jeudi 3 novembre 2022

[Larrea, Maria] Les gens de Bilbao naissent où ils veulent

 

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les gens de Bilbao naissent
           où ils veulent

Auteur : Maria LARREA

Parution : 2022 (Grasset)

Pages : 224

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :      

L’histoire commence en Espagne, par deux naissances et deux abandons. En juin 1943, une prostituée obèse de Bilbao donne vie à un garçon qu’elle confie aux jésuites. Un peu plus tard, en Galice, une femme accouche d’une fille et la laisse aux sœurs d’un couvent. Elle revient la chercher dix ans après. L’enfant est belle comme le diable, jamais elle ne l’aimera.
Le garçon, c’est Julian. La fille, Victoria. Ce sont le père et la mère de Maria, notre narratrice.
Dans la première partie du roman, celle-ci déroule en parallèle l’enfance de ses parents et la sienne. Dans un montage serré champ contre champ, elle fait défiler les scènes et les années : Victoria et ses dix frères et sœurs, l’équipe de foot du malheur  ; Julian fuyant l’orphelinat pour s’embarquer en mer. Puis leur rencontre, leur amour et leur départ vers la France. La galicienne y sera femme de ménage, le fils de pute, gardien du théâtre de la Michodière. Maria grandit là, parmi les acteurs, les décors, les armes à feu de son père, basque et révolutionnaire, buveur souvent violent, les silences de sa mère et les moqueries de ses amies. Mais la fille d’immigrés coude son destin. Elle devient réalisatrice, tombe amoureuse, fonde un foyer, s’extirpe de ses origines. Jusqu’à ce que le sort l’y ramène brutalement. A vingt-sept ans, une tarologue prétend qu’elle ne serait pas la fille de ses parents. Pour trouver la vérité, il lui faudra retourner à Bilbao, la ville où elle est née. C’est la seconde partie du livre, où se révèle le versant secret de la vie des protagonistes au fil de l’enquête de la narratrice.  

Stupéfiant de talent, d’énergie et de force, Les gens de Bilbao naissent où ils veulent nous happe dès le premier mot. Avec sa plume enlevée, toujours tendue, pleine d’images et d’esprit, Maria Larrea reconstitue le puzzle de sa mémoire familiale et nous emporte dans le récit de sa vie, plus romanesque que la fiction. Une histoire d’orphelins, de mensonges et de filiation trompeuse. De corrida, d’amour et de quête de soi. Et la naissance d’une écrivaine.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :   

Maria Larrea est née à Bilbao en 1979. Elle grandit à Paris où elle suit des études de cinéma à La Fémis. Elle est réalisatrice et scénariste.

 

 

Avis :

Maria, alter ego de l’auteur, est cinéaste. Ses brillantes études à la Fémis lui ont permis de prendre sa revanche sur la modeste condition de ses parents, l’un basque, l’autre galicienne, venus chercher en France l’avenir que l’Espagne de Franco leur refusait. Tous deux abandonnés à la naissance et élevés dans un orphelinat religieux, Julian est devenu à Paris un père alcoolique et violent, gardien du théâtre de la Michodière, et Victoria, une mère résignée, femme de ménage bien peu considérée. Pressée de s’envoler vers une réussite qui n’en a que plus de prix, Maria se retrouve toutefois brutalement ramenée au passé, quand, à presque trente ans, elle découvre son adoption par hasard, grâce aux indications d’une tarologue. Commence alors pour elle une quête obsessionnelle, la ramenant à sa ville natale de Bilbao, pour tenter de dissiper le mystère de sa naissance.

S’affranchit-on jamais de ses origines ? Pour la narratrice, la réussite sociale, avec un mari, des enfants, et une profession prestigieuse acquise de haute lutte, devait signifier la rupture avec une enfance et une adolescence marquées par les moqueries de ses amies. « Maria, c'est marrant, tu t'appelles comme notre femme de ménage. » Elle qui rêvait de s’appeler Sophie ou Julie pensait « j’avais enfin trouvé la sortie du labyrinthe que mes parents avaient construit autour de moi. » Mais voilà que la découverte du mensonge entourant sa naissance remet soudain tout en cause, comme si elle n’avait finalement bâti l’édifice de sa vie que sur du vent. Pour renaître enfin dans cette nouvelle existence qu’elle s’est choisie, il lui faut d’abord se réapproprier cette première naissance qu’on lui a volée en lui mentant, c’est-à-dire retrouver ses parents biologiques. Alors seulement, réconciliée avec ce passé qui la rattrape en traître, elle pourra affirmer haut et fort le dicton qui sert de titre à son récit.

Scénariste pour le cinéma, Maria Larrea a su projeter les éléments de son autobiographie dans un premier roman tendu comme une arbalète, décochant ses scènes fortes dans le torrent d’une narration aux mots cinglants, toute entière au service d’une urgence impérieuse : « raconter mon histoire », « me la réapproprier », « récupérer le roman familial », « écrire ma vérité ». Une vérité sans laquelle les non-dits ont longtemps et insidieusement creusé leur sillon douloureux, jetant notamment Maria adolescente dans l’instabilité, la rébellion, enfin dans un mélange de honte, de rancoeur et de colère l’empêchant de se construire. Son parcours tumultueux frappe d’autant plus qu’elle nous le livre sans fard, avec une sincérité presque brutale, sur le fond implacable d’une Espagne franquiste misérable et violente, relayé par celui du déracinement et de l’ostracisme vécus dans l’exil, avant que passé et présent ne s’entremêlent autour de l’affaire des bébés volés du franquisme et du parcours du combattant des victimes pour retrouver leur identité.

Ce premier roman, aussi habilement composé qu’habité par une écriture passionnée, énergique, sans concession, est autant un témoignage remarquable qu’une entrée réussie en littérature. (4/5)

 

 

Citations :

Maria, c'est marrant, tu t'appelles comme notre femme de ménage.

Rêvant de m'appeler Sophie ou Julie, je tenais parfaitement mon rôle de jeune fille modèle devant les parents des copines qui m'invitaient à dîner, à dormir. Je jouais au singe savant. Oh, qu'elle est cultivée pour une fille de femme de ménage ! Je faisais mon effet sur les parents des autres, un mélange de pitié et d'épate quant à mes origines. J'exagérais le trait ; je les regardais comme des sauveurs et les écoutais plus que leur progéniture. Je buvais leur savoir et leurs connaissances. Nourrie et repue par leur bourgeoisie, je pouvais enfin m'éloigner de mon duo parental bruyant et angoissant. J'avais grandi comme une souris de laboratoire en captivité, j'avais enfin trouvé la sortie du labyrinthe que mes parents avaient construit autour de moi.

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