mercredi 31 janvier 2024

Bilan de mes lectures - Janvier 2024

 

Coups de coeur : 

  
DALEY-WARD Yrsa : La vie précieuse
HASSAINE Lilia : Panorama 
JOLLIEN-FARDEL Sarah : Sa préférée
MERIWETHER Louise : Papa courait les paris




J'ai beaucoup aimé : 

 
FOENKINOS David : La vie heureuse
GIORDANO Paolo : Tasmania
MANOOK Ian : Ravage 
RENARD Alice : La colère et l'envie
SHALEV Zeruya : Stupeur 



 

J'ai aimé :

  
WHITEHEAD Colson : L'intuitionniste
ZENATTI Valérie : Qui-vive
 

  

mardi 30 janvier 2024

[Foenkinos, David] La vie heureuse

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La vie heureuse

Auteur : David FOENKINIS

Parution :  2024 (Gallimard)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

« Jamais aucune époque n’a autant été marquée par le désir de changer de vie. Nous voulons tous, à un moment de notre existence, être un autre. »

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

David Foenkinos est l’auteur de nombreux romans dont La délicatesse, Les souvenirs ou Le mystère HenriPick, tous trois adaptés au cinéma. Ses livres sont traduits en plus de quarante langues. Son roman Charlotte a reçu le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens 2014.

 

 

Avis :

Lui qui, victime d’une grave maladie cardiaque, a failli mourir à seize ans avant de renaître grâce à la chirurgie, le sait bien : rien de tel que la confrontation à la mort pour vous redonner comme jamais le goût de la vie. S’inspirant d’une pratique coréenne qui vous fait assister à la simulation de vos propres funérailles pour mieux vous sortir de la dépression, l’auteur a imaginé la renaissance d’un homme après cette expérience.

Lorsqu’une ancienne camarade d’école lui propose de la rejoindre pour l’épauler dans ses fonctions de directrice de cabinet du secrétaire d’État au Commerce extérieur, Eric Kherson qui, sans vraiment se l’avouer, se sentait tourner en rond entre son poste de cadre dirigeant chez Decathlon et sa vie solitaire de père divorcé très peu investi, est le premier étonné de son empressement à sauter sur l’occasion. Grand bosseur et bien vite le bras droit de cette femme ambitieuse, le voilà qui l’accompagne en Corée pour convaincre les dirigeants de Samsung d’implanter une usine de trottinettes en France. C’est là, à Séoul, que tout bascule, quand Eric découvre par hasard cette pratique thérapeutique inventée ici pour endiguer un taux record de dépression et de suicide : assister à ses propres funérailles et ressentir la mort enfermé dans un cercueil, tout cela pour se sentir ensuite plus vivant et trouver la motivation de réorganiser sa vie.

Electrifié par la course en avant de personnages si bien occupés à leur réussite sociale qu’ils finissent par réduire leur vie à sa façade sur Instagram sans réaliser le vide affectif et familial qui s’est creusé autour d’eux, le récit atteint son point culminant en son mitan, dans un beau morceau de tension narrative, avant de dévaler la pente d’un second versant qui pourrait être celui de la dégringolade ou de la reconstruction. En ce moment de remise en question, c’est toute la vie d’Eric qui se retrouve en balance. Pour se réinventer, il lui faudra régler de vieux comptes avec lui-même et se libérer d’une culpabilité remontant à l’enfance, qui le freine et l’empoisonne insidieusement. Si la satire se fait alors gentil conte tendance feel good, pour le plus grand triomphe des bons sentiments, cela n'occulte pas l'intérêt global de la réflexion proposée.

Face à la tyrannie des injonctions sociales et à rebours de la vanité des apparences, est-il possible de changer d’état d’esprit pour une vie plus heureuse et équilibrée ? Il semble que ce soit le rappel de notre finitude qui soit le plus à même de nous convaincre de l’urgence de la joie et du bonheur : à appréhender sa mort, l’on n’a que plus envie de profiter de sa vie. Un roman doux-amer, où l’on retrouve avec plaisir l'incomparable sens de la formule de David Foenkinos. (4/5)

 

 

Citations :

La relation avec son fils était bien trop épisodique ; parfois, il lui semblait manquer des étapes de son évolution, un peu comme on ne saisirait pas vraiment le sens d’un roman dont on sauterait trop de pages.


Happy Life était l’un de ces centres qui organisent de faux enterrements. C’était un véritable phénomène ici. En approfondissant plus tard le sujet, Éric comprendrait le pourquoi de cet engouement. La Corée du Sud avait, cette année-là, le quatrième taux de suicide le plus élevé au monde. Outre la pression ininterrompue que subissait une partie de la population, on constatait une recrudescence particulière des drames chez les jeunes de dix-huit ans à trente-quatre ans. La peur de l’avenir se faisait de plus en plus oppressante, renforcée par une dangereuse soumission à la réussite, et une humiliation en cas d’échec. Cette société largement fondée sur l’apparence (tant de jeunes femmes se faisaient faire le même visage, dans le souci de ne pas déroger à des canons de beauté standardisés) laissait de côté ceux qui ne parvenaient à atteindre ce qui était considéré comme le succès. C’était sur ce terreau fertile que prospérait Happy Life, tentative presque mystique de fournir un antidote au désespoir. Le concept reposait sur une constatation simple : être confronté à la mort pouvait vous permettre de retrouver le goût de la vie.


Il y a une nette différence entre le fait d’avoir conscience de la mort et le fait de (presque) la vivre. Ceux qui ont frôlé la mort connaissent souvent ce sentiment. Ils reviennent à la vie, transfigurés. Rescapés de cette proximité avec le définitif, ils deviennent bien plus forts d’avoir été ainsi fragiles. La plupart du temps, ils réapparaissent avec une sensibilité plus grande. De nombreux artistes sont ainsi des survivants. Éric ressentirait cela. Non seulement, il aurait envie de vivre, enfin, mais il aurait dorénavant besoin d’aller vers la beauté.


Éric avait été marqué par la phrase inaugurale de La Mort à Venise : « Celui qui contemple la beauté est déjà prédestiné à la mort. » Le héros, face à un jeune homme qu’il trouve sublime et divin, est comme condamné par sa fascination. Après une telle extase, plus rien ne peut exister. La mort et la beauté ne cessent de se répondre. Le slogan de Lycoris aurait pu être l’exact opposé : « Celui qui contemple la mort est déjà prédestiné à la beauté. »


Il arrive qu’on se quitte tout comme on meurt paisiblement en plein sommeil.


Parler d’un roman alors qu’on l’écrit, c’est comme ouvrir la fenêtre ; on prend le risque que les idées s’échappent.


Un jour, on sera surpris que quelqu’un ne soit pas écrivain, déclara-t-il. On s’exclamera : “Quoi ?? Il n’écrit pas ??!”

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

dimanche 28 janvier 2024

[Hassaine, Lilia] Panorama

 



 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Panorama

Auteur : Lilia HASSAINE

Parution :  2023 (Gallimard)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

« C’était il y a tout juste un an.
Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais.
On m’a chargée de l’enquête, et ce que j’ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s’agissait pas d’un simple fait-divers, mais d’un drame attendu, d’un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie. »

Hélène, ex-commissaire de police, reprend du service pour retrouver un couple et leur petit garçon, Milo. Elle rencontre les dernières personnes à avoir été en contact avec eux. Depuis que la France a basculé dans l’ère de la Transparence, ces hommes et ces femmes vivent dans un monde harmonieux, libéré du mal, où chacun évolue sous le regard protecteur de ses voisins. Mais au cours de son enquête, Hélène va dévoiler une vérité aussi surprenante que terrifiante.
À travers cette contre-utopie, c’est le monde d’aujourd’hui que l’auteur interroge. Ce roman haletant montre des êtres en proie à leurs pulsions et à leurs fêlures derrière leur apparente perfection.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Lilia Hassaine a trente et un ans. Elle a déjà publié aux Éditions Gallimard L’œil du paon (2019, Trophée Folio - Elle) et Soleil amer (2021).

 

 

Avis :

Extrapolant à l’extrême nos tendances contemporaines, Lilia Hassaine imagine une crédible contre-utopie, où la dictature de l’ultra-transparence aboutit au triomphe de l’hypocrisie dans une société retranchée derrière les apparences.

Nous sommes en 2049. Depuis que, vingt ans plus tôt, la « Revenge Week » – semaine de la vengeance – a tourné à la révolution sanglante lorsque les victimes de harcèlement, de crimes familiaux et de délits écologiques ont entrepris de se faire justice dans la violence, et que, pour apaiser le pays, le gouvernement a adopté une nouvelle Constitution, la France métamorphosée vit sous le règne de la Transparence, un « pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle ». Ceux qui le désirent – précisons : et qui en ont les moyens – peuvent vivre en totale sécurité dans des quartiers transparents, constitués d’habitations de verre qui les livrent au regard bienveillant et protecteur d’autrui. Les autres sont libres de s’entasser en marge, à leurs risques et périls, dans des zones de non-droit – devenues, il faut le dire, de plus en plus défavorisées au fil du temps.

C’est dans l’un de ces quartiers de verre, où ni secrets ni criminalité n’existent plus, qu’à la stupéfaction générale, une famille s’évapore au nez et à la barbe de tous. Ravie de reprendre du service alors qu’elle n’était plus depuis longtemps qu’une « gardienne de protection », une ex-commissaire est chargée d’enquêter. Car, crime il y a bien eu. Et, malgré les déboires de sa propre vie privée et, bientôt, les pressions dans cette société boule de verre propice aux effets de loupe, il va lui falloir faire la part des mensonges et des hypocrisies pour mettre au jour les vérités sordides camouflées sous la perfection affichée.

Captivé par le suspense et par l’original – mais jamais invraisemblable – imaginaire de ce récit habilement construit, dans une langue vive et élégante, entre fable et polar, l’on se retrouve face au miroir, pas si déformant, qu’avec une lucidité critique, l’auteur tend à la société d’aujourd’hui. Montée des populismes, libertés sacrifiées aux obsessions sécuritaires, confusion entre opinion et justice. Vies privées mises en vitrine sur des réseaux sociaux favorisant par ailleurs l’isolement, le conformisme et l’emballement émotionnel au détriment de la réflexion. Vie liquide de l’éphémère et de l’immédiateté, mirage et dictature des apparences dans un monde où tout le monde surveille tout le monde, se compare, aime ou déteste en stigmatisant la différence. Nettoyage des textes de tout ce qui peut paraître incorrect, wokisme : autant de glissements actuels de la société qu’il suffit juste à l’auteur de prolonger pour nous présenter une vision de cauchemar dont il faut bien reconnaître qu’elle paraît à peine dystopique.

C’est un panorama bien inquiétant que nous présente ce roman d’anticipation auquel on n’a aucun mal à croire, tant il reflète de vérités sur les tendances de la société contemporaine. Plus encore qu’une dystopie originale et un polar addictif, ce troisième livre de Lilia Hassaine est un puissant roman social, riche de sens et fort habilement construit. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Aujourd’hui elle a seize ans (...). Pour elle, l’amour est un projet. Pour moi, je le sais désormais, l’amour est une fugue. Au sens musical. Les voix s’accordent un court instant, mélodieuses, puis se séparent, en contrepoint. Je n’ai jamais autant aimé mon mari qu’en son absence. Sa liberté, c’était mon pays imaginaire, celui de mes élucubrations et de mes angoisses. Je l’aimais parce qu’il n’existait pas. Je l’aimais parce que je pouvais le réinventer sans cesse, à chaque printemps de mes journées, le convoquer dans mes songes, le parer de toutes sortes de mystères. Je l’aimais parce que je l’attendais.


Ma fille est une professionnelle du spectacle, et le spectacle, c’est elle. Si elle le pouvait, elle se promènerait avec un lampadaire au-dessus de la tête pour être toujours éclairée à son avantage. Je dois vous paraître rétrograde, mais je suis consciente que ce mouvement a démarré il y a longtemps déjà, quand chaque photo Instagram était une fenêtre sur nos vies. On dévoilait nos intérieurs, nos corps et nos opinions. Très vite, la discrétion a eu l’air d’une affreuse prétention. Refuser de montrer, c’était dissimuler.
Dans la sphère professionnelle, beaucoup d’entreprises avaient déjà aboli les murs. Un être humain isolé dans un bureau représentait un risque : et s’il ne travaillait plus ? Et s’il passait son temps à gérer ses affaires personnelles, ou à jouer à des jeux en ligne ? En abattant les cloisons, les patrons faisaient des économies de surface, mais ils pouvaient surtout savoir qui arrivait à quelle heure, s’assurer que tout le monde était bien occupé à sa tâche et s’éviter deux ou trois affaires de mœurs au passage. Tout cela était présenté comme un gain de convivialité. On est tous ensemble, on est une équipe. La convivialité consistait donc à entendre les conversations téléphoniques de Clara, à subir les bruits de bouche de Michel et à voir Sylvain s’éclipser tous les jours à 11 heures aux toilettes. La société a pris le même chemin. Elle s’est muée en un gigantesque open space.
Les réseaux sociaux ont connu leur apogée au moment de la révolte de 2029. L’avenir était alors au métavers, on nous promettait que l’homme du futur s’échapperait du monde matériel grâce à des casques de réalité virtuelle. Personne n’avait anticipé le scénario inverse : une société où, sans casque ni lunettes connectés, on jouerait chaque jour à être l’avatar de soi-même.


La maison est spartiate. Un vieux frigo, pas de table basse, pas de vitrécran ni de télévision, des fauteuils en cuir craquelé, patiné, une bibliothèque dont je ne peux décrocher mon regard. En ville, elles ont peu à peu disparu des intérieurs. On préfère désormais les tablettes numériques, plus légères, plus pratiques. Surtout, elles permettent de lire la dernière version en date d’un ouvrage : depuis que les auteurs peuvent retoucher leur texte après publication, le livre n’est plus cet objet poussiéreux, figé dans le passé, il évolue, s’adapte à l’époque. Les maisons d’édition ont même recruté des modérateurs professionnels, chargés de retravailler et de nettoyer certains passages à la place de l’auteur. Trois versions d’un même ouvrage (une version brute, pour les universitaires, une version abrégée, pour les impatients, et une version normalisée, pour les plus sensibles) sont aujourd’hui disponibles grâce aux nouvelles tablettes.


Je sais que ce soir David sera là et qu’il fera comme si de rien n’était. Je sais aussi que je ferai comme lui. Je sais le mensonge de nos existences, l’image qu’on veut donner, parce que vivre en dehors du bonheur, c’est déjà être déclassé.
 
 
Moi-même, j’y croyais, je regardais ces photos [influenceuses] avec une pointe de jalousie et pas mal d’envie, ça avait l’air si simple, le bonheur, il suffisait d’aller à l’hôtel Machin, de manger dans tel restaurant, d’acheter telle crème, telle fringue, de payer tel coach, à grand renfort de codes promotionnels. Je regardais la vie des autres défiler et j’en oubliais la mienne, que je trouvais sans intérêt. Je ne pouvais ni consommer, ni même devenir un produit de consommation, comme certaines de mes amies aux parents permissifs. Elles se filmaient dans leur intimité, et plus c’était intime, plus l’algorithme les encourageait à recommencer. Plus elles dévoilaient de morceaux de peau, plus elles devenaient visibles, et plus elles étaient récompensées. Le like est l’équivalent numérique de la croquette pour chiens, me répétait mon père, professeur de philosophie au crâne dégarni. Il m’interdisait tout ça. Je vivais seule avec lui, dans un lotissement pavillonnaire, et je m’ennuyais à en crever. Il me disait : Prends un livre comme il m’aurait dit : Prends un médicament, et il s’imaginait que j’allais l’écouter.
J’avais aimé les livres. Le problème n’était pas que je ne les aimais plus, mais que je ne savais plus comment les faire fonctionner. Il n’y avait pas de bouton latéral, pas de mode veille. Et, même quand je parvenais à me concentrer pendant deux ou trois pages, je sentais mon cœur palpiter d’agacement, les phrases étaient trop longues, trop bavardes, elles ne s’adressaient pas à moi, c’était à moi de faire l’effort de les lire et de les comprendre. Mon smartphone était bien plus puissant, il ne me demandait rien, il anticipait mes désirs, et tout semblait gratuit. Plus tard, j’ai compris qu’il se nourrissait de mon ennui et que j’avais payé tous ces gens de mon temps. J’avais cru les belles parleuses, celles qui se piquaient de sororité et de bienveillance alors qu’elles s’enrichissaient sur le dos de mes complexes d’adolescente.


Je me suis souvent demandé à partir de quel âge on devenait vieux. Peut-être est-ce à partir du jour où l’on met en terre l’un des siens. On peut devenir vieux très jeune. À la mort de mon père, je n’avais que dix-neuf ans. J’ai dépassé cette année l’âge qu’il avait quand il m’a quittée. Ça non plus, on n’y est pas préparé. Les morts ont pour toujours l’âge qu’ils avaient au moment de mourir.


Les enfants ont disparu des rues, ils ne jouent plus au ballon et passent leurs journées avec des casques de réalité virtuelle vissés sur le crâne. Ils partent en vacances dans des paysages éphémères et construisent des châteaux de sable sur des plages virtuelles face à des océans artificiels. Quand ils retirent leurs casques, leurs parents ne leur semblent pas plus réels. Ils ont tout fait pour incarner ce qu’ils rêvaient d’être, physiquement et professionnellement, devenant peu à peu leurs propres avatars. Soyez vous-même en mieux, promet la publicité de la clinique Élite, à Chareau, spécialiste du ravalement esthétique.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

vendredi 26 janvier 2024

[Ifrim, Clelia] Les godillots de ma mère

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les godillots de ma mère
            (Ghetele mamei)

Auteur : Clelia IFRIM

Traduction : Gabrielle DANOUX

Parution : en roumain en 2019,
                   en français en
2024 (Nombre 7)

Pages : 92

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Le chemin escarpé parcouru par ces godillots mémorables traverse le village.

Un oiseau dans chaque humain. L’ange qui porte les godillots de ma mère fut lui aussi autrefois une grue cendrée. Je le connais depuis l’enfance quand je jouais avec lui. Revenu rendre visite à sa famille, il me raconte des histoires vraies. Lorsqu’ils font de longs voyages, les oiseaux migrateurs emportent dans leur bec un morceau de bois. Au-dessus de l’immense océan, ils éprouvent de la fatigue et ne peuvent plus voler, ils laissent alors le morceau de bois tomber et s’assoient sur ce petit radeau pour la suite du voyage. Je sais par l’ange-grue cendrée, que ceux qui atteignent le rivage entrent dans le monde en tant qu’humains.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur et la traductrice : 

Clelia Ifrim est née à Bucarest, où elle vit toujours. Elle est membre de l’Union des écrivains de Roumanie (USR), de l’Association internationale des écrivains et artistes (IWA) des États-Unis, de l’Association universelle des poètes japonais (JUNPA), membre honoraire à vie de la Fondation culturelle libanaise Naji Naaman. Trois de ses recueils de poésie ont été traduits en japonais par Mariko Sumikura et publiés par JUNPA Books au Japon. Deux de ses poèmes ont été sélectionnés par la JAXA — l’agence spatiale japonaise — et déposés sur le module spatial Kibo de la Station spatiale internationale.
 
Gabrielle Danoux est née en 1975 à Bucarest. Après un baccalauréat littéraire au Lycée français de Bucarest, hypokhâgne à Strasbourg, une licence de lettres et une maîtrise de droit, elle devient juriste et traductrice d’entreprise. Depuis 2017, elle exerce exclusivement l’activité de traductrice littéraire, avec déjà de nombreux romans et recueils de poésie à son actif.

 

 

Avis :

Reconnue bien au-delà des frontières roumaines, notamment au Liban, aux Etats-Unis et au Japon, mais aussi dans l’espace puisque deux de ses poèmes ont été déposés sur un module de la Station spatiale internationale, l'oeuvre poétique de Clelia Ifrim pénètre pour la seconde fois la sphère francophone grâce à la traduction par Gabrielle Danoux de ce nouvel ouvrage.

Une flopée d’oiseaux, un parfum de lavande et de fleur d’oranger, et la lumière aveuglante du soleil sur les toits gris aluminium... Une mémoire sensorielle, volatile mais tenace, investit de ses fantômes les fragments délicats de ce recueil de poèmes. Des détails reviennent par flashes, en impressions fugaces nuancées de variantes, et ces infimes touches superposées suggèrent peu à peu les contours d’une ancienne vie champêtre, celle de l’enfance de l’auteur dans un village de Roumanie. 

Comme au travers d’un rideau que la brise du temps agiterait faiblement, suffisamment pour dévoiler quelques trouées changeantes de souvenirs, l’on saisit ainsi par bribes un tableau qui, à première vue bucolique et paisible, s’avère traversé de craquelures tenant chacune en à peine quelques mots. Malgré les cieux étoilés, les champs de fleurs et la soie des maïs, l’on perçoit que la vie est dure, plutôt misérable et pleine de drames silencieux. On y trompe sa faim par une gorgée d’eau. Lorsque sa mère ne travaille pas, la fille est heureuse de lui emprunter ses godillots usés pour se rendre à l’école. Le père ouvrier soudeur soigne ses yeux enflammés avec des rondelles de pommes de terre. Des hommes s’échinent aux côtés de chevaux aveugles dans une mine de sel. Une grenade oubliée de la guerre emporte une enfant, la tante de l’auteur, dans l’explosion d’une fleur de sang. Pourtant, nulle désolation n’imprègne ces pages, au contraire lumineuses, aussi bien de délicatesse et de tendresse filiale que de finesse et de joliesse d’expression. Sous les mots se creuse l’empreinte d’un monde disparu, restée au plus profond de la sensibilité de l’écrivain, et qui, nimbée de mystère par d’abyssales ellipses poétiques, vient à la rencontre de l’émotion du lecteur.

Un bien joli recueil, sur lequel l’on revient encore et encore après l’avoir parcouru, tant il recèle de sens et d’émotions entre les mots. (4/5)

 

 

Citations :

 L’oiseau de pluie est né
de la cuisse de l’éclair.
Une seconde plus tard :
Que des cendres.
Une seconde plus tôt :
Qu’un chiffon de feu.
Je me rends en périphérie de la ville,
Près de l’eau où j’ai grandi.
J’y ai vu plusieurs fois,
L’homme-éclair
Laver son corps près du pont.
Un millier d’oiseaux propulsés par sa cuisse
Commençait à gazouiller.
C’était le début de la pluie printanière.



J’ouvre toutes les fenêtres.
La fureur de la ville, le bruit mécanique,
Jusqu’à la fenêtre -
Impossible d’aller plus loin.
Ne peut pas entrer dans la pièce.
Les fenêtres sont vivantes.
Elles ont des épées à portée de main.
Les anges des fenêtres
Sont identiques à ceux
De la Porte du Paradis.


 

mercredi 24 janvier 2024

[Renard, Alice] La colère et l'envie

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La colère et l'envie

Auteur : Alice RENARD

Parution : 2023 (Héloïse d'Ormesson)

Pages : 160

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Isor n’est pas comme les autres. Une existence en huis clos s’est construite autour de cette petite fille mutique rejetant les normes. Puis un jour, elle rencontre Lucien, un voisin septuagénaire. Entre ces âmes farouches, l’alchimie opère immédiatement. Quelques années plus tard, lorsqu’un accident vient bouleverser la vie qu’ils s’étaient inventée, Isor s’enfuit. En chemin, elle va enfin rencontrer un monde assez vaste pour elle.

La Colère et l’Envie est le portrait d’une enfant qui n’entre pas dans les cases. C’est une histoire d’amour éruptive, d’émancipation et de réconciliation. Alice Renard impose une voix d’une incroyable maturité ; sa plume maîtrisée sculpte le silence et nous éblouit.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Née à Paris en 2002, Alice Renard est diplômée en littérature médiévale à la Sorbonne. Révélée précoce à l’âge de six ans, la question de la neurodiversité et de l’hypersensibilité l’ont toujours passionnée. La Colère et l’Envie est son premier roman.

 

Avis :  

Isor n’a jamais été une enfant comme les autres. Mutique, ne semblant s’intéresser au monde que de manière purement sensorielle, régulièrement en proie à de sauvages et dévastatrices crises de violence mais ne cochant les cases d’aucun diagnostic médical, elle n’a jamais été scolarisée et vit recluse auprès de ses parents désemparés, dans un appartement qu’il leur a fallu quasiment capitonner et que leur entourage a fui depuis longtemps. Un praticien a avancé l’idée que, loin d’être idiote et infirme, elle pourrait, si elle voulait. Elle pourrait, mais elle ne veut pas…

Alors, leur vie avance, chaotique et infernale, comme nous la laisse percevoir, dans la première partie du récit, la solitaire alternance des apartés du père et de la mère. Entre la rage et la révolte chez l’un, l’amour qui étouffe de la frustration de ne pas comprendre chez l’autre, c’est par le regard d’autrui et par le constat désespéré de tout ce qu’elle n’est pas et qui la rend si insupportablement insaisissable et étrangère, en un mot inadaptée, qu’à treize ans, se dessine en creux une Isor toute d’« anormalité ». Jusqu’au jour où un incident oblige les parents à solliciter l’aide de leur voisin, un septuagénaire depuis longtemps résigné à la tristesse de sa solitude. A travers sa voix à lui, stupéfaite et bientôt comblée qu’un être puisse, contre toute attente, dégeler son coeur perclus de manque et de chagrin, émerge peu à peu de sa gangue d’opacité une Isor insoupçonnée. Qu’a donc décelé l’adolescente si instinctive, qui, chez ce vieil homme mis au rebut du monde, lui a soudain donné envie d’abattre les murs qui l’enserraient dans son inextricable intériorité ? Ne manquera plus à sa métamorphose que le dernier déclic, celui du grand âge et de la maladie de son ami, pour que la jeune fille brise définitivement ses entraves et trouve la motivation de vivre, enfin, ailleurs qu’en elle-même.
 
Diagnostiquée surdouée à l’âge de six ans, Alice Renard déclare dans une interview avoir mis beaucoup d’elle-même dans son personnage d’Isor. « C’est comme une version de moi, poussée à l'extrême, qui m'a permis de faire une catharsis. » En tous les cas, si exagération il y a, l’on n’y verra nullement l’une de ces narrations doucereusement miraculeuses, si irritantes au regard de l’immense majorité des handicaps « ordinaires » oubliés dans leur néant. Alice Renard écrit du plus profond d’elle-même et son récit a les justes accents de l’honnêteté et de la sincérité. Une justesse sans faille accompagne sa restitution des regards sur cette enfant différente que les médecins ne savent classer ni ses parents réconcilier avec une existence « vivable ». Isor ne répond à aucune attente, ne se plie à aucune règle et, au risque de passer pour déficiente, semble décidée à ne jamais intégrer un monde trop en décalage avec son univers intérieur. Son absence irradie pourtant la présence, et toute sa façon d’être, entière, libre, animale, débordant d’émotions non contenues toujours prêtes à exploser aux points de friction avec le monde extérieur, peut apparaître, soit totalement incompréhensible et ingérable, soit d’une incomparable intensité, brutale, sans concession, mais toujours on ne peut plus authentique. « Isor peut être très différente d’un jour à l’autre, mais elle reste toujours elle-même, sincère, incapable de tricher. Elle ne peut pas se contenir à une seule personne, à une seule apparence. Elle est plusieurs, elle est trop vaste. C’est sa manière à elle de saisir le monde du mieux qu’elle peut. »  
 
Premier roman très maîtrisé d’une toute jeune auteur de vingt-et-un ans que sa propre expérience a menée à s’intéresser de près à la neurodiversité et à l’hypersensibilité, L’envie et la colère n’est que justesse et poésie dans sa manière d’évoquer la difficulté à être au monde de ceux que leurs particularités neurologiques font dévier des normes sociétales. Un livre bouleversant, prix Méduse 2023. (4/5)

 

Citations : 

mère
Isor adore ranger les choses. Le mot peut étonner car, en réalité, les pièces, après son passage, semblent plutôt avoir été dévastées par un ouragan. Il suffit de la laisser un petit quart d’heure quelque part pour que tout soit chamboulé, du tapis aux tableaux.
père
Nous n’emmenons plus jamais Isor chez nos amis (d’ailleurs, plus aucun ami ne nous invite). Et dans la maison tout a été repensé en fonction d’elle, pour qu’elle ne puisse rien abîmer, ni se faire mal.


Dans le salon, on a fini par coller certains vases sur les étagères, clouer les tapis et poser des verrous aux tiroirs de la cuisine. On essaye aussi d’acheter le maximum d’objets en mousse ou en gomme. On a également fait retirer les clenches des portes pour ne pas qu’elle s’enferme, et, comme on a abandonné l’idée de la faire dormir dans un lit, on a entièrement couvert le sol de sa chambre de matelas.


Les signes de l’affection d’Isor sont souvent illisibles. Le fait-elle exprès ? Les moyens qu’elle choisit pour nous dire qu’elle nous aime sont généralement à double tranchant, brutaux. À l’image de ce qu’elle pense de nous ? J’ai parfois l’impression qu’elle nous en veut : de ne rien pouvoir partager, de ne pas vivre dans le même présent qu’elle. Sait-elle qu’au fond de moi je ressens exactement la même chose, que je lui en veux d’être une étrangère ? De ne pas être moi, comme moi ? Nous en veut-elle autant que moi je lui veux ? Y a-t-il tout de même en elle de la reconnaissance pour tout ce que nous mettons en œuvre ? Pour notre patience, pour notre capacité d’acceptation ? Un minimum de reconnaissance pour le sacrifice (ce mot pèse si lourd en moi certains jours) que nous faisons de nous-mêmes ? Ou voit-elle notre abnégation comme une chose naturelle, évidente, nécessaire ?
Il me semble que rien n’est prévu en nous pour ressentir ce qu’Isor voudrait que l’on ressente pour elle.


J’ai tout de suite rangé au grenier son étrange présent [nid d’oiseau]. Dans notre grenier (à défaut d’avoir une cave, pour les y piétiner symboliquement) s’entasse ce que Camillio et moi voulons oublier : les dossiers médicaux, et tous ces bouts de passé, comme ce nid, dont nous voudrions qu’ils n’aient jamais existé.


Isor a tracé ce cercle autour de nous (involontairement ?). À l’intérieur elle a tressé ce qui était naturel avec ce qui était inouï, ce qu’il fallait faire avec ce qu’il ne fallait pas faire, elle a bouleversé la norme et l’évidence en les faisant glisser vers son invraisemblance et son improbable à elle. Elle a commencé à nous faire vivre là-dedans en nous faisant digérer ses évidences. En nous soustrayant au réel.
Il y a des jours où je le vis comme une prise d’otage.

 

Le rythme auquel elles surviennent est irrégulier. On a cru, en treize ans, à des accalmies, à des aggravations. Mais en réalité, non, c’est imprévisible. Qu’est-ce qui les déclenche ? Rien n’est sûr, on a mis du temps à faire des conjectures. On a fini par vaguement saisir que c’était une forme de fatigue. À lutter contre un monde trop grand, trop violent. Il est alors trop difficile d’être elle, d’être Isor, de canaliser toutes les émotions qui l’habitent. Ou comme si elle ne savait plus lire ce qu’elle ressentait, comme si tout se brouillait, comme des ondes radio qu’on ne capte plus, entre deux stations, quand on entend à la fois l’une et l’autre, mélangées, interférées. Dans ces instants-là, elle se déborde, et elle explose. C’est toujours soudain. Un trop-plein. Un afflux de sensations qui la décollent d’elle-même.


Si tu savais, mon Isor ! Je ne suis qu’un petit homme tout cassé. L’organe qui sécrète la joie (car il y en a forcément un, non ?) a cessé de fonctionner en moi il y a bien longtemps. Seul, je n’ai plus la capacité de me réjouir. Et lorsque je n’ai pas le courage de me trouver des distractions, je suis forcé à de longs tête-à-tête avec ma tristesse. Je commence à bien la connaître. On en a passé des heures, elle et moi. Puisqu’il n’y a plus qu’elle qui me visite encore. Nous nous confondons, je suis devenu un homme triste sans m’en rendre compte. Les regrets, la douleur, je ne sais pas comment, mais j’ai réussi à les faire taire. La tristesse, jamais. Tout s’est anesthésié en elle. Tu sais, mon Isor, un jour la vie vous fait une crasse comme il n’est pas permis, et quelque chose en vous ne se répare jamais – ça ne sert même à rien d’essayer. Et on se laisse redéfinir, comme de la pâte à modeler. D’intrépide, vous devenez flegmatique, de solide, vous êtes désormais un peu las. C’est ainsi.
Toi, tu as de la joie pour trente. À défaut de produire la mienne, je peux au moins siroter celle qui s’écoule de toi.
Mais voilà que, pourtant, j’en arrive à espérer qu’un jour tu saches réparer ma joie.


L’autre jour, au moment de me réveiller de ma sieste, j’ai eu comme un flash. Je me suis vu non seulement nu mais écorché, marchant bras ouverts dans un paysage de sel. Je n’ai aucun doute sur ce que cette vision signifie. Qu’il faut que je me protège un peu de toute cette affection qui m’envahit. Je ne pardonne pas tout à fait à Isor, malgré ce que j’en pense. Elle ne sait pas ce qu’aimer veut dire, accaparée comme elle l’est par son sentiment, tout neuf. Moi, je sais ce que perdre implique, et je veux ne jamais avoir à le revivre. Jamais. À son âge, on dit merde aux risques, merde aux conséquences. Au mien, on prend toutes les précautions du monde. Dans une vie on n’a qu’un stock limité de patience et d’endurance. Je l’ai dit, je sais qu’il m’en reste très peu, et j’économise. Je ne saurais faire face à une perte de plus. Elle, elle est encore à l’âge où l’on se remet de n’importe quoi, où l’on encaisse les coups. J’ai peur d’une catastrophe – c’est dans ma nature. Il ne faudra plus jamais m’abandonner… (Je crois que je pourrais en pleurer.) Il est vrai, comme le notait Sénèque, que les vieillards sont pareils aux petits enfants, pleins de peurs imaginaires et d’impatience.


C’est fou comme on peut se tromper sur un nombre incalculable de sujets. Chaque certitude est une erreur en puissance. 


L’amour a sa grammaire. Et comme dans toutes les langues, sans la pratiquer, on la perd. Au fil des mois, j’ai réappris l’Absence, l’Attente, le Comblement, la Dépendance, la Fête, l’Impatience, la Jalousie, le Rêve et la Rêverie, le Ravissement, le Rendez-vous, la Solitude et le Souvenir. Tout un abécédaire que je potasse studieusement. J’aime être cet écolier des sentiments.
Dis, dis, mon Isor, reviendras-tu demain après-midi ?


 

lundi 22 janvier 2024

[Rolin, Olivier] Jusqu'à ce que mort s'ensuive

 






J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Jusqu'à ce que mort s'ensuive

Auteur : Olivier ROLIN

Parution :  2024 (Gallimard)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Ceux devant qui se sont dressés, sous l’éclatant ciel bleu de juin, ces deux effrayants chefs-d’œuvre de la guerre civile, ne les oublieront jamais » : Victor Hugo, dans un chapitre des Misérables, évoque ainsi les deux plus formidables barricades de l’insurrection parisienne de juin 1848, dont il fut un témoin et même un acteur. À la tête de l’une un « gamin tragique », ouvrier mécanicien, derrière l’autre un géant truculent, ex-officier de marine.
Emmanuel Barthélemy, l’ouvrier, et Frédéric Cournet, le marin, ne sont pas des personnages de fiction, ils ont réellement existé. Ils ont beau se battre du même côté en ces jours de sang, ils vont devenir des ennemis mortels. Hugo résume leur destinée furieusement romanesque en quelques lignes qui m’ont donné envie de reconstituer du début jusqu’à la fin, de Paris à Londres, l’histoire croisée de ces deux figures oubliées des révolutions du dix-neuvième siècle. On y voit des barricades, le bagne, des évasions, un coup d’État, un duel à mort, plusieurs meurtres, le gibet, et des comparses comme Karl Marx et Napoléon III. Et Hugo lui-même, excusez du peu.
C’est ce livre.

 

 

Un mot sur l'auteur : 

Né en 1947, Olivier Rolin a obtenu le prix Femina pour Port-Soudan en 1994, le prix France Culture pour Tigre en papier en 2003 et le prix du Style pour Le Météorologue en 2014. Il a reçu en 2010 le grand prix de littérature Paul Morand de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.

 

 

Avis :

Intrigué par un court passage digressif des Misérables, Olivier Rolin a entrepris une enquête remarquable, qu’il qualifie humblement de « note en bas de page » du célèbre ouvrage. « Les livres servent à en susciter d’autres » écrit-il. Le sien est d’une précision chirurgicale, fruit d’une documentation titanesque, et nous plonge en plein souffle révolutionnaire au XIXe siècle.

Au début du cinquième tome des Misérables, celui où Gavroche tombe sous les balles des gardes nationaux, Victor Hugo fait une digression sur les « deux plus mémorables barricades » qu’ait connu l’histoire sociale, non pas pendant l’insurrection républicaine de 1832 qui sert de cadre à son roman, mais plus tard, lors de la révolte ouvrière de juin 1848, peu après la proclamation de la IIe République. Barrant l’entrée du faubourg Saint Antoine et l’approche du faubourg du Temple d’une hauteur atteignant de deux à trois étages, ces « Charybde » et « Scylla » furent édifiées par deux chefs révolutionnaires, selon Hugo des antithèses l’un de l’autre – l’herculéen et tonitruant Frédéric Cournet, ex-officier de marine, et le « maigre, chétif, pâle » ouvrier Emmanuel Barthélemy, « une espèce de gamin tragique » –, qui, proscrits à Londres, finirent par s’entretuer en duel trois ans plus tard. C’est en l’occurrence le malingre qui eut raison du colosse.

Olivier Rolin qui, ancien militant d’extrême gauche investi dans l’organisation de sabotages, enlèvements et intimidations dans les années 1970, a écrit depuis sur la perte et la nostalgie de l’idéal révolutionnaire, était sans doute prédisposé comme personne à relever l’aparté de Victor Hugo et à s’intéresser de plus près à ces deux meneurs insurgés qui ont marqué le grand homme avant de tomber dans l’oubli. Son souci d’exactitude lui fait explorer d’une façon quasi maniaque la moindre trace, si ténue soit-elle. La littérature – Hugo, Balzac, Sue, Gauthier, Dickens et bien d’autres –, mais aussi la peinture, l’aident à superposer lieux et atmosphères d’alors à ceux et celles d’aujourd’hui. « La recherche de ces traces qui sont, avec la littérature, ce qui reste d’une ville disparue, est une activité d’essence mélancolique, mais qui ne va cependant pas sans une excitation d’autant plus grande qu’elles sont minuscules. » 
 
Parfois, les informations manquent, ou se contredisent, le génie hugolien n’étant pas le dernier à prendre des libertés avec les détails réels pour parfaire son matériau romanesque. Scrupuleuse, la narration annonce ses limites, avance ses hypothèses, avoue ses erreurs, le tout dans une reconstitution qui reste fluide, se teinte d’humour, et surtout réussit à redonner vie à ses deux personnages historiques, sans les dénaturer, avec une intensité d’autant plus impressionnante que les indices sont rares, disséminés, et que les réunir relève de l’exploit. Et puis, l’on sait depuis le début que ces deux-là vont en venir à la confrontation. Attendue dans un certain suspense, cette partie du récit, avec le duel, la fuite, d’autres coups de feu meurtriers, une arrestation mouvementée et une exécution capitale n’a rien à envier aux péripéties d’un polar, captivant, immersif, véridique.

C’est admiratif que l’on referme cet ouvrage intéressant, modestement construit avec les copeaux laissés par le temps à travers lieux et littérature, et qui parvient magistralement à faire revivre dans toute leur authenticité les figurants d’un grand roman classique. (4/5)

 

 

Citations :

Je n’ai jamais écrit un livre sans me demander, tout au long, pourquoi je l’entreprenais, si mes raisons étaient bien sérieuses – tout en sachant aussi qu’on peut écrire sans raison, parce que c’est comme ça –, et je ne vois pas pourquoi tenir secrètes, comme choses honteuses, ces interrogations. Eh bien il me semble qu’il y a d’abord, tout simplement, le caractère très romanesque de leurs destins croisés – c’est ce que j’ai dit d’emblée. Il y a ensuite l’espèce de griserie, pour ainsi dire entomologique, qu’on éprouve à grossir cent fois, mille fois, comme sous un microscope, la première image qu’on a d’eux – contenue ici dans une page à peine des Misérables, qui en comptent tant –, à découvrir une foule de choses insoupçonnées, inattendues, contraires souvent à l’image première, et qui font d’eux des personnages, et même des personnes. Et il y a enfin, je crois, et c’est sans doute la raison la plus profonde, donc la moins apparente au début, qu’on a avec eux, l’ouvrier Barthélemy et l’ex-officier Cournet, deux types absolument différents, mais qu’on rencontre toujours dans les grands tumultes révolutionnaires, qu’on peut distinguer en termes de classe, bien sûr, – le prolétaire et le bourgeois – mais aussi de façon plus existentielle : celui que des causes sociales, matérielles, obligent à vouloir la fin de l’ordre établi, passionnément mais aussi logiquement, dirait Rimbaud, et celui que le combat attire pour lui-même, avec tout ce qu’il entraîne d’oubli de soi, de fraternité rêvée, de vie dangereuse, de mépris et en même temps d’idéalisation de la mort – figures du militant et de l’aventurier, pour reprendre les mots de Sartre dans sa préface au Portrait de l’aventurier de Roger Stéphane, « qui s’affrontent, se connaissent et se reconnaissent, quelquefois s’allient et se combattent quelquefois ». Je crois que lorsque les jeunes gens de ma génération, la plupart, pas tous mais moi en tout cas, nous faisions nôtres les mots et souvent les actes de la révolution, c’est ce second modèle que nous poursuivions, sans nous l’avouer ni même le savoir.)
 
 
Paris, au milieu du dix-neuvième siècle, n’est pas la plus grande ville du monde ni la plus peuplée, avec son million d’habitants. Ce n’est pas la plus moderne, ce n’est pas celle de l’éclairage au gaz, ni des chemins de fer, ni des parcs urbains : tout ça, c’est Londres. Pour le Balzac de La Fille aux yeux d’or, c’est « la tête du globe, un cerveau qui crève de génie et conduit la civilisation humaine », « un sublime vaisseau chargé d’intelligence ». Si l’on en juge par les photos que Marville prit avant et pendant le grand ratiboisage haussmannien, c’est aussi, et plus prosaïquement, la ville des débits de boissons : incroyable le nombre d’écriteaux annonçant vins en bouteilles, commerce de vins, vins au litre, vins & liqueurs, vins en gros, vins en gros et en détail, et autres appels à la soif blasonnant en grandes lettres peintes les murs noirs de rues que creuse un caniveau central, où tombereaux brancards en l’air et fiacres attelés à de patients chevaux stationnent sur les pavés rebondis qui font au pied des maisons un maillage de lumière et d’ombre (quelquefois, sur une photo, une de la rue des Gravilliers par exemple, le temps de pose a fait d’un fiacre un fantôme, qui est comme le passé venant nous visiter en songe). Mais Paris, au milieu du dix-neuvième siècle, c’est surtout la capitale des insurrections et des barricades. Les barricades sont vraiment une spécialité parisienne. Dans aucune autre capitale d’Europe on ne dépave la rue pour attendre stoïquement, derrière ce rempart de fortune, les fusils du gouvernement. « Les 4 054 barricades des “Trois Glorieuses” comptaient 8 125 000 pavés », selon un texte cité par Walter Benjamin. Combien de dizaines de millions de pavés déchaussés et entassés fiévreusement, joyeusement, en travers des rues parisiennes, depuis les trois journées de juillet 1830 et leurs 4 054 barricades qui en finirent avec la monarchie absolue ? Il y a eu (au moins) le soulèvement de juin 1832 à l’occasion des obsèques du général Lamarque, qui est celui où meurt Gavroche, celui d’avril 1834 qui finit par le massacre de la rue Transnonain que lithographia Daumier, la tentative d’insurrection blanquiste de mai 1839, la révolution de février 1848 qui bazarda une fois pour toutes la royauté, fût-elle bourgeoise, les journées de Juin de la même année, et enfin les trois jours de la résistance au coup d’État du prince-président Louis Napoléon Bonaparte, les 3, 4 et 5 décembre 1851, qu’illustre, notamment, l’hallucinante tournée nocturne dans le quartier des Halles racontée par Hugo dans Histoire d’un crime. (Lorsque nous dépavions les rues du Quartier latin en mai 1968, nous avions sans doute une vague conscience de cette histoire dont nous étions le dernier balbutiement, mais bien imprécise et ignorante – je parle pour moi. Les « autorités », comme on dit – quel mot ! – en avaient sans doute une connaissance plus exacte, ou au moins plus fonctionnelle, puisqu’elles firent bientôt disparaître sous le goudron les pavés qui rappelaient encore un peu les rues du dangereux Paris d’antan.)


La recherche de ces traces qui sont, avec la littérature, ce qui reste d’une ville disparue, est une activité d’essence mélancolique, mais qui ne va cependant pas sans une excitation d’autant plus grande qu’elles sont minuscules. 


Des centaines de bateaux de toute taille se croisent sur le fleuve, forment le long des berges, accostés par essaims énormes, des rues d’eau sombre où grouillent barques et allèges sous des futaies de mâts et de vergues. « La Tamise, a écrit assez joliment Custine, ressemble à une forêt inondée. » Sur chaque rive, des chantiers navals, des entrepôts, des docks hérissés de grues où le travail ne s’arrête jamais, Surrey, Howland, St. Katharine, West India, East India Docks, chargeant et déchargeant toutes les richesses de la terre. Cette ville dont approchent les exilés inquiets, ce n’est pas quelque chose comme Paris en plus grand, c’est une ville-monstre, la capitale du monde d’alors. « Les docks des Indes orientales sont quelque chose d’énorme, de gigantesque, de fabuleux qui dépasse la proportion humaine, écrit Théophile Gautier qui lui y allait en touriste. C’est une œuvre de cyclopes et de titans. » Et pour accroître encore l’angoisse des nouveaux arrivants, à mesure qu’ils approchent du London Bridge, le paysage se peint de noir. Le bateau s’enfonce sous un dôme de fumée crachée par des milliers de cheminées qui hérissent l’horizon comme les obélisques d’une ville infernale. La suie se mêle au brouillard, le « charbon de terre », comme on disait alors, imprègne tout, barbouille tout. Il n’est pas un voyageur, volontaire ou involontaire, à qui cette noirceur ne serre le cœur. « Rien de noir comme cette ville de boue et de fumée », pour le docteur Lacambre. Gautier s’étonne du « deuil général des édifices, dont les plus anciens ont littéralement l’air d’avoir été peints avec du cirage ». Et Hugo : « Londres est lugubre et hideux. C’est une immense ville noire. » Pour Flora Tristan, « on s’imagine errer dans la nécropole du monde ». Et Vallès, plus tard : « L’eau de la Tamise est couleur de fange, et le ciel est couleur de tombe. » Il n’y a pas que les étrangers, qu’on peut toujours suspecter d’une certaine anglophobie (Hugo, par exemple), que frappent ces ténèbres dont s’enveloppe Londres. C’est la couleur majeure de la ville des romans de Dickens. Début de Bleak House : « La fumée tombe des cheminées en un crachin noir et mou contenant des flocons de suie grands comme des flocons de neige adultes. » Et la jeune Esther Summerson, débarquant de sa campagne à Londres, trouve les rues si obscurcies de fumée qu’elle croit qu’un grand incendie a éclaté quelque part. So, gentlemen, welcome to London !


Londres est alors la capitale des réfugiés politiques de toutes nationalités, non pas que le gouvernement britannique sympathise le moins du monde avec leurs diverses causes, mais en raison du libéralisme des lois anglaises, qui rend impensables les expulsions que pratiquent Belges ou Suisses. Mais c’est une chose d’y être à l’abri des autocrates européens, et une autre d’y survivre. « Le Prince-Président a bien tort d’envoyer à grands frais les républicains en Afrique et à Cayenne, lit-on dans le Times : qu’il se contente donc de les jeter sur nos côtes et, nos brouillards aidant, la misère dans laquelle nous les laissons croupir et s’étioler l’aura bientôt débarrassé d’eux. » Les choses ne doivent pas être très différentes dans les autres communautés d’exilés, Allemands, Italiens, Polonais, Hongrois, chassés par la victoire de la contre-révolution européenne après le « printemps des peuples » de 1848, si l’on en juge par la situation de celui qui deviendra le plus célèbre d’entre eux, Karl Marx : en 1852, au moment où Cournet arrive à Londres, il vit avec sa femme Jenny et quatre enfants dans trente mètres carrés à Soho, au 28 Dean Street. L’une de ces enfants, Franziska, va mourir cette année-là, et Jenny raconte qu’elle ne dut qu’à la compassion d’un voisin exilé français, qui lui fit don de deux livres, de pouvoir acheter son cercueil.


« La sombre construction sociale, poursuit-il, est ainsi faite que, grâce au dénûment matériel, grâce à l’obscurité morale, ce malheureux être qui contenait une intelligence, ferme à coup sûr, grande peut-être, commença par le bagne en France et finit par le gibet en Angleterre. » (« Grâce au dénûment matériel » ? On aurait plutôt écrit « à cause du dénûment matériel », mais qui est-on pour corriger le génie, le prodigieux artisan de la langue que fut Hugo, à travers qui parlait, selon Paul Valéry, « une divinité du Langage qu’illumine la toute-puissance de l’Ensemble des Mots » ?) Ce sont ces quelques lignes qui ont excité ma curiosité au point de me déterminer à entreprendre l’enquête qu’on vient de lire, et qui peut être considérée comme une note en bas de page du chapitre intitulé « La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple ». Les livres servent à en susciter d’autres, et si inférieure et chétive que soit leur descendance, peu importe : le mouvement de l’imagination, de l’écriture, de la lecture, se poursuit, qui est la vie même, la vraie vie, a dit un autre.


 

samedi 20 janvier 2024

[Daley-Ward, Yrsa] La vie précieuse

 




Coup de coeur 💓

 

Titre : La vie précieuse
           (The Terrible)

Auteur : Yrsa DALY-WARD

Traduction : Julia KERNINON

Parution :  2018 en anglais,
                   2024 en français (La Croisée)

Pages : 240

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Années 80, nord de l’Angleterre. Yrsa grandit avec son frère Little Roo et sa mère infirmière, dans un quotidien que leurs rêveries d’enfants illuminent. Mais leur mère les confie un jour à leurs grands-parents, très religieux. Tiraillée entre une éducation sévère et ses désirs naissants, Yrsa va vivre, de manière sourde puis frontale, l’emprise des hommes sur son corps transformé. Il va falloir partir. Il va falloir se battre.

Poétesse reconnue, collaboratrice de Beyoncé, Yrsa Daley-Ward nous emporte avec elle dans ses mémoires de fille, d’ado rebelle, d’escort perdue à Londres, d’une artiste dans l’âme, d’une femme en pleine conquête d’elle-même. Expérience de lecture unique et inspirante, La Vie précieuse a été salué dans le monde entiers.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Yrsa Daley-Ward est une écrivaine, comédienne et mannequin britannique. Elle a publié La Vie précieuse en 2018 chez Penguin, acclamé par la presse et les lecteurs, lauréat du Pen Prize. Elle a collaboré avec Beyoncé en 2020 pour le film et l’album Balck is King. Ses textes sont très suivis sur les réseaux sociaux (@yrsadaleyward). Elle vit à Los Angeles.
 

 

Avis :

Après des débuts difficiles comme actrice et mannequin, la Britannique Yrsa Daley-Ward s’est fait connaître avec Bone, un recueil de poésie en spoken word, cette technique qui joue sur les sonorités et le rythme pour oraliser et musicaliser un texte. Cinq ans plus tard, en 2019, son autobiographie The Terrible, elle aussi très originalement stylisée, remportait le PEN/Ackerley Prize. Ce livre est aujourd’hui traduit en français sous le titre La vie précieuse.
 
Née d’une mère jamaïcaine et d’un père nigérian qui l’a abandonnée à la naissance, Yrsa grandit sur fond de discrimination raciale dans l’Angleterre des années 1990. Sa mère infirmière de nuit menant une vie instable et difficile, ce sont ses grands-parents, membres intégristes de l’Église adventiste du septième jour, qui, de ses sept à onze ans, l’élèvent avec son frère Little Roo dans l’outrance rigoriste de leur cadre moral et religieux. Le contraste est absolu avec la vie bohème et l’indépendance totale que les deux enfants retrouvent à leur retour chez leur mère. Leur parcours d’adolescents s’avère alors chaotique, entre drogue mais aussi prostitution pour Yrsa, alors que la précarité et son tempérament – « le terrible » dont elle raconte les frasques et les éclats comme s’il était une créature autonome en elle – la jettent dans une errance de tous les excès. Heureusement, du pire finit quand même par jaillir la lumière, lorsque la poésie devient son exutoire et sa bouée de sauvetage.

L’écriture d’Yrsa a la fluorescence d’un diamant noir. Elle irradie du fond de l’obscurité, accroche la lumière aux arêtes vives d’une voix qui a trouvé dans la stylisation poétique un mode d’expression aussi viscéral qu’élégant, frontal mais jamais cru, mêlant le silex de sa lucidité d’adulte à la tendreté de son ressenti d’enfant, pour un récit sombre où triomphent malgré tout espoir et résilience. Entre prose et vers libres, l’oralité poétique du texte sait si bien jouer du rythme des mots et de la mise en page, de ruptures en ellipses et accélérations, de passages développés en fragments lapidaires, variant autant les effets sonores que visuels au gré d’une composition de page variée et inventive, que d’emblée captivé par la sincérité, la force et l’originalité du récit, l’on y plonge dès son exergue déjà singulier pour ne plus en émerger avant son point final, surpris, impressionné, conquis.

En trouvant dans l’écriture le palissage qui manquait à son existence de plante poussée sauvagement dans une marge sociale et familiale, Yrsa Daley-Ward est aussi devenue une alchimiste des sentiments et des sensations, transmutés ici en une oeuvre poétique et littéraire réellement belle et singulière, puissante et profonde. Un livre étonnant et marquant, qui se dévore d’une traite. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citation :

Nous avons beaucoup, beaucoup de règles.
Nous laver dans la baignoire avec attention et en pleine conscience, sans jamais oublier de se rincer.
Essorer les serviettes dans le sens des aiguilles d'une montre, puis dans le sens opposé, puis de nouveau dans le sens des aiguilles d'une montre.
Aider Grand-mère à laver les habits à la main dans la baignoire le dimanche.
Boire des boissons amères pour purger le sang.
Boire des tisanes médicinales pour purger le sang.
Boire de l'eau chaude pour purger le sang.
Assister à des réunions de prière pour purger l'âme.