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mardi 29 mars 2022

[Manchette, Ludovic & Niemiec, Christian] Alabama 1963

 

 
 

 

J'ai beaucoup aimé

Titre : Alabama 1963

Auteur : Ludovic MANCHETTE
                et Christian NIEMIEC

Parution : 2020 (Cherche Midi)

Pages : 384

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Birmingham, Alabama, 1963. Le corps sans vie d’une fillette noire est retrouvé. La police s’en préoccupe de loin. Mais voilà que d’autres petites filles noires disparaissent…
Bud Larkin, détective privé bougon, alcoolique et raciste, accepte d’enquêter pour le père de la première victime.
Adela Cobb, femme de ménage noire, jeune veuve et mère de famille, s’interroge : « Les petites filles, ça disparaît pas comme ça… »
Deux êtres que tout oppose. A priori.
Sous des airs de polar américain, Alabama 1963 est avant tout une plongée captivante dans les États-Unis des années 1960, sur fond de ségrégation, de Ku Klux Klan et d’assassinat de Kennedy.
 

   

Le mot de l'éditeur sur les auteurs :

Christian Niemiec et Ludovic Manchette sont traducteurs : ils adaptent en français les dialogues de séries et de films, essentiellement américains. Alabama 1963 est leur premier roman.

 

 

Avis :

Cette année 1963, Birmingham, en Alabama, est une poudrière. C’est dans cette métropole, que Martin Luther King considère alors comme « probablement la ville où la ségrégation est la plus rigoureuse de tous les États-Unis », que le mouvement américain des droits civiques a choisi de concentrer son action en faveur de la déségrégation et de l’égalité des droits, pas seulement dans la loi, mais dans la réalité. Les protestations non violentes tournent à l’émeute quand le Ku Klux Klan répond par un attentat à la bombe contre une église exclusivement fréquentée par les Noirs. L’effervescence monte encore lorsque King prononce son discours historique I have a dream à l’occasion de la grande Marche sur Washington. La crise atteint un paroxysme quand John F. Kennedy est bientôt assassiné.

Pendant ce temps, et quoi qu’il en soit, Adela Cobb continue à se serrer avec les autres Noirs dans la section des bus qui leur est réservée. Lorsqu’elle sort le chien de l'un de ses employeurs, elle ne peut l’accompagner dans les parcs qui lui sont interdits. Veuve et mère de famille, elle survit d’un aléatoire salaire de misère en trimant comme femme de ménage pour des familles qui, bien souvent, la tolèrent à peine chez elles. Et si la police est contrainte de protéger les fillettes noires qui tentent de se rendre dans les écoles déségréguées, aussitôt boycottées par les élèves blancs, elle ne va pas jusqu’à s’émouvoir de la disparition de l’une d’entre elles, ni, ensuite, de la découverte de son corps sans vie.

Les assassinats de petites filles noires se multipliant, Bud Larkin, détective privé alcoolique en mal de clients, accepte sans enthousiasme d’enquêter pour le père d’une des victimes. Raciste par défaut plus que par conviction, dans un contexte où l'immense majorité de la société blanche n’envisage les Noirs que comme des sous-hommes, cet ours mal léché, cabossé par ses propres malheurs, se voit pour la première fois confronté aux implications concrètes de cet état d’esprit. Ses investigations ne vont pas seulement le mener sur les traces d’un insaisissable tueur en série, au coeur d’une affaire aux multiples rebondissements. Elles vont aussi lui ouvrir peu à peu les yeux sur l’ignominie de certains de ses semblables et sur les injustices supportées par ses nouvelles relations noires, pourtant bien compliquées à côtoyer. Car, s’il n’est pas évident de franchir le fossé d’incompréhension, de peur et d’hostilité mutuelles entre les communautés noire et blanche, y prétendre expose à la réprobation générale, voire à de terribles représailles.

Au-delà de l’enquête criminelle et de son suspense addictif, ce roman aux personnages attachants, restitués dans toutes leurs complexités et ambiguïtés, est une plongée puissamment réaliste au coeur d’une Amérique raciste au bord de l’implosion en cette année 1963. Sa lecture pourra trouver un prolongement dans celle du plus récent Un long, si long après-midi d’Inga Vesper, à mon avis moins percutant, mais assez complémentaire dans son approche plus féministe de la société blanche et raciste de l’Amérique de cette époque. (4/5)

 

Citations :

Elle monta dans le bus pour régler le trajet au chauffeur, avant de redescendre pour remonter par la porte du fond, réservée aux Noirs. Comme Sid, elle aurait aimé s’asseoir, surtout par cette chaleur, mais malheureusement toutes les places étaient prises. Enfin, pas toutes. Ce n’était pas les sièges libres qui manquaient à l’avant, mais ceux-là étaient réservés aux Blancs, et les Noirs ne pouvaient s’y asseoir que lorsqu’il n’y avait aucun Blanc. Or il y en avait un ce soir, qui avait dû se perdre… Même si officiellement la loi avait changé sept ans plus tôt, les mœurs avaient la vie dure à Birmingham. La seule chose qui avait changé depuis la déségrégation des bus, c’est que la population blanche les avait désertés au profit des voitures particulières.

D’ailleurs, je me demandais : vous préférez qu’on dise de vous que vous êtes une femme noire ou que vous êtes une femme de couleur ?
– Je préfère qu’on dise que je suis une femme bien.
– Ah… Oui. »

Ce matin, à l’arrière du bus, on ne parlait que de ces deux jeunes filles noires qui, la veille, avaient intégré West End, un lycée de la ville jusque-là réservé aux Blancs. Surtout, on parlait de ces élèves blancs dont la majorité avait refusé d’entrer en classe et de ces idiots qui avaient traîné derrière leur voiture un mannequin noir. Et aussi de la police qui, à ce qu’on racontait, n’y avait rien trouvé à redire, sinon qu’ils roulaient un peu vite, et qui les avait seulement priés de ne pas klaxonner ainsi devant une école.


 

jeudi 18 février 2021

[Villeneuve, Angélique] La belle lumière

 


 


Coup de coeur 💓

 

Titre : La belle lumière

Auteur : Angélique VILLENEUVE

Parution : 2020 (Le Passage)

Pages : 240

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Alabama, 1880. Dans une plantation du sud des États-Unis, la naissance d’Helen console sa mère d’un mariage bancal. Un monde s’ouvre entre Kate et sa fille, et puis tout bascule : les fièvres féroces ravagent l’enfant adorée.
Cette fillette à la destinée extraordinaire, beaucoup la connaissent. La renommée d’Helen Keller, aveugle, sourde et muette, enfant farouche tenue pour folle et puis surdouée, a franchi frontières et années.
Kate Keller, que La Belle Lumière éclaire aujourd’hui, semblait en revanche repoussée dans l’ombre à jamais. Sans elle, pourtant, sa fille aurait-elle pu accéder au miracle de la connaissance ?
Comme glissée au cœur de son héroïne, tant vibre dans ces pages le corps déchiré de Kate, Angélique Villeneuve restitue, de son écriture sensuelle et précise, la complexité d’une femme blessée et dévorée par l’amour. Dans ce Sud encore marqué par la guerre de Sécession et les tensions raciales, le lecteur traverse avec elle une décennie de sauvagerie, de culpabilité et de nuit. Mais découvre aussi, et c’est là la force du livre, un temps de clarté et de grâce.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Angélique Villeneuve est l’auteur de plusieurs romans, dont Les Fleurs d’hiver (Phébus, 2014), Nuit de septembre (Grasset, 2016) et Maria (Grasset, 2018 ; Grand Prix Société des Gens de Lettres de la Fiction). Elle écrit également pour la jeunesse.

Retrouvez ici mon interview d'Angélique Villeneuve.

 

 

Avis :

Née en 1880 en Alabama, Helen Keller perd la vue et l’audition à moins de deux ans, suite à une congestion cérébrale. Privée de moyens de communication et couvée par sa mère, Kate, qui lui passe tous ses caprices, l’enfant sans langage grandit comme un petit animal indomptable et passe bientôt pour une folle violente. Désespérée quant à l’avenir de sa fille, Kate fait appel à Anne Sullivan, éducatrice dans une école pour aveugles. En lui enseignant le braille et la langue des signes, la jeune femme transformera Helen qui, par sa brillante carrière d’auteur et de militante politique, sera la première à prouver au monde la capacité des personnes sourdes à communiquer et à trouver leur place dans la société.

Les célèbres Helen Keller et Anna Sullivan ont fait l’objet de maints ouvrages, et même de films. L’auteur a choisi de se glisser dans la peau de Kate, la mère, pour imaginer son ressenti à partir des faits réels connus. Après avoir failli perdre sa fille face à la maladie, voilà que peu à peu cette femme doit faire le deuil de l’avenir de son enfant, à mesure que le handicap s’avère sans recours malgré toutes les tentatives entreprises. Culpabilisée dans son rôle maternel, écorchée par la stigmatisation et le rejet, Kate se retrouve seule et démunie dans un quotidien devenu un enfer, et dans sa recherche désespérée d’un avenir pour sa fille quand tous l’ont déjà condamnée à l’asile psychiatrique. L’on frémit au passage du sort de toutes ces personnes sourdes qui, faute de langage et de moyens de communication, se sont retrouvées bloquées dans leur développement et considérées déficientes mentales.

Angélique Villeneuve recrée à merveille le contexte historique et l’atmosphère de cette demeure du sud des Etats-Unis qui n’a pas encore digéré la victoire des Yankees et l’abolition de l’esclavage. Ce n’est qu’ébranlée par son drame maternel que Kate finit par s’ouvrir au sort des plus faibles et à réaliser l’insupportable intolérance des blancs de son milieu...

Portée par une écriture fluide et sensible, cette fiction construite autour de personnages réels est une formidable leçon d’amour maternel et un lumineux plaidoyer pour l’acceptation de la différence. Coup de coeur. (5/5)