Bonjour Gilbert Bordes, pouvez-vous décrire en quelques mots qui vous êtes ?
Qui je suis ? Si je le savais. Sûrement un solitaire qui a besoin des autres. Un désespéré heureux.
Comment et quand vous est venue l'envie d'écrire ?
Je n'en sais rien. J'ai toujours écrit comme j'ai toujours construit des instruments de musique. Je suis né au Moyen Age dans une ferme corrézienne où je m'ennuyais terriblement. Je découpais les lettres dans un vieux livre pour composer mes propres textes. Je tendais des brins de câble à vélo sur une planche en sapin pour faire des notes. Mes parents qui ne comprenaient pas que je puisse passer autant de temps en niaiseries étaient désespérés.
Comment écrivez-vous vos romans ? (Votre rythme de travail ? Connaissez-vous à l'avance toute l'histoire et son issue, ou la transformez-vous en cours de route ?...)
Mes journées se ressemblent : écriture le matin, lutherie l'après-midi. Mais rien ne se passe jamais simplement. Je me force à rester à mon bureau tous les matins, même quand je n'avance pas, même quand j'ai conscience de faire du mauvais travail. Cette discipline m'est indispensable pour avancer.
Quand je commence un roman, je ne sais jamais comment il se terminera, ni même si je réussirai à le terminer un jour. Tout part d'une envie, d'une nécessité de me plonger dans une histoire encore floue, et que je dois sortir de l'ombre.
Comment vous est venue l'idée de votre dernier roman La garçonne ?
La garçonne, c'est moi. Ma première éducation a été celle de la nature, de la forêt, des animaux. Je suivais un vieux domestique, magnifique braconnier qui m'apprenait à lire les marques laissées par les animaux. Il m'apprenait aussi à marcher en silence, à surprendre la laie et ses marcassins, à placer des collets sur le passage des lièvres ou des lapins. Je savais tout des différentes "tapettes" à grives et des lignes de fond placées dans la rivière pour attraper les grosses truites les nuits d'orage. La migration des palombes m'intéressait plus que l'histoire de France...
La garçonne raconte un peu mon cheminement. D'abord chasseur, prédateur pour découvrir le respect de la vie. Je crois que l'instinct de chasse et de pêche que nous avons tous enfoui au fond de nous doit être magnifié et faire la connaissance de la nature un atout pour la protéger. Un art aussi. La pêche à la mouche en est un. Il faut d'abord savoir fabriquer une imitation d'insecte plus vivant que nature avec des plumes et des poils, et le présenter à la truite d'une manière si naturelle qu'elle se laisse berner. Ce jeu d'échec avec la rivière me plaît toujours. Mais le poisson capturé est libéré sans même le toucher.La piqûre du minuscule hameçon est infime...
Vous avez situé ce roman dans un cadre que vous connaissez bien : la Sologne. Vous êtes-vous inspiré d'éléments ou d'anecdotes réels ?
La Loire m'a toujours fasciné. J'ai toujours rêvé d'avoir une maison au bord de ce fleuve sauvage et si changeant. Cette maison se trouve à la frontière de deux mondes, d'un côté la Loire avec sa lumière si particulière, de l'autre la Sologne profonde avec ses chemins qui ne conduisent nulle part, ses châteaux perdus, ses légendes. Je ne crois pas que La garçonne aurait pu se situer ailleurs. Elle est l'image même de cette région, libre et en même temps prisonnière...
Si vous deviez définir votre livre en quelques mots, que diriez-vous ?
Ca, je ne sais pas faire. Rien n'est plus compliqué pour moi que de réduire à quelques lignes une histoire qui prend deux cents pages. Disons que ma Garçonne représente ce qui me semble essentiel pour les hommes. Bien connaître tous nos instincts profonds, les instincts animaux qui nous guident souvent à notre insu et les sublimer, les transformer en la seule chose qui pourrait permettre à l'humanité de survivre : la compassion.
Avez-vous d'autres passions en dehors de l'écriture ?
Que oui ! Prenons les dans l'ordre chronologique. D'abord la chasse et la pêche, abandonnés depuis plus de vingt ans, avec l'écriture et la lutherie. Et puis, plus tard, l'avion. Ces deux passions, aviation et lutherie, j'ai su les transmettre à mon fils qui est devenu pilote sur Airbus 320 et fabriquant de guitares...
Et puis, il y a le potager. Ce lien indispensable avec la terre nourricière m'apporte beaucoup. Manger ce que l'on produit semble une toute petite chose, mais elle a des résonances profondes en nous et nous place dans le manège des saisons, de la pluie et du soleil. Elle nous rend attentifs à tout un monde que nos contemporains qui vivent hors sol ne connaissent pas. C'est une façon de voir l'écologie autrement que du siège d'un quelconque parti politique.
Travaillez-vous déjà à un autre projet ?
Je travaille sur mon roman d'automne dont le titre est encore à trouver. J'aime bien "Naufrage". Huit adolescents, perdus dans l'Atlantique Sud à bord d'un bateau démâté et errant pendant des jours, découvrent le sens de gestes quotidiens anodins, qui sont pourtant ceux de la survie. Cela peut paraître incroyable à notre époque et pourtant c'est possible !
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