. Un client hollandais a acheté une fois vingt-cinq tonnes de vinyles. Il a mis vingt mille dollars sur la table pour vingt-cinq tonnes de musique. Un disque vinyle vous fait déguster un son authentic. Vous détenez l’art dans toute sa pureté. Réservé aux connaisseurs. Le disque vinyle, c’est un drap lavé à la rivière. Peut-on le comparer à un drap sorti d’une machine automatique ?

Joe est le seul dans cette famille à ne pas se teindre les cheveux. Il semble ne jamais se départir d’un doux sourire, qui traverse comme il peut la broussaille de sa moustache blanche de jeune premier à la retraite. Ses lunettes à monture épaisse s’allient au nez en une équipe de choc. Il gère aussi deux grandes oreilles comme deux enveloppes qu’il ne se décide pas à poster.

Avant de m’endormir, je pense à ma famille à Onești. Papa est plombier au Combinat pétrochimique. Maman vend des tickets dans une guérite des transports en commun. Maintenant, ils sont à la retraite. Terme tragique en Roumanie. Mon petit frère vient tout juste de finir sa formation d’électricien. Il n’a lu qu’un seul livre de toute son existence, Winnetou. Mais il l’a lu des centaines de fois.
Ils n’ont pas obtenu de visa pour les USA afin que nous puissions faire la fête tous ensemble. Un visa pour les USA, ce n’est pas à la portée du premier pousse-mégots. Un pays d’émigration ancienne a horreur des nouveaux immigrants. Je leur ai envoyé deux cents dollars pour qu’ils fêtent l’événement sur place. Je crois qu’ils n’auront pas eu le cœur de les dépenser. Mes parents font des économies pour un caveau. Un caveau-revanche. Au musée des Contrefaçons de Paris, leur vie pourrait avoir une place légitime sur une étagère. Une fausse vie. Mais le caveau sera grandiose.

Abandonnées au foyer, réduites à l’état de simples gouvernantes et cuisinières, les épouses se retrouvent oubliées dans une gare maritale où plus rien n’est sûr, à commencer par leur statut. (…)
Certaines épouses se résignent, mais la plupart décident de prendre les armes. (...)
L’une des armes classiques d’une épouse intelligente, c’est l’attente. Le mari doit être persuadé de façon subtile et non brutale de revenir au duvet du nid conjugal. Là est sa place et non sur une branche nouvelle qui peut céder au premier coup de vent. Le mari est un avion qui doit être ramené à sa base, après les raids de bombardements qu’exige la tradition masculine. Les munitions antiaériennes que tire l’artillerie de la Maîtresse ne doivent en aucun cas l’abattre.

Les arbres font don de leurs feuilles au trottoir, espérant vainement être exonérés de l’impôt de l’hiver. Je monte en inspirant l’air goulûment. Les vignes juchées sur les collines, comme des enfants sur les épaules de leurs parents, aspirent le nectar du dernier soleil en allongeant les lèvres. Ce n’est même pas un soleil, c’est une ampoule de lampe de chevet alimentée par une électricité médiocre. L’hiver guette, tout près, derrière la colline.

jeudi 27 août 2020

Interview de Patrick Tudoret, à propos de son dernier roman, Juliette, sorti en janvier 2020

 

 

Bonjour Patrick Tudoret. Vous avez publié en début d’année votre dernier roman, Juliette, chroniqué sur ce blog.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre consacré à Juliette Drouet ?

Ce moment auquel j’ai vraiment découvert Victor Hugo et l’exceptionnelle histoire d’amour de plus d’un demi-siècle qu’il vécut avec elle. Dois-je préciser que cela remonte à plus de trente ans ? Je dois à la vérité de dire que c’est par mon père, fin lettré, et inconditionnel de Hugo, que j’ai découvert les arcanes de son exceptionnel destin. 

 

Votre rédaction s’est nourrie d’une importante documentation. Pouvez-vous nous parler de votre travail d’imprégnation ?

Imprégnation est le mot juste. Documentation il y a eu, bien sûr, pour une matière aussi importante que leur vie et ce XIXème siècle si fécond en événements, en bouleversements. Mais, mes lectures sur le sujet se sont échelonnées sur plusieurs décennies, à mesure que germait en moi l’idée d’en faire un livre un jour. Aussi, oui, c’est à une lente et profonde imprégnation que je me suis voué pendant tout ce temps. De sorte que lorsque je me suis mis à l’écriture proprement dite, les choses étaient déjà bien calées. Je n’ai eu, en fait, qu’à vérifier la chronologie pour éviter tout anachronisme, fût-il véniel. 

 

Comment s'est formée l’idée de la narration à la première personne, comme si vous vous glissiez dans la tête et le coeur de Juliette ?

Faire parler Juliette, écrire un vrai roman, mais faire entendre sa voix sous la forme de mémoires apocryphes, de souvenirs, privilégiant le « je » de la narratrice, était le meilleur moyen de rendre justice à la femme magnifique qu’elle fut, une façon de lui rendre hommage, mais aussi de la sortir des clichés simplistes auxquels on l’a parfois cantonnée (la « vestale » soumise du grantécrivain…) Cette forme narrative s’est donc très vite imposée. Me glisser, en effet, dans sa tête et son coeur était un pari assez exaltant et j’ai éprouvé une énorme volupté à le faire. Je dois dire qu’un certain nombre d’amies proches, romancières ou non, n’ont cessé de m’encourager dans ce sens et cela m’a aidé.


L’Histoire ne connaît principalement Juliette Drouet qu’à travers Victor Hugo. Au contraire, votre livre nous fait percevoir le grand homme au travers de Juliette. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce jeu entre l’ombre et la lumière ?

Il y a, évidemment, de très nombreux livres dont l’« ogre » Hugo est le sujet. Un de plus eût présenté assez peu d’intérêt. Dans une approche radicalement opposée, j’ai donc voulu le peindre à travers le regard amoureux, mais acéré, de Juliette, tel qu’en lui-même, avec ses immenses vertus, mais aussi ses manquements, sans complaisance aucune. Il fut, on le sait le grand, l’immense amour de Juliette, et un amour largement partagé, mais quand elle fut d’une fidélité sans faille, il donna de « jolis » coups de canif dans le contrat… Il était grand, mais aussi capable - pour oser cet oxymore - d’une grande petitesse… Juliette en souffrit, mais ne trahit jamais les choix qu’elle avait faits en femme libre. Elle mourut dans ses bras en 1883 et il lui prouva jusqu’à la fin qu’elle était la femme de sa vie.


Il faut une grande force de tempérament en même temps qu’une bonne dose d’abnégation pour s’attacher et accompagner un homme tel que Victor Hugo. Finalement, la vie de Juliette ne tient-elle pas toute entière dans la phrase que vous citez : « Qui a dit que la gloire est le deuil éclatant du bonheur ? »

« La gloire est le deuil éclatant du bonheur. » Ce bien joli mot de Madame de Staël, me semblait parfaitement exprimer l’état d’esprit de Juliette repensant à sa vie écoulée. Elle fut heureuse avec Hugo, heureuse comme peu d’Etres ont pu l’être, connaissant un amour absolu, éclatant, douloureux parfois, mais durable. Toutefois, comme vous le dites, partager le destin d’un « monstre » comme lui, très porté sur l’hybris, la démesure, immense écrivain, homme politique influent, défenseur de causes d’avant-garde (l’abolition de la peine de mort, l’abolition de l’esclavage, la liberté d’expression etc.) ne fut pas une sinécure. Sans doute, et je le lui fais dire, eût-elle préféré un peu moins de gloire – qui, trop souvent, la privait de sa présence – et plus encore de ces heures lumineuses passées avec lui.


La beauté de votre écriture traduit à merveille l’élégance de votre personnage. Est-il si naturel d’épouser le style d’une femme d’un autre siècle ?

Merci ! Cette appréciation me touche. A deux titres au moins : d’abord, j’ai toujours mis un point d’honneur à soigner la forme de mes livres - autant mes essais que mes romans - cet apport si crucial du style tel que le prônait, par exemple, ce grand écrivain mâtiné d’un grand professeur de littérature que fut Vladimir Nabokov. Ensuite, pour ce livre particulièrement, le style que je devais donner à Juliette devait être soigné, bien dans son siècle avec de voluptueuses concessions à l’imparfait du subjonctif, par exemple, mais aussi proche de la manière pleine de fantaisie, de finesse, d’humour, qu’elle avait de manier la plume. Il suffit de lire ses lettres ou ses récits de voyage pour voir que, sans jamais se piquer de « littérature », elle avait un réel talent. Les magnifiques retours que me vaut ce livre, notamment de lectrices, me disent que j’ai eu raison - je le dis le plus humblement du monde - de tenter ce pari.


En conclusion, qu’auriez-vous aimé que Juliette pense de votre livre ?

Je serais extrêmement flatté et heureux qu’elle me dise que ce roman lui ressemble. Outre le fait qu’elle était très belle, qu’elle eut beaucoup d’admirateurs en son temps, l’humour, l’ironie, qui étaient essentiels pour elle - elle n’hésitait pas à dire parfois ses quatre vérités à Hugo quand tant d’autres voyaient un oracle dans tout ce qu’il disait - sont chez eux dans ce livre. Enfin, il faut que je vous l’avoue, mais cela se sent dans mes mots : j’ai toujours été amoureux d’elle… Alors, une lettre d’elle, un jour… peut-être…


Merci Patrick Tudoret d’avoir répondu à mes questions.



Retrouvez ici ma chronique de Juliette.

 

mercredi 26 août 2020

[Blottière, Alain] Azur noir






J'ai moyennement aimé

 

Titre : Azur noir

Auteur : Alain BLOTTIERE

Editeur : Gallimard

Année de parution : 2019

Pages : 160

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

«Il vit Rimbaud retirer sa veste et la tenir à l'épaule, prendre la rue de Strasbourg puis s'engager dans le boulevard de Magenta vers le nord. Cette fois, il lui semblait certainement que Paris déjà lui appartenait et qu'il n'allait plus jamais en repartir. Verlaine avait été empêché, devait-il penser, et l'attendait chez lui. Il lui avait donné son adresse, rue Nicolet, à Montmartre, tout près de la gare.»
Léo vient d'emménager avec sa mère à Montmartre, à l'endroit même où Verlaine et Rimbaud se sont rencontrés et aimés cent cinquante ans plus tôt. Durant un été caniculaire de «fin du monde», alors qu'il croit devenir aveugle, le garçon voit renaître le Paris des deux poètes et en fait son ultime refuge.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Né en 1954, Alain Blottière est l'auteur de romans, de récits de voyage et d'essais. Rimbaldien, il a rédigé la préface et les notes des Oeuvres Complètes du poète, publiées chez Robert Laffont en 1980.

 

Avis :

Lors d’un été caniculaire aux allures de fin du monde, un garçon de dix-sept ans, Léo, découvre qu’à l’adresse-même où il vient d’emménager, à Paris, vécurent Verlaine et, pendant un temps, son amant Rimbaud. Tandis que d’étranges troubles le persuadent qu’il est en train de perdre la vue, le jeune homme, de plus en plus obsédé par les anciens occupants des lieux, se retrouve l’objet de véritables visions, où il assiste à des tranches de vie des deux poètes.

Lui-même passionné par Rimbaud puisqu’il a déjà écrit plusieurs fois à son sujet, notamment en préfaçant une édition des Oeuvres Complètes du poète, l’auteur parvient à ressusciter la personnalité de l’artiste et l’ambiance des lieux qu’il a fréquentés, dans une série de flashes saisissants de vie et de vérité. La partie contemporaine du récit m’a toutefois moins convaincue : construit autour de la cécité hystérique de Léo qui, tel le devin aveugle Tirésias, veut « voir mieux, au-delà du temps, au-delà de l’espace » les lieux où se développa la passion entre Rimbaud et Verlaine, ce versant du roman m’a paru trop artificiel et trop envahi par la sexualité d’un adolescent fasciné par celle des deux célèbres poètes. 

J’ai par ailleurs toujours quelques réserves à voir un auteur, si brillant soit-il,  se réclamer d’un prédécesseur de renom. N’est-il pas somme toute assez avantageux d’exalter les qualités rimbaldiennes de ses propres vers, certes ceux de Léo ? Si le style de l’auteur est globalement maîtrisé et élégant, il ne m’a pas semblé exempt de toute imperfection, comme ces phrases empilant les subordonnées relatives jusqu’à si perdre, et compromettant la fluidité de lecture.


Trop classique peut-être dans mes attentes, je referme donc ce livre sur un sentiment général de déception : certes impressionnée par la profondeur et la finesse de la compréhension rimbaldienne de l’auteur, intéressée par le portrait crédible qu’il nous livre du poète, je me suis sentie peu concernée par la partie contemporaine du récit et parfois perturbée par le style pourtant brillant de l’auteur. (2/5)

lundi 24 août 2020

[Roux, Laurine] Une immense sensation de calme






 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Une immense sensation de calme

Auteur : Laurine ROUX

Editeur : Les Editions du Sonneur

Année de parution : 2018

Pages : 128

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Alors qu’elle vient d’enterrer sa grand-mère, une jeune fille rencontre Igor. Cet être sauvage et magnétique, presque animal, livre du poisson séché à de vieilles femmes isolées dans la montagne, ultimes témoins d’une guerre qui, cinquante ans plus tôt, ne laissa aucun homme debout, hormis les « Invisibles », parias d’un monde que traversent les plus curieuses légendes. Au plus noir du conte, Laurine Roux dit dans ce premier roman le sublime d’une nature souveraine et le merveilleux d’une vie qu’illumine le côtoiement permanent de la mort et de l’amour.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Née en 1978, Laurine Roux vit dans les Hautes-Alpes où elle est professeur de lettres modernes.

 

Avis :

Aux confins de cette région glacée, les rares habitants survivent en s’adaptant à leur sévère environnement. Condamnée à l’errance après la mort de sa grand-mère, la narratrice est recueillie par une famille de pêcheurs et épouse Igor, une force de la nature qui subsiste en colportant des vivres chez les vieilles femmes isolées. Commence alors pour le couple une existence nomade, soumise aux rudesses d’hivers sibériens et aux dangers de fièvres terrassantes, imprégnée d’étranges légendes sur un passé apocalyptique, et menant à la paisible acceptation des inévitables cycles de vie et de mort.

Laurine Roux nous offre un joli conte, où quelques hommes issus d’une Histoire presque oubliée, guerrière et destructrice, qui a fait d’eux des parias isolés dans une nature aussi splendide qu’inhospitalière, reviennent aux valeurs essentielles pour s’accorder à leur environnement et à leur destin de mortels. Laissant une large place à leur cadre de vie, où les beautés et les miracles de la nature n’ont d’équivalents que sa puissance et sa sauvagerie, le récit fait combattre le lecteur aux côtés de personnages en lutte pour leur survie, avant de le faire s’abandonner à leur inéluctable retour au tout originel.

De ce roman-fable aussi tendre que cruel émerge une délicate et poétique esthétique. L’on est tenté d’y voir transparaître le souvenir d’anciens modes de vie, de ces peuples nomades du Grand Nord, en osmose avec leur rude environnement, porteur d’une sagesse ancestrale et d’un savoir chamanique quant à leur bref, souvent éprouvant, mais si magique passage sur terre. (4/5)

 

Citations :

Chaque soir, la même histoire se répétait : le Soleil allumait ici ou là quelques brandons de colère, furieux de devoir quitter le monde, mais déjà la nuit mollissait l’incendie de ses vapeurs mauves, lénifiait sa violence pour laisser place au coassement gris du crapaud. Alors la Lune faisait apparaître son front, festonnant de lumière le contour des arbres, modeste dentelle, et, timide, s’élevait dans le ciel, si simple et ronde qu’on pouvait l’observer à l’œil nu car elle n’avait aucun artifice à cacher, aucune blessure à taire, laissant voir à qui voulait s’en moquer les cratères poussiéreux maculer son corps blanc. Ainsi en avait-il été depuis des lustres et en serait-il tant que l’homme serait homme et la femme, femme.

Cela fait longtemps que je n’ai pas pensé à Ama et Apa. Ils sont rangés dans ma tête comme de vieux habits d’un autre temps qu’on a fini par délaisser. Et un jour, sans trop savoir pourquoi, on les retrouve au fond de l’armoire. Le temps les a abîmés. Ils sentent le renfermé. Mais quelque chose reste intact à travers les ans.

Les jours se répétaient, les gestes aussi. Mais le soleil levait chaque matin son rideau sur une nature différente. La lumière ruisselait dans les branches cristallisées par la glace. Les myriades de teintes allaient du rose au bleu pâle, projetant des flaques colorées sur la surface du lac en banquise. L’hiver révélait des grâces de jeune fille. Le ramage des branches, prisonnières de leur robe de cristal, devenait dentelle, piquetée par endroits de boutons vernis là où les corneilles arrêtaient leur vol. On crissait à chaque pas et c’était délicat, un froissement de tissus précieux.

Il y a des gens qui sont bâtis pour exister toujours, leur corps éblouissant érigé pour résister aux assauts du temps, de la maladie et de la mort. Des anatomies de soleil et d’éclat. Igor était de ceux-là. Pavel, en revanche, semblait abriter en son sein chaque jour un peu plus sa propre fin. Et l’on voyait dans sa démarche légèrement accablée le commerce de plus en plus intime qu’il avait noué avec la mort. Ce n’était pas de la résignation mais un signe de familiarité. Une sorte de lente préparation. Comme on dit d’un fruit qu’il est mûr lorsqu’il tombe, la vie de Pavel était la maturation de sa propre disparition.

 

Du même auteur sur ce blog :

 




dimanche 23 août 2020

Bilan de mes lectures - Juillet 2020 - 12 livres


Coups de coeur :

 

HAMELIN Louis : Les crépuscules de la Yellow Stone
SIJIE Dai : Balzac et la petite tailleuse chinoise
SWARTHOUT Glendon : 11h14
WYND Oswald : Une odeur de gingembre




J'ai beaucoup aimé :

 

LEFTERI Christy : L'apiculteur d'Alep
LOUBIERE Sophie : Cinq cartes brûlées
NARAYAN Shoba : La laitière de Bangalore 
TUDORET Patrick : Juliette
 


 

J'ai aimé : 


DIVAKARUNI Chitra Banerjee : La maîtresse des épices
HOUDART Célia : Le scribe 
SAINZ BORGO Karina : La fille de l'Espagnole

 


Je n'ai pas aimé :


SANDREL Julien : Les étincelles

samedi 22 août 2020

[Griffin, Anne] Toute une vie et un soir





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Toute une vie et un soir
           (When All Is Said)

Auteur : Anne GRIFFIN

Traductrice : Claire DESSERREY

Parution : en anglais (Irlande) en 2019,
                 en français en 2019 (Delcourt)

Pages : 272

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Dans une bourgade du comté de Meath, Maurice Hannigan, un vieux fermier, s’installe au bar du Rainsford House Hotel. Il est seul, comme toujours – sauf que, ce soir, rien n’est pareil : Maurice, à sa manière, est enfin prêt à raconter son histoire. Il est là pour se souvenir – de tout ce qu’il a été et de tout ce qu’il ne sera plus. Au cours de la soirée, il va porter cinq toasts aux cinq personnes qui ont le plus compté pour lui. Il lève son verre à son grand frère Tony, à l’innocente Noreen, sa belle-sœur un peu timbrée, à la petite Molly, son premier enfant trop tôt disparu, au talent de son fils journaliste qui mène sa vie aux États-Unis, et enfin à la modestie de Sadie, sa femme tant aimée, partie deux ans plus tôt. Au fil de ces hommages, c’est toute une vie qui se révèle dans sa vérité franche et poignante… Un roman plein de pudeur et de grâce qui contient toute l’âme de l’Irlande.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Récompensée par le John McGahern Award, Anne GRIFFIN a publié ses nouvelles dans The Irish Times et The Stinging Fly. Elle a été libraire à Dublin et Londres, et travaille pour plusieurs associations caritatives. Née à Dublin, elle vit aujourd’hui à Mullingar. Son premier roman, Toute une vie et un soir, paraît dans sept pays en 2019.

 

 

Avis :

A quatre-vingt-quatre ans, l’Irlandais Maurice Hannigan ne parvient pas à faire le deuil de son épouse, décédée deux ans auparavant. Ce soir-là, au bar où il noie son désespoir dans la stout et le whisky, il soliloque sur sa vie passée, ses joies et ses regrets, en évoquant les cinq personnes qu’il a le plus aimées : son grand frère Tony emporté par la tuberculose, sa belle-sœur Noreen enfermée en asile psychiatrique, sa fille Molly morte-née, son fils journaliste en Amérique, et surtout, sa si regrettée épouse Sadie.

Au fil du récit se dessine peu à peu le portrait formidablement vrai d’un homme qui, envahi au soir de sa vie par le désarroi du chagrin et de la solitude, contemple sans complaisance ce que fut son existence et décide courageusement de faire ce qu’il faut pour ne pas en perdre le contrôle. Des bonheurs et des épreuves traversés ressortent une profonde tristesse d’avoir désormais tout perdu, mais aussi une forme d’acceptation résignée née de la certitude d’avoir toujours affronté le destin d’un pied ferme et d’être resté quoi qu’il arrive fidèle à lui-même et aux siens.

Sous ses dehors de dur-à-cuire taiseux, pingre et impitoyable, se cache un être d’une profonde humanité, qui se sera attaché toute sa vie à rester droit dans ses bottes, digne et fier de réussir à prendre sa revanche sur une enfance pauvre et marquée par l’injustice. L’ombre de cette vie écoulée est évoquée avec une telle vérité, les répliques y sonnent avec une telle authenticité, que Maurice Hannigan s’incarne sous les yeux du lecteur d’une manière toute cinématographique. D’ailleurs, je n’ai cessé d’y voir la silhouette, et d’y entendre la voix, de Clint Eastwood.

Tout en pudeur et en émotion contenue, ce roman d’une parfaite justesse réussit à poser avec une étonnante légèreté la question de la douleur, de la solitude et de la dignité des personnes vieillies et désormais seules, parvenues au bout de leur envie de vivre. (4/5)

 

 

Citations :

Depuis que Sadie m’a quitté, c’est la présence de Tony vivant qui me manque. Je peux lui parler tant que je veux dans ma tête, rien ne remplace le fait de le voir, de le toucher, de l’entendre boire sa bière chez Hartigan. Je donnerais n’importe quoi pour passer une heure avec lui. Pas la peine qu’on se parle beaucoup. Les coudes sur le zinc. Chacun sa bouteille de stout. Nos verres à moitié vides. Regarder dans la rue, taper du pied en rythme avec la musique à la radio, rire de la dinguerie du monde. Être avec quelqu’un en qui t’as confiance, voilà tout. Qui te comprend sans que t’aies besoin de t’expliquer, ou que tu te croies obligé de faire semblant que tout va bien. Avec qui tu peux te permettre d’être nul. Sentir sa tape dans mon dos quand il se lève pour aller aux gogues. Ce serait trop demander une petite résurrection ?

— Monsieur Hannigan, ce n’est pas en buvant que vous surmonterez votre deuil. »
Qu’est-ce qu’il en connaît du deuil, tu peux me le dire ? Il sort à peine des couches-culottes, ce petit con ! Si tu veux mon avis, la seule chose qu’il ait perdue jusqu’à présent, c’est sa virginité – et encore, pas sûr qu’il ait l’âge. Personne, absolument personne ne peut savoir ce que c’est de perdre quelqu’un qu’on aime tant qu’il l’a pas vécu. Le grand amour, celui qui s’accroche à tes os, s’enfonce sous tes ongles, aussi difficile à faire partir que la terre incrustée depuis des années. Quand il est plus là… c’est comme si on t’avait arraché un bout de toi. Tu te retrouves la peau à vif, sans défense, avec ton sang qui dégouline sur la moquette neuve. Moitié vivant, moitié mort, un pied dans la tombe.