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mercredi 21 août 2024

[Chomarat, Luc] Le livre de la rentrée

 





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le livre de la rentrée

Auteur : Luc CHOMARAT

Parution :  2023 (La Manufacture de Livres)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Un portrait de femme moderne, active, rebelle, qui fait bouger les lignes, voilà ce que cherchent tous les éditeurs pour la prochaine rentrée littéraire. Et parmi eux, Delafeuille a intérêt, s’il veut garder son poste, à dénicher le livre qui sera au centre de l’attention en septembre. Mais contre toute logique commerciale, le roman qui l’attire vraiment est celui de Luc, auteur un rien misogyne auquel il est depuis longtemps lié. L’écrivain a décidé de consacrer son texte à Delphine, sa femme, et cette dernière que Delafeuille rencontre dans la vraie vie, devient son obsession. Pourtant, tous - directrice commerciale sans scrupule, libraire philosophe, étudiante inspirée - sont là pour lui rappeler les règles du jeu : aucune chance que cette histoire s’achève par une idylle entre l’éditeur et la femme de l’auteur.

Le Livre de la rentrée dresse un portrait drôle et acide de notre époque, de ses combats et de ses modes. Dans ce roman où le réel et la fiction s’entremêlent, Luc Chomarat se joue de la littérature et nous offre un hymne à la lecture et à l’imaginaire.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Luc Chomarat est né en Algérie en 1959. Remarqué dès son premier roman par le Magazine littéraire, il choisit d’exercer ses talents de rédacteur dans la publicité où, dit-il, « on trouve l’argent et les filles ». Poursuivi pour fraude fiscale, il se réfugie dans un monastère tibétain. Il revient au roman en 2014 avec L’Espion qui venait du livre. En 2016, il reçoit le Grand prix de Littérature Policière pour Un trou dans la toile. Traducteur de Jim Thompson, il est également l’auteur d’essais pour le moins atypiques : Le Zen de nos grands-mères (Le Seuil, 2008) sur son expérience bouddhiste et Les 10 meilleurs films de tous les temps (Marest, 2017) dont le sujet n’est pas clair.

Le Polar de l’été (La Manufacture de livres, 2017) et Un petit chef-d’œuvre de littérature (Marest, 2018) confirment son goût pour les constructions en abyme, et son regard particulier sur l’époque, mélange d’ironie et de désenchantement.

 

 

Avis :

Devenu spécialiste de la satire du milieu éditorial français avec L’espion qui venait du livre, Le polar de l’été, Un petit chef-d'œuvre de littérature et Le dernier thriller norvégien, Luc Chomarat convoque une nouvelle fois son personnage de prédilection, l’éditeur de fiction Delafeuille, pour un autre de ses drôles et vertigineux romans gigognes qui font de la mise en abyme un virtuose et infini jeu de miroirs.

Sa nouvelle directrice l’a mis au pied du mur : « un bon texte est un texte qui se vend. ». Alors, qu’il cesse de se piquer de littérature et s’active plutôt à dénicher la pépite commerciale qui, en s’imposant comme « le livre de la rentrée », leur rapportera le jackpot. Voilà donc ce bon vieux Delafeuille, s’il veut sauver sa tête et son emploi, contraint à la chasse au livre si bien dans l’air du temps qu’il sera de bon ton de se l’arracher, peu importe s’il ne vaut en réalité pas tripette. Il y a bien le roman du neveu de sa directrice, entièrement constitué de SMS avec les fautes qui vont avec. Mais il lui faudrait aussi un portrait de femme bien actuel, avec sa dose de « cul féministe », à défaut d’une louche de maladie, de malheurs, de planète en péril ou de dénonciation du capitalisme.

Or, invité quelques jours chez l’un de ses auteurs et amis, Luc, qui s’est établi au vert dans le Sud-Ouest, loin du cirque parisien, notre éditeur tombe sous le charme de l’épouse, Delphine, par ailleurs au coeur du livre que son mari a décidé de lui consacrer. Hélas, épanouie et parfaite dans son rôle d’épouse, de mère et de femme d’intérieur, elle est l’antithèse absolue de l’égérie féministe. Impossible donc de miser sur ce manuscrit en cours d’écriture, où il se découvre d’ailleurs lui aussi personnage. Mais comment peut-on retrouver ce que l’on est présentement en train de vivre dans un texte rédigé quelque temps auparavant ? Convaincu de sa réalité, Delafeuille ne serait-il en vérité que fictif ? Personnage, il l’a déjà été, puisque Luc l’a déjà fait figurer dans de précédents livres… signés Chomarat ! Luc et Chomarat ont d’ailleurs tous deux le même titre pour leur dernier livre… « Le livre de la rentrée » !

Désormais imbriqués jusqu’à l’inextricable, réel et fiction se font, pour le plus grand plaisir du lecteur, les complices d’une nouvelle machination littéraire de l’auteur, qui, moins loufoque que les précédentes, gagne en subtilité pour autant nous amuser que brocarder avec malice le monde éditorial et ses travers. Réjouissant et savoureux, virtuose dans l’art de nous désorienter à mesure que se creuse sa savante mise en abyme, le récit parvient haut la main à renouveler une partition dont Luc Chomarat a fait sa martingale. (4/5)

 

 

Citations :

La dernière rentrée littéraire, c’était hallucinant, dit Muriel. Je me souviens, quand j’étais gamine, d’un seul coup en septembre, ils poussaient les romans sur le côté pour vendre des manuels scolaires. T’as l’impression que c’est un peu pareil, sauf que c’est plus des manuels scolaires… Ils poussent Tolstoï et Kawabata pour faire de la place à des gens qu’on aura oubliés l’année prochaine.
 
 
— La difficulté, reprit Delafeuille, c’est d’échapper au matraquage médiatique. Pour les livres comme pour le reste. Aller chercher dans les rayons du fond, en prendre un au hasard. Mais personne ne fait ça.  
— Oui, c’est vrai.
— Déjà, vous avez des rayons de prédilection. Le polar, la science-fiction. Le développement personnel. Ou la littérature, bien sûr. Mais vous n’entrez pas dans une librairie, en fait. Vous entrez dans votre rayon habituel.
— C’est très juste, dit Nicole. D’ailleurs, les gens qui achètent le livre de la rentrée, c’est surtout pour des raisons sociales, non ? C’est un peu comme Roland-Garros. C’est ce qu’on fait en septembre-octobre. Pas sûr qu’ils le lisent, par contre.
— Puis après, à Noël, tu offres le Goncourt, dit Muriel en riant. On ne va pas te reprocher d’avoir offert le Goncourt.
— Tout ça n’a pas grand-chose à voir avec la littérature, conclut Delafeuille.


Je vendais du livre scolaire. Tous les ans il y avait des appels d’offres, émis par la coopération. Ce sont des marchés énormes. Énormes. Et les familles africaines mettent plus d’argent dans les livres scolaires que dans les médicaments, vous savez. Un enfant qui meurt, c’est moins grave qu’un enfant qui ne sait ni lire ni écrire, parce que celui-là n’a pas d’avenir. On parlait de millions. On s’est vraiment goinfrés. Les gens pour qui je travaillais, en tout cas.


Vous savez, monsieur Delafeuille, on ne sait pas qu’on est vieux. On ne sait pas quand cette chose-là arrive. Ce sont les autres qui vous le disent. Leur regard. Ou le fait qu’ils ne vous regardent plus.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 

 

mercredi 3 avril 2024

[Tomic, Ante] Qu'est-ce qu'un homme sans moustache ?

 



Coup de coeur 💓

 

Titre : Qu'est-ce qu'un homme
            sans moustache ?
            (Što je muškarac bez brkova)

Auteur : Ante TOMIC

Traduction : Marko DESPOT

Parution : en croate en 2000
                  en français en 2023
                  (Noir sur Blanc)

Pages : 208

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Un homme sans moustache est un homme sans âme », écrivait Confucius.
L’arrière-pays dalmate, son maquis, sa pierraille et son village, Smiljevo, avec ses deux mille habitants, son auberge, son église, son école primaire, son bureau de poste et ses deux épiceries. On y trouve une veuve joyeuse, un prêtre timide, alcoolique repenti, un épicier amateur de feuilletons mexicains, un général de l’armée croate, un émigré ayant fait fortune en Allemagne, un ivrogne, un poète haïku incompris, un ministre de la Défense et bien d’autres personnages hauts en couleur. Tout au long de ce roman d’amour hilarant, on découvre une population archaïque, obtuse, amoureuse d’agneaux à la broche, mais excessivement touchante dans son humanité. Ce premier roman d’Ante Tomić, douce satire de l’Église, de l’État et du machisme, aura lancé la carrière de l’auteur de Miracle à la Combe aux Aspics.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Originaire d’un petit village de Croatie, Ante Tomic, né en 1970, a obtenu un diplôme en philosophie et sociologie de l’université de Zadar. Devenu journaliste pour le quotidien Slobodna Dalmacija, il démontre un rare talent littéraire qui se confirme en 2000 dans son premier roman Što je muškarac bez brkova (Qu’est-ce qu’un homme sans moustache). Trois ans plus tard, il publie Ništa nas ne smije iznenaditi (Rien ne doit nous surprendre) qui décrit la vie des recrues dans l’Armée populaire yougoslave. Ces deux romans ont été adaptés à l'écran. En 2009 sort son roman le plus connu, Miracle à la Combe aux Aspics. Il est actuellement chroniqueur pour le journal Slobodna Dalmacija.

 

Avis :

Parce qu’un jour son penchant pour la bouteille l’a fait s’écrouler en pleine messe, le bon curé Don Stipan s’est retrouvé muté à Smiljevo, petite bourgade perdue au fin fond de l’arrière-pays dalmate, en Croatie. Bien déterminé à ne plus dévier du droit chemin, il y est pourtant confronté à de nouvelles tentations, pour nos plus grands éclats de rire.

Car c’est à un moment de franche rigolade que nous convie l’auteur, bien connu en Croatie, pour ce premier roman satirique, adapté au cinéma en 2005 et désormais traduit en français. Parue en 2000 alors que le pays se remettait de quatre ans de guerre (1991-1995), cette joyeuse pantalonnade volontiers sous la ceinture tourne en dérision l’Église, l’État, l’armée, ou encore le patriarcat, un peu comme Don Camillo la situation politique de l’Italie après-guerre.

Sur fond de quotidien croate, que, mêlé à ses truculents et désarmants personnages, Ante Tomic nous donne à percevoir à travers la chronique des faits divers dont se régale à haute voix l’aubergiste dans son bistrot-épicerie qui sert d’épicentre au village, se déploie ainsi une farce burlesque, aux traits vaudevillesques, confrontant dans ses quiproquos grivois les aspirations à la liberté du pays, incarnées par une jeune ingénue, une veuve joyeuse et un poète incompris, aux symboles de l’autorité, férocement tournés en ridicule sous les traits d’un père autocrate – revenu enrichi après avoir émigré en Allemagne –, d’un général galant, d’un ministre de la Défense narcoleptique et, bien sûr, d’un curé naïvement en butte à toutes les tentations.

Tout cela pour ironiser, après une guerre déclenchée par la déclaration d’indépendance de la Croatie, sur ce que le mot « indépendance » peut bien vouloir dire pour la majeure partie de la population : « L’adjectif « indépendante », estimé au plus haut point et prononcé de manière solennelle uniquement à la suite du mot « Croatie », est quasiment inconnu en toute autre occasion : on ne l’utilise jamais, jamais on ne remarque son inexistence dans l’homogénéité harmonieuse de la communauté. Dans le village où trois ou quatre générations partagent le même toit, où certains atteignent l’âge de la retraite sans avoir découvert la joie du rugissement autoritaire, personne n’est jeune et indépendant. Avec un tel système de valeurs, le fait que quelqu’un soit a) jeune, b) indépendant et, par dessus le marché, c) une femme pousse toute vieille baderne un peu plus émotive que la moyenne à bouffer son propre chapeau graisseux. »

Qu’est-ce qu’un homme sans moustache n’est pas seulement follement drôle. Si l’on y rit souvent, et de vrai bon coeur, c’est aussi un récit à plusieurs niveaux de lecture, à la fois tendre et féroce à l’égard de la Croatie, de son système patriarcal et de son pouvoir très proche de la puissante Église catholique croate. Un sujet plus que jamais d’actualité, si l’on s’en réfère au mouvement d'hommes ultra-catholiques, appelé "Soyez virils", qui, chaque mois, s’agenouillent en place publique en Croatie, pour prier, comme on peut le lire dans la presse, « contre l'avortement, pour l'autorité masculine et pour que les femmes s'habillent avec modestie ». Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :  

Elle n’avait jamais essayé d’appréhender le caractère et la logique de cet autocrate coléreux, et encore moins de contredire son paternel. Même à présent qu’elle était blessée et exaspérée, il ne lui venait pas à l’idée de se rebeller, comme si le comportement de son géniteur était une manière de karma cosmique. Son père était pour cette pauvre jeune fille craintive ce que les maladies et les inondations sont pour les tribus africaines ou amazoniennes : une puissance terrible et inintelligible à laquelle on doit se soumettre, se résignant à sa sauvagerie, ou que l’on doit fuir.
 

Le concept de « jeune femme indépendante », idéal sacré de tous les magazines féminins émancipés, est aux antipodes de la vision du monde des habitants de Smiljevo. L’adjectif « indépendante », estimé au plus haut point et prononcé de manière solennelle uniquement à la suite du mot « Croatie », est quasiment inconnu en toute autre occasion : on ne l’utilise jamais, jamais on ne remarque son inexistence dans l’homogénéité harmonieuse de la communauté. Dans le village où trois ou quatre générations partagent le même toit, où certains atteignent l’âge de la retraite sans avoir découvert la joie du rugissement autoritaire, personne n’est jeune et indépendant. Avec un tel système de valeurs, le fait que quelqu’un soit a) jeune, b) indépendant et, par dessus le marché, c) une femme pousse toute vieille baderne un peu plus émotive que la moyenne à bouffer son propre chapeau graisseux.
 

Le lendemain matin, ayant retrouvé son sang-froid, il se rendit chez Stanislav. Le torrent fangeux de la haine qui épouvantait son entourage s’était tari. Il se sentait l’esprit clair, la colère ne l’étouffait plus. Pendant la nuit s’était opéré un changement qualitatif que seule la science juridique saurait décrire : le crime passionnel que l’émigré avait été sur le point de commettre s’était transformé en une envie de meurtre prémédité en tout point civilisée.


 

lundi 30 janvier 2023

[Haroun, Mahamat-Saleh] Les culs-reptiles

 





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les culs-reptiles

Auteur : Mahamat-Saleh HAROUN

Parution : 2022 (Gallimard)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Même les culs-reptiles étaient de la partie, ces oisifs qui ne voulaient rien foutre au pays, des fainéants qui passaient la journée à même le sol, sur des nattes, à jouer aux dames ou au rami. Immobiles tels des montagnes, ils ruminaient la noix de cola, sirotant à longueur de journée des litres de thé accompagnés de pain sec. Ils ne bougeaient leurs fesses qu’en fonction de la rotation du soleil, disputant l’ombre aux chiens et aux margouillats.

Or, Bourma Kabo, las de faire partie de cette communauté nationale de la glandouille, accepte de relever un inimaginable défi : représenter son pays de sables — les autorités plus que corrompues le lui imposent — aux jeux Olympiques de Sydney, en 2000. Épreuve de natation, cent mètres.
Alors qu’il sait à peine flotter dans un fleuve boueux, il plonge corps et âme dans l’aventure. C’est ainsi que d'Afrique en Australie commence l'extraordinaire odyssée d’un Ulysse candide des temps modernes, avec aussi les magiciennes Circé des médias, et sa tant convoitée Ziréga, nouvelle Pénélope.
Ce roman est un sérieux divertissement. Il nous raconte que « le propre de l’homme est de ne pas servir le mensonge », en une impitoyable et malicieuse radiographie d’un pays sahélien et de tout un continent aux peuples bannis de culs-reptiles sous les mirages de l'Occident.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Mahamat-Saleh Haroun est un réalisateur tchadien. Né en 1961 à Abéché, il vit en France depuis 1982.

 

 

Avis :

S’inspirant librement de l’histoire d’Eric Moussambani, l’Equato-guinéen qui s’illustra aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000 par son record de lenteur au cent mètres nage libre – n’ayant appris à nager que quelques mois auparavant, dans la petite piscine d’un hôtel, il n’avait encore jamais parcouru cent mètres d’affilée dans un bassin et manqua se noyer lors de la compétition –, Mahamat-Saleh Haroun réalise l’attendrissant portrait d’un héros malgré lui, sur le fond goguenard d’une farce satirique pointant l’incurie cachée sous l’autorité martiale de certains Etats africains.

Dans un pays d’Afrique jamais nommé, où, sous la tyrannie d’un pouvoir corrompu, ne s’avère guère florissante que la plus extrême pauvreté, Bourma Kabo se refuse à devenir l’un de ces « culs-reptiles », ces hommes déclassés et apathiques, qui, tandis qu’autour d’eux rien ne fonctionne - le chômage est endémique, les conditions de vie vont de mal en pis, et toute protestation se voit matée dans la violence -, passent leur vie à palabrer vainement, sans plus bouger de leurs nattes posées à même les rues de leur misérable quartier. Alors, chassé de chez lui par un énième épisode répressif, le jeune homme se résout à partir tenter sa chance à la capitale. D’abord bredouille dans sa chasse à l’emploi, il répond à l’annonce du ministère des Sports qui, depuis qu’un conseiller a convaincu le Président que  « Généralement, les Africains sont connus pour participer aux courses à pied. Mais en natation, personne ne s’attend à voir un Africain. Nous créerons une énorme surprise en allant glaner une médaille aux J.O. », cherche à recruter des nageurs.

Peu importe qu’il ne sache pas nager, Bourma est le seul candidat et il n’est pas question de décevoir le rêve de gloire du Président qui, maintenant persuadé des « mérites de la natation, la discipline idéale pour faire connaître le pays et drainer les touristes », « veut absolument voir le drapeau du pays flotter quelque part sur la scène internationale ». Les autorités ayant pris sa fiancée Ziréga en otage pour mieux renforcer sa motivation, Bourma se lance d’arrache-pied dans ses quatre mois d’entraînement, ne négligeant aucun recours – ni prières, ni gris-gris – pour tenter de compenser ses doutes et son amateurisme.

Evidemment, aussi flatteuse la biographie que lui invente l’attaché de presse du ministère et aussi sincères ses efforts à remplir sa mission patriotique, la surprise que l’apprenti champion va bel et bien provoquer à Sydney ne sera pas de celle qu’attendait son pays. Pris en pitié et ovationné par le public du monde entier pour la noblesse toute olympique de ses efforts, il rentrera au pays conspué par ses compatriotes, et, dépité, finira tout compte fait par rejoindre les rangs des « culs-reptiles », réduit à refaire indéfiniment le monde avec eux, à longueur de phrases et de rêves contenus.

D’ailleurs, alors qu’il s’en console en songeant que, peut-être, c’est toujours ainsi que commencent à germer les révolutions, n’est-ce pas un peu aussi ce que fait Mahamet-Saleh Haroun, avec les mots aussi désabusés qu'ironiques de cette savoureuse satire ? (4/5)

 

 

Citations :

Promesse d’élection, promesse de Gascon, se disait Bourma
Il observait tout ce cirque avec circonspection. Toujours la même rengaine, toujours le même spectacle. Quelle histoire ! Il savait que toutes ces paroles n’étaient que du vent. Des paroles débitées sans conviction pour endormir des sots. Il n’en manquait pas, dans le quartier. Quelques nigauds se laissaient inévitablement gruger. On leur remettait la carte du parti et une petite enveloppe bourrée de billets. Rares étaient ceux qui résistaient aux espèces sonnantes et trébuchantes. Ils se laissaient allègrement fourvoyer et acceptaient de baisser leur froc. Ces nouveaux impétrants se mettaient à leur tour à rameuter d’autres habitants pour grossir les rangs du parti au pouvoir. Putain, les mecs, tout de même. Un peu de dignité, se lamentait Bourma. Conscient de la manipulation à l’œuvre, il regimbait. Il refusait toute compromission, résistant aux entourloupes. Il s’était juré de ne plus jamais se laisser avoir. De ne plus jamais voter.
Au fond, pour Bourma, la chose était entendue : il avait compris depuis fort longtemps que, sous le soleil de son pays, le mensonge était consubstantiel à la politique. Bien au fait de sa propre médiocrité, la canaillocratie régnante gouvernait par le mensonge. Elle le pratiquait à haute dose, mêlant magouilles et autres intrigues de bas étage. Une véritable mafia. À Torodona, tout le monde savait que les élections étaient traficotées, et les dés pipés, et les résultats connus d’avance.
Parfaitement huilée, la mécanique était imparable. Il n’y avait rien à faire contre un système magouilleur en diable. Un État voyou. Dépourvu de toute éthique, il ne respectait ni ses propres lois ni sa parole.
Le gouvernement organisait ces élections juste histoire de faire croire à la communauté internationale que le pays était une démocratie. Mon œil, oui, se disait Bourma.
 

Les auditeurs se demandaient qui pouvait bien être fou à ce point pour s’épancher avec une telle outrecuidance. S’en prendre publiquement au gouvernement, quel toupet. Une telle hardiesse. Du jamais-vu. Même Bourma n’en revenait pas. Mais il ne comprenait que trop bien le ras-le-bol de Tonton Adoum. Tout être humain a ses limites, estima Bourma, il arrive un moment où, quand la coupe est pleine, il finit par exploser. Tonton Adoum n’avait plus rien à perdre. « Cabri mort n’a pas peur du couteau », dit-on par ici.
Tribun hors pair, Tonton Adoum avait la parole dense. Une parole qui vous donnait le frisson, et elle vous revigorait, et vous vous sentiez moins seul.
Soudain, telle une plaisanterie de mauvais goût, l’intervention de Tonton Adoum fut brutalement interrompue. L’animateur s’excusa, invoquant un problème technique, et passa sans autre explication un morceau de musique congolaise dansante.
Quelques heures plus tard, au milieu de la nuit, Tonton Adoum fut discrètement cueilli par les agents des services de sécurité. Quatre hommes enturbannés l’embarquèrent dans une voiture noire sans immatriculation et aux vitres fumées. Il ne reparut jamais.
 

Pour échapper à l’hostilité de ses parents, il pensait trouver un peu de réconfort auprès de Nana, sa petite amie. Un jour, alors qu’il essayait de lui confier ses soucis, Nana le coupa net. « On ferait mieux de se séparer », lui asséna-t-elle. Il faillit tomber à la renverse. Nana ne passa pas par quatre chemins pour lui dire qu’elle en avait marre de lui, marre de sa lose permanente et de son chômage endémique. Nana rêvait d’un gars sûr, un mec capable de la couvrir de pagnes, un amant aux poches pleines pour l’entretenir.
Bon Dieu de merde, c’est toujours la même histoire, pensa Bourma. Quand le chômage frappe à la porte, l’amour s’enfuit par la fenêtre… (…)
Pauvre comme Job, Bourma n’arrivait effectivement pas à subvenir aux besoins de Nana. Or, au pays, les choses sont claires : qui aime donne, point barre. Qui ne peut pas donner, dégage.
 
 
Il observait sa réalité avec lucidité, et il comprit que toute lucidité est un abîme vertigineux. Heureux sont ceux qui vivent bercés d’illusions…


En l’absence de maternité, et n’ayant pas les moyens de se payer les services d’une sage-femme, les mères se tournaient vers les matrones. Sans respect des mesures d’hygiène les plus élémentaires, ces accouchements se révélaient souvent problématiques. Des complications en veux-tu, en voilà. Des mort-nés, il y en avait toutes les semaines. Toujours la même rengaine. À la longue, on évitait d’en parler, on mettait toute cette catastrophe sur le compte du Tout-Puissant. C’était écrit, Mektoub, se lamentaient les Torodonais, vaincus par un fatalisme héréditaire.
Les enfants qui, par chance, échappaient à cette tragédie étaient déscolarisés. Ils traînaient à longueur de journée, chassant le margouillat ou tapant dans des ballons en chiffon pour tromper l’ennui.
Les quelques rares personnes qui avaient eu la chance de pousser un peu leurs études se retrouvaient à quai, parce que n’appartenant pas à la bonne ethnie, comme Bourma. Un feu rouge invisible les empêchait d’avancer. Dans ces conditions, toute velléité de dégotter un boulot était vouée à l’échec. L’ascenseur social, dont le gouvernement s’enorgueillissait, n’avait jamais existé. Du coup, relégués en bout de cordée, les habitants de Torodona n’avaient jamais pu faire partie de la haute. Sans quoi, ils auraient eu une voix pour défendre leur cause, et tout cela ne serait sans doute jamais arrivé.
Voir le jour à Torodona, c’est être marqué, dès la naissance, du sceau de l’infamie. Par atavisme ineffable, les gens de Torodona tiraient le diable par la queue depuis des temps immémoriaux. Nul doute que sans piston, ils n’avaient aucune chance de se sortir de cette galère.
En attendant désespérément qu’un jour un habitant de Torodona fasse partie de la notabilité dirigeante, on subissait cette iniquité inadmissible. On naviguait tels des fantômes dans les rues obscures. Des vieillards à la vue déclinante crapahutaient entre les nids-de-poule, ils finissaient par chuter, se cassant la hanche ou, plus grave encore, le col du fémur. Les plus chanceux se retrouvaient handicapés à vie, les autres passaient de vie à trépas sans aucun soin approprié. La couverture maladie universelle, promise par le ministre de la Santé depuis Mathusalem, était une gageure sans lendemain.


Plongé dans la lecture de ses journaux, M. Rigobert ne semble pas préoccupé par ce genre de questions. On lui a dit que le pays voulait un représentant aux jeux Olympiques de Sydney. Il s’en charge, point barre. C’est la mission qui lui a été assignée. En bon fonctionnaire, il la remplit avec dévotion. Pour M. Rigobert, il s’agit d’abord et avant tout de se faire voir, de parler du pays et de lui donner une visibilité dans le monde. En réalité, grâce à la participation de Bourma aux Jeux, le gouvernement entend faire la promotion du pays. C’est une décision des plus hautes autorités, entendez par là du chef de l’État lui-même.
Au pouvoir depuis une quarantaine d’années, le président sent venir sa fin. Malade, il se déplace à l’aide d’une béquille suite à une opération de la hanche. À quatre-vingts ans, rongé par un cancer des os, le Vieux, comme on le surnomme, commence à développer des idées souvent fantaisistes, voire même des lubies. Sa dernière folie ? Avoir épousé la miss nationale, une adolescente de dix-sept ans, portant son harem à six épouses. Puis, par décret lu à la radio, il mit fin à toute nouvelle élection de miss. L’histoire retiendra que sa femme fut la dernière du pays. Il n’y en aura pas d’autre.
Depuis quelques mois, le président n’a qu’une idée en tête : laisser une trace intangible dans l’histoire. Il rêve de gloire et veut absolument voir le drapeau du pays flotter quelque part sur la scène internationale. Un de ses conseillers lui a vanté les mérites de la natation, la discipline idéale pour faire connaître le pays et drainer les touristes. 


Rémadji a sans doute usé de ses charmes ou prêté allégeance au régime pour accéder à ce poste prestigieux. C’est le prix à payer pour les gens de son ethnie. Des parias, soumis à l’obligation de passer à la casserole pour espérer être intégrés dans le système. Comme tant d’autres, son frère et sa sœur ont mordu, eux aussi, à l’hameçon. Sa frangine passait des bras d’un général à un autre. Son frère, lui, excellait dans le thuriférariat du pouvoir. Probe, Bourma a toujours refusé de manger de ce pain-là. Il aurait voulu savoir comment elle s’y était prise pour briser le plafond de verre, Rémadji. Il meurt d’envie de l’interroger. Mais à quoi bon ? se dit-il. Après tout, chacun a ses raisons.


Un jour, fatigué par toutes ces théories qui lui paraissent oiseuses, il lance à Rémadji : « Finalement, tu m’inities à l’art de parler pour ne rien dire. » Loin d’être vexée, Rémadji affiche son grand sourire et confirme d’un geste de la tête. « Tu as tout compris, Bourma, la communication, c’est ça. »


En père soucieux de l’avenir de sa fille, Garba aimerait tellement voir Ziréga se marier qu’il est prêt à jouer son va-tout. De fait, toutes les copines de Ziréga se sont fait passer la bague au doigt, sauf elle. Elle n’attire aucun regard, et cela la rend malheureuse, elle le vit très mal. À dire vrai, la gent masculine trouve Ziréga trop instruite. De plus, elle travaille, ça n’arrange rien. Son indépendance financière, gage de possible insoumission et de désir de liberté, fait fuir les potentiels prétendants. Ici, on rêve d’une femme au foyer, une ménagère docile et avenante, assujettie à son mari et réduite à son rôle de mère reproductrice et nourricière, point barre.


Pour se consoler, il s’accroche à cette phrase qu’il a soulignée en rouge dans L’homme révolté : « L’esclave, à l’instant où il rejette l’ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l’état d’esclave lui-même. »


Il découvre enfin ses deux concurrents : un Burundais filiforme, Sosthène Bahungu, et Marat Abdykalykov, un Kirghize court sur pattes, trapu. Ces trois-là ne doivent leur présence ici qu’au fait qu’ils proviennent des parties pauvres du monde, habituellement ’égard des plus faibles, le Comité international olympique leur a accordé une dérogation spéciale. Pour ces moins-que-rien, pas besoin de passer par les phases de qualification. Qualifiés d’office, au nom de la charité. Pour la première fois, ma pauvreté me sert à quelque chose, se dit Bourma. Et voilà comment la misère du monde se retrouve sous les feux de la rampe.
 

Il s’épuise assez vite tandis que des éclats de rire fusent dans l’Aquatic Center. Il s’adonne à un spectacle qui restera dans les annales. À la fin, on ne sait plus si le public se moque de lui ou s’il continue encore à l’encourager. Quoi qu’il en soit, Bourma, indifférent au brouhaha, continue d’avancer, mais avec quelle peine. Une hilarité générale se répand dans les tribunes. Il faut voir ses mouvements désynchronisés, ses gestes gauches. C’est à ce moment-là que tout le monde finit par comprendre : Bourma ne sait quasiment pas nager.


Il ne sait pas que le monde entier ne parle que de lui, de sa performance certes piètre, mais ô combien mémorable. De la BBC à RFI, en passant par CNN et autres télévisions et radios africaines, son nom, Kabo, est désormais sur toutes les lèvres. Bourma est entré dans l’histoire de la natation par la petite porte, comme par effraction, et pourtant cela fait du bruit.


À la dernière question posée par une journaliste iranienne, il répond le plus naturellement du monde : « Je suis le premier nageur de mon pays à disputer un cent mètres nage libre dans une compétition internationale. Je suis heureux de l’avoir fait, même si ce n’est pas dans les règles de l’art. Mon chrono de deux minutes et cinquante-sept secondes est mauvais, je le sais, mais l’esprit olympique, ce n’est pas que la compétition, c’est aussi participer. Et cette force, cet esprit que je transmets aux gens, c’est une façon de fabriquer de la mémoire, d’écrire une histoire, c’est peut-être cela qui me rend aujourd’hui célèbre. »


« On ne peut rien faire contre la bêtise », se lamente Ziréga à bout de nerfs. Revient alors à Bourma cette phrase lue dans Chien blanc, de Romain Gary : « Jamais, dans l’histoire, l’intelligence n’est arrivée à résoudre des problèmes humains lorsque leur nature essentielle est celle de la Bêtise. »


Bourma appartient à cette jeunesse, vive et pleine d’énergie, mais abandonnée à son triste sort. Elle affronte un horizon bouché dans un pays où tout projet de développement est rendu impossible par une gestion désastreuse. C’est la faillite générale. Tout le monde le sait. Seuls les afro-optimistes soutiennent, péremptoires, que tout va bien alors que tout va mal.
Pour autant, les autorités proclament le contraire, elles tonitruent partout que le « développement durable, c’est pour bientôt. Que tout le monde aura du travail, que personne ne sera laissé au bord de la route ». « Des billevesées, mec ! » tonne Bourma.
Dans ce pays alléché uniquement par le court-termisme et les plaisirs immédiats, toute promesse de développement durable est vouée à l’échec. Une évidence : dans l’histoire de l’humanité, aucun pays ne s’est développé en tendant constamment la sébile. Or ici, l’appel à l’aide internationale est devenu un viatique. Tout bas… si bas, nous sommes tombés.


C’est toujours un peu triste pour Bourma de se séparer de ses compagnons qui tous croquent le marmot, unis par le même destin. La plupart de ses compères sont des garçons brillants. Leurs études, souvent longues et épuisantes, ne leur ont servi à rien. En attendant des jours meilleurs, ils rongent leur frein en silence.
Avec le temps, Bourma a appris à les connaître, les culs-reptiles. En vérité, ce sont de braves gars pour qui il a une grande sympathie. Pour les culs-reptiles, vivre en marge de la société ne constitue en rien une désertion, au contraire, c’est un choix assumé. Exclus d’un système politique inique basé sur le droit d’aînesse, ils ne se considèrent pas pour autant comme des marginaux, et nourrissent de grandes aspirations pour leur pays. Ils seront un jour suffisamment nombreux pour faire advenir un autre monde.
Reprenant en chœur des slogans entendus ailleurs, ils jurent qu’un autre monde est possible.
En réalité, les culs-reptiles rêvent d’un grand changement, mais pas que. Ils aimeraient aussi voir un jour éclater une révolution, rien de moins, ils s’y préparent. Une révolte qui sonnerait le temps de la rupture avec ce monde qui court à sa propre perte. Une révolte qui viendrait tout foutre en l’air, mettant fin à ce cauchemar permanent pour bâtir une société nouvelle basée sur la fraternité, la justice et la solidarité.


 

vendredi 14 octobre 2022

[Deck, Julia] Monument national

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Monument national

Auteur : Julia DECK

Parution : 2022 (Editions de Minuit)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Au château, il y a le père, vieux lion du cinéma français et gloire nationale. Il y a la jeune épouse, ex-Miss Provence-Alpes-Côte d’Azur, entièrement dévouée à sa famille et à la paix dans le monde. Il y a les jumeaux, la demi-sœur. Quant à l’argent, il a été prudemment mis à l’abri sur des comptes offshore.
Au château, il y a aussi l’intendante, la nurse, le coach, la cuisinière, le jardinier, le chauffeur. Méfions-nous d'eux. Surtout si l’arrêt mondial du trafic aérien nous tient dangereusement éloignés de nos comptes offshore.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Julia Deck est née à Paris en 1974. Après des études de lettres à la Sorbonne, elle est secrétaire de rédaction pour de nombreux journaux et magazines, avant d'enseigner les techniques rédactionnelles en école de journalisme.

 

Avis :

Un acteur vieillissant, monument du cinéma français, habite avec sa troisième épouse, de plusieurs décennies sa cadette, leur château de la périphérie parisienne. Un nombreux personnel de maison les entoure, de l’intendante au coach et du chauffeur au jardinier, sans oublier Cendrine, la nouvelle nurse, auparavant caissière de supermarché, qui vit sous une fausse identité et par qui les ennuis pourraient bien commencer.

Les indices sont légion, et l’histoire a beau avoir été réinventée avec force imagination, le lecteur amusé ne peut bien vite se retenir de voir planer sur ce vaudeville l’ombre d’une de nos gloires nationales et de sa famille déchirée par un héritage contesté. Mais, alors que se multiplient les clins d’oeil à l’actualité et qu’apparaissent en clair d’autres personnalités réelles venues se mêler aux protagonistes fictifs, se dessine bientôt une véritable satire sociale, joyeusement enlevée et mâtinée de ce qu’il faut de suspense pour un moment de lecture aussi réjouissant qu’addictif.

C’est ainsi que, sous les dehors légers d’une comédie qu’elle semble s’être follement amusée à écrire, Julia Deck use malicieusement de son regard cynique et mordant, tout autant que de sa plume fort joliment ciselée, pour se moquer de nantis tellement déconnectés des réalités, dans leur bulle stratosphérique, que, tels le corbeau de la fable, ils en restent stupéfaits et incrédules de se voir contester leur fromage par le premier « gilet jaune » venu.

Une comédie réjouissante, bien ficelée et pas ennuyeuse pour deux sous, dont l’humour satirique, à propos de nos hypocrisies sociales, m’a rappelé celui de L’os de Lebowski de Vincent Maillard. (4/5)


 

lundi 27 juin 2022

[Flaten, Isabelle] Triste Boomer

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Triste Boomer

Auteur : Isabelle FLATEN

Parution : 2022 (Nouvel Attila)

Pages : 200

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Trois mois. D’après maman, ça fait précisément trois mois aujourd’hui qu’on est enterrés dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j’ai quitté l’école Jacques-Prévert de Sarcelles. »

Fabien est un petit garçon heureux qui aime, le football, la poésie et ses copains, jusqu’au jour où ses parents rejoignent la Syrie. Ce roman poignant et d’une grande humanité raconte le cauchemar éveillé d’un enfant lucide, courageux et aimant qui va affronter l’horreur.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Rachid Benzine est islamologue. Il a déjà publié Les Nouveaux Penseurs de l’islam (Albin Michel, 2008) et Le Coran expliqué aux jeunes (Seuil, 2013) qui ont connu un grand succès.

 

Avis :

Après une existence insouciamment consacrée à ses succès professionnels et à un papillonnage sentimental, un homme sur le retour prend conscience du vide et de la solitude que l’âge lui réserve. Tandis que la mémoire de son ordinateur le renvoie au souvenir soudain nostalgique de ses anciennes amours, lui prend l’envie de renouer avec l’une d’elles, devenue châtelaine, avec l’espoir, qui sait, de peut-être la reconquérir.

Le synopsis est on ne peut plus classique, si ce n’est même basique. Pourtant, Isabelle Flaten nous a concocté une petite perle d’humour et d’originalité qui se déguste avec autant de plaisir que de surprise amusée. Plutôt que de laisser les deux protagonistes principaux conter leurs délicates retrouvailles, elle a confié la narration à l’ordinateur du boomer, témoin de plus en plus amer, mais privilégié, des égarements de son propriétaire, et au portrait d’un ancêtre guindé, scandalisé par la modernité des mœurs qu’il observe depuis les murs de son château désormais ouvert aux visites du public.

C’est ainsi que le récit qui prend de plus en plus allégrement la tournure d’un fantaisiste et moderne conte de fées, autour d’un prince plus très charmant et d’une Cendrillon quinquagénaire qui a sauvé son château grâce aux gains d’un jeu télévisé sur les « people », se révèle une excellente comédie, où l’auteur s’amuse d’aussi bon coeur que ses lecteurs. Pendant que dans leurs très réjouissants monologues, entrecoupés des commérages des pipelettes de voisines, un symbole de la modernité et un représentant du temps jadis commentent de manière décalée les faits et gestes de deux de nos semblables, l’histoire prend une coloration de plus en plus satirique, soulignant avec la plus grande malice nos travers contemporains : jeunisme, féminisme à tout crin et vague woke, engouement pour le développement personnel, le coaching et les thérapies alternatives, greenwashing, numérisation de nos vies…

Un délicieux moment que cette lecture enlevée, drôle et piquante, dont l’original parti pris narratif permet de nous renvoyer un très impertinent reflet de la société d’aujourd’hui. (4/5)

 

 

Citations : 

L’existence est si mal fichue que la lumière nous vient peu avant l’extinction des feux, se dit-elle. Plus Salomé vieillit, plus elle saisit ce qui lui a échappé et songe à ce parcours qui aurait pu être le sien si elle avait su comment s’y prendre. C’est ainsi, il faut de la maturité avant la cueillette. 


Déjà au IIe siècle, Claude Galien de Pergame alertait : « La femelle est plus imparfaite que le mâle pour une première raison capitale, c’est qu’elle est plus froide. » Tous les médecins s’accordent sur ce point : les organes féminins sont fragiles et influent sur le cerveau, pour preuve, il a souvent été nécessaire d’avoir recours à l’hystérectomie pour calmer les dérèglements. Dieu sait si j’évitais feu mon épouse Adélaïde de Mercueil quand elle était sujette à ses menstrues. Pardonnez ma pédanterie si j’en réfère au docteur Murat qui, en 1812, pointe « l’entier empire du viscère (l’utérus) sur les actions et affections de la femme » dans son Dictionnaire des sciences médicales. Propos corroborés dans le Dictionnaire de la médecine pratique de 1914 : « De l’orifice génital suintent en permanence des humeurs douteuses. Pour pallier cette source d’infection, rien ne remplace la semence mâle. » Or je ne m’explique pas – sinon par symptôme de dégénérescence – qu’à l’heure où plus personne n’ignore les faiblesses congénitales du sexe féminin, il leur soit accordé autant de liberté. Il est grand temps de relire Nietzsche : « Elles sont une propriété, un bien qu’il faut mettre sous clé, des êtres faits pour la domesticité et qui n’atteignent leur perfection que dans une situation subalterne. » Ou Émile de Jean-Jacques Rousseau : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. » 


Priez, Seigneur, pour que Salomé se reprenne et qu’elle relise ses mails aussi ! C’est bien ainsi que se nomment ces missives électro-véhiculées que l’on écrit en tapant sur les petits carrés de la machine à ordiner, n’est-ce pas ? 


L’archiduchesse avait poussé l’expérience jusqu’à bannir toute forme d’autorité sous son toit et s’en remettre à cette notion chimérique de responsabilité individuelle. Faute d’instructions fermes, les domestiques se la coulaient douce, ça gobelottait sec en cuisine et le service s’en ressentait. Un soir au souper, feu son époux l’archiduc Archibald a tapé un poing si rageur sur la table qu’il a envoyé valser le râble de chevreuil sauce infecte puis exigé que son épouse se reprenne et reprenne les commandes du personnel sur-le-champ. Ce qui aussitôt fut fait. Et illustre parfaitement ce que je vous disais en préambule. Quand le maître aboie, son épouse la ferme et le monde tourne rond. Et Freud ne me contredirait pas, lui qui a énoncé dans une conférence – je ne suis plus certain de la source : « Les femmes sont intellectuellement inférieures, elles ont un surmoi plus faible, elles sont peu douées pour la sublimation, elles sont narcissiques, envieuses, rigides. »
 
 
Les littératures de tout temps, des Liaisons dangereuses au Rouge et le Noir en passant par La Dame aux camélias, regorgent de désillusions amoureuses. Certaines midinettes contemporaines exploitent le filon sans scrupules, flouent les lecteurs naïfs en concluant la romance par une happy end dans le but de les fidéliser. Et ça fonctionne, il suffit de regarder les ventes de Barbara Cartland ou des titres de la collection Harlequin. La plupart des philosophes ont été eux aussi abusés bien sûr. Mais certains esprits un peu plus éclairés que d’autres ont saisi l’ampleur de la manipulation et tenté d’avertir leur prochain. Avec maladresse pour quelques-uns ou de manière sournoise pour d’autres à cause de la censure qui sévissait à leur époque, mais il suffisait de lire entre les lignes pour décoder le message. Ainsi Søren Kierkegaard : « Il est trop peu d’en aimer une seule… En aimer le plus grand nombre possible, voilà qui est jouir, voilà qui est vivre. » L’amour sert d’enrobage au désir pour en dissimuler l’essence foutraque et multiple, ce qui confirme mon postulat de départ. Et du même Kierkegaard : « Quand deux êtres s’éprennent l’un de l’autre, il importe d’avoir le courage de rompre ; car on a tout à perdre en persistant et rien à y gagner. » Si seulement Salomé pouvait m’entendre et cesser ses sottises tant qu’il est encore temps. La notion d’amour résulte bel et bien d’un ingénieux artifice à visée productiviste pour assurer la régénérescence de la race, et en aucun cas altruiste. Oh ! je n’ignore pas qu’à l’heure actuelle, inquiet de voir son troupeau de fidèles s’évanouir, l’inventeur du Verbe entreprend sûrement mais en sourdine d’y intégrer des ouailles de toutes sortes, sans distinction d’inclinations. Il va même parfois dans certains temples jusqu’à bénir des unions que de mon temps on appelait contre nature. Jamais je n’aurais passé la bague au doigt à un galant de mon espèce, c’eût été cautionner la chimère sentimentale.
 
 
Un fléau de plus de cette foutue modernité qui forcément me rend nostalgique à mon tour de ce bon vieux temps où l’on savait encore dresser les mioches à coups de trique, par ailleurs un savoir-faire ancestral déjà inscrit dans le Livre des proverbes : « La folie est ancrée au cœur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre » (22,15) et « Ne ménage pas à l’enfant la correction, si tu le frappes à la baguette, il n’en mourra pas » (23,13). Et me reviennent aussi ces recommandations édifiantes du cardinal et poète italien Antonio Pucci au XVIe siècle : « Quand le petit enfant fait des bêtises, corrige-le avec les verges et les paroles ; quand il aura passé sept ans, alors emploie le fouet et la ceinture de cuir. Et quand il aura plus de quinze ans, emploie le bâton et donne-lui des coups jusqu’à ce qu’il demande pardon. »


Je me suis alors aperçu à quel point le monde marchait sur la tête. Quid de l’avenir d’une femme si elle rechignait à l’enfantement, l’essence même de sa nature, la raison de sa présence sur terre, sa mission première et l’assurance de sa santé avant tout ? Pourquoi faut-il sans cesse en référer à Platon : « Chez les femmes, ce qu’on appelle la matrice ou utérus est […] un animal au-dedans d’elles, qui a l’appétit de faire des enfants ; et lorsque, malgré l’âge propice, il reste un long temps sans fruit, il s’impatiente et supporte mal cet état ; il erre partout dans le corps, obstrue les passages du souffle, interdit la respiration, jette en des angoisses extrêmes et provoque d’autres maladies de toutes sortes. » Ou encore Philippus Theophrastus Aureolus Bombast von Hohenheim, médecin, philosophe et alchimiste plus connu sous le nom de Paracelse : « Le vase qui conçoit et protège l’enfant est communément désigné sous le nom de matrice […] c’est à cause de ce vase que la femme a été constituée, et non pour la nécessité d’aucun autre membre ou partie. »


Parce que tous deux le savent, si l’amour meurt pour mille raisons, par lassitude, essoufflement, négligence, le leur allait mourir par stupidité s’ils continuaient à s’ignorer. Mais qui fera le premier pas ?

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

mercredi 6 octobre 2021

[Chevillard, Eric] Prosper à l'oeuvre

  



 

 

J'ai aimé

 

Titre : Prosper à l'oeuvre

Auteur : Eric CHEVILLARD

Parution : 2019 (Notabilia)

Pages : 112

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Prosper est de retour ! L’écrivain le plus insupportable de Saint-Germain-des-Prés est aux prises avec les tourments d’un auteur à succès : il passe à la télé, parle de littérature, dirige une master class et, suite au succès de son premier roman, tente d’écrire un polar. Il attend la visite de l’inspiration en travaillant ses métaphores, il recrute ses personnages, s’outille, plante le décor, remonte les bretelles à ses nègres, essaime des indices de sa plume turgescente… sans oublier de faire monter ses à-valoir.

C’est avec une délectation jouissive qu’on plonge dans cette diatribe féroce contre la littérature industrielle et le monde des écrivains à succès. Un livre satirique et hilarant, toujours illustré par Jean-François Martin.

« Prosper Brouillon n’écrit pas pour lui. Il ne pense qu’à son lecteur, il pense à lui obsessionnellement, avec passion, à chaque nouveau livre inventer la torture nouvelle qui obligera ce rat cupide à cracher ses vingt euros. »

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Éric Chevillard est né en 1964 à La Roche-sur-Yon. Il publie principalement aux Éditions de Minuit. Son roman Le Vaillant Petit Tailleur a reçu le prix Wepler en 2003. En 2014, il est lauréat du prix Vialatte pour l’ensemble de son œuvre. Son blog, L’Autofictif, fait l’objet d’une publication annuelle aux éditions de L’Arbre Vengeur. Le premier volume des aventures de Prosper Brouillon, Défense de Prosper Brouillon, est paru chez Notabilia en 2017.

 

 

Avis :

Auteur à succès passé maître du marketing littéraire, vache à lait courtisée par son éditeur, Prosper Brouillon écrit au kilomètre entre interviews, salons littéraires et juteuses master class. Peu importe le sujet, polar ou roman d’aventures, pourvu qu’il plaise au lecteur et oblige « ce rat cupide à cracher ses vingt euros ». Sa production purement mercantile ne l’empêche pas de se croire arrivé parmi les plus grands de la littérature et de rêver aux plus hautes distinctions. Pour continuer à occuper les têtes de gondole, il lui faut pourtant encore venir à bout de la corvée de remplissage des pages de son prochain roman…

Nous voici donc immergés dans le processus créatif de Prosper, le temps de comprendre la genèse de sa prochaine publication de génie. Le ridicule ne tue pas, heureusement pour notre homme, inconscient de ses platitudes et de ses formules ampoulées. A lui seul, il incarne tous les travers du microcosme littéraire, lorsque sa soumission aux diktats commerciaux finit par faire du livre et du romancier de purs et calibrés produits de consommation. Le regard d’Eric Chevillard est féroce et sa satire perfide. Il s’en donne à coeur joie pour forcer méchamment le trait, au gré d’une dérision grinçante dont on sent bien qu’elle masque une vraie envie de pleurer.
 
Et tandis que les raides et anguleuses silhouettes en noir et blanc de Prosper, plaquées sur le fond rouge de ses plates chimères romanesques par l’illustrateur Jean-François Martin, viennent, à leur manière décalée, faire écho aux pointes acerbes et cyniques dont se hérisse le texte, le lecteur sourit de tant de verve et d’habileté pour tourner en ridicule une indéniable réalité.

Ce pamphlet bien troussé se dévore d’une traite, dans un moment de fantaisie rigolarde qui n’en fait pas moins mouche. (3,5/5)

 

Citations :

Prosper Brouillon est tombé un jour sur une interview de Maximilien dans laquelle le journaliste cherchait des poux à son sujet. Or Max avait eu l’élégance de répondre qu’il le publiait uniquement pour l’argent qu’il rapportait à la maison, grâce auquel celle-ci avait les moyens de publier aussi de prodigieux poètes invendables. Prosper pourtant s’était mépris sur le sens de cette argumentation, reprochant à l’éditeur son hypocrisie, son double langage, sa déloyauté. Max heureusement avait su dissiper sans peine ce déplorable malentendu. « Toi, tu es un poète qui vend, lui avait-il expliqué, voilà ce que je voulais dire, d’ailleurs nous allons doubler ton à-valoir. » Flatté, Prosper promit d’ajouter une couche de poésie rentable à son prochain livre afin de contribuer mieux encore à la bonne santé de la maison et de permettre à Max de soutenir toujours plus philanthropiquement à perte les prodigieux poètes illisibles qui n’y pouvaient sans doute rien, les malheureux, ils devaient être nés comme ça, avec ces difficultés d’expression que l’éducation n’avait su corriger, la responsabilité en incombait sans doute à la fois à des parents défaillants et à une école trop laxiste.

Quand il se remet à son roman au terme de cette tournée triomphale, bien sûr, il ne sait plus très bien où il en était resté. Ça l’ennuie un peu de devoir tout relire. Prosper Brouillon s’en vante parfois : il n’a jamais beaucoup lu. Il écrit, on ne peut pas tout faire. Puis cela lui évite de subir des influences.

Quelle histoire ? Prosper Brouillon se demande en effet comment poursuivre. Le début est prometteur (il est derrière lui), la fin sera formidable aussi (invitations à la télévision, négociations avec les producteurs de cinéma, placards publicitaires dans le métro) : entre les deux, c’est le moment qu’il n’aime pas beaucoup, la corvée du coffrage, du remplissage.

Car il serait faux de penser que Prosper Brouillon ignore le doute et l’hésitation. Sa belle assurance s’émousse quelquefois. Il n’a pas peur du vide – quand comprendra-t-on que l’angoisse de la page blanche désigne l’émotion de la feuille elle-même lorsqu’un écrivain la menace de sa plume ? Certaines préfèrent se rouler en boule et se laisser choir dans la corbeille.
 
Par bonheur, à l’instar de nombre de ses plus talentueux collègues et amis et cependant invasifs et très surestimés écrivains à succès, Prosper Brouillon a justement fourbi sa plume dans la publicité. C’est sans conteste la meilleure école de lucrative writing.
 

dimanche 18 octobre 2020

[Bégué, Régis] Mon fils est de droite mais en général les choses s'arrangent

 


 


J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Mon fils est de droite, mais
            en général les choses s'arrangent

Auteur : Régis BEGUE

Parution : 2016 

Pages : 188

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ce gosse, je vais te dire, il a même pas envie de tuer le père. C'est dire à quel point il me tient pour un moins que rien. En revanche, avec sa mère, c'est autre chose : il est bien décidé à la sauver des griffes de cette sale maladie. Mais une fois de plus, c'est moi qui vais devoir m'occuper de tout. Dès qu'il s'agit de pognon ou de combines, on préfère faire appel à Papa, bien sûr. C'est ça, la France bien pensante. Alors moi, bonne poire, je vais céder, comme toujours. Mais l'opération va s'avérer plus compliquée que prévu.

 

Le mot de l'auteur :

Comme il en avait marre de lire des romans sans intérêt, Régis Bégué a décidé d'écrire les siens. Beaucoup moins emmerdants. Il a bien fait, non ? A toi de voir.

Retrouvez mon interview de Régis Bégué en octobre 2019.

 

 

Avis :

Le narrateur a passé toute sa vie de septuagénaire à esquiver les engagements : né dans une aisance qui l’a toujours exempté de la moindre obligation professionnelle, divorcé et en froid avec son fils, grand-père d’une petite fille qu’il ne connaît pas, il s’est installé dans une routine solitaire et luxueuse, se contentant pour toute relation humaine d’allonger les chèques dont ses proches ont besoin. Mais voilà que ce fils et cette ex-épouse font soudain appel à lui pour une intervention un peu particulière qui va tous les entraîner bien au-delà de ce qu’ils auraient pu imaginer...

Cette histoire impertinente et décomplexée, rédigée sans filtre dans une langue parlée, directe et truculente, a tôt fait d’embarquer son lecteur dans une complicité amusée pleine de curiosité. Passées les premières pages un rien désarçonnantes, le temps pour le récit de trouver son rythme et d’enclencher sa construction toute vaudevillesque, et vous voilà lancé le sourire aux lèvres dans une cascade de rebondissements bourrée de clins d’oeil et d’autodérision. Directement interpellé, vous ne pourrez que vous régaler de la cocasserie des formules et des observations, en compagnie de personnages dont les situations burlesques n’empêchent pas la pertinence psychologique et la justesse des dialogues.

Sans se prendre au sérieux, ce roman finit quand même par nous tendre un miroir révélateur de quelques vérités, en particulier les difficultés de communication au sein d’une même famille, la lâcheté et les mauvaises raisons qui nous rendent incapables de sincérité, les malentendus et les ressentiments qui viennent masquer l’affection : tout ce qui fait qu’un père et un fils souffrent de se détester faute de savoir se parler, qu’un homme s’enferre dans le mensonge d’une double vie ou se comporte en véritable salaud tout en étant par ailleurs parfaitement sympathique.

Bien construit, d’une lecture fluide et prenante, ce récit caustique qui prend plaisir à nous amuser révèle un humour exempt de toute prétention et une absence totale d’illusion sur nos ambivalences humaines : autant de caractéristiques que les romans ultérieurs de l’auteur ont conservées sous une forme assagie et à chaque fois un peu plus maîtrisée. (4/5)

 

 

Citations : 

"On n'est pas toujours le fils de son père, mais on est toujours le père de son fils." (Louis Dumur)
 
"Le contraire de la "gauche caviar", la "droite sardine à l'huile", n'existe pas." (Jean-François Kahn)
 
Et c’est vrai que nous vivons des temps pas ordinaires : l’anticonformisme est devenu la règle, la norme. Mais où est donc passée la conformité ? Les rebelles sont les icônes, et ce sont les chefs d’État eux-mêmes, du monde entier ou presque, qui sont en tête du cortège pour défendre leur mémoire. On y perd son latin, faut avouer. Le dernier hommage à un journal satirique bâti sur les pavés de Mai 68 consistera donc à embrasser les CRS encadrant les manifestants. Ca laisse rêveur, ou pantois, c’est encore mieux que l’infarctus du cardiologue, c’est d’une ironie que même les gars du journal qui ont passé leur vie à dessiner des flics dans des postures obscènes, ils n’y auraient pas pensé, c’est sûr.

Ma maman à moi, en fait, elle disait toujours : « Ne t’inquiète pas, petit d’homme, ça va s’arranger ». Un bobo sur mes genoux cagneux, une mauvaise note à l’école, une défaite au championnat d’escrime du lycée (oui, je pratiquais l’escrime, étonnamment, y a qu’en France qu’on peut imaginer coller ses gosses à l’escrime, non ?), ou une énième réflexion acerbe de mon père, eh bien c’était toujours la même réponse : t’inquiète pas, ça va s’arranger. C’était pas tout à fait faux ; la plupart du temps, tout finissait bien par rentrer dans l’ordre. C’est de là que j’ai conclu ce que je crois encore aujourd’hui : en général, les choses s’arrangent.

Quand il prend cet air d’apitoiement mêlé d’agacement, on croirait mon père, Lucien. Il lui ressemble, je trouve. Mon fils, finalement assez souvent, on croirait mon père.

  

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