mercredi 13 janvier 2021

[Bouysse, Franck] H. (trilogie)

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : H. (trilogie)

Auteur : Franck BOUYSSE

Parution : Chaque tome en 2008, 2010, 2012
                  Intégrale en 2020

Editeur : Le Livre de Poche

Pages : 486

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Qui est H. ? D’où vient-il ? Comment a-t-il surgi dans ma vie déjà bien entamée ? Ce qui ne m’avait jamais effleuré jusqu’alors commence à m’obséder. »
Ainsi débute le journal de John W., embarqué avec l’énigmatique H. dans une expédition sur les traces de l’explorateur Sir John Lucas parti vers l’île de Pâques. Un périple tumultueux comme le seront les errements de Walter Croft, un médecin aliéniste de l’asile de Bedlam et de son étrange patient Jonas… Des bas-fonds de l’East End où rode l’ombre de Jack l’Eventreur aux confins de l’Atlantique et de la forêt amazonienne, Franck Bouysse propose ici un véritable voyage initiatique ciselé comme une intrigue policière.

Paru initialement en trois volumes indépendants, H. est aussi un magnifique hommage aux univers de J. Verne, R. L. Stevenson, C. Doyle ou encore H. Melville.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Franck Bouysse est né en 1965 et partage sa vie entre Limoges et sa Corrèze natale. Grossir le ciel a rencontré un succès critique et public et a obtenu le Prix Polar SNCF en 2017 ainsi que le prix Sud Ouest / Lire en poche, le prix polar Michel-Lebrun, le prix Calibre 47 et le prix Polars Pourpres. Franck Bouysse est également l’auteur aux éditions de La Manufacture de Livres de Plateau, prix des lecteurs de la foire du livre de Brive, Glaise, et de Né d’aucune femme, prix Psychologies magazine.

 

 

Avis :

Qui est H. ? Quand s’ouvre en 1907 le premier épisode de cette trilogie, il apparaît comme le grand et brillant ami du narrateur britannique John W., qui se réjouit de le retrouver après une longue séparation et de se voir inviter à nouveau à l’accompagner dans une expédition à travers le monde. Un voyage bien mystérieux, dont John ne connaît ni la destination, ni l’objectif, mais pour lequel il est chargé d’armer un voilier et de recruter un équipage…

H. et W. comme Holmes et Watson : impossible de ne pas penser au célèbre duo lorsque l’histoire commence dans un Londres brumeux où John W. se prépare à accompagner H., cet homme apparemment admirable qui l’impressionne tant, dans une énigmatique mission. Celle-ci ne tarde pas à prendre les allures d’une chasse au trésor, transformant la narration en un récit d’aventure aux multiples périls, qui nous emmène, au travers d’une mer capricieuse et dangereuse, sur une mystérieuse île qui n’a pas toujours été déserte, puis en remontant les eaux boueuses d’un fleuve aux vapeurs mortifères, au coeur de l’étouffante forêt amazonienne. Devenu fantastique, le roman se met à naviguer entre mystères et mythes célèbres pour évoquer civilisations disparues, croyances religieuses et finalité de l’humanité, dans une apothéose où menace l’apocalypse. C’est ni plus ni moins à une ardente plaidoirie en faveur de l’espèce humaine, avec tous ses travers, ses dualités et son orgueil, mais aussi avec son émouvante capacité d’amour et d'émotion, ainsi que sa fascinante force créative et artistique, qu’aboutit cet étonnant mélange des genres.

Hommage à la littérature populaire du 19e siècle, sorte de pastiche des romans-feuilletons de l’époque où l’auteur entremêle roman policier, récit d’aventure et histoire fantastique, H. s’avère un ouvrage profondément original. Figurant parmi les premières publications de l’auteur, il révèle un talent protéiforme et une écriture déjà hypnotique. On y voit s’affirmer au fil des trois tomes la beauté d’un style qui fait, de la lecture de chaque roman de Franck Bouysse, une incomparable délectation. (4/5)

 

Citations :

Le soleil était dégrafé de l’horizon et le vent tournoyait dans la baie comme un esprit entre deux mondes.

J’ai tenté de dire que tous les hommes ne sont pas mauvais, qu’ils ne devraient pas tous payer pour la folie de quelques-uns. J’ai encore voulu parler du sacré et du beau, mais ils n’ont rien trouvé de beau et de sacré dans ce que j’avançais. Je leur ai lu des mots écrits, montré ce qui pouvait jaillir des mains d’un homme ou d’une femme, expliqué les liens qui peuvent unir deux êtres, des liens si puissants qu’ils ne font qu’un, des liens que nul ne peut défaire, des liens que nous ne connaîtrons jamais. Que nous ne comprendrons jamais.
Sygm n’a rien voulu entendre. Il a parlé du désir des hommes d’être plus que des hommes, affirmant que cette perversion n’a pas de fin, puisque pas d’assouvissement. Il m’a rétorqué que la beauté est la forme extrême de leur nature narcissique, que les statues et les monuments érigés ne sont conçus que pour leur propre gloire, que les liens qui unissent les êtres humains ne sont pas sains et qu’ils finissent tôt ou tard par les détruire, parce qu’ils n’y croient pas eux-mêmes durablement. C’est leur insatisfaction qui mène le monde (…).

Après le décès de son époux, étant très croyante et pour ne pas en vouloir à un Dieu de bonté, elle avait trouvé plus naturel de rendre coupable la terre entière de son malheur. La seule solution acceptable à ses yeux. La seule manière de poursuivre sa vie, engoncée dans des robes noires, qu’elle arborait pour bien montrer à ce monde qu’elle détestait tant qu’elle n’en avait pas fini avec un deuil commencé depuis quinze années, depuis que son mari avait été emporté par une angine de poitrine et qu’elle ne trouvait plus d’excuses au bonheur des autres. Sa vie n’était pas une vallée de larmes, mais une vallée aride.

Si l’on doit aimer un seul homme, on doit les aimer tous, au travers de cette nature qui les accable. Parce que être est un combat, une douleur profonde qu’ils défient en se voulant ailleurs et autrement. Devenir un autre, qui lui-même voudrait être un autre.

Il s’assit sur un ponton dévasté, surplombant un calme boueux, à la surface duquel remontaient des bulles d’air. Des alevins en bancs embrassaient la surface de leurs bouches gobeuses. Un oiseau pêcheur s’envola d’une brassée de roseaux, plongea et, de ses ailes tendues, prenant appui sur la rivière, en ressortit, traînant un temps une gerbe liquide, son bec éclairé par un ventre laiteux et frétillant.
 
Durant le trajet, Mary jette de fréquents regards par la vitre. Une manière de ne pas perdre le contact avec la réalité, ce que le roulis de l’attelage l’inciterait à faire. La ville est constituée de reliefs renouvelés, apparaissant, puis disparaissant derrière un mur de pluie. Des silhouettes aussi défilent en ne donnant pas pour autant vie au décor, de même qu’un personnage peint n’a jamais animé un tableau. C’est ce qu’elle ressent, cette exclusion du monde extérieur, puisqu’elle ne fait pas partie du tableau et qu’elle n’est pas non plus le peintre. Alors, qui est-elle vraiment ? Quel est le sens de sa vie ? Est-il si différent de ce qu’elle voit au-dehors ?

Les mots les plus grands sont ceux qui recèlent des expériences, pas des notions abstraites. Regarder est une notion, voir une expérience, exister est une notion, vivre une expérience.

Je me suis laissé envahir par ce monde, devenu sensible à sa beauté, plus qu’à sa noirceur. L’or n’est rien, s’il n’est transformé en bijoux, devenant toujours plus beaux grâce à la multitude des regards portés.
L’éternité est dans ces regards. La véritable éternité.

La nuit commence à se diluer dans la lumière naissante. Après tout ce temps passé sur cette terre, il m’est impossible de préférer le jour à la nuit. Au final, peut-être sont-ce les transitions qui m’émeuvent le plus. Le crépuscule est la superposition de la nuit sur le jour et l’aube, celle du jour sur la nuit. La sinueuse transcendance de l’un par rapport à l’autre est un doux mensonge dans lequel s’éteignent ou naissent les chants d’oiseaux surpris par un miracle sans cesse renouvelé. Regarder s’éteindre et s’illuminer ce monde recèle une beauté qui devrait à elle seule avoir raison de la suffisance de nos pensées.

J’ai vu tant de peuples différents, vivant nus ou vêtus, au fin fond de forêts ou au cœur des villes, de différentes couleurs de peaux, tant d’humains, qui au final avaient le même but, qu’ils cultivent, fabriquent, créent, s’accouplent, ou parlent : transmettre. Modestement ou avec vanité, les hommes ne pensent qu’à transmettre leur propre humanité, et à la transcender, en érigeant des monuments ou en fabriquant des objets. Leur manière d’arrêter le temps. La seule.

Dans sa bibliothèque, Balzac voisine avec Dickens, Molière avec Keats, Dumas avec Stevenson. Ses lectures font toute la différence entre le dénuement et une richesse permanente, nourrie des mots qui affûtent son esprit et tirent son âme vigilante vers une ultime vérité qu’il ne redoute pas. Il lit chaque matin. Ce bonheur lui suffit.

 

 

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