mercredi 31 mars 2021

Bilan de mes lectures - Mars 2021

 

 Coups de coeur : 

 
 BOILEAU-NARCEJAC : Les louves
CHICHE Sarah : Saturne
DUBOIS Jean-Paul : La vie me fait peur
ELKAIM Olivia : Le tailleur de Relizane
 




J'ai beaucoup aimé : 

 

BARACHIN Laure : Le chemin des étoiles
CULOT Anaïs : Meurtres en promo 
LAFON Marie-Hélène : Histoire du fils
PLAMONDON Eric : Aller aux fraises
QUELARD Patrice : Place aux immortels
RUIZ ZAFON Carlos : Marina 
 

 

 

J'ai aimé : 

 
FOLLETT Ken : Le crépuscule et l'aube 
PARIS Gilles : Certains coeurs lâchent pour trois fois rien
 



 

J'ai moyennement aimé : 

 

STEFANSSON Jon Kalman : Lumière d'été, puis vient la nuit
 

 
 

mardi 30 mars 2021

[Follett, Ken] Le crépuscule et l'aube

 

 

J'ai aimé

 

Titre : Le crépuscule et l'aube
            (The Evening and the Morning)

Auteur : Ken FOLLETT

Traducteurs : Cécile ARNAUD, Jean-Daniel
                         BRÈQUE, Odile DEMANGE,
                         Nathalie GOUYÉ-GUILBERT,
                         Dominique HAAS

Edition : 2020 (Robert Laffont)

Pages : 851

 

 


 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Avant Les Piliers de la Terre

En l’an 997, à la fin du haut Moyen Âge, les Anglais font face à des attaques de Vikings qui menacent d’envahir le pays. En l’absence d’un État de droit, c’est le règne du chaos.
Dans cette période tumultueuse, s’entrecroisent les destins de trois personnages. Le jeune Edgar, constructeur de bateaux, voit sa vie basculer quand sa maison est détruite au cours d’un raid viking. Ragna, jeune noble normande insoumise, épouse par amour l’Anglais Wilwulf, mais les coutumes de son pays d’adoption sont scandaleusement différentes des siennes. Aldred, moine idéaliste, rêve de transformer sa modeste abbaye en un centre d’érudition de renommée mondiale. Chacun d’eux s’opposera au péril de sa vie à l’évêque Wynstan, prêt à tout pour accroître sa richesse et renforcer sa domination.
Dans cette extraordinaire épopée où se mêlent vie et mort, amour et ambition, violence, héroïsme et trahisons, Ken Follett, l’un des plus importants romanciers de notre temps, revient à Kingsbridge et nous conduit aux portes des Piliers de la Terre.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Ken Follett connaît son plus grand succès avec Les Piliers de la Terre, paru en 1989. C’est le début de la saga Kingsbridge, poursuivie avec Un monde sans fin et Une colonne de feu (Robert Laffont, 2008 et 2017), et vendue à plus de quarante-trois millions d’exemplaires dans le monde.
 

 

Avis :

En 997, le chaos règne en Angleterre. Attaqué de l’extérieur par les Gallois et les Vikings, le pays connaît également une situation intérieure agitée, les seigneurs locaux n’hésitant pas à défier le pouvoir royal. Le jeune Edgar, qui a quasiment tout perdu lors d’un raid viking, est contraint d’abandonner son métier de charpentier de marine pour tenter de subsister de la terre. Ragna, jeune noble normande venue d’outre-Manche épouser le puissant Wilwurf, se retrouve au coeur d’une lutte sans merci pour le pouvoir. Le moine Aldred, qui rêve de faire de son abbaye un lieu d’érudition, est confronté à la dissolution du clergé. Tous les trois vont trouver sur leur route l’évêque Wynstan, prêt à tout pour s’assurer pouvoir et richesse.

Enthousiasmée il y a trente ans par Les piliers de la terre, j’ai entamé ce préquel avec la certitude d’y retrouver le même enchantement, ce qui explique sans doute en partie ma relative déception. 
 
Indéniablement, la lecture est agréable, l’écriture fluide et l’intrigue prenante. Les 850 pages permettent de se plonger durablement dans une ambiance historique recréée de manière vivante et crédible, et c’est avec le plus grand intérêt que l’on découvre cette Angleterre encore en proie aux ténèbres du Haut Moyen Age. Edgar, Ragna et Aldred apparaissent comme les ferments de jours meilleurs. A eux trois, qui représentent le peuple, la noblesse et le clergé, ils préfigurent les avancées d’une société en devenir, celle qui verra notamment la construction des cathédrales, même si, pour l’instant, l’absence d’État de droit rend tout progrès bien fragile. 
 
Malheureusement, si, à la main gauche, la toile de fond historique, sous-tendue par une solide documentation, convainc sans peine, à la main droite, le motif principal du récit déçoit. Stéréotypés et sans grande épaisseur, les personnages finissent par paraître assez caricaturaux dans une narration teintée d’eau de rose, à l’issue improbable.  

Au final, si les aspects un peu simplistes de l’intrigue et de ses protagonistes viennent sensiblement tiédir mon enthousiasme, cette vaste fresque, riche de très intéressants détails historiques, demeure une lecture plaisante et addictive, à même de séduire un large public. (3/5)

 

Citation :

Il s’enfonça dans le fleuve, plongeant la tête sous l’eau pour se laver les cheveux. Certains disaient que les bains étaient mauvais pour la santé et Edgar ne se baignait jamais en hiver, mais ceux qui ne se lavaient jamais entièrement empestaient toute leur vie. Ma et Pa avaient appris à leurs fils à rester propres en se baignant au moins une fois par an.


 

dimanche 28 mars 2021

[Dubois, Jean-Paul] La vie me fait peur

 


 


 

 

Coup de coeur 💓

 

Titre : La vie me fait peur

Auteur : Jean-Paul DUBOIS

Parution : 1994 (Seuil), 1996 (Points)

Pages : 240

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Trente-trois mille pieds, c’est l’altitude idéale pour réfléchir à sa vie. Dans l’avion qui l’emporte vers Miami, Paul Siegelman s’efforce de retrouver le fil conducteur et remet les chapitres dans l’ordre : la mort de sa mère, les acrobaties financières de son père, ses propres errances d’Ibiza à panama City, ses relations tumultueuses avec les femmes. «Je suis tout petit. Je peux vivre dans un verre à dents», dira-t-il un jour. Et si c’était vrai ?

Avec ce livre limpide et mystérieux, Jean-Paul Dubois explore nos angoisses les plus familières et fait l’inventaire de quelques passions simples, comme autant de consolations. Dans les parages de Philip Roth et de John Updike, il est l’un des romanciers français les plus singuliers d’aujourd’hui.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Jean-Paul Dubois est né en 1950 à Toulouse où il vit actuellement. Il a reçu le prix Femina pour Une vie française (2004) et le prix Goncourt pour Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon (2019). Journaliste, il est l’auteur de chroniques publiées en deux tomes : L'Amérique m'inquiète (1996) et Jusque-là tout allait bien en Amérique (2002). L’ensemble de son œuvre est disponible en Points.


 

Avis :

Paul Siegelman s’est toujours laissé porter par la vie, laissant les choses avancer d’elles-mêmes sans jamais réellement s’en mêler. Un événement imprévu vient pourtant soudain secouer sa quarantaine jusqu’ici sans histoire. Dans l’avion qui l’emmène à Miami où réside désormais son père, il entame une introspection qui pourrait bien déboucher sur un tournant majeur dans son existence…

Chaque livre de Jean-Paul Dubois n’est « ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre ». Les obsessions de l’auteur nous emmènent une fois de plus aux côtés d’un homme prénommé Paul, à la dérive d’une existence toute tracée qu’il suit passivement, comme réfugié dans une sorte d’absence, commode mais au final assez ennuyeuse. Seul un séisme personnel le forcera à sortir du cadre dans lequel il paresse distraitement, à enfin prendre des risques et des décisions, à vivre en définitive.

L’on retrouve avec amusement les ingrédients des autres romans, accommodés d’une manière chaque fois étonnamment renouvelée. L’élégance et l’humour de la plume opèrent avec le charme qu’on est toujours sûr de trouver dans les pages de cet écrivain, au point que chacun de ses ouvrages évoque aussitôt la promesse d’une vraie délectation, le plaisir de s’installer dans un bon vieux fauteuil familier et confortable, pour une soirée de connivence aussi légère que profonde, aussi drôle que mélancolique.

Par bonheur, la bibliographie de Jean-Paul Dubois me réserve encore de nombreuses découvertes, que j’ai bien l’intention de savourer une à une. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

A quarante-quatre ans, lorsque je pense à ce que je suis devenu, lorsque j’envisage l’avenir, la vie me fait peur. Je n’incrimine nullement Vivien. Les sept années que j’ai passées avec elle ne furent pas pires que les autres. Je ne lui en veux même pas de m’avoir confirmé mon éviction par courrier recommandé. Il est dans sa nature de se conformer aux termes de la loi. Ma femme est ainsi faite. Je savais tout cela en l’épousant. Chez elle, le professionnel l’emporte toujours sur l’affectif. Ces derniers temps, avant d’être un amant assommant, j’étais surtout l’élément encombrant qui pénalisait son bilan.

Je ne suis pas un entrepreneur, ni un bâtisseur. Je ne me sens pas investi d’un rôle. Je ne fais pas partie de la famille des acteurs. Je ne me sens à l’aise que dans la salle, assis parmi la foule des autres spectateurs.

Vivien m’a toujours reproché de n’avoir aucune prise sur le monde. Vivien est née avec des grappins dans les mains. Pour elle, traiter avec l’avenir est aussi simple que de manier un agenda. Elle est persuadée qu’il suffit d’inscrire ses projets de manière lisible, pour qu’à la date choisie ils se réalisent. La maladie, la mort, la fatigue, les aléas sont des paramètres qu’elle refuse de prendre en compte. Elle se sent propriétaire de sa vie. Et moi, à peine locataire de la mienne. Un locataire qui voudrait croire aux vertus du bail emphytéotique, mais qui sait que tout peut arriver. Oui, au fond de moi, je voudrais croire. Mais, avec l’âge, le doute l’emporte sur l’espérance.

Avec Linda pour principale associée, Philip Schrader était à la tête d’un petit empire médical. Il dirigeait la Crandon Park Clinic, un établissement où l’on pratiquait uniquement des actes de chirurgie esthétique. A leur façon aussi, les Schrader étaient des magiciens, des fakirs. Tirant sur les peaux comme l’on retend les cordes d’une tente après la pluie, ils vendaient à des prix inabordables l’éphémère illusion de la jeunesse. A la fois maquilleurs et maquignons, ils s’efforçaient de donner au décrépit l’aspect de la patine.

L’ultimatum expira et plus jamais le téléphone ne sonna. Je savais que je laissais filer une chance de changer ma vie. Peut-être était-elle infime. Mais je reconnais avoir eu peur de la tenter. Parce que je ne crois pas plus en l’amour qu’aux prévisions météorologiques à dix jours. J’ai foi en un certain nombre de choses, comme la patience, le respect, le silence et même le mensonge. Mais je me défie de l’amour, ce sentiment hallucinogène éphémère qui paralyse l’esprit, et vous laisse ensuite pour mort, dans la posture de l’électrocuté. Un homme aimant vit toujours dans un verre à dents.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

  
 


vendredi 26 mars 2021

[Ruiz Zafon, Carlos] Marina

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Marina

Auteur : Carlos RUIZ ZAFON

Traducteur : François MASPERO

Edition : 1999 (en espagnol),
               
2011 (Robert Laffont)

Pages : 303

 

 

 


 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Mon texte préféré parmi tous ceux que j'ai écrit. » Carlos Ruiz Zafón

Oscar Drai, quinze ans, a disparu pendant une semaine du pensionnat où il est interne. Où est-il allé et que lui est-il arrivé ? Quand l'histoire commence, Oscar vagabonde à travers Barcelone. Attiré par une mystérieuse maison apparemment abandonnée, il pénètre à l'intérieur. Se croyant seul, il commence ses investigations. Alors qu'il est en train d'examiner une curieuse montre à gousset laissée sur une table, il se rend compte que quelqu'un l'observe. Terrorisé, il s'enfuit. En rentrant au pensionnat, il s'aperçoit qu'il a gardé la montre. Tenaillé par les remords, il retourne quelques jours plus tard dans la grande maison. Il y fait alors la connaissance de Marina, fille du propriétaire. Elle a son âge, de l'audace et une intelligence très vive. Elle entraîne son nouveau compagnon dans l'élucidation d'un mystère qui la tourmente : au cour du plus vieux cimetière de Barcelone, une vieille femme voilée visite une tombe anonyme sur laquelle figure le dessin d'un papillon noir. Qui est-elle, et qui dort sous la pierre tombale ? En menant leur enquête, les deux adolescents franchissent les limites d'une propriété privée délaissée. Dans la serre qui la jouxte, des pantins en partie amputés de leurs membres pendent dans les airs. Soudain, ils descendent lentement et semblent s'animer. Une odeur pestilentielle envahit la serre. Sur le fronton, un papillon noir identique à celui de la tombe paraît contempler l'épouvantable scène.

Parcourant les plus effrayants endroits de Barcelone, s'égarant dans les entrailles de souterrains où vivent des créatures de cauchemar, s'enfonçant dans les coulisses d'un inquiétant théâtre désaffecté, Oscar et Marina réveillent les protagonistes d'une tragédie vieille de plusieurs décennies. La vengeance est en route, mue par une armée de fantômes, guidée par un savant de génie et une amoureuse désespérée. Entraînés dans la folie homicide de ces ombres tout droit sorties du passé, Oscar et Marina frôlent la mort. Pourtant, celle-ci les attaquera là où ils ne l'attendaient pas...
 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Présente-t-on encore Carlos Ruiz Zafón, l'auteur de L'Ombre du vent (Grasset, 2004 ; Livre de poche, 2010) et du Jeu de l'ange (Robert Laffont, 2009), vendus à plusieurs millions d'exemplaires à travers le monde. Né à Barcelone en 1964, il a renouvelé le genre des grands romans populaires du début du XXe siècle.
 

 

Avis :

Lors de ses nombreuses escapades au-dehors de son pensionnat de Barcelone, Oscar, quinze ans, fait la connaissance de Marina, une adolescente qui habite le quartier avec son père âgé. Les déambulations des deux jeunes gens les mènent jusqu’à un cimetière oublié, où une femme vient pourtant se recueillir sur une tombe anonyme, uniquement orné d’un papillon noir. Des sous-sols de la ville à un vieux théâtre désaffecté, la curiosité des deux amis les entraîne dès lors dans une succession de terrifiantes découvertes, liées à un mystérieux drame survenu il y a plusieurs décennies.

Certes ce livre classé jeunesse cumule les invraisemblances. Pas seulement parce qu’il verse dans le fantastique, mais surtout parce qu’il traite les deux adolescents en adultes, libres et autonomes, et que tout le monde leur confie les plus noirs secrets avec une improbable facilité. Il serait pourtant dommage de laisser cette critique oblitérer les autres qualités du roman et de ne le réserver qu’à un jeune public ravi de sa promotion chez les grands. Ce serait se priver d’un excellent moment de mystère et d’aventure, remarquablement écrit, serti dans une Barcelone ensorcelante, gothique et baroque, qui fait tout le charme et la singularité du récit.

C’est pendant le premier tiers de l’histoire que l’ambiance s’avère la plus envoûtante, alors que le lecteur se retrouve à vagabonder aux côtés d’Oscar et de Marina dans de vieux quartiers d’une Barcelone surannée et bucolique. Les grandes et anciennes demeures plus ou moins abandonnées, qui y cachent mélancoliquement les lambeaux de leur exubérante splendeur passée sous l’enchevêtrement d’une végétation envahissante et le poids d’un oubli silencieux, enveloppent bientôt le promeneur de leurs ombres et de leurs mystères, suscitant chez lui un mélange de curiosité et d’angoisse. Les vieilles silhouettes qu’on y croise laissent subodorer le secret de vies enfuies et c’est bien un étrange passé qui va bientôt remonter à la surface.

L’enquête prend alors son essor dans des développements rapidement fantastiques, de veine gothique, qui transforment la menace jusqu’alors diffuse en péripéties qui, pour être rocambolesques, n’en tiennent pas moins le lecteur sous l’emprise de leur rythme et de leur suspense. Moins réceptive à cette partie, j’ai néanmoins pris plaisir à ces rebondissements plein d’imagination, encore une fois mis en valeur par les perspectives offertes sur la ville de Barcelone, sur ses quartiers contrastés et sur son architecture exubérante.

De l’angoisse à l’effroi et du rire aux larmes, ce prenant conte fantastique empreint de nostalgie est l’occasion de réunir tous les publics, jeunes et moins jeunes, par la magie d’une excellente plume, amoureuse d’une Barcelone secrète et multiple, que l’on aura ensuite envie de (re)découvrir pour de bon. (4/5)

 

Citations :

On ne peut rien comprendre à la vie tant qu’on n’a rien compris à la mort.

En fin de compte, quel est le sens d’une science capable d’envoyer un homme sur la lune, mais incapable de mettre un morceau de pain sur la table de chaque être humain ?

En temps normal, dit-il, tu es dans les nuages, mais aujourd’hui tu es carrément sorti de la couche atmosphérique. Tu es malade ?

 Il disait que la lumière est une danseuse capricieuse et consciente de sa grâce. Dans ses mains, elle se transformait en lignes merveilleuses qui illuminaient la toile et ouvraient les portes de l’âme.
— Peindre, c’est écrire avec la lumière, affirmait Salvat.

Sur mille personnes qui acquièrent un tableau ou une œuvre d’art, une seule possède une vague idée de ce qu’elle achète, lui expliquait Salvat en souriant. Les autres n’achètent pas l’œuvre, ils achètent l’artiste, ce qu’ils ont entendu dire de lui et, presque toujours, ce qu’ils imaginent à son sujet Ce commerce n’est pas différent de celui des remèdes de guérisseurs ou des filtres d’amour, Germán. La seule différence est le prix.

J’avais toujours pensé que les vieilles gares de chemin de fer étaient l’un des rares lieux magiques qui restaient encore dans le monde. Là, les fantômes de souvenirs et d’adieux se mêlaient aux départs de centaines de voyages pour des destinations lointaines et sans retour. « Si, un jour, je me perds, il faudra me chercher dans une gare », pensai-je.

Parfois, les choses les plus réelles ne se passent qu’en imagination, Óscar. Nous ne nous souvenons que de ce qui n’est jamais arrivé.

La jeunesse est une maîtresse capricieuse. Nous sommes incapables de la comprendre et de l’apprécier jusqu’au jour où elle part avec un autre pour ne jamais revenir…

Un bon ami m’a dit un jour que les problèmes sont comme les cafards. (…) Dès qu’on les fait sortir à la lumière, ils prennent peur et s’en vont...


 

mercredi 24 mars 2021

[Plamondon, Eric] Aller aux fraises

 





 

J'ai beaucoup aimé

Titre : Aller aux fraises

Auteur : Eric PLAMONDON

Parution : 2021 (Quidam Editeur)

Pages : 88






 

 

Présentation de l'éditeur :  

Aller aux fraises, c’est une langue qui sillonne les bois, les champs, les usines, les routes sans fin, les bords de rivière. C’est le sort de ceux qui deviennent extraordinaires à force d’être ordinaires. On s’y laisse porter par les souvenirs d’un père qui s’agrègent pour devenir les légendes du fils. Ce fils qui veut construire son propre récit et qui retrouve sa mère le temps d’un nouveau cycle.  Eric Plamondon raconte la démesure de l’ordinaire. Sur le vif. C’est aussi drôle qu’émouvant.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Né au Québec en 1969, Eric Plamondon a étudié le journalisme à l’université Laval et la littérature à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal). Il vit dans la région de Bordeaux depuis 1996 où il a longtemps travaillé dans la communication. Il a publié au Quartanier (Canada) le recueil de nouvelles Donnacona et la trilogie 1984 : Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise et Pomme S, publiée aussi en France aux éditions Phébus. 
Taqawan (Quidam 2018) a reçu les éloges tant de la presse que des libraires, et a obtenu le prix France-Québec 2018, ainsi que le prix des chroniqueurs Toulouse Polars du Sud.


Avis :

Ce mince volume est un recueil de trois nouvelles.

La première, Aller aux fraises, nous renvoie aux dix-sept ans de l’auteur, à l’insouciance d’une jeunesse pressée de vivre l’amour, la fête, l’alcool, et qui, tout entière tournée vers l’aube de ce qui lui semble encore la liberté parfaite, ne réalise pas encore tout ce qui finit aussi à cette saison de la vie. Il faudra quitter la maison sans savoir qu'on n'y reviendra jamais vraiment. C'est la fin de l'enfance, la fin d'une vie, le moment où on quitte ses parents et le début d'une autre. La nostalgie point dans les souvenirs de l’auteur, à son tour à l’âge qu’avait son père à l’époque. Elle se fait poignante, alors que se dessine toute la portée du constat paternel, si pudique et si poétique dans son laconisme, d’un fils parvenu au temps d’aller aux fraises.

La deuxième, Cendres, poursuit l’hommage de l’auteur à son père en rapportant une de ses anecdotes, dans une évocation révélatrice du puissant lien filial de l’écrivain. La narration se déploie autour de quelques personnages modestes, prompts à venir oublier leurs pénibles professions ouvrières autour du billard et au fond des bouteilles du bar local. Leurs légendaires et flamboyantes parties auront un prix, mais cimenteront une amitié touchante de sincérité et de maladresse. D’une irrévérencieuse drôlerie, le texte s’égaye de dialogues savoureux, aux accents profondément authentiques.

Enfin, Thetford Mines évoque les longues et parfois aventureuses allées et venues de l’auteur, encore étudiant, entre le domicile de sa mère et celui de sa blonde : deux heures de route aller, deux heures de route retour, beau temps mauvais temps, une tempête de neige n’arrêtant pas un Québécois pour si peu. La nouvelle nous emmène sur les grandes routes rectilignes qui, en traversant les forêts, se mettent à jouer aux montagnes russes à l’approche des Appalaches. Le décor varie du blanc neigeux au gris pierreux des terrils, la ville désormais économiquement sinistrée de Thetford Mines se prêtant au passage à l’évocation des mines d’amiante, de la grande grève de 1949 et du bouleversement politique et social qu’elle provoqua au Québec.

On ne se lasse pas du talent de conteur et de la finesse d’évocation d’Eric Plamondon, qui, au travers de l’ordinaire, sait si bien exprimer la fragilité des hommes, du temps qui passe et de la vie. Chacun de ces trois courts textes est un trésor d’émotions pudiquement suggérées, en même temps qu’un régal des mots et de la langue, alors qu’y chantent pour notre plus grand plaisir l’accent et les expressions québécoises. Sous le charme, le lecteur referme ce livre avec au coeur l’envie de faire encore, dès que possible, un p'tit boute en compagnie de cet auteur. (4/5)


Citations :

Je me dirigeais tout droit vers les responsabilités, les histoires d’amour compliquées, les haines partagées, les collègues insignifiants, le mariage, le divorce, avoir un enfant, voir ses parents vieillir, changer d’idée, douter, chercher des réponses, sombrer, se relever, tenter, recommencer et, souvent, me souvenir de la fois où mon père m’avait dit : « On dirait que t’es allé aux fraises. »

Il y avait de la magie dans cette roche qui résistait aux flammes et avec laquelle on pouvait faire du tissu à l’épreuve du feu. Et Gilles de me raconter que déjà à l’époque de César on confectionnait des nappes de banquet en fibre de chrysotile et que, pour les nettoyer, on les jetait dans les flammes d’où elles ressortaient d’un blanc immaculé.
 
Si les problèmes de santé des travailleurs de l’amiante avaient été reconnus officiellement en 1948, on savait déjà chez les Romains que les esclaves qui filaient le tissu avec des fibres d’amiante développaient des problèmes respiratoires parfois mortels. L’amiantose ne datait pas d’hier.

J’étais à peine arrivé que c’était déjà le dimanche matin, la langueur de ce jour entre deux où on hésite à terminer quelque chose en sachant que demain sera pénible. L’épaisseur des dimanches, leur lourdeur monotone, leurs heures à rallonge, l’angoisse du coucher, la tête qui va trop vite et le corps qui se refuse à l’attaque de la semaine et au réveille-matin.

J’avais l’impression de m’enfoncer dans la tempête, de plonger en son sein alors que ce n’étaient que les cieux qui passaient au-dessus de moi en balayant toute la Belle Province. Les phares de la Honda Civic creusaient un tunnel dans le blanc des tourbillons de cristaux. Ce n’était plus le véhicule qui avançait mais les éléments qui se précipitaient vers moi. J’étais comme Han Solo quand il fait passer le Faucon Millenium en hyper-espace et que des milliards de points lumineux semblent bombarder le cockpit : étoiles, super nova, naines blanches, soleils, galaxies… Mon retour devenait l’errance d’un naufragé solitaire.



Du même auteur sur ce blog :

 
 
 

lundi 22 mars 2021

[Quélard, Patrice] Place aux immortels

 


 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Place aux immortels

Auteur : Patrice QUELARD

Parution : 2021 (Plon)

Pages : 384

 

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Au printemps 1915, Léon Cognard, lieutenant de gendarmerie bourlingueur et anticonformiste, quitte sa brigade bretonne pour rejoindre le front de Picardie et prendre le commandement d’une prévôté de division d’infanterie. Sa nouvelle position est des plus délicates entre une bureaucratie tatillonne et l’hostilité légendaire des fantassins à l’égard des gendarmes, ces empêcheurs de tourner en rond considérés comme des planqués.
Lorsqu’il est confronté à un suicide suspect au sein de l’unité dont il doit assurer la police, Léon traite l’affaire avec son opiniâtreté habituelle. Mais celle-ci l’entraîne dans un engrenage qui risque bien de faire trembler la Grande Muette sur ses fondements… Certains crimes ne doivent-ils pas demeurer impunis ? À la guerre, y a-t-il encore de la place pour l’idéalisme ? Et surtout, quelle valeur reste-t-il à la vérité quand seule compte la victoire ?

Le prix du roman de la Gendarmerie nationale récompense un roman inédit, littéraire, historique ou policier, dans lequel la gendarmerie ou le métier de gendarme occupe une place prépondérante.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Patrice Quélard est né en 1972 à Saint-Nazaire où il est enseignant et directeur d’une école élémentaire.

 

 

Avis :

Au printemps 1915, le lieutenant Léon Cognard est détaché de la Gendarmerie Nationale pour prendre le commandement d’une prévôté à Albert, sur le front de la Somme. En charge de la police judiciaire militaire auprès des forces armées, et nettement moins exposées que les troupes qu’elles accompagnent, les unités prévôtales sont très mal considérées et rencontrent une franche hostilité parmi soldats et officiers. Déjà très malmenés dans l’exercice de leurs fonctions courantes, les gendarmes vont se trouver face à un mur lorsqu’il s’agira pour eux d’éclaircir les circonstances suspectes du suicide d’un biffin.

Parfaitement documenté et rédigé avec un grand souci du détail et de l’exactitude, ce roman historique a pour intérêt majeur de nous faire découvrir le rôle méconnu de la gendarmerie en temps de guerre. Mission difficile que de faire la police sur le front, quand l’hécatombe et l’enfer des tranchées semblent rendre bien dérisoires petits et grands délits. Comment ne pas comprendre l’animosité d’hommes rendus au bout de l’horreur et dont la vie ne tient qu’à un fil, lorsque des « embusqués » prétendent leur faire la leçon et sanctionner leurs fautes ? Il faut bien du doigté et du discernement pour être à la hauteur du défi, qui devient même gageure lorsqu’il est question d’enquête criminelle dans ces circonstances.

Le récit s’organise autour d’un personnage central, Léon Cognard, un peu idéaliste et très anti-conformiste, qui met toute sa psychologie au service de son rôle d’encadrement. L’homme, qui ne manque ni d’humour ni de lucidité, se compare souvent à Don Quichotte, mais il est avant tout un parangon de réalisme et de pragmatisme dans ce contexte apocalyptique. Il est accompagné d’autres figures marquantes, toutes campées avec finesse et précision. Il n’est pas jusqu’au facétieux cheval Rossinante qui n’ait fait l’objet d’une étude approfondie et d’une restitution soignée et crédible. Et c’est presque nostalgique de leur camaraderie et de leur esprit de corps que l’on quitte les membres de cette équipe si puissamment incarnée.

D’une parfaite exactitude et de facture classique, ce roman habité par des personnages aussi humains que nature et tendu par juste ce qu’il faut d’intrigue policière pour ne pas voler la vedette à la fresque historique, est une lecture aussi plaisante qu'intéressante sur les missions méconnues de la gendarmerie prévôtale. (4/5)

 

Citations : 

Il va falloir que tu trouves mieux que ça, mon Léon. C’est bien connu, les gens qui se trouvent dans le malheur se moquent complètement de celui des autres. L’empathie est réservée à ceux qui vont bien – et encore !

La guerre… c’est tellement exceptionnel. Peut être que cela justifie des mesures d’exception. Après tout, dans le civil, on vous interdit de tuer, et là d’un seul coup, on vous paie et on vous décore pour le faire. J’avoue qu’il y a de quoi être désorienté.

Les gars d’en face pensent aussi que Dieu est avec eux, à ce qu’on dit. Ce Dieu vraiment, c’est une vraie girouette, et on lui fait dire ce qu’on a envie.

Non seulement l’intelligence des gens dans une foule résolue ne s’additionne pas, mais je pense même qu’elle se divise.

L’armée restait l’armée, envers et contre tout. Même le prévôt d’armée s’écraserait devant le général d’armée, qui ne manquerait pas de défendre son général de division, qui lui-même de manquerait pas de défendre son maudit chef d’état-major. Oui, c’était injuste, mais c’était comme ça. La guerre à elle seule était une juridiction d’exception, et Clémenceau avait raison : la justice militaire était à la justice ce que la musique militaire était à la musique.


 

samedi 20 mars 2021

[Culot, Anaïs] Meurtres en promo

 





 

J'ai beaucoup aimé

Titre : Meurtres en promo

Auteur : Anaïs CULOT

Parution : 2021 (Lucien Souny)

Pages : 288






 

 

Présentation de l'éditeur :  

En perte de repères après un cinglant échec professionnel, Lisa retourne dans sa ville natale en Virginie, qu’elle a quittée dix ans plus tôt. Elle y croise des visages familiers, mais elle reste en retrait. Puis, en l’espace de trois jours, deux anciens de ses camarades d’école trouvent la mort. Les souvenirs se bousculent lorsqu’elle comprend que son retour coïncide avec le week-end de retrouvailles de sa promotion 2009. Elle s’y rendra à reculons. Alors que le sang continue à couler, elle est rattrapée par de vieux secrets, qu’elle pensait morts et enterrés grâce à une solidarité estudiantine inoxydable. Une histoire haletante et fascinante. Anaïs Culot n’a de cesse de brouiller les frontières, de décortiquer les facettes de chaque personnage, les rendant tantôt coupables, tantôt victimes. Une lecture noire qui donne un incroyable aperçu de la psychologie à la fois du prédateur et de sa proie, et qui interroge le lecteur sur ce qui est socialement acceptable et sur la justification de la violence.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Anaïs Culot est née en 1991 à Châteauroux dans l’Indre. Après l’obtention d’un Master en sciences de l’atmosphère et du climat à Toulouse, elle poursuit ses études en journalisme scientifique, puis en littérature et civilisation anglophone à Paris. Aujourd’hui journaliste scientifique indépendante, elle vulgarise les travaux de plusieurs organismes de recherche. L’essentiel de ses loisirs est partagé entre ses passions pour le cinéma et l’écriture. Elle passe son temps entre la Vendée, l’Indre et la région parisienne. En 2016, elle a signé un premier roman intitulé Jusqu’à ce que la mort nous sépare.


Avis :

Fraîchement licenciée de son emploi à New York, Lisa, bientôt la trentaine, revient après une décennie d’absence dans sa ville natale de Virginie. Son retour coïncide par hasard avec les festivités organisées pour les dix ans de sa promotion de lycée. A demi enchantée seulement de ces retrouvailles, la jeune femme n’a pas le temps de renouer avec tous ses anciens camarades d’école que deux trouvent la mort en l’espace de quelques jours. Serait-il possible que ces décès, bientôt suivis d’autres disparitions aux allures de moins en moins accidentelles, aient un lien avec le passé et le secret pourtant hermétiquement scellé de la promotion 2009 ?

D’abord heurté par la scène d’introduction, d’une particulière violence et, à ce stade du récit, totalement inexpliquée, le lecteur reprend son souffle en arrivant en compagnie de Lisa dans cette petite ville américaine où tout le monde se connaît. Impossible d’y passer inaperçus et nous voilà bientôt familiers des lieux et des relations de la narratrice autrefois. Le climat s’avère d’emblée lugubre et pesant, alors qu’il semble vouloir imposer à Lisa l’intrusive et circonspecte curiosité de connaissances dans l’ensemble assez peu amicales. Il devient rapidement inquiétant lorsque commencent à s’accumuler les évènements douteux, puis franchement menaçants, dans ce qui se révèle une série meurtrière. Depuis longtemps déjà, le lecteur ne sait plus à qui se fier, se doutant d’un lien avec les faits de l’épouvantable introduction, et constatant la mauvaise conscience de protagonistes dont on ne sait plus s’ils sont victimes ou coupables, tant dans les évènements d’hier que dans ceux d’aujourd’hui.

Ici bons et méchants n’existent pas. Seul prévaut le rapport de force entre dominants et dominés du moment, dans une confrontation où, sans morale aucune, chacun n’a de cesse de s’emparer du manche, coûte que coûte. Ainsi tout n’est question que de circonstances, mais aussi, peut-être, de grain de folie, les plus fous ayant l’avantage de l’imprévisibilité et de la désinhibition absolue.

Cette noire histoire de vengeance aux tardives et démesurées répercussions se lit en un souffle de suspense, avec, pour seule moralité, la terrifiante loi du plus fort… ou du plus fou. (4/5)


Citations :

Avant, mon esprit indépendant et mon incapacité à me préoccuper des banalités qui font la vie d’une ado un parcours du combattant donnaient l’illusion que l’avis d’autrui m’importait peu. Ce qui était partiellement vrai. La vie de tous m’importait peu. L’avis de certains m’importait trop. Dix ans plus tard, les choses s’inversent. L’avis de tous m’importe, car je n’ai plus rie à prouver à la minorité de personnes qui me sont proches. J’ai enfin cessé d’accorder un intérêt démesuré à ce que pensent mes parents de ma vie et de mes choix.

Je m’apprête à descendre l’escalier lorsque j’aperçois mon reflet. J’ai pris dix ans en une nuit. Aucune chance que cette chose dans la glace soit la personne que j’étais hier. Elle a bien l’apparence de ce que  je ressens en ce moment. Ce doit être un miroir magique, qui vous montre votre état intérieur. Si une telle chose existait, elle permettrait à beaucoup de personnes de se faire porter malade. Imaginez si l’on pouvait lire sur votre visage chaque chose que vous ressentez mais n’exprimez pas habituellement. On pourrait décrypter à quel point vous avez mal au ventre en fonction des rides qui vous creusent la face. Ou bien l’intensité de votre gueule de bois selon la pâleur de votre peau et la largeur de vos cernes. Mais il serait aussi possible de détecter la dépression , qui est loin de se déchiffrer sur le visage de celui qui la subit. Le miroir de vos émotions rendrait alors impossibles les faux-semblants. Tout le maquillage du monde ne suffirait pas à masquer votre désespoir. On se sentirait obligé de vous aider rien qu’en vous regardant.


 

jeudi 18 mars 2021

[Elkaim, Olivia] Le tailleur de Relizane

 



 

 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Le tailleur de Relizane

Auteur : Olivia ELKAIM

Parution : 2020 (Stock)

Pages : 352

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Relizane, pendant la guerre d’Algérie. Lorsqu’en pleine nuit, on frappe à la porte, Marcel, le grand-père d’Olivia Elkaim, craint pour sa vie et celles de sa femme et de leurs deux enfants. On lui enfile une cagoule sur la tête, il est jeté dans un camion et emmené dans le désert. Va-t-il être condamné à mort ou gracié ? Il revient sain et sauf à Relizane trois jours plus tard, et ses proches se demandent quel est le secret de ce sauf-conduit. A quoi a-t-il collaboré ? Quels gages a-t-il donné et à qui ? Viviane, son épouse, ses frères, sa mère, ses voisins, tous questionnent le tailleur juif. Mais il garde le silence. Quand un jeune apprenti arabe se présente devant son échoppe, Marcel comprend que tôt ou tard, il lui faudra quitter son pays natal. 

Après ce début d’une folle intensité romanesque, Olivia Elkaim retrace l’histoire de sa famille, l’exil des siens, leur arrachement à cette terre africaine, et leur fuite chaotique vers une France où rien ne les attend - ni confort, ni sympathie, ni même aucune aide administrative. 

Ces valeureux que le soleil caressait il y a peu, deviennent des réprouvés qui ne connaîtront que l’ombre d’une cave humide à Angers. Les grands-parents d’Olivia Elkaim, Viviane et Marcel, sont deux magnifiques personnages, entre Albert Cohen et Anna Magnani, qui ne cesseront de rêver d’échapper à cette triste France. 

Au-delà de tout ce que nous savons du retour d’une famille pied-noire en métropole, au-delà du drame humain, familial, politique, souvent commenté par les historiens, Olivia Elkaim explore sa part algérienne, juive, lyrique, à la fois enchantée et hantée, que son père Pierre avait tenté en vain de lui transmettre.
Par ce livre qui rend hommage à ses ancêtres, et à travers la photographie jaunie d’une grand-tante, retrouvée par hasard dans le cimetière juif de Relizane, elle se révèle aussi à elle-même. 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

D’origine algérienne, journaliste chargée de la bioéthique à La Vie, romancière, Olivia Elkaim est l’auteure entre autres de Nous étions une histoire (Stock, 2014) et de Je suis Jeanne Hébuterne (Stock, 2017).


 

Avis :

Installés en Algérie bien avant la présence française, les Elkaim sont naturalisés français par décret en 1870, comme tous les Juifs du territoire. Ecartelés entre Occident et Orient pendant la guerre d’Algérie, les grands-parents de l’auteur sont finalement forcés de fuir et de rejoindre la cohorte des pieds-noirs si mal accueillie en France. Ce n’est que bien plus tard, après leur décès, qu’Olivia Elkaim est amenée à reconstituer leur parcours, prenant alors conscience de l’ampleur de leur drame, au fur et à mesure que l’hostilité et la misère venaient verser du sel sur les blessures de leur déracinement.

Une grande émotion imprègne les pages de ce récit qui se lit comme un roman. Ne s’étant intéressée que tardivement à son histoire familiale, l’auteur réalise avec regret combien longtemps elle est restée indifférente aux cicatrices dont était cousu le coeur de ses grands-parents. Au-delà de la cruauté de leur drame, c’est l’impuissance d’une tendresse qui ne trouve à s’exprimer que trop tard pour être partagée avec ses destinataires qui rend le texte si poignant. Alors, à son tour, le lecteur se sent saisi par l’envie de serrer sur son coeur ce couple qui reprend vie sous la plume puissamment évocatrice d’Olivia Elkaim.

L’on se retrouve ainsi plongé dans les couleurs et les odeurs d’une Algérie à laquelle Marcel et Viviane s’accrochent désespérément, comme à un navire en train de couler. Ils sont bientôt jetés dans le flux d’un exode dont ils ne se doutent pas encore, ni qu’il sera sans retour, ni qu’ils y perdront, non seulement leurs possessions, y compris les plus sentimentales, mais aussi leur dignité et leur identité. Indésirables de part et d’autre de la Méditerranée, marqués malgré eux de l’injuste sceau d’une infamie et d’une traîtrise dont le sentiment prévaut dans l’opinion publique, le couple et ses enfants vont bientôt découvrir que le pire reste à venir. Contraints à des conditions de vie effroyables, ils finiront à force de courage par se faire un chemin, mais resteront bafoués pendant des décennies par une administration française sourde et aveugle. Quels plus grands symboles de leur souffrance que cette clef soigneusement conservée qui n’ouvrira jamais plus aucune porte, et que ce souvenir d’un modeste cimetière aux tombes désormais vouées à l’oubli et à l’abandon ?

Avec la troisième génération aujourd’hui, une page se tourne : en pleine réappropriation d’un passé qu’elle avait longtemps rejeté, la narratrice se découvre enfin capable d’empathie pour l’amertume et la mélancolie de ses grands-parents. Maintenant que les témoins directs ont disparus, ce livre est l’occasion d’une réconciliation avec des origines qu’elle se déclare prête à ne plus oublier, en même temps qu’un nécessaire témoignage et un émouvant hommage. C’est la gorge serrée et les cils humides qu’on en achève la lecture. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

Ça voulait dire quoi, être français, être algérien ? Marcel n’avait pas beaucoup d’instruction. Il ne lisait jamais de livres. Écrits trop petit, phrases trop longues… Il ne comprenait pas tous les mots. Mais ces questions-là le taraudaient en silence.   
Il était français par accident. Ses quatre grands-parents étaient des Juifs indigènes, issus de familles berbères autochtones installées depuis plusieurs siècles à Relizane. Ils avaient été naturalisés, comme les 35 000 Juifs du territoire, en 1871, par le décret Crémieux. Mais ils n’avaient rien réclamé, eux ! Marcel ne comprenait pas par quelle magie lui et toute sa famille avaient plus de droits que les Musulmans maintenus sous le régime de l’indigénat.   
Sa nationalité française le plaçait dans une position de colon. Oui, il devenait un colon au même titre que certains exploitants agricoles, ceux qui traitaient les Arabes comme leurs esclaves. Il y avait tellement d’histoires, y compris ici, à Relizane, de domestiques engrossées par des patrons blancs, forcées d’avorter ou expédiées dans le Sud, de jeunes types fouettés à mort pour un seau d’oranges volé. Ça lui donnait envie de vomir.

Il s’attarde près de la sépulture de la deuxième Clotilde – prénom maudit chez les Elkaim –, dont on tait qu’elle s’était suicidée à quinze ans pour échapper au mariage. Sa sœur avait dit non, mais personne ne l’avait écoutée. Les bijoux, le trousseau, tout était réglé, l’époux choisi pour elle, la date fixée avec le rabbin. Quelques jours avant la cérémonie, Clotilde avait avalé de l’eau de Javel et un litre de soude caustique. Sa sœur s’était dissoute de l’intérieur, visage hurlant, mains serrées sur les bouteilles vides.
 
– Qu’est-ce qu’on va devenir, Marcel ? Il va falloir partir. Les enfants… Ils vivent comme des prisonniers.
Viviane murmure pour ne pas réveiller Pierre et Jean. Elle répète, comme un perroquet, des choses entendues ici ou là.
– La France, c’est le pays des droits de l’Homme.
– Les Levy qu’on voyait à la synagogue, ils se sont installés à Haïfa. Il faut réfléchir, pas se précipiter.
– Haïfa… en Israël ? Arrête tes bêtises. Nous, on est français.
– Ce que la France te donne, elle peut le reprendre. T’as déjà oublié la guerre ? Toi aussi, t’es devenue une apatride, à toi aussi, on t’a marqué « juive indigène » sur la carte d’identité. Tu te souviens de la cousine Arlette ? C’était la première de sa classe, on l’a empêchée de hisser le drapeau, juste parce qu’elle était juive.
– Dans mon cœur, je suis française, je n’ai jamais été rien d’autre. Ni indigène, ni séfarade, ni je ne sais quoi. Française. Je suis née juive, je mourrai juive et parfois, ça me pèse, tout le tralala pour faire plaisir à ta mère, au rabbin, à la communauté, pour être bien vue des uns et des autres. Mais française, tu vois, c’est comme un cadeau qu’on m’a fait.
– T’es trop romantique, Viviane. Tu comprends pas que ça va nous obliger à tout abandonner, ton romantisme de pacotille, ça va nous obliger à tout recommencer ailleurs ?
– Tu ne m’as jamais entendu dire un seul mot en arabe, en espagnol, jamais ! Et pourtant mes parents les parlaient à la maison. Je n’ai peut-être pas été beaucoup à l’école mais je sais que le français est ma langue et l’Histoire de France, mon histoire ! Je veux que mes enfants soient des enfants de la République française.

Dans les archives de Marcel, je retrouve des articles (Libération, Le Monde, Le Nouvel Observateur) et des extraits du discours de Jacques Chirac en 1995, reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la déportation et l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale : « Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. » Marcel a ajouté dans la marge : « Pourcoi Degaule a jamais di ca, lui ? » (sic).
 
Je perds mes moyens dès qu’il s’agit de refaire mes papiers. Une peur tenace m’étreint face aux agents préfectoraux. Et si l’un d’eux me demandait, d’un air forcément patelin, de prouver que je suis bien d’ici ?
« Cochez :
– Vous êtes français parce que vous êtes né en France et l’un de vos parents est né en France.
– Parce que l’un de vos parents est né dans un ancien département ou territoire français (sous certaines conditions de dates et de lieux). »
Ma vue se trouble devant les formulaires d’état civil.   
La création d’un ministère de l’Identité nationale, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, m’avait plongée dans l’effroi. Devrais-je un jour, moi aussi, me justifier ? Mon identité n’était-elle pas fixe et définitive, française ?

Mes aïeux s’établissent à Relizane, plusieurs siècles avant la colonisation de l’Algérie par la France, au début de la régence d’Alger. Sans doute espéraient-ils, en s’installant dans ce bled pourtant si peu hospitalier, malgré leur statut de dhimmi et la peur des persécutions, ne plus jamais avoir à en repartir, se fixer là pour toujours.

Les voyages et tous types de déplacements me rendent folle. Préparer une valise, même pour un court week-end, me réclame un effort de plusieurs jours. Je voudrais rester figée au même endroit, ne jamais avoir affaire aux gares et aux aéroports. Quand j’arrive dans un hôtel, je déballe ma valise à roulettes, m’installe sur-le-champ, comme si j’allais demeurer là toute ma vie. Pour moi, les départs sont toujours définitifs et les retours jamais certains.

Quand mon père, mon oncle, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère débarquent à Toulouse, une nuit de la fin juin 1962, ils sont, comme tous les rapatriés d’Algérie, les méprisés de la société française.

En Conseil des ministres, le 18 juillet 1962, Louis Joxe, chargé des affaires algériennes, s’exclame : « Les pieds-noirs vont inoculer le fascisme en France. Dans beaucoup de cas, il n’est pas souhaitable qu’ils retournent en Algérie ni qu’ils s’installent en France. Il vaudrait mieux qu’ils aillent en Argentine, au Brésil ou en Australie. »
Georges Pompidou, Premier ministre, abonde : « Pourquoi ne pas demander aux Affaires étrangères de proposer des immigrants aux pays d’Amérique du Sud ou à l’Australie ? Ils représenteraient la France et la culture française. »
Quelques jours avant, Gaston Defferre, maire socialiste de Marseille, a donné une interview à Paris-Presse : « Que les pieds-noirs aillent se faire pendre ailleurs où ils voudront ! »
 
Jusque récemment, le terme « pieds-noirs » me mettait tellement mal à l’aise que je me refusais à le prononcer. Dans mon esprit enfantin, mon père avait les plantes de pied crasseuses, comme sa peau l’était lorsque, après quatre jours et quatre nuits à La Sénia, il avait grimpé dans l’avion pour Toulouse. Il était un « pied-noir », c’était son identité. La société entière lui reprochait de puer, de porter sur le corps les stigmates visibles de son exil, de les exposer à des regards qui ne voulaient pas les voir.   
Souliers supposés vernis des premiers immigrants au XIXe siècle, jambes des colons noircies en défrichant les marécages, soutiers des bateaux à vapeur aux pieds salis par le charbon… Je cherche sur Internet : l’origine du terme est incertaine. « Pied-noir » désigne les Français d’Algérie et, par extension, ceux d’ascendance européenne installés dans les protectorats du Maroc et de Tunisie. Entre 1962 et 1965, environ un million d’entre eux ont débarqué en France. Parmi eux, 100 000 Juifs sur les 130 000 que comptait le pays natal de mes grands-parents.

Cet été-là, 67 956 rapatriés débarquent dans la région Midi-Pyrénées. C’est beaucoup moins qu’à Marseille, où 450 000 pieds-noirs affluent par l’aéroport de Marignane et par la mer. Chaque jour, les paquebots, cargos, navires-citernes, et même les chalutiers, déversent des milliers de pauvres gens. Face à cette marée humaine, les pouvoirs publics sont dépassés.


 

mardi 16 mars 2021

[Bertrand, Didier] La folle erreur de Don Cortisone

 




J'ai aimé

 

Titre : La folle erreur de Don Cortisone

Auteur : Didier BERTRAND

Parution : 2021

Editeur : Librinova

Pages : 367

 

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Framboise est géniale, mais sa nouvelle idée bouscule un peu trop les codes. Cela lui vaut même d’être licenciée par les célèbres chausseurs italiens qui l’emploient ! Elle retrousse alors ses manches et décide de mener son projet à bien envers et contre tout, assistée de sept mamas sacrément coriaces. Lorsqu’elle découvre que ses anciens employeurs lui ont volé son idée, la jeune femme ne se laisse pas marcher sur les pieds : elle fonce pour récupérer son bien… sans se douter qu’elle provoque ainsi la mafia.

Très occupé à gérer blanchiment d’argent et trafic de cannabis, le parrain Don Cortisone, lui, a d’autres chats à fouetter : son rival de Calabre lance une guerre des gangs. Et contre toute attente, Framboise se révèle être une sacrée épine dans le pied ! Pour ne rien arranger, voilà que l’arrivée de l’agent K5, qui remontait la piste de la drogue, est imminente…

Un polar humoristique enlevé et rafraîchissant, qui donne le sourire !

 

Un mot de l'auteur sur sa biographie :

Je n'ai jamais su répondre à la question "Et toi, qu'est-ce que tu fais ?" En général, cela me fait bugger. Alors un ange passe… et moi, je passe souvent pour un type sans vie. Je m’intéresse à tout et j’adore apprendre. On pourrait même dire que c'est ce qui me caractérise. Et s'il faut donner des faits, je suis moniteur de kayak en eaux-vives, ingénieur en monétique, animateur d'un groupe Facebook lié à l'écriture et au développement personnel, mais aussi père de deux enfants, le plus difficile métier au monde, et ex-rédacteur d'un blog sur la parentalité positive, les neurosciences et les apprentissages. J’ai également beaucoup voyagé seul dans une trentaine de pays et monté une expédition en 2005 dans le nord de l’Afghanistan. J’ai réalisé un film de cette aventure, projeté dans les festivals de voyage. J'ai 46 ans et envie d'écrire. 

 

 

Avis :

Lorsque ses anciens employeurs, de célèbres chausseurs italiens, lui volent sa dernière idée créative, Framboise est bien décidée à contre-attaquer et à faire valoir ses droits. Elle est loin de se douter que son action va faire d'elle un chien dans un jeu de quilles : celui du blanchiment de l’argent récolté par la mafia dans un vaste trafic de drogue. Elle se retrouve bientôt sur la route du parrain Don Cortisone, par ailleurs en guerre contre son rival calabrais, et serré de près par les services secrets britanniques.

Pétillante et rythmée, cette histoire truffée de traits humoristiques finit, l’air de rien et sans jamais se prendre au sérieux, par embarquer le lecteur dans le suspense de ses rocambolesques péripéties. Car, pendant que la narration s’amuse à pasticher romans et films d’espionnage tout en multipliant les références en tout genre, elle n’en oublie pas moins de soigner ses rebondissements avec précision. Leur extravagance volontairement improbable s’assortit ainsi de l’évocation crédible et détaillée des lieux et des atmosphères, et c’est avec plaisir que l’on voyage des montagnes du Japon au port de Gênes, en passant par le désert d’Arizona. Archétypaux et flamboyants, les personnages respectent quant à eux la traditionnelle opposition entre les bons et les méchants, s’adjoignant un fort capital de sympathie et de loufoquerie au travers d’un gang d’indomptables mamies italiennes.

Un peu sceptique au début, je me suis laissée emporter par ce divertissement sans prétention qui, s’il ne m’a pas fait rire aux éclats, m’a néanmoins fait passé un agréable moment, au rythme d’aventures sans temps mort. Mi-comédie, mi-roman d’action, ce livre s’imagine assez aisément adapté sur grand ou petit écran. Il laisse également facilement entrevoir la possibilité d’un second volet, où tous ces personnages seraient cette fois aux prises avec le successeur calabrais de Don Cortisone… (3/5)

 

Citation : 

Mon nom est McIntosh, Jazz McIntosh, nom de code K6.
— Cassis ? Ça alors ! Moi c’est Framboise, dit Framboise.
— Je sais ! Nous nous sommes rencontrés en Arizona, tu te souviens ? Et, au fait, c’est K6 avec un K.
— Cassis avec Inca ? Tu es péruvien ?
— Non, écossais, pourquoi ?

 

Du même auteur sur ce blog :