dimanche 3 mars 2019

[Decoin, Didier] John L'Enfer





 

J'ai aimé

Titre : John l'Enfer

Auteur : Didier DECOIN

Editeur : Seuil

Parution : 1977 (Prix Goncourt 1977)

Pages : 320










Présentation de l'éditeur :

Triomphante, folle de ses richesses, de sa démesure et de ses rêves, New York se délabre pourtant, rongée de l'intérieur. John L'Enfer, le Cheyenne insensible au vertige, s'en rend bien compte du haut des gratte-ciel dont il lave les vitres. Il reconnaît, malgré les lumières scintillantes des quartiers de luxe, malgré l'opacité du béton des ghettos de misère, les signes avant-coureurs de la chute de la plus étonnante ville du monde : des immeubles sont laissés à l'abandon, des maisons tombent en poussière, des chiens s'enfuient vers les montagnes proches…
Devenu chômeur, l'Indien rencontre deux compagnons d'errance : Dorothy Kayne, jeune sociologue qu'un accident a rendue momentanément aveugle, et qu'effraye cette nuit soudaine ; et Ashton Mysha, Juif hanté par sa Pologne natale, qui vit ici son ultime exil.
Trois destins se croisent ainsi dans New York l'orgueilleuse, New York dont seul John L'Enfer pressent l'agonie. Trois amours se font et se défont dans ce roman de l'attirance et de la répulsion, de l'opulence et du dénuement.
Abraham de Brooklyn chantait la naissance de New York. Avec John L'Enfer, voici venu le temps de l'apocalypse.
L'apocalypse possible dès aujourd'hui d'une cité fascinante et secrète, peuplée de dieux ébranlés et d'épaves qui survivent comme elles peuvent dans le fracas et les passions.
 

 

Avis :

Ce roman est mon quinzième livre de Didier Decoin, pour lequel il a reçu le prix Goncourt, et, à ma grande surprise, c'est la première fois que je m'ennuie au cours d'une lecture de cet auteur, au point d'avoir hâte d'en venir à bout. La première partie est intrigante et intéressante, la dernière voit l'action accélérer et apporte un éclairage sur le sens du livre, mais les deux parties centrales, soit la moitié du roman, m'ont déroutée et lassée, me laissant une impression de malaise et de confusion. 

New York, ville des contrastes et de la démesure, des palaces et des ghettos, de l'opulence mais aussi de l'extrême précarité, des squatts, de la drogue, du crime et de la prostitution, est sur le point de s'effondrer : maisons et gratte-ciel sont minés par le cancer du béton, les égouts débordent, les chiens ont fui la ville. Tout le monde refuse l'évidence, pour des raisons politiques, électorales ou économiques, mais les signes se multiplient. 

Dans ce climat délétère se forme un trio amoureux aux relations étranges : un Indien Cheyenne au chômage - ex-laveur de vitres ignorant le vertige -, un émigré polonais dont la vie est en bout de course - ex-officier de marine désormais sans bateau -, une jeune femme rendue temporairement aveugle par un accident et qui, telle une enfant, s'accroche aux deux hommes en attendant de retrouver la lumière. Les trois nous entraînent dans leur errance comme dans une sorte de spirale destructrice, s'agrippant désespérément les uns aux autres sans jamais se trouver vraiment, toujours seuls au fond. 

Didier Decoin excelle à rendre l'atmosphère lourde d'un New York où tout se délite derrière les apparences : décadence, pourriture, corruption, errance, perte de sens et d'identité, tout annonce une catastrophe imminente, la chute prochaine de Babylone, l'apocalypse, la déchéance du mythe américain, la revanche d'une nature prête à reprendre bientôt ses droits sur une civilisation en pleine nécrose. La soirée dansante dans les étages de l'hôtel de luxe dont les sous-sols sont envahis par le débordement des égouts n'évoque-t-elle pas l'inconscience précédant le naufrage du Titanic ? Seul John l'Enfer, Indien ayant conservé la capacité d'observation de son peuple si mis à mal par l'Amérique moderne, se montre clairvoyant et capable d'agir. 

Si sa lecture m'a semblé partiellement pénible, le roman est indéniablement de grande facture et j'ai tourné la dernière page à nouveau impressionnée par la maîtrise d'écriture, et notamment par la qualité des excipits, de Didier Decoin. 
Le livre prend une certaine résonance prophétique, lorsqu'à travers le New York de John l'Enfer, l'on se prend à imaginer notre monde au bord de l'implosion, d'une part incapable de modifier sa trajectoire malgré son impact environnemental, d'autre part laissant pour compte une partie de l'humanité, parfois en perte de repères et de valeurs. Nul doute que la nature aura de toute façon le dernier mot, reprenant parfois violemment ses droits au prix de catastrophes humaines de plus en plus plausibles. "John a toujours su que le béton n'aurait pas le dernier mot, que le temps viendrait qui relancerait la croissance des forêts sur ce périmètre de Greenwich Village, autrefois territoire de la tribu indienne des Sapokanikan. (...) S'il collait son oreille dans la poussière, le Cheyenne entendrait sous les massifs de Washington Square le souffle des eaux souterraines ébranlant les fondations de la ville à la manière d'une sève puissante. Parce qu'il y avait des rivières, ici ; des rivières et des forêts ; et ça revient du fond des temps, ça patiente, et ça s'empare - à la fin". 

En lisant John l'Enfer, force est également de faire un lien avec un précédent roman de Didier Decoin : dans Abraham de Brooklyn, New York est en pleine construction. Là aussi, le héros souffre dans une ville méphitique et inhumaine, qu'il finit par fuir pour chercher un salut au sein des espaces alors vierges et "naturels" de l'Ouest américain.
Au final, un livre moins facile d'accès que les autres du même auteur, qui, s'il m'a semblé moins agréable à lire, n'en est pas moins intéressant et talentueux. Sans doute pourrait-il avantageusement faire l'objet d'une adaptation au cinéma. (3/5)

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