vendredi 31 janvier 2020

Bilan de mes lectures - Janvier 2020 - 15 livres

 

Coups de coeur :

 



 

J'ai beaucoup aimé :


BOYNE John : Les fureurs invisibles du coeur
MARTIN Nastassja : Croire aux fauves
MODIANO PAtrick : Encre sympathique
PAULY Anne : Avant que j'oublie
PAUTREL Marc : L'éternel printemps
ROZIER Gilles : Mikado d'enfance 
ZEH Juli : Nouvel an



 

J'ai aimé : 


APPANAH Nathacha : Le ciel par-dessus le toit
EL AYACHI Samira : Les femmes ont occupées
ERDRICH Louise : LaRose
GAIN Patrice : Terres fauves
HUNZINGER Claudie : Les grands cerfs
OWENS Delia : Là où chantent les écrevisses


jeudi 30 janvier 2020

[Boyne, John] Les fureurs invisibles du coeur





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les fureurs invisibles du coeur
          (The Heart's Invisible Furies)

Auteur : John BOYNE

Traductrice : Sophie ASLANIDES

Parution : en anglais en 2017,
                en français en 2018 (JC Lattès)
                et en 2020 (Le Livre de Poche)

Pages : 580

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Cyril Avery n’est pas un vrai Avery et il ne le sera jamais – ou du moins, c’est ce que lui répètent ses parents adoptifs. Mais s’il n’est pas un vrai Avery, qui est-il ?
Né d’une fille-mère bannie de la communauté rurale irlandaise où elle a grandi, devenu fils adoptif d’un couple dublinois aisé et excentrique par l’entremise d’une nonne rédemptoriste bossue, Cyril dérive dans la vie, avec pour seul et précaire ancrage son indéfectible amitié pour le jeune Julian Woodbead, un garçon infiniment plus fascinant et dangereux.
Balloté par le destin et les coïncidences, Cyril passera toute sa vie à chercher qui il est et d’où il vient – et pendant près de trois quarts de siècle, il va se débattre dans la quête de son identité, de sa famille, de son pays et bien plus encore.

Dans cette œuvre sublime, John Boyne fait revivre l’histoire de l’Irlande des années 1940 à nos jours à travers les yeux de son héros. Les Fureurs invisibles du cœur est un roman qui nous fait rire et pleurer, et nous rappelle le pouvoir de rédemption de l’âme humaine.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

John Boyne est né en 1971 en Irlande. Il est l’auteur de dix romans et de quelques livres pour la jeunesse dont le célèbre Le garçon en pyjama rayé (Gallimard, 2006), qui s’est vendu à plus de six millions d’exemplaires dans le monde.

 

 

Avis :

Fille-mère bannie de son village de la très catholique Irlande de 1945, Catherine Goggin abandonne le narrateur à sa naissance, dans l’espoir de lui permettre une vie meilleure : adopté par un couple riche et excentrique de Dublin, l’enfant prend le nom de Cyril Avery et grandit dans l’indifférence bienveillante de sa nouvelle famille. Son amitié pour un gamin de son âge lui révèle bientôt son attirance pour les garçons, à une époque où l’homosexualité reste inconcevable…

Au travers de Cyril, c’est tout le drame d’être gay dans un environnement homophobe qui se déroule ici. Pendant toute sa jeunesse, des années quarante à soixante-dix, Cyril est confronté à une société rétrograde où la moindre déviance à la norme sociale est sévèrement, voire violemment, réprimée : si les filles-mères peuvent être mises au ban de la société, les gays peuvent être tabassés à mort en toute impunité. Les années quatre-vingt voient apparaître l’épidémie du SIDA, d’abord considérée comme une maladie honteuse et exclusive des homosexuels. Il faudra bien du temps à Cyril pour qu’il puisse envisager d’être heureux, de sortir du mensonge et de vivre son identité librement, à l’issue d’une longue quête entre différents pays, mais aussi entre sa famille d’adoption et sa famille de sang.

Oscillant entre humour noir et amertume, entre tendresse et cynisme parfois cru, cette longue et triste histoire est imprégnée des poignants regrets du narrateur, d’être né trop tôt dans une société enfin devenue aujourd’hui plus tolérante, et d’avoir mis toute une vie à pouvoir connaître la paix et l’harmonie avec lui-même. Même si le récit multiplie les coïncidences opportunes, servant parfois mieux sa portée didactique que sa parfaite vraisemblance, il donne vie à un personnage profondément humain dans ses doutes et ses ambivalences, et nous rappelle ce que peuvent parfois avoir d’absurde, et engendrer de violences, les normes religieuses et sociales d’un lieu et d’une époque : les femmes et les homosexuels ont fait beaucoup de chemin sur la route de leur liberté, mais il reste tant à faire, dans certaines parties du monde encore plus que dans d’autres. (4/5)

 

 

Citation :

L’autre aspect qui faisait la renommée de Max était sa présence publique toujours plus importante.
(…)
Il finit par s’attirer l’animosité d’une nation tout entière pour ses opinions antirépublicaines, mais cela ne fit qu’augmenter sa popularité dans la presse, qui relayait la moindre de ses phrases déchaînées et se frottait les mains de plaisir, attendant que le scandale éclate. Max était la preuve vivante que peu importe que les gens vous aiment ou vous haïssent ; tant qu’ils savent qui vous êtes, vous pouvez aisément gagner votre vie.



Challenge 2019/2020

mardi 28 janvier 2020

[Erdrich, Louise] LaRose





J'ai aimé

 

Titre : LaRose

Auteur : Louise ERDRICH

Traductrice : Isabelle REINHAREZ

Parution : en anglais (USA) en 2016,
                  en français en 2018 

                  (Albin Michel)
                  et 2019 (Livre de Poche)

Pages : 528

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Dakota du Nord, 1999. Un vent glacial souffle sur la plaine et le ciel, d’un gris acier, recouvre les champs nus d’un linceul. Ici, des coutumes immémoriales marquent le passage des saisons, et c’est la chasse au cerf qui annonce l’entrée dans l’automne. Landreaux Iron, un Indien Ojibwé, est impatient d’honorer la tradition. Sûr de son coup, il vise et tire. Et tandis que l’animal continue de courir sous ses yeux, un enfant s’effondre. Dusty, le fils de son ami et voisin Peter Ravich, avait cinq ans.

Ainsi débute le nouveau roman de Louise Erdrich, couronné par le National Book Critics Circle Award, qui vient clore de façon magistrale le cycle initié avec La Malédiction des colombes et Dans le silence du vent. L’auteur continue d’y explorer le poids du passé, de l’héritage culturel, et la notion de justice. Car pour réparer son geste, Landreaux choisira d’observer une ancienne coutume en vertu de laquelle il doit donner LaRose, son plus jeune fils, aux parents en deuil. Une terrible décision dont Louise Erdrich, mêlant passé et présent, imagine avec brio les multiples conséquences.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Considérée comme l’un des grands écrivains américains contemporains, Louise Erdrich est l’auteur d’une œuvre majeure, forte et singulière, avec des romans comme La Chorale des maîtres bouchers, Ce qui a dévoré nos cœurs, ou encore Love Medicine. Récompensée par de nombreux prix littéraires, elle a récemment été distinguée par le prestigieux National Book Award et le Library of Congress Award.

 

 

Avis :

Dans le Dakota du Nord en 1999, après l’accident de chasse où son père a tué le fils des voisins, un petit garçon de six ans, LaRose, est « donné » par ses parents à la famille en deuil, en « remplacement » du fils perdu comme l’exige la tradition amérindienne. L’enfant grandit entre les deux familles, qui apprennent plus ou moins bien à vivre entre deuil, colère et culpabilité.

Ce drame et cette déconcertante tentative de réparation viennent s’inscrire dans le vaste contexte d’une histoire familiale portant sur six générations et un siècle et demi, que le récit nous fait peu à peu découvrir par de multiples allers retours entre passé et présent. Au travers d’une myriade de personnages quasiment tous amérindiens, apparaît ici toute la souffrance d’un peuple dont on a forcé l’assimilation à la culture blanche, selon le principe énoncé par l’officier américain Richard Pratt :
« Un général célèbre a déclaré un jour qu’un bon Indien est un Indien mort et le profond accord suscité par leur destruction a considérablement encouragé les massacres d’Indiens. D’une certaine façon, je partage cet avis, mais seulement dans ce sens : que tout ce qui est indien dans la race devrait être mort. Éliminez l’Indien en lui, et sauvez l’homme. »

Cette histoire est donc aussi celle de la lente agonie d’une culture qui, pourtant, réussit à se transmettre d’une génération à l’autre, au prix d’un déchirement quasi schizophrénique générateur de drames en chaîne, à commencer par celui des nombreux cas d’addiction, à l’alcool, mais aussi de nos jours, à la drogue médicamenteuse. Un insurmontable mal-être accompagnait donc déjà les personnages lorsque survient cette mort accidentelle d’un enfant : c’est finalement avec les ressources puisées au fond de leur identité profonde qu’ils vont tenter d’y faire face, au fil d’un récit en permanence entremêlé de magie et de relations aux esprits.

J’ai beaucoup apprécié, mais aussi trouvé éprouvante, cette authentique et parfois déroutante plongée au tréfonds de l’âme d’une culture martyrisée qui se refuse à disparaître. Amérindienne elle-même, l’auteur nous immerge dans un tourbillon de désarroi, de culpabilité, de colère, d’envie de vengeance et d’espoir de rédemption, où le deuil s’accomplit lentement avec le secours de la tradition, de la magie, de la solidarité et d’une certaine sagesse ancestrale.

Remarquable pour la voix amérindienne qu’elle exprime ici avec force et pour tout ce qu’elle nous fait comprendre du désespoir d’un peuple devenu une communauté privée de son identité, cette longue et vaste fresque m’a néanmoins semblé assez pesante : il m’a manqué d’être emportée par cette histoire dont, malgré toutes ses qualités, je n’ai pas senti le véritable souffle, me retrouvant plombée par la déprime en dépit de l’espoir porté par l’étonnant petit LaRose, à la maturité presque surnaturelle. (3/5)

 

 

Sur la cause amérindienne sur ce blog :

  

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dimanche 26 janvier 2020

[Gain, Patrice] Terres fauves






J'ai aimé

Titre : Terres fauves

Auteur : Patrice GAIN

Année de parution : 2018

Editeur : Le mot et le reste

Pages : 208






 

 

Présentation de l'éditeur :

David McCae, écrivain new-yorkais en mal d’inspiration et citadin convaincu doit quitter Brooklyn pour l’Alaska dans le but de terminer les mémoires du gouverneur Kearny. Le politicien visant la réélection, il envoie son prête-plume étoffer l’ouvrage d’un chapitre élogieux : le célèbre et très apprécié alpiniste Dick Carlson, ami de longue date, aurait de belles choses à raconter sur lui et leurs aventures. 
Direction Valdez pour David, direction le froid, les étendues blanches, les paysages sauvages et un territoire qui l’est tout autant. Plus adepte du lever de coude que de l’amabilité, l’alpiniste n’en est pas moins disert et David en apprend beaucoup. Trop. Devenu gênant, la violence des hommes, et celle d’une nature qui a préservé tous ses droits, va s’abattre sur lui et l’obligera à combattre ses démons pour survivre lors de cette course effrénée qui l’amènera du Canada à Portland.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Patrice Gain est né à Nantes en 1961 et habite un chalet dans la vallée du Giffre, en Haute-Savoie. Professionnel de la montagne, ingénieur en environnement, les territoires d’altitude et les grands espaces l’attirent depuis toujours.


Avis :

L’écrivain et narrateur new-yorkais David McCae est chargé de rédiger les mémoires du gouverneur Kearny, qui, afin de parfaire son image, souhaite un chapitre sur son amitié avec le célèbre alpiniste Dick Carlson, premier Américain à avoir porté la bannière étoilée jusqu’à un sommet inviolé de plus de 8000 mètres. Ce sportif habitant en Alaska, David accepte à contrecoeur de quitter son confort citadin pour se rendre dans une contrée sauvage, dont l’inhospitalité n’aura d’emblée d’égale que celle de son hôte. Et encore est-il loin de se douter du cauchemar qui l’attend…

Ce roman démarre doucement pour se transformer sans crier gare en un récit d’aventure en pleine nature et un thriller noir au suspense si addictif qu’il vous sera impossible de le lâcher avant son dénouement. Surprise par la tournure de l’histoire et aussitôt subjuguée, j’ai réellement désespéré de la terrible descente aux enfers de ce fragile citadin si peu armé pour les épreuves qu’il traverse. Mais c’est un peu comme si l’infernale beauté et la brutalité sans concession des grands espaces mettaient à nu les personnalités, les révélant à elles-mêmes en les poussant loin des faux-semblants, jusqu’au tréfonds de leurs ressources, parfois insoupçonnées...

Dommage que l’ensemble soit affaibli par son insuffisante vraisemblance, qui m’a d’autant plus gênée que, par hasard, je venais de lire l’autobiographique et véridique Croire aux fauves de Natassja Martin. L’élan du récit aurait presque pu effacer ce regret si je n’étais restée coincée sur une incohérence : l’ordinateur portable que David continue opportunément à utiliser, comme si de rien n’était, alors qu’il a maintes fois tout perdu !

Nonobstant son manque de crédibilité, ce livre m’a offert un excellent moment d’aventure et de suspense au sein d’une nature sauvage et grandiose, où les fauves ne sont pas toujours seulement ceux que l’on attendaient. (3/5)



Du même auteur sur ce blog :

 
 




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vendredi 24 janvier 2020

[Yvars, Alain] Conter la peinture






 

Coup de coeur 💓

Titre : Conter la peinture

Auteur : Alain YVARS

Année de parution : 2020

Editeur : Independently published

Pages : 110






 

 

Présentation de l'éditeur :

Les ombres des grands peintres disparus… Pourquoi la vision de leurs œuvres alimente-t-elle ainsi mon imagination ?
Marcel Proust dans son roman « À la recherche temps perdu » met en lumière la troublante relation qui existe entre la peinture et l’écriture, deux arts s’influençant mutuellement. Ainsi, il fait mourir Bergotte devant le tableau de Vermeer la « Vue de Delft » : « Il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune ».
Tout au long des douze nouvelles de ce recueil, j’ai souhaité faire connaissance avec ces hommes et femmes qui ont fait l’histoire de l’art, les regarder peindre et vivre. Subtilement, de la même façon que Bergotte devant « le petit pan de mur jaune », un jeu de miroir a fini par s’établir entre les œuvres et mes mots, créant parfois un dialogue imaginaire avec les artistes.


 

Un mot sur l'auteur :

Alain Yvars, qui a passé toute sa vie professionnelle dans la gestion d'entreprise en région parisienne, a toujours gardé intacte la passion de sa vie : la peinture. Après avoir peint de longues années, le blog qu’il a créé, Si l’art était conté, est consacré à des récits, nouvelles, et écrits divers sur l’art. Il aime imaginer dans leur contexte historique les peintres qui ont fait l’histoire de l’art, ce qui lui permet de s’inspirer de leur talent pour écrire ses récits.

Après son premier roman Que les blés sont beaux, hommage à Vincent Van Gogh, sa seconde publication Conter la peinture est un recueil de nouvelles, chacune en rapport avec le tableau d'un peintre important de l'histoire de l'art.

Retrouvez ici mon interview d'Alain Yvars (Juin 2019)


 

Avis :

Lui-même peintre et passionné d'art, Alain Yvars a choisi quelques œuvres picturales célèbres pour, le temps de courtes nouvelles, redonner vie à chacun de leurs auteurs et de leurs époques : un peu comme si, en observant chaque tableau, un écho de leur contexte et des personnes qui les ont vus naître vous parvenait au travers des siècles. Soudain, l'atelier, le modèle, la société d'alors resurgissent à vos oreilles, comme un fond sonore accompagnant votre contemplation. 

Je me suis plu à imaginer un musée capable de vous faire vivre les oeuvres de la même façon : devant chaque tableau, un casque sur les oreilles, j'entendais l'évocation sonore reconstituée à partir du texte d'Alain Yvars, ou bien, à l'instar de l'expérience immersive proposée sur les peintres impressionnistes au Château d'Auvers-sur-Oise, j'assistais à un bref son et lumière, au moyen de quelques images projetées sur les murs et toujours d'une bande-son restituant l'atmosphère et les voix.

Il a fallu à l'auteur toute l'imprégnation acquise au cours de décennies de passion, pour ressusciter avec autant de naturel et de crédibilité ces petits morceaux de vie, pour réussir ces brèves plongées dans l'intimité des peintres et de leur entourage. Tous ces textes accompagnés d'illustrations réussissent à faire vivre les oeuvres qu'ils évoquent : en lisant Alain Yvars, les tableaux cessent d'être de beaux objets inertes que l'on vient contempler, ils s'animent et parlent, ils vous projettent directement dans l'existence des hommes et des femmes peintres. 

Chacune de ces petites nouvelles est différente, toutes sont agréables à lire et, sans aucun doute, elles ont de quoi intéresser autant les passionnés d'art que les néophytes. Coup de coeur (5/5).

Je remercie Alain Yvars pour son service presse et salue son soutien à l'association Rêves pour enfants malades, à qui il reverse les bénéfices de ses publications.


 

Du même auteur sur ce blog :

mercredi 22 janvier 2020

[Rozier, Gilles] Mikado d'enfance






J'ai beaucoup aimé

Titre : Mikado d'enfance

Auteur : Gilles ROZIER

Année de parution : 2019

Editeur : L'antilope

Pages : 192






 

 

Présentation de l'éditeur :

Quarante ans après les faits, le narrateur revient sur un épisode traumatisant de son enfance : l’exclusion de son collège, pour avoir adressé, avec deux camarades, une lettre antisémite à son professeur d’anglais.
Quelques années plus tard, le narrateur, fils d’une mère juive et d’un père catholique, deviendra spécialiste de culture juive. Que s’est-il passé entre ces deux moments de son histoire ?
Le narrateur tente de décortiquer l’imbrication des conflits politiques des années 1970 et des malaises familiaux. Il retrouve cette question tragique que sa mère a posée devant le conseil de discipline : « Comment voulez-vous que mon fils soit antisémite alors que mon père est mort à Auschwitz ? »
Gilles Rozier continue de creuser l’identité juive et ses enjeux, au plus profond de l’intime
.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Traducteur de l’hébreu et du yiddish, écrivain et éditeur, Gilles Rozier est né à Grenoble en 1963.Directeur de la maison de la culture yiddish de 1994 à 2014, il a cofondé, en 2016, les éditions de l’Antilope. Il est l’auteur de six romans.
Son roman Un amour sans résistance a été adapté au théâtre en octobre 2019, dans une mise en scène de Gabriel Debray
.


Avis :

Devenu spécialiste de littérature yiddish, l’auteur et narrateur est soudain rattrapé par « l’événement », qui, après quarante ans de refoulement au fond de sa mémoire, resurgit à l’improviste à l’occasion d’un de ses colloques. Lorsqu’il avait douze ans en 1975, sans réaliser la portée du geste et principalement pour tenter de se concilier les bonnes grâces de ses camarades, il avait participé à l’envoi d’une lettre anonyme antisémite à l’un de ses professeurs. Les conséquences avaient été semblables à la foudre pour cet enfant d’ordinaire discipliné et dans l’ensemble peu sûr de lui, et surtout, une chape de plomb l’avait aussitôt écrasé de son silence, au sein de sa famille, juive du côté maternel.

Cet épisode de son enfance est l’occasion pour le narrateur de revenir sur le malaise ressenti, dans les années 70, par la génération de ses parents quant à la judaïcité : alors que sa mère, juive, n’a de cesse de se couler dans la discrétion et de vouloir disparaître aux yeux du monde, le coupant, lui son fils, de ses racines, de son identité et de l’histoire de ses grands-parents assassinés pendant la guerre, la société française peine à se regarder en face alors qu’elle découvre encore peu à peu l’abominable réalité de la Shoah. Lorsque le gamin, qui ne comprend rien à cette énigme qu’il pressent autour de lui, mettra les pieds dans le plat, posant à sa façon la question qui le taraude, personne ne saura gérer la situation raisonnablement. L’attitude générale sera le refoulement, le silence et le déni, creusant chez l’enfant un traumatisant abîme d’incompréhension, de culpabilité et d’injustice, ainsi qu’un questionnement auquel l’adulte qu’il est devenu n’a toujours pas fini de répondre.

Nombre des détails de ce récit prendront le goût des petites madeleines de Proust chez les lecteurs qui ont été collégiens dans la seconde moitié des années 70. L’émotion du souvenir imprègne chaque page, alors que les peines anciennes de l’auteur resurgissent intactes, juste éclairées par sa compréhension d’adulte encore plein de regrets.

Touchante quête de rédemption d’un homme toujours meurtri par la culpabilité et l’humiliation d’un lointain souvenir d’enfance, ce récit autobiographique aborde les sujets les plus graves avec pudeur et humour, et fait mouche. (4/5)


Citations : 

Nous n’en parlions jamais et j’aurais pu continuer longtemps à n’en pas convoquer le souvenir, encore des années, des décennies, pour toujours sans doute, car une chose qui ne vient pas à l’esprit ne se compte pas. Ne se conte pas.

La mémoire est une pelote de laine, un nœud de serpents, des grains de riz dans un bocal, un jeu de mikado. Comment tel souvenir est-il invité à remonter à la surface de cet embrouillamini ?

Tous ces souvenirs et les sensations s'y rapportant forment un tas compact, un enchevêtrement d'aiguilles de mikado qui piquent quand on les touche, mais elles ont fini par provoquer la même douleur, quelle que soit leur couleur et le nombre de bagues censées introduire entre elles une hiérarchie.

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lundi 20 janvier 2020

[Hunzinger, Claudie] Les grands cerfs






J'ai aimé

Titre : Les grands cerfs

Auteur : Claudie HUNZINGER

Année de parution : 2019

Editeur : Grasset

Pages : 192






 

 

Présentation de l'éditeur :

Pamina, habite en montagne avec son compagnon Nils. Elle se sait entourée par un clan de cerfs qui lui sont restés invisibles et mystérieux jusqu’à ce que Léo, un photographe animalier, construise dans les parages une cabane d’affût et qu’il lui propose de guetter avec lui. Tandis qu’elle observe et s’initie à la vie du clan, affrontant la neige, le givre, la grêle, avec pour équipement un filet de camouflage, une paire de jumelles et des carnets, elle raconte sa peur de la nuit, les futaies sous la lune, la magie de l’inconnu, le plaisir infini à guetter, incognito, l’apparition des cerfs, à les observer, à les distinguer et à les nommer  : Apollon, Géronimo, Merlin... Mais au cours de ces séances de guet, elle va découvrir un monde plus cruel que celui du règne animal, celui des hommes, car un massacre se fomente…
 
Un roman qui se lit comme un thriller, plein de poésie, de chagrin et de colère, sur la disparition de la beauté dans la nature et les ravages que l’homme y opère.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Ecrivain et plasticienne, Claudie Hunzinger est l’auteure de nombreux livres, dont, chez Grasset, de Elles vivaient d’espoir (2010), La Survivance (2012), La langue des oiseaux (2014), L’incandescente (2016).


Avis :

Tout comme l’auteur, la narratrice habite avec son conjoint une ancienne métairie perdue au fond du massif vosgien. Elle se remémore le temps où des voisins à la présence discrète évoluaient autour de la ferme. Elle s’était soudain prise de passion pour eux, avait appris à les observer longuement, aux côtés d’un villageois épris de photographie animalière. Il s’agissait d’une harde de biches et de cerfs qui, peu à peu, ont disparu, tirés par des chasseurs au rythme des quotas autorisés par l’ONF, sous couvert d’une régulation que ce livre envisage comme un massacre.

Le texte fait rêver : l’on se retrouve, frigorifié et trempé, caché sous des filets de camouflage, à guetter interminablement une fascinante vie sauvage, collectionnant des clichés photographiques pris avec un téléobjectif de la taille d’un bazooka, s’émerveillant qu’une telle présence à proximité directe d’habitations puisse demeurer si discrète. Autour de la ferme d’ailleurs, évoluent bien d’autres espèces que les cerfs, et le récit nous livre également de bien jolies pages sur la multitude de papillons et d’oiseaux observables à l’époque.

Malheureusement, selon l’auteur, ce rêve appartient désormais au passé, et les pages imprégnées de beauté sauvage sont teintées d’une amertume mêlée de colère, de devoir en faire le deuil en même temps que l’apologie, et d’y voir une illustration supplémentaire de la ruine écologique de notre planète. S’il est facile de partager cette rancoeur et ces regrets, l’on est en même temps amené à s’étonner, la croyance générale affirmant une tendance à la prolifération excessive des cervidés dans nos forêts, faute de prédateurs.

Mes recherches ne m’ont pas permis de me faire une idée entièrement claire sur la question : les rapports officiels sont rassurants, affirmant l’augmentation régulière des populations de cerfs en France depuis l’instauration de plans de chasse dans les années 1960. En même temps, des initiatives locales ne cessent de s’insurger contre les trop gros prélèvements qui viennent grever des effectifs, par endroits de plus en plus faibles…

Il est dommage que ce livre, par ailleurs bien écrit, n’étaye pas davantage ses affirmations, en enquêtant au-delà d’une perception toute personnelle que l’auteur pose en contradiction frontale de celle de son entourage. Le texte est beau, ses émotions en ligne avec celles qui nous assaillent face au constat de l’état général de la planète, mais, pour le coup, l’auteur ne s’est-elle pas un peu emballée, sans vraiment prendre la peine de comprendre l’impact réel de la régulation et de la chasse, ni de répondre aux interrogations de ses lecteurs ?

Je ressors très mitigée de cette lecture, dubitative face au bref et subit engouement de la narratrice pour un sujet joliment et sincèrement abordé, mais insuffisamment argumenté : il ne suffit pas de s’emparer d’un thème à la mode et de surfer sur l’émotion du moment pour convaincre. Restent de bien jolies images et un questionnement légitime quant à la peau de chagrin qu’est devenu l’espace concédé par l’homme à la vie sauvage en général. (3/5)


Citations : 

Quand j’ai refermé la porte, je me suis retrouvée dans une boîte sombre avec la bizarre impression de m’être introduite dans mon crâne pour m’y asseoir, de n’être que mon regard tapi derrière mes yeux.

Ce genre de méditation est assez vertigineux. On est vite pris d’une sorte d’ivresse. Celle du vide, de faire le vide. Tout y passe. Jusqu’à notre statut d’humain. Dans un vertige de décentrement, j’ai su soudain avec clarté que nous n’avions pas de destin singulier. Et pourquoi en aurions-nous un ? Parce que nous construisons des mairies, des cathédrales et des musées ? Parce que nous écrivons des romans ? Parce que nous savons affamer, torturer, massacrer plus qu’aucune autre espèce ? Parce que nous avons des cimetières et des charniers ? Parce que nous savons tout détruire, si magnifiquement ? Non, ça ne suffit pas. Comme les bêtes, nous devons tout lâcher. Simplement. Sans au-delà.

Les cerfs font leur nouvelle ramure sur leurs os. Ils produisent de l’os de février à juillet, si bien que leur squelette devient vulnérable. Ils le savent. Ils ont une extraordinaire perception de leur ramure. Ils la connaissent par cœur. On peut alors les voir marcher avec précaution, entre les troncs des arbres, comme s’ils portaient un trésor sur la tête, et ça leur donne l’allure altière de princes à la Cour du roi.
(…)
La repousse peut atteindre un centimètre par nuit.
La tige d’une ronce peut, elle, bondir de cinq centimètres la même nuit.
Une ruche, pesée le matin, repesée le soir, peut avoir pris un kilo de miel.

C’est alors que cinq cerfs sont sortis de la brume, comme en lévitation, ils flottaient, ils s’avançaient vers nous sur une seule ligne et d’un seul mouvement très lent et très doux, et leurs cinq corps étaient couronnés d’une seule forêt en marche qui s’abaissait, se relevait, s’abaissait, tandis que leurs cinq mufles broutaient sans bruit.

C’est à la mi-juillet exactement que les cerfs se mettent à « frayer », c’est-à-dire à fracturer l’enveloppe de velours qui enrobe leurs bois solidifiés. Quand elle sèche, on dirait qu’elle les brûle comme une tunique de Nessus, et que fous de douleur ils cognent leurs bois contre les arbres, allant aux mêmes arbres chaque année. Et cette peau velue, brisée, ensuite, ils la mangent. Oui, ils mangent les lambeaux de ce velours sanguinolent qu’ils se sont fendu et qui pend devant leurs yeux. Impossible d’en trouver des débris, ils les font disparaître.


En dix ans. Ça s’est passé en dix ans. Sous nos yeux. Et j’en ai pris conscience seulement cet été-là. En dix ans, quelque chose autour de nous, une invention, une variété des formes, une extravagance, une jubilation d’être qui s’accompagnait d’infinis coloris, de moirures, d’étincelles, de brumes, tout ça avait disparu pour laisser place à un monde simplifié, appauvri, uniformisé, accessible aux foules et aux masses où les goûts se répandaient comme des virus. Et ce n’était pas un phénomène cloisonné mais un saccage général. Cet été, je m’en souviendrai toujours, je n’avais vu dans les prés que des papillons blancs, des piérides, tous pareils, et ils voletaient, du matin au soir, en une sorte de tourisme de masse. Mais où étaient passés le Flambé, l’Argus bleu, l’Aurore, le Robert-le-diable ? Et le James-la-joie ? Et le Virginia ? Et le Roberto ? Et l’Emily Dickinson ? Et le Sylvia Plath ? Et le Grand Nacré ? Et les fourmis violentes avant l’orage ? Chaque matin les journaux titraient une nouvelle extinction. Une nouvelle catastrophe. C’était l’été des catastrophes. Et personne ne s’émouvait. Comment la jeunesse, qui n’avait pas appris à écouter les oiseaux, pourrait-elle regretter leur musique ? Pareil pour les papillons. Ils ne seraient aux yeux des nouveaux enfants rien de plus que les minuscules dinosaures volants du monde qui avait précédé le leur. Il me semblait entendre s’élever de la terre un immense Office des morts. Que personne n’entendait.

Qu’est-ce que c’était ces larmiers des cerfs, au début je m’étais posé la question, intriguée par le mot. J’étais allée voir dans un livre, et ensuite aux jumelles je les avais observés : deux longues fentes situées au coin interne de leurs yeux très écartés, deux failles, deux fosses obliques et bien fermées qui, au moment du brame, gonflent, s’ouvrent comme des fioles et se mettent à sécréter une humeur poisseuse, sombre, bourrée de messages agressifs et luxurieux, et si parfois les joues des cerfs semblent baignées de larmes, tracées de deux sillons noirs, c’est tout le contraire, tout le contraire de larmes.

Deux jours plus tard, le 10 septembre, Léo, par un email, m’a annoncé que Geronimo avait été tiré. — Comment tu l’as su ? — Les gardes-chasses me préviennent. Je le sais le soir même.
C’était nouveau.
Je n’arrivais pas à accepter ce massacre. Je me demandais comment Léo le vivait.
Un jour, je lui avais posé la question. Il m’avait reprise : Tu ne peux pas dire massacre. Ce ne sont pas quarante cerfs qui sont aveuglément abattus dans le secteur. Les chasseurs ont des bracelets, remis par l’ONF, un par cerf qu’ils doivent tirer. C’est leur rôle.
Il ne fallait pas non plus que je dise que les chasseurs tuent. Non, me reprenait Léo, ils tirent. C’est différent. Et surtout il ne fallait pas que je parle de goût du meurtre, car aussitôt Léo m’avait fait la leçon. — Les chasseurs tirent par nécessité. Je connais des chasseurs qui préfèrent avoir une amende plutôt que d’utiliser tous les bracelets remis par l’ONF. — D’accord, d’accord, avais-je répondu. Pas de massacre. Alors quoi ? — Une régulation.
J’avais demandé à Léo : À quoi ça ressemble un bracelet ? Il m’avait envoyé une photo, ajoutant que ces attaches en plastique se fixent sur une des pattes arrière de la bête abattue, et que le chasseur doit justifier le tir de l’animal en présentant à l’administration la queue ou les oreilles. Pour les cerfs, la mort est constatée par l’agent ONF du secteur, en général en chambre froide, ou directement chez le chasseur ou le garde, rarement sur le droit du tir, en forêt.
— Je ne sais pas où tu trouves le courage de continuer, ai-je répondu à cet email qui m’annonçait la disparition de Geronimo. — Je continuerai, a répliqué Léo. — Tu espères encore voir débarquer un grand cerf inconnu ? Il a répondu non. Il a reconnu que les grands cerfs disparaissaient un à un, et que le massif subissait de si profondes modifications, que oui, en clair, c’était perdu. Et par la faute de l’ONF, a précisé Léo. L’ONF est un pouvoir d’État qui mène une politique d’État. Aveugle. Un marché régi par l’intérêt. Les chasseurs, eux, restent des individus. Il y a chasseur et chasseur, je te l’ai dit et je te le redis.


Une fois, Léo m’avait demandé ce que j’avais contre ce type, contre sa réussite. Il avait dit « réussite » sans savoir que ce mot n’était pas mon genre. En effet, il me faisait plutôt rire, et même je le trouvais grotesque. Et je lui avais répondu que le fric, dans ma famille, ne comptait pas, et que le sel de la vie était de n’en pas avoir. L’argent, c’était du sucre. Du poison. Il s’était exclamé : Oh ! toi Pamina, anti-chasse, anti-argent, anti-système, anti-tout. Léo ne pouvait même pas dire anti-fric, tellement il respectait ça. J’avais répondu que je n’étais pas anti-tout. À la maison, petite, je me souvenais combien on était farouchement pour l’aquisition des connaissances, du savoir, de tous les savoirs. Pour les études. Pour l’éducation. Une meilleure société dépendait de l’éducation. Il fallait avant tout réclamer de l’éducation. Des bibliothèques. Des livres. Les livres nous libèrent. L’argent nous enchaîne. Le black friday nous étouffe. Le développement nous tue.

Le lendemain, j’ai appris d’un conseiller municipal que c’était cent bracelets mâles supplémentaires qui avaient en effet été exigés cette saison par l’ONF. Et qu’il n’y aurait plus d’amende en cas de tir d’un animal trop jeune. Il m’a aussi dit que l’ONF se rendait dans les écoles des vallées, expliquer aux enfants que des cerfs, il y en avait trop dans les forêts. On pouvait maintenant parler de massacre. Tout le monde s’y était mis.
Finies les rencontres à chaque sortie. Finies les apparitions.  
— Tu ne trouves pas que c’est devenu un peu plus sinistre qu’avant ? a dit Nils.
C’est tout ce qu’il a pu dire devant le futur qui nous était tombé dessus.



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samedi 18 janvier 2020

[Owens, Delia] Là où chantent les écrevisses





J'ai aimé

 

Titre : Là où chantent les écrevisses
           (Where the Crawdads sing)

Auteur : Delia OWENS

Traducteur : Marc AMFREVILLE

Parution : en américain en 2018,
                en français en 2020 (Seuil)

Pages : 480

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n’est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent. A l’âge de dix ans, abandonnée par sa famille, elle doit apprendre à survivre seule dans le marais, devenu pour elle un refuge naturel et une protection. Sa rencontre avec Tate, un jeune homme doux et cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, lui fait découvrir la science et la poésie, transforme la jeune fille à jamais. Mais Tate, appelé par ses études, l’abandonne à son tour. La solitude devient si pesante que Kya ne se méfie pas assez de celui qui va bientôt croiser son chemin et lui promettre une autre vie. Lorsque l’irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même… 

Premier roman et phénomène d’édition, ce livre a déjà conquis des millions de lecteurs et poursuit son incroyable destinée dans le monde entier. Une adaptation au cinéma est également en cours.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Delia Owens est née en 1949 en Géorgie, aux Etats-Unis. Diplômée en zoologie et biologie, elle a vécu plus de vingt ans en Afrique et a publié trois ouvrages consacrés à la nature et aux animaux, tous best-sellers aux USA.

 

 

Avis :

Les marais proches de la ville de Barkley Cove, en Caroline du Nord, ont de tout temps abrité une population marginale et misérable venue y chercher refuge. La famille de la jeune Kya y vit des maigres revenus tirés de la pêche par le père, alcoolique et violent. En 1952, lorsque la mère finit par s'enfuir, les frères et soeurs ne tardent pas à déguerpir eux aussi, laissant Kya, âgée de six ans, aux seules mains paternelles. Puis le père disparaît à son tour, et l'enfant se retrouve livrée à elle-même. Elle grandira dans le plus grand dénuement et la plus profonde solitude, tirant sa subsistance du marais et restant en marge de la petite ville voisine, où se développent à son encontre les pires rumeurs et préjugés. Mais le monde de Kya et celui de ses voisins finiront bien par se rencontrer, et de nouveaux drames surgiront...

Construit en de multiples allers retours entre les jeunes années de Kya et 1969 où la police cherche à élucider un meurtre, le récit comporte ce qu’il faut de péripéties pour maintenir constamment éveillé l’intérêt du lecteur, même si le fond de l’intrigue se laisse assez rapidement entrevoir. A vrai dire, le point fort du roman ne m’a pas tant semblé l’histoire qu’il raconte, agréable mais quand même moyennement crédible et très centrée sur une romance plutôt convenue, mais bien davantage sa tonalité à dominante nettement naturaliste : biologiste spécialisée dans le comportement animal et la recherche sur les espèces en danger, l’auteur nous convie à une véritable immersion au sein de la faune et de la flore de ce grand marais américain, au fil de dépaysantes évocations d’un environnement à la beauté singulière, et d’observations éthologiques curieusement assorties de comparaisons aux agissements humains.

Ce qui aurait risqué de demeurer une romance insipide et peu crédible devient ainsi un agréable voyage dans une contrée sauvage, en compagnie d’un guide biologiste capable de vous faire découvrir les lieux les plus secrets et les plus magiques, là où chantent les écrevisses. (3/5)

 

 

Citation :

Un marais n’est pas un marécage. Le marais, c’est un espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel. Des ruisseaux paresseux charrient le disque du soleil jusqu’à la mer, et des échassiers s’en envolent avec une grâce inattendue – comme s’ils n’étaient pas faits pour rejoindre les airs – dans le vacarme d’un millier d’oies des neiges.
Puis, à l’intérieur du marais, çà et là, de vrais marécages se forment dans les tourbières peu profondes, enfouis dans la chaleur moite des forêts. Parce qu’elle a absorbé toute la lumière dans sa gorge fangeuse, l’eau des marécages est sombre et stagnante. Même l’activité des vers de terre paraît moins nocturne dans ces lieux reculés. On entend quelques bruits, bien sûr, mais comparé au marais, le marécage est silencieux parce que c’est au cœur des cellules que se produit le travail de désagrégation. La vie se décompose, elle se putréfie, et elle redevient humus : une saisissante tourbière de mort qui engendre la vie.