mercredi 12 juin 2019

Interview d'Alain YVARS (peintre et auteur de Que les blés sont beaux) - 11 juin 2019

 


  

Bonjour Alain Yvars, vous avez publié un roman :
Que les blés sont beaux : l’ultime voyage de Vincent Van Gogh,
ainsi qu’enregistré en livres-audio plusieurs nouvelles sur la peinture.



Pouvez-vous décrire en quelques mots qui vous êtes ?  

Je suis incapable de me décrire. Même mes proches auraient du mal... La vie m'a appris que nous sommes complexes, multiples, bien en peine de savoir ce qui dirige nos comportements. Peut-être en décodant nos gênes ?



Quel a été votre parcours avant de venir à l’écriture ?

Une vie professionnelle longue, aujourd’hui terminée, a occupé une bonne partie de ma vie. 

Celle-ci débuta lorsque j'avais 16 ans. Il fallait travailer. Issu d'une mère ouvrière et d'un père absent, j'ai passé mon enfance dans un petit studio parisien. Difficile dans ces conditions de faire des études, les inégalités sociales ne le permettant pas. Cela n'a d'ailleurs guère changé aujourd'hui. Plus tard, j'ai tenté de rattraper la culture qui me manquait et que je trouvais insuffisamment dans les livres dont je disposais adolescent.
Des études professionnelles supérieures, d'un bon niveau, me permirent de faire carrière dans la gestion administrative de nombreuses entreprises où j'appris la rencontre avec les autres et le partage. 

Ma femme, une Landaise qui n'a toujours pas perdu l'accent - c'est foutu pour elle - me donna une fille. Je viens de devenir grand-père récemment, ma fille et son mari ayant adopté un petit garçon d'origine africaine nommé Melvil qui les rend heureux.



Comment et quand vous est venue l’envie d’écrire ?

J'avais du temps et pouvais enfin penser à autre chose, faire ce que j'aimais.

Durant mes années professionnelles, je m'étais aperçu que je possédais une certaine facilité pour écrire. Sur un sujet donné, je pouvais écrire longtemps et plutôt bien.
J'avais gardé en mémoire, dans mes courtes études secondaires, les conseils prodigués par un professeur de français qui nous répétait sans cesse une maxime : "Faites simple, précis, concis". Je l'ai toujours appliquée car elle me correspondait.

Pratiquant la peinture, j'avais des idées d'écriture en tête.

La peinture et l'écriture ont de troublantes relations entre elles. Un chapitre de la Recherche de Marcel Proust m'inspirait. Il faisait mourir son personnage de l'écrivain Bergotte devant le tableau de Vermeer Vue de Delft : "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune".

J'ai donc commencé à écrire des nouvelles toutes en lien avec l'art. Le roman Que les blés sont beaux a été ensuite publié.
 


Parlez-nous de Que les blés sont beaux : qu’avez-vous voulu exprimer au travers de ce livre ? 

Ce livre est l'histoire d'une rencontre.

Ma première rencontre avec Van Gogh au musée d'Orsay n'avait pas été un franc succès. Etonnante Eglise d'Auvers, difforme et grimaçante sous un ciel plombé ! Je ne détestais pas... Ce style me déroutait. trop de couleurs. Des touches hachurées posées en pâte épaisse. Une peinture directe, sans fioritures. Je ne percevais pas sa singularité.

Moi, j'aimais les impressionnistes qui étaient finesse, subtilité, lumière. Lui était force et couleur. J'étais allé au Van Gogh Museum à Amsterdam pour tenter de trouver une explication, car l'essentiel de son œuvre se trouvait dans ce musée : à peine dix années de peinture de 1880 à 1890 et un nombre étonnant de toiles peintes par ce forçat de travail...  

Van Gogh m'avait bluffé ! Assis sur la balustrade faisant face au dernier tableau de la collection du musée : Champ de blé aux corbeaux, j'avais fixé, incrédule, les blés torturés de hachures orangées et ocre, verticales au premier plan, horizontales à l'horizon. Un chemin tortueux s'éclatait en trois branches agressives. Le ciel sombre, orageux, terrifiant, écrasait les blés. Un vol de corbeaux noirs donnait un aspect hallucinant à ce paysage de désolation.

Je n'avais rien compris à Paris... Je saisissais pourquoi les toiles de Van Gogh me dérangeaient autant. Cette technique toute en force maîtrisée donnait l'impression qu'un fauve s'était jeté sur la toile pour y planter ses griffes ? Ce Champ de blé aux corbeaux peint en juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, sur une toile d'un format de 100 centimètres sur 50, était un des derniers tableaux de l'artiste avant son geste désespéré.

En quittant le musée, j'arborais le même regard ébloui que les autres visiteurs s'en allant à regret... Un très grand peintre... Un génie... 

L'admiration que je portais au peintre et la sympathie que j'éprouvais pour l'homme cultivé que j'avais découvert dans ses écrits, m'a incité à me lancer dans ce roman biographique pour faire connaître la vérité de l'artiste sur cette période de deux mois passée à Auvers-sur-Oise. Vincent m'a beaucoup aidé dans sa riche correspondance, je n'ai eu qu'à suivre la chronologie de son parcours et tenter en imagination de lui donner une âme.

J’ai découpé le roman en trois parties : les deux premières du 17 mai au 30 juin 1890 montrent un peintre qui semble guéri de ses dernières crises qui le secouèrent en Provence, heureux de peindre, plein d’espoir, amoureux de la région qui lui rappelle sa Hollande natale. Dans la dernière partie du livre, ce maudit mois de juillet verra le retour de ses démons intérieurs.

Dans la plupart des livres que j’avais lus, on présentait trop souvent Van Gogh comme un être malade, anxieux, fou même parfois. J’ai voulu que la partie la plus importante de mon livre soit consacrée à cette période à Auvers - les soixante premiers jours -, que j’appelle « heureuse », celle qui m’intéressait. Je souhaitais essentiellement parler de ce court moment de calme, de plénitude du peintre où il était lui-même et pouvait ainsi s’exprimer pleinement.

J’ai donné ensuite, plus brièvement, comme je le ressentais, aidé par de nombreux documents d’époque et des correspondances, du peintre, de sa famille comme Théo et sa femme Johanna, de ses amis proches comme Emile Bernard, ou bien la jeune Adeline Ravoux, la fille de l’aubergiste, les vraies raisons qui amenèrent l’artiste à perpétrer son geste fatal.



Ce roman a dû vous demander une immense documentation. Comment s’est organisé votre travail d’écriture ?
Je ne pouvais entreprendre un livre sur un artiste de la qualité de Vincent sans une grosse documentation. J’ai donc beaucoup lu. Les livres sur le peintre sont multiples. J’ai même passé des journées dans les archives de la BNF pour trouver des livres rares parlant du peintre, d’Auvers et de sa région, des guinguettes et des lieux de loisirs nautiques nombreux à cette époque.

Le livre prenait forme lentement. Il comportait une trentaine de chapitres que je publiais bimensuellement dans mon blog Si l’art était conté sous forme de roman feuilleton illustré de nombreuses images des tableaux peints à Auvers. Par la suite, j’ai publié mon récit dans un site de partage Calaméo en lecture libre.

Finalement, pensant que ce roman pouvait présenter un intérêt historique et artistique, je me suis décidé, sur les conseils d’amis, à le publier en auto-édition sur Amazon.



Vous êtes passionné par l’art et la peinture. Que représentent-ils pour vous ?
La peinture a été et est restée ma première passion.

Un peu par hasard, progressivement, celle-ci est entrée dans ma vie. Dans les creux de mon activité professionnelle, je pratiquais la peinture à l’huile qui ne me satisfaisait pas. Dans le même temps, je me documentais et visitais les musées et expositions temporaires.

La révélation vint le jour où je m’offris quelques bâtons de pastel sec, pour voir. Je compris instantanément que ce mode d’expression était le mien et mon matériel de peinture à l’huile fut rapidement rejeté, sans remords, à l’étagère la plus haute de l’unique armoire installée dans la petite pièce qui me servait d’atelier.

J’obtins des prix dans des manifestations régionales. La peinture était devenue cette passion qui continue de m’habiter.



Vous avez créé un blog : Si l’art était conté Que souhaitez-vous y partager ? Avez-vous des thèmes de prédilection ?
En prenant l’exemple de Proust dans sa Recherche, j’ai expliqué dans un chapitre précédent les relations qui existent entre la peinture et l’écriture. Léonard de Vinci en avait déjà parlé dans son Traité de la peinture : « Si vous appelez la peinture une poésie muette, le peintre pourra dire du poète que son art est une peinture aveugle. »

Le blog que j’ai créé se veut un lien entre ces deux arts.

Les livres sur la peinture, biographies ou catalogues, écrits par des spécialistes de l’art, ne me satisfaisaient pas totalement. Cela manquait de vie. J’ai donc commencé à écrire des nouvelles en rapport avec des tableaux et les peintres qui les avaient conçus. Dans le contexte historique du peintre le plus souvent, je racontais dans de courtes fictions des histoires qui me paraissaient plus parlantes pour les non-initiés que des ouvrages savants. Ces récits étaient publiés régulièrement dans mon blog. Je fis de même ensuite avec mon roman sur Vincent Van Gogh.

J’ai beaucoup écrit sur mes peintres préférés, Van Gogh, surtout Vermeer mon peintre préféré, et d’autres, uniquement des peintres figuratifs, l’art moderne contemporain, à part quelques exceptions, ne me correspondant pas.

Des écrits divers relatifs à l’art, des critiques sur des visites d’expositions, et la publication d’extraits de correspondances de peintres, complètent également le blog.



Peignez-vous toujours ? Acceptez-vous de partager quelques images de vos œuvres ? Comment décririez-vous votre style et vos sujets ?
J’ai peint longtemps. J’ai dû arrêter il y a quelques années pour cause de douleurs visuelles m’amenant à ne plus supporter la poussière du pastel et à peiner en fixant longuement la toile. 


Actuellement, les murs de ma maison sont tapissés de haut en bas de mes toiles sous-verre car le pastel est fragile. A Orsay, les pastels sont montrés dans des pièces sombres pour les protéger. 

Faute de photos faites avant l'encadrement, je ne peux montrer la plupart de mes toiles.

Toutefois, j'ai pu en photographier trois. Elles sont visibles sur mon blog. 
Deux d'entre elles sont aussi visibles en permanence en cliquant sur ma biographie dans Amazon.

Dans ma peinture, j'avais opté pour le style de mes peintres préférés, les impressionnistes, fait de vibrations lumineuses et de touches divisées. Ce n'était pas facile avec des bâtons de pastel car cette technique n'admet guère les superpositions de couleurs. Pour cette raison, la plupart des pastelllistes estompent les teintes et utilisent des papiers spéciaux comme le Pastel Card qui accroche bien la poudre. 


 
Avez-vous d'autres projets d'écriture ? 
Mes projets d'écriture ne sont plus des projets puisqu'ils ont déjà été écrits. Ce sont les nouvelles sur l'art dont j'ai parlé. Elles feront l'objet d'une prochaine publication à l'automne dans un recueil de nouvelles.



Merci Alain Yvars d'avoir répondu à mes questions.
(Interview de Cannetille le 11 juin 2019)

Les livres-audio d’Alain Yvars sont disponibles ici.
Que les blés sont beaux est vendu sur Amazon. Les bénéfices sont reversés à l’association Rêves, qui soutient des enfants gravement malades.

Retrouvez ma chronique de Que les blés sont beaux.

6 commentaires:

  1. Je n’ai jamais autant parlé de moi que cette année.
    C’est une très belle idée ces interviews qui permettent de dévoiler un peu un auteur et parler de son livre sous un autre angle. Cela fait un bel ensemble avec votre chronique rédigée et argumentée avec une grande justesse.
    Je reste admiratif de la qualité de votre travail de lecture, de recherche, de présentation, et d’imagination.
    Un grand merci pour tout.
    Alain

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    1. Merci pour cet enthousiaste retour. Je suis ravie de pouvoir modestement contribuer à la promotion de votre livre qui m'a tant plu. Je me suis mise à regarder les tableaux de Vincent Van Gogh avec un oeil tout différent ! Je souhaite à votre roman tout le succès qu'il mérite.

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  2. un interview que j'ai eu plaisir à lire même si l'on se connait depuis quelques temps et que je sais ô combien tu es talentueux!Merci a Cannetille pour ce partage agréable et intéressant!!!

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  3. Comme je viens de le dire dans mon blog, c'est ma fête aujourd'hui grâce à vos commentaires et, surtout, à vos chroniques, Cannetille, écrites avec sobriété, et une qualité dans l'expression et la compréhension d'un livre qui n'est pas si courante.
    A bientôt sur Babelio car je suis toutes vos critiques avec une grande attention.
    Ce n'est pas facile d'être auteur, mais vous lire est une récompense.
    Alain

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    1. Merci Alain, je mets un point d'honneur à rester toujours sincère, notre plaisir est ici réciproque.

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