mercredi 9 novembre 2022

[Zaccagna, Matthieu] Asphalte

 

 

 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Asphalte

Auteur : Matthieu ZACCAGNA

Parution : 2022 (Noir sur Blanc)

Pages : 144

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Courir déterminé, en un bloc solide, résistant. Se faire violence, serrer les dents, plisser les yeux, broyer l’asphalte. Courir vite, sentir la vie, maintenir l’urgence, ne jamais ralentir, jamais faiblir. Respirer fort, mécaniquement, trois inspirations, trois expirations, toujours, même dans les montées. Sentir qu’on brûle, qu’on arrache cette chose, qu’on tient bien là, doigts moites, mains tremblantes. Cette chose qu’on serre, qu’on use, qu’on épuise, ce corps qu’on purge, que diable peut-il contenir pour qu’on l’éprouve ainsi ? Courir avec méfiance, avec défiance, sans compromis, sans concession, slalomer entre les voitures, les piétons, les deux-roues, les laisser derrière, tous. S’échapper, partir d’ici, partir de soi. J’avance dans les quartiers nord de la ville. Mes cuisses sont en vrac. Mes genoux, pareil. Je ne m’arrête pas. J’abîme la douleur. Dans l’aube naissante, la brume se dissipe sur l’eau du canal. J’ignore combien de temps je vais pouvoir tenir comme ça. »

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Matthieu Zaccagna est né à Croix en 1980. Après des études de gestion et de communication, il s'installe à Paris, où il exerce toutes sortes d'activités dans le secteur culturel. Depuis 2006, il travaille à la production de concerts à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris. Lorsqu’il rentre chez lui, il écrit. Asphalte est son premier roman.

 

 

Avis :

Un adolescent court jusqu’au bout de ses forces dans les rues de Paris. Chaque foulée l’éloigne de la peur et de la violence paternelle, celles qu’il subit désormais seul depuis que sa mère s’est enfuie, elle, en mettant fin à ses jours. A sa course succède une errance désespérée, heureusement piquetée de rencontres auxquelles s’accrocher : juste de quoi reprendre souffle, avant d’affronter le destin, et, peut-être, l’infléchir…

Alignant ses phrases courtes, sèches et nerveuses, en un staccato enfiévré, le texte épouse le rythme de la course et plonge d’emblée le lecteur en apnée, dans un tourbillon de panique et d’urgence dont on perçoit avant tout qu’il relève du pur instinct de survie chez le narrateur. Littéralement aux abois, le jeune homme ne semble plus avoir que la force de son dernier réflexe : fuir, le plus vite et le plus longtemps possible. Courir, sans savoir où, mais ne jamais s’arrêter, car où se cacher, quand on est gibier livré sans défense au chasseur ? Flashes et réminiscences, tous aussi fulgurants, laissent peu à peu entrevoir les contours de la maltraitance et de la violence, les traces d’un calvaire enduré jusqu’à ce que mort s’ensuive pour la mère, et, il s’en est fallu de peu, quasiment aussi pour le fils.

Traqué par un homme rendu fou et incontrôlable par les échecs et l’alcool, le narrateur n’est plus qu’adrénaline alors qu’il ne sait plus où se jeter. Heureusement, si la rue est pleine de dangers pour les âmes errantes, elle est aussi le lieu où la solidarité entre déshérités peut s’avérer décisive. Et il faudra bien la discrète mais solide empathie de deux autres laissés-pour-compte, pour qu’enfin la fuite puisse cesser, puis, peut-être, l’existence revenir sous contrôle, après de profondes ellipses qui laisseront libre cours à l’imagination du lecteur.

Matthieu Zaccagna signe un premier roman impressionnant de maîtrise et de puissance. Pas un mot de trop dans ce texte réduit à l’os, où tout – rythme, style, nuances et non-dits -, porte une œuvre originale, intense et particulièrement évocatrice du carcan de peur, de solitude et d’impuissance des victimes de violence familiale. Que de profondeurs derrière tant de concision ! (4/5)

 

 

Citations :

Je le lui dis alors, à Agnès. Silencieusement, par la pensée. Je l’implore de ne pas parler. J’ai renversé de la purée fade sur mon pantalon et ça a fait une grosse tache fade, mise en lumière par l’éclairage fade de la cuisine fade, ce qui a pour effet d’énerver sévèrement Louis, qui n’a vraiment pas besoin de ça, n’est-ce pas, qu’on se comporte ainsi comme des malpropres, bande de porcs, même pas foutus de manger convenablement. Mais Maman croit bon de s’interposer pour une fois, de vouloir tempérer, « Allons, c’est juste de la purée, ça partira à la machine. C’est moi qui m’en occuperai ». Et puis quoi encore ! Y’avait un doute là-dessus ? rugit Louis en m’en collant une, ce qui fait crier Agnès, transforme sa crainte en peur. Je lui répète par la pensée, le visage plein de purée dans laquelle ma tête a plongé en raison de la violence de la claque, lui dis intérieurement d’arrêter d’avoir peur. « Baisse la tête, Maman », voilà ce que je lui dis. Mais la table se dresse à la verticale et tout ce qui est dessus se renverse par terre dans un vacarme effroyable. La purée fade s’étale partout sur le sol fade de la cuisine fade, sur le carrelage fade aux couleurs fades, un mélange d’orange et de vert fade des années soixante-dix. Nous sommes misérables, petits et misérables, sales vermines, et je ne sais plus très bien ce qu’il vaut mieux faire dans ces cas-là, rentrer en moi pour me dissoudre ou sortir de moi pour tenter de ne plus m’appartenir.

De Justine, j’ignore tout. Je m’en rends compte. Hormis son obsession pour ce trompettiste. Comme je ne sais de Rachid que son obsession pour le skate. Des obsessionnels. Qui se tiennent à la lisière des choses, pas loin du vide. Ailleurs que là où c’est normal. Ailleurs qu’à l’endroit où les gens veulent les ranger, les classer, faire en sorte qu’elles les laissent tranquilles, ces choses. Voilà ce que je me dis. Nous partageons une sorte d’inadaptation. Qui m’attire comme une force vive, par un lien indistinct, sans que je sache pourquoi.


 

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