jeudi 23 décembre 2021

[Bégué, Régis] Rodrigo

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Rodrigo

Auteur : Régis BEGUE

Parution : 2022 (Lucien Souny)

Pages : 264

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Je m’appelle Rodrigo. Rodrigo Ganos. Je suis né le 15 mai 1945 à Buenos Aires.
Ainsi commence le cahier découvert en même temps qu’un cadavre, dans un appartement du Sud-Ouest. Le gendarme, le flic et la légiste décident de le lire ensemble, espérant y trouver l’explication du meurtre. Ils y suivront la vie tourmentée de Rodrigo, un innocent présumé coupable, et ils comprendront que ni les méandres de l’Histoire ni ceux de son histoire personnelle ne permettent de dénouer l’intégralité de l’énigme. Il leur manque un élément, un élément crucial.

Après S.N.O.W et Fatales négligences, Régis Bégué signe ici son troisième polar. Rodrigo est peuplé de personnages complexes, attachants souvent, terrifiants parfois, tantôt accusés à tort ou à raison et généralement minés par un sentiment de culpabilité. Leurs destins se croisent, leurs points de vue se conjuguent pour raconter une histoire à plusieurs tiroirs, et la tension va crescendo.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Formé aux mathématiques, à l’économie et au commerce, c’est par hasard que Régis Bégué entre dans la finance, en 1994. D’abord courtier, il est aujourd’hui gestionnaire dans une grande institution. Un détail d’importance puisque ce nouveau polar prend corps sur fond d’intrigue financière et de spéculation boursière. Ce métier exigeant nécessite des soupapes d’aération et d’oxygène. Il les a trouvées avec l’écriture, mais également le piano, la peinture, le théâtre, le chant ! En 2000, il s’est attelé à son premier roman, Les cimes ne s’embrassent pas, dans lequel il a créé le village imaginaire de Saint-Ravèze, que l’on retrouve dix-huit ans plus tard dans S. N. O. W. Entre les deux, il n’a jamais vraiment posé la plume ni abandonné le clavier de l’ordinateur – ni même celui du piano ! Et tant qu’il aura des histoires à raconter et qu’il y aura des gens pour les lire, les aimer et les écouter, il continuera ! Il est né, a grandi et réside en région parisienne.

 

Retrouvez mon interview de Régis Bégué en octobre 2019.

 

 

Avis :

A côté du cadavre découvert dans un appartement du Sud-Ouest de la France, la police trouve un cahier. Il s’agit du journal d’un dénommé Rodrigo Ganos, né en 1945 à Buenos Aires. De l’Argentine à la France en passant par le Maroc, s’y dévoile le parcours mouvementé d’un homme faussement accusé dans une vaste affaire, où s’entremêlent inextricablement les intérêts privés et les ingrédients de l’Histoire. Mais, si la narration finit par faire tomber les faux-semblants un à un, il en est un tout dernier, exclu du cahier, dont le lecteur sera un des rares complices…

Roulés dans la farine : c’est le sort que nous réserve Régis Bégué, en jouant d’un principe narratif que ne désavouerait pas Romain Puértolas. Autrement dit, si le déroulé de l’intrigue tient en haleine au long de ses intrications pleines de mystères et de surprises, il est une donnée de départ sans laquelle la perspective du récit reste faussée, et dont la découverte ultime stupéfiera le lecteur tombé dans le panneau. Cette pincée finale de malice vient couronner le long dessillement d’un personnage cerné depuis l’enfance par le mensonge, et qui, sans un incident l’amenant à en effeuiller toutes les couches une à une, aurait bien pu ne jamais perdre ses illusions.

Ainsi, les aventures dramatiques du narrateur n’en finissent plus de le faire tomber de Charybde en Scylla. Et si, lors de l’interrogatoire musclé du début, l’on ne peut d’abord complètement se défendre d’un certain scepticisme quant à la réelle crédibilité de l’intrigue, l’on se laisse vite emporter par les tribulations de ce personnage obligé d’ouvrir les yeux sur les terribles ambivalences de son entourage. Il faut dire que l'auteur s’en donne à coeur joie, multipliant comme à son habitude les protagonistes ni chair, ni poisson, en gros tous capables du meilleur comme du pire en fonction des situations et de leurs intérêts. Malgré tout, dans cet imbroglio où le mal et le bien s’interpénètrent souvent, entourant d’un certain trouble la notion de culpabilité, émergent quelques pépites de vraie humanité préservée, la plus belle étant indéniablement la solidarité désintéressée d’une poignée d’habitants d’un misérable village marocain.

Sans jamais cesser de s’amuser, lorsqu’il nous mène en bateau ou parsème son texte de ses petites madeleines des années quatre-vingts, Régis Bégué nous livre un polar réussi, plein de vrais et faux tiroirs, où bien des secrets se dérobent sous la surface de la normalité. Mais les pires salauds ne sont-ils pas aussi des hommes ordinaires ? (4/5)

 

 

Citation :

- Dans les années trente, l'Europe entière était antisémite, persuadée que le complot juif international était à l'oeuvre pour sucer le sang des enfants de la patrie. C'était la croyance commune. Bousquet ne la partageait ni plus ni moins qu'un autre. Je vais t'étonner encore plus : j'ai rarement croisé un regard aussi franc que celui de ce type. Il est convaincu d'avoir fait de son mieux. Il n'est pas traversé par une once de remords, tu vois. Combien de milliers de personnes sont mortes dans les camps à cause de lui, il l'ignore. Il n'a gardé en mémoire que celles que son zèle collaborationniste a pu sauver. Et il est vrai que certaines ont pu être épargnées grâce à lui, grâce à son action... A commencer par Miterrand, tiens, qui ne serait peut-être plus de ce monde sans son intervention. Oui, c'est sans doute ce qui explique l'étrange fidélité, politiquement risquée, du président à l'ancien préfet. Il lui doit la vie sauve, tout simplement.
- Mais enfin, Bousquet est responsable de ces deux crimes contre l’humanité que sont la rafle du Vel’d’Hiv et celle de Marseille ! Le scandale, c’est qu’il n’ait pas été puni et qu’il ait pu faire une carrière brillante dans le privé, gardant des amis haut placés. C’est révoltant !
David me toise avec une certaine bienveillance mêlée d’une forme de condescendance.
- Oui, bien sûr, tu as raison. Ajoutons même que tout ce beau linge ne s’est pas ému le moins du monde de faire affaire avec ce personnage funeste. Mais il est indéniable que personne ou presque, à l’époque, ne l’a considéré comme un monstre. On n’a voulu voir en lui que le fonctionnaire discipliné, l’exécutant méthodique de la politique de Laval. Et c’est sans doute ce qu’il a été : un rouage de l’horreur. Et Bousquet lui-même, dans son for intérieur, se croit innocent. On pourra le rejuger et le recondamner cent fois, il y a quelque chose qu’on ne pourra jamais faire, même avec toutes les menaces, les cours d’assise et les prisons de la planète, c’est ébranler sa conscience ou susciter ses remords. Il mourra l’âme en paix, convaincu du bien-fondé de son action. Les plus grandes exactions ne sont pas commises par d’abominables criminels assoiffés de sang, mais par des types normaux, de caractère zélé, soumis par vocation aux autorités jugées légitimes. Voilà ce que je pense.

 

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