Coup de coeur
💓💓💓
Titre : Avec vue sur la mer
Auteur : Didier DECOIN
Editeur : Nil Editions
Parution : 2005
Pages : 216
Présentation de l'éditeur :
"J'ai fait ce livre pour dire que je n'habite pas une maison mais que je
suis habité par elle..." Lorsqu'il était enfant, Didier Decoin
a passé des vacances dans la Hague, au Nord du Cotentin. Il est tombé
amoureux de cette région et a passé des années à y rechercher une
maison. Il nous raconte joliment ses mésaventures immobilières, les
péripéties inévitables liées aux travaux, les tempêtes, son jardin, les
petits bonheurs du voisinage et des nourritures terrestres qu'offre ce
pays normand battu par la mer et le vent. "D'une certaine façon, ce
livre est traduit d'un autre livre, de granit celui-là, où depuis
vingt-cinq ans je grave quelques unes des plus belles pages de
l'histoire de ma vie." Pour un écrivain, parler d'une maison que l'on
aime, c'est une autre façon de parler de soi... Le Combourg de
Chateaubriand, la Treille Muscate de Colette, le Malagar de Mauriac, le
Manosque de Giono ou les Charmettes de Rousseau appartiennent autant à
la biographie de ces auteurs qu'à leurs oeuvres. Ici, Didier Decoin
nous offre de très belles pages autobiographiques où se retrouvent,
mêlés aux souvenirs d'enfance et aux évocations de sa famille, la
tendresse, l'humour et l'émotion.
Avis :
Rares sont les ouvrages où j'ai trouvé un tel plaisir de la langue française, où la beauté des mots et des tournures de phrases me les a fait remâcher plusieurs fois avec gourmandise et admiration. Avec vue sur la mer rejoint le panthéon de mes plus grands coups de coeur, ceux que je compte sur les doigts d'une seule main.
Didier Decoin y relate comment il est tombé amoureux de la Hague et de la pointe du Cotentin, évoquant sa recherche d'une maison avec vue sur la mer, les mésaventures de ses travaux d'aménagement, ses bonheurs en famille au bord d'une mer turbulente et embrumée, tellement loin de la lisse "Meradoville".
A l'humour qui m'a presque autant fait rire que dans Je vois des jardins partout - où il partage sa passion pour les jardins -, s'ajoutent une tendresse et une émotion d'autant plus touchantes qu'elles résonnent avec mes propres coups de coeur pour des lieux qui me sont chers. Ce sont ces émotions et ces attachements qui ont nourri l'écriture des romans de Didier Decoin : s'y retrouvent des lieux, comme la ville de la Hague qu'il décrit plusieurs fois sous la forme d'un poisson, les îles anglo-normandes, les ports..., et les odeurs, qu'on regrette de ne pouvoir sentir au travers des pages.
Je suis définitivement admirative de la plume de cet auteur, qui sait si bien choisir les mots pour transcrire l'émotion sans jamais l'évoquer. (5/5)
Citations :
Nous quittâmes Me B… avec la conviction que, derrière son apparence de notaire de province affable et bon vivant, se dissimulait un dangereux pervers qui, ne pouvant trouver sa jouissance qu’en sapant le moral de ses concitoyens, utilisait le découragement comme d’autres l’arsenic. Je l’imaginais assez bien sous les traits de Michel Serrault dans un film de Chabrol, quittant son étude courbé sous le crachin, se dirigeant en ricanant vers quelque brasserie où il avait ses habitudes – et surtout ses victimes auxquelles il instillait subrepticement des doses de pessimisme qui, pour n’être pas létales, étaient mesurées de façon à provoquer des lésions irréversibles dans leur aptitude au bonheur.
La mise au propre d’un manuscrit implique en effet un nettoyage drastique, une épreuve du feu, un brûlage impitoyable du superfétatoire et du redondant, un débroussaillage qui doit conduire à ce que François Nourissier appelle joliment « l’écriture maigre » - ce langage diaphane, ces mots lévriers, ce verbe souple et coupant comme les graminées des dunes, cette manière de tout montrer sans presque rien dire.
En quittant la maison, j’emporte des souvenirs à la Hulot, crépuscules incendiés, agapanthes bleues, peaux salées, galets brûlants roulant sous les pieds nus, senteur des herbes miellées, siestes légères sur les chaises longues copiées sur celles du Queen Elizabeth, menuets d’abeilles en petits gilets de majordome allant et venant sous les tentures gris sombre des orages, ombres mauves, amertume anisée des salades estivales, fourmis ailées montant en procession du dessous des pierres chaudes pour un premier et dernier vol d’amour et de mort, jacasseries huileuses des goélands, et tout là-bas, dominant le froissement de soie du ressac, la cognée un peu essoufflée du diesel d’un chalutier.
Le cercle de lumière que décrit le pinceau du phare révèle un rideau de pluie qui ondule sur la mer, scintillant et crépitant comme s’il était constitué de perles de verre. Le vent de suroît touche la côte avant l’averse. Les raquettes des palmiers se renvoient ses rafales comme des joueurs de tennis se mitraillant de balles pendant les échauffements.
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