samedi 31 octobre 2020

Bilan de mes lectures - Octobre 2020 - 15 livres

 

Coups de coeur :

 

BOUYSSE Franck : Buveurs de vent
MAZIERES Christine (de) : La route des Balkans
PIVOT Cécile : Les lettres d'Esther 
 



J'ai beaucoup aimé :

 

GAIN Patrice : Le sourire du scorpion
GOGUET Christine : Les grands hommes et Dieu
KOVALIK Ursula : L'écuyère 
LEVY SCHEIMANN Véronique : Café en terrasse
 



J'ai aimé :

 
BORDES Gilbert : Le testament d'Adrien
DUCORPS Iris : A demi-sang
GIRAUD Michel : Destins croisés
PAYE Lucie : Les coeurs inquiets 
SAIANI Christelle : Lumière
 



vendredi 30 octobre 2020

[Kovalyk, Ursula] L'écuyère

 

 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : L'écuyère

Auteur : Uršuľa KOVALYK

Traducteurs : Nicolas GUY et Peter ŽILA

Parution : 2013 en slovaque,
                 2019 en français (Intervalles) 

Pages : 128

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Pour fuir une famille hors norme, la jeune Karolína rejoint dès qu’elle le peut un centre équestre où elle se lie d’amitié avec Romana et Matilda, deux cavalières délicieusement inadaptées. Ensemble, elles forment bientôt une équipe de voltige équestre détonante.
Nous sommes à la fin des années 1980 en Tchécoslovaquie, et tandis que l’univers de Karolína s’élargit avec la découverte de Pink Floyd, du tabac et surtout d’un talent secret de double vue, la fin du bloc de l’Est et l’irruption soudaine de l’économie de marché vont bouleverser ce fragile équilibre.
L’Écuyère
est un roman poétique et caustique sur l’adolescence. C’est aussi une évocation spasmodique et rebelle de la double révolution à laquelle une jeune fille pleine de rêves et un pays tout entier sont soumis au même moment.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Uršuľa Kovalyk est née en 1969 en Slovaquie. Impliquée depuis longtemps dans la défense du droit des femmes et dans l’aide aux sans-abri, elle dirige également une troupe de théâtre composée de personnes sans domicile fixe. Elle a publié de la poésie, des romans et du théâtre, et a reçu plusieurs prix littéraires prestigieux. Ses œuvres sont traduites en de nombreuses langues. Après Femme de seconde main paru en 2017, L’Écuyère est le deuxième roman d’Uršuľa Kovalyk publié aux éditions Intervalles.

 

Avis :

Dans la Tchécoslovaquie de la fin des années 1980, une adolescente solitaire, élevée dans une famille dysfonctionnelle exclusivement féminine, trouve refuge dans sa perception onirique du monde et, surtout, dans un centre équestre où elle découvre l’amitié et la pratique de la voltige au sein d’une équipe. La chute du régime communiste en 1989 et l’ouverture du pays à l’économie de marché viennent toutefois brutalement anéantir les projets de compétition sportive de la jeune fille.

Ce court et étonnant roman au style âpre et direct, pour ne pas dire cru, est l’histoire métaphorique de deux émancipations pleines d’espoir, qui sombrent l’une comme l’autre dans la désillusion et l’amertume. Tandis que la tendre adolescente découvre les cruautés de la vie et voit fondre ses rêves, l’ex-Tchécoslovaquie troque ses barbelés contre la cage dorée d’une société de consommation individualiste en manque d’idéal.

Comme souvent dans les pays de l’Est soviétique où sévit une surmortalité masculine, les femmes ont dans cette histoire l’habitude de se débrouiller seules face à l’absence, la violence ou l’alcoolisme des hommes. Dans cette société autoritaire et refermée sur elle-même, les personnages apparaissent finalement tous aussi cabossés les uns que les autres. Marginaux, inadaptés, mais plutôt solidaires, ils parviennent toutefois tant bien que mal à trouver leur place et à subsister. Cela leur devient bien plus compliqué lorsque le chacun pour soi franchit le rideau de fer et les laisse sur le carreau de la compétitivité, anéantissant leurs naïfs espoirs d’une vie meilleure. Il n’est pas jusqu’au vieux et fidèle Cyril, le cheval de voltige, qui ne se retrouve tristement condamné à la boucherie...

Ce récit sombre et amer, dont la causticité s’assortit de pépites de tendresse et de poésie, est le saisissant instantané de la fin d’un monde qui renaît sous une autre loi du plus fort, avec son même lot de laissés-pour-compte. (4/5)

 

 

Citation :

Saint Nicolas est arrivé en décembre pour nous offrir la chute définitive du gouvernement communiste. (…)
Nous étions naïves. Surtout maman qui avait le syndrome du canari en cage. Persuadée que des temps meilleurs s’annonçaient, elle avait quitté son emploi pour se mettre à son compte, car elle était convaincue qu’on allait nous rendre l’ancien bistrot de Mamie. (…)
Mais en vain. Nous n’avions pas droit aux restitutions et maman a dû accepter un poste de secrétaire mal payé chez un ex-membre de la sécurité d’État. Tout avait changé : nouvelles fringues et nouveaux produits alimentaires dans les magasins, portrait de Lénine évincé au profit d’une publicité pour Coca-Cola et automate à bouteilles pour remplacer la vendeuse de la consigne. Des voitures rapides de marques étrangères klaxonnaient avec rage contre les piétons tandis que les vieux autobus socialistes déparaient à présent sur les routes.
Finalement, personne n’est allé en taule pour ce qu’avaient subi Grand-père et Mamie. Tout le monde a changé d’apparence et les livrets communistes ont cédé la place aux comptes bancaires. Des changements ont également eu lieu au centre équestre : le camarade responsable est devenu Monsieur le directeur. Quant au garage d’Arpi, il a été démoli pour qu’on puisse construire une salle de jeux clignotante remplie de machines à sous. On a commencé à mesurer le temps sur la base de l’argent et les journaux se sont mis à utiliser de nouveaux mots tels que « marché », « concurrence » ou « privatisation par coupons ». À la télé, les discours sur la liberté ont été muselés par les slogans criards des publicités et dans les kiosques, les magazines porno ont détrôné les revues de bricolage. Nous avions changé nos barreaux bordés de barbelés pour une cage dorée. Tout le monde devait tout d’un coup avoir une nouvelle voiture, un nouveau costume – et même parfois une nouvelle épouse. Le directeur est arrivé au centre équestre dans sa BMW toute neuve et a viré le gardien ivrogne pour le remplacer par un agent de sécurité au crâne rasé.

mercredi 28 octobre 2020

[Colize, Paul] Toute la violence des hommes






J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Toute la violence des hommes

Auteur : Paul COLIZE

Parution : 2020 chez HC Editions

Pages : 320

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Qui est Nikola Stankovic ? Un graffeur de génie, assurant des performances insensées, la nuit, sur les lieux les plus improbables de la capitale belge, pour la seule gloire de l’adrénaline ? Un peintre virtuose qui sème des messages profonds et cryptés dans ses fresques ultra-violentes ? Un meurtrier ? Un fou ?
Nikola est la dernière personne à avoir vu vivante une jeune femme criblée de coups de couteau dans son appartement. La police retrouve des croquis de la scène de crime dans son atelier. Arrêté, interrogé, incarcéré puis confié à une expertise psychiatrique, Niko nie en bloc et ne sort de son mutisme que pour répéter une seule phrase : C’est pas moi.
Entre Bruxelles et Vukovar, Paul Colize recompose l’Histoire. Au-delà de l’enquête, c’est dans les replis les plus noirs de la mémoire, à travers les dédales de la psychologie et la subtilité des relations humaines qu’il construit son intrigue.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Paul Colize est né à Bruxelles, d’un père belge et d’une mère polonaise. Ses polars, à l’écriture aiguisée et au rythme singulier, sont ancrés dans le réel et flirtent avec la littérature générale. Son œuvre (Back Up, Un long moment de silence, Concerto pour 4 mains…) a été récompensée par de nombreuses distinctions littéraires dont le prix Saint-Maur en poche, le prix Landerneau, le prix Polar pourpres, le prix Arsène Lupin et le prix Sang d’Encre des lecteurs.

 

 

Avis :

A Bruxelles où, ces derniers temps, les murs ont vu fleurir de vastes fresques ultra-violentes anonymement exécutées de nuit par un graffeur de talent, un homme d’origine croate est arrêté pour le meurtre d’une jeune femme retrouvée poignardée chez elle. Alors que tout l’accuse, l’assassin présumé s’enferme dans le mutisme, se contentant de nier sans explication. Placé en observation psychiatrique, il ne semble intéressé que par le dessin, pour lequel il fait preuve d’un véritable don.

Paul Colize a inventé cette histoire à partir des vraies fresques, impressionnantes par leur taille et leur violence, parfois inspirées de tableaux célèbres de la peinture classique comme Le sacrifice d'Isaac du Caravage et Les corps des frères Witt de Jan de Baen, qui sont apparues ces dernières années sur des immeubles de Bruxelles, sans que leur controversé mais talentueux auteur se soit jamais fait connaître. L’écrivain a imaginé un personnage atteint de trouble de stress post-traumatique, qui aurait trouvé un exutoire dans l’expression graphique urbaine. Le récit alterne entre l’enfance de Nikola Stankovic pendant la guerre de Croatie, et son séjour en hôpital psychiatrique bien des années plus tard. Il nous fait vivre les terribles siège et massacre de la ville de Vukovar en 1991, nous enferme dans une souffrance psychique qui risque de déboucher sur une réclusion physique définitive faute du diagnostic adéquat, et nous interroge sur la puissance de l’art, véritable élan vital aux manifestations parfois très peu conventionnelles.

Le roman entretient le suspense autour du sort de Nikola, doublement victime de la violence des hommes puisqu’à son traumatisme répondent la répression et l’enfermement. Dans son univers de noirceur tremblotent quelques lueurs d’espoir auxquelles, tout comme le  lecteur, il va tenter de se raccrocher : son art, et l’humanité de quelques personnages atypiques et attachants.

Histoire terrible inspirée par de dérangeantes et anonymes œuvres de rues, ce livre illustre le pouvoir libérateur de l’art, cri muet universel et irrépressible, que ni l’indicible ni l’oppression ne sauront jamais faire taire. (4/5)

 

 

Citations :

Quelques années auparavant, elle avait rédigé un article dans lequel elle établissait une corrélation entre la créativité et la pathologie mentale. Selon elle, le lien entre les sujets créatifs et la schizophrénie, le trouble bipolaire ou l’autisme était probant, surtout en regard des schizophrènes et de leur capacité à créer des associations inhabituelles. (…)
— Comme vous, je suis convaincu que le souffle créatif et les troubles psychiques vont de pair. Depuis des siècles, on rapproche l’art de la folie. Déjà de son temps, Aristote disait qu’il n’existait pas de génie sans grain de folie. Ce ne sont pas les artistes dont l’œuvre est marquée par des pathologies psychiatriques qui manquent, Vincent Van Gogh, Guy de Maupassant, Edvard Munch, Salvador Dalí, Camille Claudel, la liste est longue.

Antonin Artaud, un homme qui savait de quoi il parlait, a dit que nul n’a jamais écrit, peint ou sculpté que pour sortir de l’enfer.

L’art ne peut émouvoir que les gens capables d’ouvrir leur cœur.

Un écrivain, dont le nom lui échappait, disait que les deux sciences les plus tristes étaient la psychiatrie et l’histoire ; l’une étudiait les faiblesses de l’individu, l’autre les faiblesses de l’humanité.

Il n’y a pas de liberté sans transgression. La liberté, la vraie, c’est celle que tu prends, en décidant de ne pas faire ce qu’on t’impose ou de faire ce qui est interdit.

Quand un artiste peint à visage découvert, sa personnalité prend le pas sur son œuvre. Il devient un produit de consommation. À terme, sa notoriété occulte son talent.

Elle fuyait les phénomènes de mode et les écrivains médiatiques. Les gens qui faisaient le pied de grue pendant des heures pour grappiller une dédicace et un selfie en compagnie d’un romancier à succès se couvraient de ridicule. On peut aimer les œufs brouillés sans pour autant chercher à rencontrer la poule qui les a pondus. Seul le texte compte, que son auteur soit un homme ou une femme, connu ou non, mort ou vivant.

lundi 26 octobre 2020

[Paye, Lucie] Les coeurs inquiets





 

J'ai aimé

 

Titre : Les coeurs inquiets

Auteur : Lucie PAYE

Editeur : Gallimard

Année de parution : 2020

Pages : 152

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

«J’ai lutté, pour te retrouver, de toutes mes forces. L’espoir m’a fait vivre. Mille fois je me suis levée convaincue que ce serait aujourd’hui. Mille fois mon cœur a bondi en croyant t’apercevoir. Mille fois je me suis couchée en voulant croire que ce serait demain. Le jour où je te reverrais.»

Un jeune peintre voit apparaître sur ses toiles un visage étrangement familier. Ailleurs, une femme écrit une ultime lettre à son amour perdu. Ils ont en commun l’absence qui hante le quotidien, la compagnie tenace des fantômes du passé. Au fil d’un jeu de miroirs subtil, leurs quêtes vont se rejoindre.
Ce roman parle d’amour inconditionnel et d’exigence de vérité. De sa plume singulière, à la fois vive, limpide et poétique, Lucie Paye nous entraîne dès les premières pages vers une énigme poignante.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Née à Paris en 1975, Lucie Paye vit aujourd'hui à Londres.

 

Avis :

Se sachant malade et en fin de vie, une femme écrit à son plus grand amour, disparu sans laisser de trace des décennies plus tôt, sans même qu’elle sache si ses lettres seront lues un jour. Un jeune peintre à la recherche d’inspiration voit la silhouette d’une femme inconnue mais familière s’insinuer sous son pinceau et revenir en leitmotiv de ses toiles. Quel est donc le lien entre ces deux personnages ?

Deux aspects m’ont beaucoup gênée dans cette histoire. Sur le fond, elle m’a parue assez peu vraisemblable : je n’ai pas été convaincue par cette disparition quasi sans recherches, par cette résignation si facile et par cette douleur si positivement vécue. Sur la forme, le versant épistolaire du roman m’a vite semblé tourner en rond autour du même message, indéfiniment reformulé pour faire tenir dans la longueur l’alternance des chapitres entre « elle » et « lui ».

Cela n’empêche pas la lecture d’être agréable. Le style est fluide. Le récit s’organise de façon à ménager un certain suspense entre surprise et fausse piste. Le thème de la peinture et de l’inspiration artistique est abordé d’une manière originale, et fait l’objet de quelques réflexions intéressantes. Surtout, il émane de cette histoire une certaine poésie qui vous tient sous son charme, et elle m’a permis de découvrir le tableau de Jan van Eyck intitulé Les Epoux Arnolfini.

Je referme donc ce livre sur une impression mitigée : charmée par la joliesse de son histoire bâtie sur une idée intéressante, je n’ai pu toutefois ressentir de véritable empathie pour son héroïne, trop peu crédible et pas assez consistante à mes yeux. La lecture est agréable, mais j’en attendais un peu plus. (3/5)

 

 

Citations :

(Au Louvre) Ça va passer. Il enlève sa veste. Il suffit d’attendre, comme ça, la tête dans les mains, les yeux fermés. Les toiles dansent devant lui comme des visions. Des détails resurgissent, en désordre. Le pli d’une manche. Un coup de pinceau. Un frémissement. Il voit chaque peintre attelé à sa tâche. Il sent le poids de la palette dans leur main, la pression du pinceau sur la toile, la pointe alourdie par la pâte. Les formes se brouillent. Il est submergé par les ombres, les teintes, et ces gens qu’il devine, une foule d’artistes, chacun debout, devant sa toile. Il est comme eux. Il est un parmi des milliers de peintres. Il appartient à leur confrérie insensée. Oui, il est comme eux. Fou comme eux. Acharné à faire émerger quelque chose. Il ne sait même pas quoi. Il ne se le demande pas. Tout ce qu’il sait, c’est la solitude, l’insatisfaction permanente, l’acharnement, la rage de l’impuissance, l’inabouti perpétuel, l’âme toujours inquiète. Tout ce travail, pour avoir parfois, un court instant, l’impression de saisir quelque chose. Donner un sens. Essayer. À tout prix, pour survivre. Oui, sa famille, c’est eux : les sans-repos, les possédés, les obstinés. Ceux qui esquissent, biffent, modèlent, détruisent, et recommencent, sans fin, en quête d’une vérité. Une putain de vérité qui n’existe peut-être pas.

Sans l’honnêteté, il n’y a pas d’universalité possible, humaine et vivante. L’œil du peintre cherche l’intériorité vraie. Non pas l’intérieur des choses, mais sa propre intériorité, projetée sur celles-ci. Il invite le spectateur à faire de même. Le miroir exigeant du peintre est tourné vers lui-même, en même temps qu’il est tendu vers l’autre.

Marc a tort de chercher dans le monde l’explication de ses toiles. Celle-ci réside ailleurs. Elle est dans ce magma intérieur où il se laisse glisser. Une autre réalité accessible seulement par cet autre langage. Un langage vivant, spécifiquement humain, celui de la peinture, de la musique, de tous les arts. Sans frein, sans interdit, sans limite que celle imposée par l’honnêteté. Et ce n’est pas un soliloque. Tout juste un monologue. Parler seul, mais s’adresser à tous. Oui, il faut écarter le rideau, sans gêne, car ce n’est pas du narcissisme. Ce n’est pas de l’amour pour soi. Non, ce n’est même pas l’excuse de prétendre passer du particulier à l’universel. C’est une compulsion, une nécessité humaine. La respiration de notre grand bordel intérieur d’humains. Sans quoi l’on ne vit pas. Il faut l’offrir, généreusement, et que d’autres en prennent possession. C’est pour ça qu’il peint, qu’il enfante ses toiles. Le reste n’a pas de sens, pas de valeur. Il ne sait faire que ça de vrai.

samedi 24 octobre 2020

[Giraud, Michel] Destins croisés

 


 

 

J'ai aimé

 

Titre : Destins Croisés

Auteur : Michel GIRAUD

Parution : 2018 (Atramenta)

Pages : 66

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Paul est venu à ma hauteur. Nous avons pédalé un moment, côte à côte, sans dire un mot. Pour la première fois de la matinée, je l'ai trouvé serein. Il a posé sa main sur mon épaule. "Tu sais, Mylène, je suis content d'être là, avec vous... non... avec toi. " Il s'est tu quelques secondes, puis il a ajouté : "Tu sais, Mylène, je vais quitter Anne. " Et il est tombé !

 

Le mot de l'auteur :

A 60 ans, après 35 années de travail dans le domaine de l'énergie et des technologies de l'information, Michel Giraud a décidé de quitter ses fonctions de cadre supérieur pour se consacrer à un rêve d'enfance : écrire. Destins croisés est un premier recueil de nouvelles, qui prépare la publication d'un roman très personnel.

 

 

Avis :

Ce recueil doit son titre à ses deux premières nouvelles : l’une sur l’amitié entre quatre cyclistes que la mort va enfermer à jamais dans un noeud de non-dits, l’autre sur la rencontre accidentelle de deux amoureux de bolides motorisés. La troisième histoire est assez différente et évoque les incidences inattendues de la création d’un open space de direction au sein d’une société française.

Avec son intéressante construction qui alterne les points de vue en une série de retours en arrière, l’ironie du sort qui vient empêcher au moment décisif l’inflexion de plusieurs destins, et la justesse de l’émotion exprimée par les personnages à jamais figés dans leur parcours comme par un inattendu et irréparable arrêt sur image, j’ai beaucoup aimé l’histoire des cyclistes et sa cohorte de non-dits. La deuxième nouvelle, à l’issue rapidement prévisible, aurait à mon avis gagné à jouer davantage sur la tension dramatique que favorise le pressentiment d’une terrible fatalité. Il me semble aussi que ces deux textes auraient pu prendre davantage de force et d’ampleur en se libérant des noms et de la configuration exacts de lieux réels qui, à mon sens, ôtent de leur universalité à ces histoires et gênent leur appropriation par le lecteur qui ne les connaît pas. C’est aussi ce souci de précision, de sérieux et de rigueur quasi journalistiques, ce besoin très perceptible chez l’auteur de se raccrocher à des éléments réels, qui tendent à assécher la part de création romanesque dans la troisième nouvelle : dommage que l’humour n’y apparaisse qu’à la toute dernière phrase, alors que toute l’histoire semblait propice à la morsure d’une ironie acide.

Première publication présentant certes quelques imperfections de « jeunesse », ce petit fascicule révèle quoi qu’il en soit une plume fluide et offre un agréable moment de lecture, rythmé et jamais ennuyeux, en compagnie de protagonistes crédibles plongés dans des situations réalistes. (3/5)

 

jeudi 22 octobre 2020

[Bordes, Gilbert] Le testament d'Adrien

 


 

 

J'ai aimé

 

Titre : Le testament d'Adrien

Auteur : Gilbert Bordes

Parution : 2020 (Presses de la Cité)

Pages : 300

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Après un long exil forcé, Pablo retrouve le ciel bleu et les paysages de son enfance, entre garrigue et montagnes provençales. Rares sont ceux qui voient son retour d’un bon oeil. N’est-il pas le fils adoptif d’Adrien, surnommé « le Fada », cet homme à la vie pleine d’ombres et de drames, qui avait pour le village de trop ambitieux desseins ? Convoqué pour l’ouverture du testament d’Adrien, Pablo hérite d’une jolie fortune. Et des dernières volontés du défunt, lequel a enterré avec lui un terrible secret.
Pourquoi, depuis l’arrivée de Pablo, les grandes orgues résonnent-elles dans la vieille chapelle désaffectée ? Pourquoi Gaëlle, qu’il n’a jamais cessé d’aimer, le fuit-elle ?
Pablo saura-t-il dissiper les rancoeurs au sein du village et reconquérir le coeur brisé de Gaëlle ?

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Gilbert Bordes a été instituteur puis journaliste avant de se consacrer à l’écriture. Membre de l’école de Brive, il a obtenu le prix RTL Grand Public avec La Nuit des hulottes et le prix des Maisons de la Presse avec Le Porteur de destin. La Maison des Houches, premier roman paru aux éditions Belfond en 2010, a été un succès. 

Retrouvez ICI mon interview de Gilbert Bordes en avril 2019.

 

 

Avis :

Au décès d’Adrien, notable fortuné d’un village tranquille de Haute-Provence, le retour de son héritier au pays après vingt d’absence suscite méfiance et questions : restera-t-il ? Désormais riche à son tour, reprendra-t-il les projets de développement touristique du vieil homme, que l’opposition villageoise avait réussi à suspendre ? Et quelles sont ses intentions à l’égard de Gaëlle, son ancien amour qu’on l’avait empêché d’épouser ? Rumeurs et vieilles rancoeurs ne tardent pas à échauffer les esprits, surtout lorsque l’orgue d’une vieille chapelle abandonnée se met à jouer dans la nuit…

Secrets et vieilles brouilles dans un coin de campagne contemporain… Nous voici plongés dans un nouveau roman de terroir de Gilbert Bordes, qui fait plus que jamais la part belle à ses deux passions : la nature et la musique. C’est d’ailleurs un peu lui que l’on retrouve dans ses personnages, en particulier ce jeune garçon solitaire qui rêve de musique et fabrique sa guitare avec des câbles de frein de vélo, et surtout, qui ne s’épanouit qu’en explorant sa montagne et en approchant la faune sauvage. Au travers de cet enfant sourd toute la nostalgie de l’écrivain pour une époque enfuie, où les ruisseaux étaient pleins de vie et la jeunesse pas encore prisonnière des écrans bleus. Aux plaisirs naturalistes répondent les joies musicales, avec en point d’orgue l’hydraule de la vieille chapelle, cet étonnant instrument que l’auteur nous ressuscite du fond des âges antiques.

Tandis qu’à la main gauche résonnent en permanence les thèmes de la nature et de la musique, la main droite égrène peu à peu les surprises d’une histoire suffisamment riche en mystères et rebondissements pour piquer la curiosité du lecteur et lui faire tourner les pages sans en relever le nez. Le texte coule avec facilité et jamais l’ennui n’affleure. Dommage peut-être que le dénouement résolve tout d’une façon très idyllique, sans laisser perdurer quelques doutes au moins sur l’issue d’un ou deux points… Mais c’est aussi ce qui fait le charme des romans de Gilbert Bordes : la méchanceté ne l’y emporte jamais. (3/5)

 

Citation :

Il contemple les montagnes bleutées à la lumière éblouissante de cette journée torride. La vie ne peut s’accrocher à ces pentes qu’avec de grosses griffes. Il ne pleut presque jamais, mais quand les orages apparaissent, le déluge noie tout. Il faut avoir le bois dur de l’aubépine et du buis pour résister. Des hommes acharnés ont pu domestiquer les minuscules champs escarpés où la terre est maigre et les prairies à peine suffisantes pour quelques chèvres qui se contentent des branches basses des épineux. C’est le domaine des vipères et des frelons, le renard malfaisant pille les poulaillers, les sangliers dévastent les potagers. Autrefois les vautours nettoyaient la campagne de cette Provence hostile que l’on oublie au profit de l’autre, riante, celle de Pagnol et de ses souvenirs d’enfance…

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
Elle voulait voir la mer
La garçonne
 La prisonnière du roi
Naufrage
Tête de lune
Jésus : trois jours avant sa mort 
Ceux d'en-haut
La dernière nuit de Pompéi 
Docteur Mouche 
 
 


mardi 20 octobre 2020

[Saïani, Christelle] Lumière

 


 

 

J'ai aimé

 

Titre : Lumière

Auteur : Christelle Saïani

Parution : 2020 (Librinova)

Pages : 189

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ambre et Olivier sont voisins : elle se débat dans les difficultés, il a le bonheur insolent, une famille unie, des amis présents. Ce déséquilibre, trop difficile à supporter, devient un véritable point de crispation pour Ambre qui nourrit peu à peu un ressentiment tenace à l'égard de son voisin. Un jour, elle s'en prend à lui, pour déverser sa douleur, avant de venir lui présenter ses excuses. Elle découvre alors une faille dans la vie parfaite d'Olivier et le bonheur auquel elle aspire se lie curieusement au destin de cet homme si longtemps détesté...

 

Le mot de l'auteur : 

Je n'ai jamais croisé la route du Dalaï-Lama. Je n'ai pas marché sur la Lune. Je n'ai pas développé le courant alternatif.
Pourtant, j'ai créé ma machine à traverser le temps et l'espace : invention, observation ou torsion du réel, souvenirs, exploration personnelle se sont révélés de formidables ressorts pour faire vivre tout ce que j'avais en moi.
Je ressemble à toutes les femmes et à aucune autre à la fois. Je suis sensible, pugnace et opiniâtre au travail. J'aime l'humour et l'autodérision, utile certains matins devant mon miroir !
Ma vie est la même que la vôtre, je ne la changerais pour rien au monde. J'aime ma vie et les êtres qui la peuplent. Mes enfants, ma famille, mes amis, mes élèves.
J'habite à quelques kilomètres de la Sainte Victoire, terre à laquelle je suis viscéralement attachée. Incontestablement et sans chauvinisme le plus bel endroit du monde. Un des fils d'or de mon roman.
J'ai attendu longtemps avant de vous rencontrer... 

 

 

Avis :

Dévastée par une dépression consécutive à une blessure sentimentale, Ambre ne supporte plus de voir s'afficher sous ses yeux l'insolent bonheur de ses voisins. Quelle n'est pas sa stupéfaction de découvrir que la bonne humeur de cette famille cache en fait un terrible combat contre la maladie. Une indéfectible amitié, qui contribuera largement à sa reconstruction personnelle, va bientôt lier la jeune femme à ses voisins.

Cette belle et touchante histoire, habitée de personnages attachants restitués avec sensibilité, se lit d'autant plus agréablement qu'elle est portée par un style fluide et soigné, et par une imprégnation indéniable de l'auteur quant aux sujets évoqués, qu'il s'agisse des phases de la maladie et de l'expérience hospitalière, ou encore de la vie et des conditions de travail sur les chantiers en haute mer. La maladie est ici l'occasion d'une réflexion sur les vrais fondamentaux de l'existence, qui se traduit dans le récit par un recentrage des protagonistes sur leurs valeurs les plus essentielles, définitivement humanistes.

Malgré son traitement tout à fait réaliste du thème de la maladie et de la mort qui, immanquablement, arrachera des larmes au lecteur, le ton du roman reste globalement optimiste et positif, peut-être un peu trop d’ailleurs : à l’exception d’un seul, tous les personnages sont globalement présentés sous un jour très favorable, dans un cheminement difficile qu’ils effectuent avec un tel courage et de manière si exemplaire que l’ensemble a fini par m’apparaître presque trop romanesque dans sa perfection.

Quoi qu’il en soit, même si à mes yeux un peu trop idéaliste, ce roman bien écrit et construit sur une sérieuse investigation de ses sujets s’avère une découverte agréable et émouvante, d’une grande sensibilité et d’une profonde humanité. Saluons par ailleurs le geste de l’auteur qui reverse tous ses droits à la Croix Rouge. (3/5)
 

 

 

Citations :

La mort me paraissait une expérience si ordinaire avant de la voir incarnée. Sûrement l’est-elle pour ceux qui n’y sont pas directement confrontés. Sans échéance arrêtée ou du moins appréhendable, la mort se place au cœur de la vie, postulat que nous intégrons tous d’autant plus facilement que nous nous en distancions affectivement. En revanche, il faut oser penser la mort face à soi.

Aimer et être aimé, c'est ce qui rend la mort redoutable.

En face de moi, deux personnes âgées, sèches et fripées comme des écorces, se tiennent serrées l'une contre l'autre, muettes. Sous son feutre, le visage de l'homme, complètement édenté, rappelle la tête d'une grosse tortue terrestre : ses yeux fixes et ovales, d'un gris profond, ont dû, il y a soixante ans, être très beaux. En dessous d'arcades pierreuses, aux rares sourcils, ils sont maintenant entourés de paupières gonflées et crevassées comme des coques de noix. Le cou distendu, parcheminé, a la couleur des peaux tannées et jaunies des vieux tambours de mendiant. La femme doit avoir le même âge mais sa beauté et sa féminité, laves fécondes, ne se sont pas éteintes : elles courent sous la peau et continuent de l'irradier. Leurs mains, couvertes de tâches brunes, sont entremêlées, la main féminine encore belle, à la peau fine et fragile logée dans celle, calleuse, déformée et couverte d'hématomes qui la protège depuis toujours. Des mains qui sont devenues des lieux d'histoire et qui témoignent, dans leurs habitudes, de décennies à s'aimer.

 

dimanche 18 octobre 2020

[Bégué, Régis] Mon fils est de droite mais en général les choses s'arrangent

 


 


J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Mon fils est de droite, mais
            en général les choses s'arrangent

Auteur : Régis BEGUE

Parution : 2016 

Pages : 188

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ce gosse, je vais te dire, il a même pas envie de tuer le père. C'est dire à quel point il me tient pour un moins que rien. En revanche, avec sa mère, c'est autre chose : il est bien décidé à la sauver des griffes de cette sale maladie. Mais une fois de plus, c'est moi qui vais devoir m'occuper de tout. Dès qu'il s'agit de pognon ou de combines, on préfère faire appel à Papa, bien sûr. C'est ça, la France bien pensante. Alors moi, bonne poire, je vais céder, comme toujours. Mais l'opération va s'avérer plus compliquée que prévu.

 

Le mot de l'auteur :

Comme il en avait marre de lire des romans sans intérêt, Régis Bégué a décidé d'écrire les siens. Beaucoup moins emmerdants. Il a bien fait, non ? A toi de voir.

Retrouvez mon interview de Régis Bégué en octobre 2019.

 

 

Avis :

Le narrateur a passé toute sa vie de septuagénaire à esquiver les engagements : né dans une aisance qui l’a toujours exempté de la moindre obligation professionnelle, divorcé et en froid avec son fils, grand-père d’une petite fille qu’il ne connaît pas, il s’est installé dans une routine solitaire et luxueuse, se contentant pour toute relation humaine d’allonger les chèques dont ses proches ont besoin. Mais voilà que ce fils et cette ex-épouse font soudain appel à lui pour une intervention un peu particulière qui va tous les entraîner bien au-delà de ce qu’ils auraient pu imaginer...

Cette histoire impertinente et décomplexée, rédigée sans filtre dans une langue parlée, directe et truculente, a tôt fait d’embarquer son lecteur dans une complicité amusée pleine de curiosité. Passées les premières pages un rien désarçonnantes, le temps pour le récit de trouver son rythme et d’enclencher sa construction toute vaudevillesque, et vous voilà lancé le sourire aux lèvres dans une cascade de rebondissements bourrée de clins d’oeil et d’autodérision. Directement interpellé, vous ne pourrez que vous régaler de la cocasserie des formules et des observations, en compagnie de personnages dont les situations burlesques n’empêchent pas la pertinence psychologique et la justesse des dialogues.

Sans se prendre au sérieux, ce roman finit quand même par nous tendre un miroir révélateur de quelques vérités, en particulier les difficultés de communication au sein d’une même famille, la lâcheté et les mauvaises raisons qui nous rendent incapables de sincérité, les malentendus et les ressentiments qui viennent masquer l’affection : tout ce qui fait qu’un père et un fils souffrent de se détester faute de savoir se parler, qu’un homme s’enferre dans le mensonge d’une double vie ou se comporte en véritable salaud tout en étant par ailleurs parfaitement sympathique.

Bien construit, d’une lecture fluide et prenante, ce récit caustique qui prend plaisir à nous amuser révèle un humour exempt de toute prétention et une absence totale d’illusion sur nos ambivalences humaines : autant de caractéristiques que les romans ultérieurs de l’auteur ont conservées sous une forme assagie et à chaque fois un peu plus maîtrisée. (4/5)

 

 

Citations : 

"On n'est pas toujours le fils de son père, mais on est toujours le père de son fils." (Louis Dumur)
 
"Le contraire de la "gauche caviar", la "droite sardine à l'huile", n'existe pas." (Jean-François Kahn)
 
Et c’est vrai que nous vivons des temps pas ordinaires : l’anticonformisme est devenu la règle, la norme. Mais où est donc passée la conformité ? Les rebelles sont les icônes, et ce sont les chefs d’État eux-mêmes, du monde entier ou presque, qui sont en tête du cortège pour défendre leur mémoire. On y perd son latin, faut avouer. Le dernier hommage à un journal satirique bâti sur les pavés de Mai 68 consistera donc à embrasser les CRS encadrant les manifestants. Ca laisse rêveur, ou pantois, c’est encore mieux que l’infarctus du cardiologue, c’est d’une ironie que même les gars du journal qui ont passé leur vie à dessiner des flics dans des postures obscènes, ils n’y auraient pas pensé, c’est sûr.

Ma maman à moi, en fait, elle disait toujours : « Ne t’inquiète pas, petit d’homme, ça va s’arranger ». Un bobo sur mes genoux cagneux, une mauvaise note à l’école, une défaite au championnat d’escrime du lycée (oui, je pratiquais l’escrime, étonnamment, y a qu’en France qu’on peut imaginer coller ses gosses à l’escrime, non ?), ou une énième réflexion acerbe de mon père, eh bien c’était toujours la même réponse : t’inquiète pas, ça va s’arranger. C’était pas tout à fait faux ; la plupart du temps, tout finissait bien par rentrer dans l’ordre. C’est de là que j’ai conclu ce que je crois encore aujourd’hui : en général, les choses s’arrangent.

Quand il prend cet air d’apitoiement mêlé d’agacement, on croirait mon père, Lucien. Il lui ressemble, je trouve. Mon fils, finalement assez souvent, on croirait mon père.

  

Du même auteur sur ce blog :

 




 

vendredi 16 octobre 2020

[Bouysse, Franck] Buveurs de vent

 


 

 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Buveurs de vent

Auteur : Franck BOUYSSE

Parution : 2020 chez Albin Michel

Pages : 400

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ils sont quatre, nés au Gour Noir, cette vallée coupée du monde, perdue au milieu des montagnes. Ils sont quatre, frères et sœur, soudés par un indéfectible lien.
Marc d’abord, qui ne cesse de lire en cachette.
Matthieu, qui entend penser les arbres.
Puis Mabel, à la beauté sauvage.
Et Luc, l’enfant tragique, qui sait parler aux grenouilles, aux cerfs et aux oiseaux, et caresse le rêve d’être un jour l’un des leurs.
Tous travaillent, comme leur père, leur grand-père avant eux et la ville entière, pour le propriétaire de la centrale, des carrières et du barrage, Joyce le tyran, l’animal à sang froid…

Dans une langue somptueuse et magnétique, Franck Bouysse, l’auteur de Né d’aucune femme, nous emporte au cœur de la légende du Gour Noir, et signe un roman aux allures de parabole sur la puissance de la nature et la promesse de  l’insoumission.

 
  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Franck Bouysse est né à Brive-la-Gaillarde en 1965. Il a publié une quinzaine de romans dont Grossir le ciel, couronné par de nombreux prix (prix SNCF du polar 2017, prix Sud-Ouest du polar 2016…), et Né d’aucune femme (prix des libraires 2019, prix Babelio 2019, Grand prix des lectrices de Elle 2019…)

 

 

Avis :

Dans cette vallée coupée du monde, la vie tourne autour du barrage, de la centrale hydroélectrique et de la carrière, propriétés du puissant et tyrannique Joyce. Pourtant, par une sorte d’effet papillon, une suite d’évènements va peu à peu lézarder l’ordre établi, sous l’involontaire impulsion d’une fratrie de quatre jeunes gens, loin d’imaginer ce que leur insoumission va déclencher.

Buveurs de vent confirme la règle : lire Franck Bouysse, c’est toujours plonger dans l’ineffable plaisir d’une écriture dotée d’un vrai style, ciselé, éblouissant, comme il en existe bien peu. A elle seule, cette plume vaut déjà le détour. Quand elle s’allie à une histoire qui sait si bien transcender le registre du rural noir déjà magistralement exploré dans les précédents romans de l’auteur, tout est réuni pour porter l’admiration du lecteur à son comble et pour souhaiter à ce livre les plus grandes récompenses.

Car, tout en restant fidèle à ses sombres drames de la campagne, campés autour de personnages qui cachent leurs cicatrices sous un silence de plomb, dans une nature aussi âpre que splendide, Franck Bouysse réussit ici à se renouveler, sous la forme d’un roman métaphorique qui nous emmène dans un monde imaginaire à l’ambiance travaillée et très particulière. Le résultat est un hymne au miracle de la vie et des forces de la nature, une réflexion sur notre façon de mener ou de subir notre existence, une évocation de la puissance du langage et de la littérature, le tout traversé de fulgurants moments d’amour et de constantes références au divin et à la religion.

Combat entre l’ombre et la lumière, ce drame singulier, parfois déroutant, aux multiples miroitements poétiques et métaphoriques, pousse un cran plus loin le talent de Franck Bouysse, plus que jamais maître dans l’art de tenir ses lecteurs sous le sortilège de sa manière de conter et de son inimitable écriture. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations : 

À la sortie de l’école, les enfants se rendaient au viaduc fait d’une arche monumentale supportant la ligne ferroviaire et sous lequel coulait la rivière, comme un fil par le chas d’une aiguille. Les soirs de beau temps, le soleil déchirait la surface en milliers de bouches grimaçantes et tatouait des ombres sur la terre craquelée en une symbolique éphémère, qui se déplaçait, pour disparaître au crépuscule, effacée par un dieu idiot. Par mauvais temps, des lambeaux de brume s’effilochaient en fragments vaporeux, tels de petits fantômes hésitant entre deux mondes.

Ses yeux bleu-gris étaient comme deux planètes jumelles cernées de brume, reposant sur d’énormes poches vouées à contenir tous les débordements qu’il ne s’autorisait jamais hors de sa solitude.

Avec la parole, Martin était comme un géomètre perdu en pleine forêt vierge, à ne jamais savoir où poser les jalons pour tracer un chemin cohérent de mots.

Au loin, le soleil glissait lentement à l’intérieur de la forêt, comme une pièce d’or dans une tirelire.

Habiter à nouveau le passé, en un temps situé bien avant que les hommes ne détournent la beauté à leur convenance, au travers de fresques, de statues et de mots, pour s’imaginer un instant les créateurs de cette beauté, alors qu’ils auraient dû se satisfaire d’en être les gardiens. Matthieu ne pensait pas que l’on puisse magnifier l’évidente splendeur de la nature. À la différence de Marc, il ne croyait pas à l’art, persuadé qu’il transposait la poésie routinière du monde en un projet humain, rien qu’humain. Pour Matthieu, l’art était une invention des hommes pour peindre la mort aux couleurs de la vie.

Dans la forêt, la source de la vie était précisément la mort de tout. Elle se nommait humus, un lit dans lequel naissaient d’innombrables racines, s’enfonçant, chevauchant, butant, contournant, perforant ; un lit dans lequel vadrouillaient les formes primales, disparaissant en profondeur, au fur et à mesure que l’oxygène venait à manquer ; un lit dans lequel la méticuleuse et opiniâtre décomposition de la mort conduisait à la vie ; un lit dans lequel se réveiller et s’endormir.

Le vent se leva, donnant un volume supplémentaire à la forêt, comme un oiseau gonfle son plumage pour impressionner l’ennemi, signifiant que quoi que les hommes entreprennent contre elle, que quelque infime bataille gagnée n’en feraient jamais un vainqueur.
 
On veut faire croire aux hommes que le temps s’écoule d’un point à un autre, de la naissance à la mort. Ce n’est pas vrai. Le temps est un tourbillon dans lequel on entre, sans jamais vraiment s’éloigner du cœur qu’est l’enfance, et quand les illusions disparaissent, que les muscles viennent à faiblir, que les os se fragilisent, il n’y a plus de raison de ne pas se laisser emporter en ce lieu où les souvenirs apparaissent comme les ombres portées d’une réalité évanouie, car seules ces ombres nous guident sur cette terre. 
 
  

Du même auteur sur ce blog :

 
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