
Bonjour Christelle Fouix.
Cet été est sorti votre livre Chronique d’une emprise, qui, je crois, est votre premier roman publié. Pouvez-vous décrire en quelques mots votre parcours et ce qui vous a mené à l’écriture ?
J’écris depuis toute petite. En maternelle, quand on nous lisait des
albums, je me disais « c’est ça que je veux faire dans la vie comme
métier, être la personne qui écrit les histoires des livres ». Je ne
connaissais pas le mot écrivain que je voulais déjà l’être. J’ai écrit
mon premier roman en 6e sur une vieille machine à écrire
achetée aux puces. J’ai ensuite écrit un roman par an puis des nouvelles
au lycée, qui m’ont valu plusieurs prix, dont celui du concours
international de poésie « Poésie en Liberté » en 2002. Ce cru de 2002
fut d'ailleurs riche en artistes, puisque j’ai rencontré, parmi les autres
lauréats, Romain Cogitore, réalisateur du film « L’autre continent »
moult fois primé et Victor Rodenbach, scénariste, entre autre de la
série 10 pour cent.
Parallèlement, j’avais très envie de m’engager socialement, alors
après mes études d’anglais j’ai opté pour un diplôme d’état d’éducateur.
J’ai rencontré mon âme sœur, eu un enfant et déménagé plusieurs fois ;
une pause d’écriture, tout du moins de romans, pendant quelques années,
pris par les tourbillons d'un quotidien d'obligations. Et puis, au
détour d’une fin de CDD, l’envie d’écrire à nouveau des romans, qui ne
m’avait jamais quittée, a ressurgi, et j’ai écrit Chronique d’une Emprise.
Votre livre parle d’une relation toxique entre deux
adolescents, l’une subissant les manipulations de l’autre, pervers
narcissique. Qu’est-ce qui attache tant ces deux jeunes adultes l’un à
l’autre ?
C'est une belle question. La souffrance, je crois. Parce que les deux
souffrent. Mais ils n'ont pas les mêmes mécanismes de défense ; pour
l'un, ce sera asservir et se nourrir de l'autre pour être aimé, et
l'autre, se soumettre pour être acceptée. Les deux faces d'une même
maladie en somme. Ensuite, ils ont tout de même beaucoup de points
communs, et notamment l'écriture.
Christelle, le personnage principal de votre livre, c’est vous… Jusqu’à quel point ?
Vous avez raison de souligner cela...En écrivant un roman et non un
témoignage (même si certains lecteurs écrivent que c'est un "beau
témoignage"), j'ai voulu sublimer la réalité. C'est d'une grande banalité
en littérature, et tous les écrivains vous
l'expliqueront...Différemment sans doute, mais c'est la même chose au
fond. L'écriture façonne un personnage, la vie abrite des êtres humains.
Le personnage de Christelle a bien sûr mon parcours, mais comme il
n'est narré qu'à une période donnée, j'ai dû lui attribuer des signes
extérieurs d'innocence correspondant à mon schéma narratif...Par
exemple, moi je n'ai jamais bu de lait au miel...C'est un détail qui
peut faire sourire, mais un personnage est fait de détails, et la
Christelle du livre en a quelques uns qui n'ont jamais été moi.
Par contre, pour les passages du journal, ce sont les vrais d'époque,
tout comme la photo en noir et blanc de la couverture, qui est la vrai
photo prise par Christophe.
Pourquoi est-ce devenu essentiel pour vous de relater votre expérience ? Ce livre vous a-t-il permis d’avancer dans votre vie ?
Cette expérience m'empêchait d'avancer. Et j'avais envie d'écrire à
nouveau, après un arrêt dû au quotidien. Comme je ne me sentais pas
légitime d'écrire à nouveau un roman, j'ai décidé, au départ, d'écrire
une catharsis. Ca me sécurisait d'y trouver un côté "utilitaire" car
j'avais très peur de me relancer. Adolescente, j'avais gagné des
concours, mais adulte, plus rien ne me prouvait que j'en étais
capable...
Cette catharsis est devenu un roman grâce à mon éditeur qui m'a
demandé de le réécrire "parce qu'il manquait quelque chose", ce quelque
chose étant la parole du pervers. Et c'est là que l'effet cathartique a
réellement eu lieu. Et m'a permis d'avancer. D'une part, une fois
l'histoire écrite, et d'autre part, en lisant la réaction des lecteurs.
Que ce soit celles qui ont vécu l'emprise ou ceux qui m'ont avoué
l'avoir exercée, cela m'a fait du bien de dialoguer avec eux, de mettre
de la distance, de faire de mon histoire un point de départ à la
discussion.
Que souhaitez-vous que ce livre contribue à changer, pour vous et pour toutes les autres victimes d’emprise ?
J'aimerais que le point de vue simpliste sur l'emprise change. Cela
paraît ambitieux quand on sait à quel point les vieux schémas ont la vie
dure, mais je compte bien réaliser des conférences sur le sujet,
intervenir dans les lycées, quand la situation sanitaire le permettra.
Les pervers narcissique (hommes et femmes), comme on les appelle (et
je ne sais pas, moi, si le personnage de Christophe en est un, je ne
suis pas psychiatre) ne sont pas de gros méchants qui dès l'enfance
auraient avalé un démon pour se nourrir du sang d'innocents êtres
angéliques. Ce sont des personnes qui se sont construites dans la toute
puissance et le contrôle suite à un vécu traumatique, et qui vont aller
chercher des personnes qui auront la capacité de se soumettre, justement
elles aussi suite à un vécu traumatique ou un défaut de confiance en
soi. Si vous mettez un pervers narcissique face à quelqu'un de très bien
dans ses baskets, il ne se passera pas grand chose ; plus que la
personne maléfique, c'est la RELATION entre deux individus qui est
perverse. Malheureusement les personnalités de type narcissique se
remettent rarement en question et vont très peu se faire soigner,
contrairement aux victimes, qui, en quête de réponse, passent plus
facilement la porte d'un cabinet de psy.
Ce qui frappe, entre autres, dans votre histoire, c’est
l’aveuglement apparent et la passivité des témoins et de l’entourage à
cette époque. Pensez-vous que la sensibilisation récente au fléau du
harcèlement à l’école puisse contribuer à lutter efficacement à l’avenir
contre ce genre de situation ?
Je l'espère sincèrement. On avait tellement tendance, à l'époque, à
détourner le regard, à se dire que de toute façon, les victimes
n'avaient qu'à apprendre à se défendre...Ce qu'on oublie, c'est que les
enfants harceleurs ont aussi besoin d'aide : parfois ils reproduisent
des comportements qu'ils ont subis.
En plus de cela, il faut du courage, même à des adultes, pour se
dresser devant une bande d'adolescents volontiers vindicatifs et de plus
en plus violents. Mes professeurs de mon premier lycée ne l'ont pas eu à
l'époque. Mon but ici est vraiment qu'après la lecture de ce qui peut
se passer, leur empathie prenne le pas sur la crainte et qu'ils osent,
collectivement et avec les politiques publiques allant dans ce sens,
protéger celles et ceux qui en ont besoin, et surtout, prévenir ces
phénomènes avant qu'ils n'arrivent.
Vous avez toujours aimé écrire. Avez-vous d’autres projets de livres ?
Oh oui ! Pour 2021, un roman pour enfant va paraître, toujours aux
éditions Libre2Lire et toujours avec un angle social, puisqu'il traitera
d'une amitié entre deux petites filles, dont l'une est demandeuse
d'asile. Il s'appelle "Quelque chose comme de la Joie".
Ensuite, je suis sur un recueil de nouvelles, genre que j'affectionne
beaucoup, et j'ai deux autres romans qui tournent en boucle dans ma
tête, et qui n'attendent que la fin de mon CDD d'éducatrice pour
s'écrire !
Avez-vous d’autres passions en dehors des livres ?
Bien sûr. J'adore la marche, la nature, la course à pied. Faire des
jeux avec ma fille. Visiter des musées avec mon chéri. Faire des
karaokés en famille. Regarder mes poules en buvant mon café le matin.
Méditer. Manger des sushis. La vie, en somme.
Merci Christelle Fouix d’avoir répondu à mes questions.
Merci à toi pour ces questions très pertinentes ! J'ai adoré y répondre. Merci !
Retrouvez ici mon article sur Chronique d'une emprise.