vendredi 16 octobre 2020

[Bouysse, Franck] Buveurs de vent

 


 

 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Buveurs de vent

Auteur : Franck BOUYSSE

Parution : 2020 chez Albin Michel

Pages : 400

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ils sont quatre, nés au Gour Noir, cette vallée coupée du monde, perdue au milieu des montagnes. Ils sont quatre, frères et sœur, soudés par un indéfectible lien.
Marc d’abord, qui ne cesse de lire en cachette.
Matthieu, qui entend penser les arbres.
Puis Mabel, à la beauté sauvage.
Et Luc, l’enfant tragique, qui sait parler aux grenouilles, aux cerfs et aux oiseaux, et caresse le rêve d’être un jour l’un des leurs.
Tous travaillent, comme leur père, leur grand-père avant eux et la ville entière, pour le propriétaire de la centrale, des carrières et du barrage, Joyce le tyran, l’animal à sang froid…

Dans une langue somptueuse et magnétique, Franck Bouysse, l’auteur de Né d’aucune femme, nous emporte au cœur de la légende du Gour Noir, et signe un roman aux allures de parabole sur la puissance de la nature et la promesse de  l’insoumission.

 
  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Franck Bouysse est né à Brive-la-Gaillarde en 1965. Il a publié une quinzaine de romans dont Grossir le ciel, couronné par de nombreux prix (prix SNCF du polar 2017, prix Sud-Ouest du polar 2016…), et Né d’aucune femme (prix des libraires 2019, prix Babelio 2019, Grand prix des lectrices de Elle 2019…)

 

 

Avis :

Dans cette vallée coupée du monde, la vie tourne autour du barrage, de la centrale hydroélectrique et de la carrière, propriétés du puissant et tyrannique Joyce. Pourtant, par une sorte d’effet papillon, une suite d’évènements va peu à peu lézarder l’ordre établi, sous l’involontaire impulsion d’une fratrie de quatre jeunes gens, loin d’imaginer ce que leur insoumission va déclencher.

Buveurs de vent confirme la règle : lire Franck Bouysse, c’est toujours plonger dans l’ineffable plaisir d’une écriture dotée d’un vrai style, ciselé, éblouissant, comme il en existe bien peu. A elle seule, cette plume vaut déjà le détour. Quand elle s’allie à une histoire qui sait si bien transcender le registre du rural noir déjà magistralement exploré dans les précédents romans de l’auteur, tout est réuni pour porter l’admiration du lecteur à son comble et pour souhaiter à ce livre les plus grandes récompenses.

Car, tout en restant fidèle à ses sombres drames de la campagne, campés autour de personnages qui cachent leurs cicatrices sous un silence de plomb, dans une nature aussi âpre que splendide, Franck Bouysse réussit ici à se renouveler, sous la forme d’un roman métaphorique qui nous emmène dans un monde imaginaire à l’ambiance travaillée et très particulière. Le résultat est un hymne au miracle de la vie et des forces de la nature, une réflexion sur notre façon de mener ou de subir notre existence, une évocation de la puissance du langage et de la littérature, le tout traversé de fulgurants moments d’amour et de constantes références au divin et à la religion.

Combat entre l’ombre et la lumière, ce drame singulier, parfois déroutant, aux multiples miroitements poétiques et métaphoriques, pousse un cran plus loin le talent de Franck Bouysse, plus que jamais maître dans l’art de tenir ses lecteurs sous le sortilège de sa manière de conter et de son inimitable écriture. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations : 

À la sortie de l’école, les enfants se rendaient au viaduc fait d’une arche monumentale supportant la ligne ferroviaire et sous lequel coulait la rivière, comme un fil par le chas d’une aiguille. Les soirs de beau temps, le soleil déchirait la surface en milliers de bouches grimaçantes et tatouait des ombres sur la terre craquelée en une symbolique éphémère, qui se déplaçait, pour disparaître au crépuscule, effacée par un dieu idiot. Par mauvais temps, des lambeaux de brume s’effilochaient en fragments vaporeux, tels de petits fantômes hésitant entre deux mondes.

Ses yeux bleu-gris étaient comme deux planètes jumelles cernées de brume, reposant sur d’énormes poches vouées à contenir tous les débordements qu’il ne s’autorisait jamais hors de sa solitude.

Avec la parole, Martin était comme un géomètre perdu en pleine forêt vierge, à ne jamais savoir où poser les jalons pour tracer un chemin cohérent de mots.

Au loin, le soleil glissait lentement à l’intérieur de la forêt, comme une pièce d’or dans une tirelire.

Habiter à nouveau le passé, en un temps situé bien avant que les hommes ne détournent la beauté à leur convenance, au travers de fresques, de statues et de mots, pour s’imaginer un instant les créateurs de cette beauté, alors qu’ils auraient dû se satisfaire d’en être les gardiens. Matthieu ne pensait pas que l’on puisse magnifier l’évidente splendeur de la nature. À la différence de Marc, il ne croyait pas à l’art, persuadé qu’il transposait la poésie routinière du monde en un projet humain, rien qu’humain. Pour Matthieu, l’art était une invention des hommes pour peindre la mort aux couleurs de la vie.

Dans la forêt, la source de la vie était précisément la mort de tout. Elle se nommait humus, un lit dans lequel naissaient d’innombrables racines, s’enfonçant, chevauchant, butant, contournant, perforant ; un lit dans lequel vadrouillaient les formes primales, disparaissant en profondeur, au fur et à mesure que l’oxygène venait à manquer ; un lit dans lequel la méticuleuse et opiniâtre décomposition de la mort conduisait à la vie ; un lit dans lequel se réveiller et s’endormir.

Le vent se leva, donnant un volume supplémentaire à la forêt, comme un oiseau gonfle son plumage pour impressionner l’ennemi, signifiant que quoi que les hommes entreprennent contre elle, que quelque infime bataille gagnée n’en feraient jamais un vainqueur.
 
On veut faire croire aux hommes que le temps s’écoule d’un point à un autre, de la naissance à la mort. Ce n’est pas vrai. Le temps est un tourbillon dans lequel on entre, sans jamais vraiment s’éloigner du cœur qu’est l’enfance, et quand les illusions disparaissent, que les muscles viennent à faiblir, que les os se fragilisent, il n’y a plus de raison de ne pas se laisser emporter en ce lieu où les souvenirs apparaissent comme les ombres portées d’une réalité évanouie, car seules ces ombres nous guident sur cette terre. 
 
  

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H
 

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