dimanche 23 mars 2025

[Erre, J.M.] La loi de la tartine beurrée

 



 

J'ai moyennement aimé

 

Titre : La loi de la tartine beurrée

Auteur : J.M. ERRE

Parution : 2025 (Buchet-Chastel)

Pages : 160

 

 


 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Anna et Jean-Luc Godart viennent d'emménager dans leur nouvel appartement. Après une soirée crémaillère échevelée, le réveil est difficile : le téléphone sonne sous des prétextes absurdes, un plombier débarque en expliquant avoir été appelé en urgence, des livreurs apportent des objets soi-disant commandés. Anna et Jean-Luc sont-ils victimes d'actes de malveillance ou responsables inconscients de ces dérèglements ? Le doute s'installe, les certitudes s'effritent, les failles apparaissent : le terrain idéal pour une psychothérapie de couple déjantée. Nous le savons bien, les emmerdements sont la force noire qui régit l'univers. La Loi de la tartine beurrée, nouveau roman de J.M. Erre, se propose d'en être la plaisante illustration, histoire d'oublier un instant nos tourments en nous divertissant avec ceux des autres. Enfin un peu d'humour dans ce monde de brutes !

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

J.M. Erre est né à Perpignan en 1971. Il enseigne le français et le cinéma. Il écrit des romans publiés chez Buchet/Chastel depuis 2006.

 

Avis :  

En ce lendemain de pendaison de crémaillère manifestement bien arrosée, les époux Godart se réveillent avec leur mal aux cheveux et le désordre de leur appartement pour seuls souvenirs des réjouissances. Ils ne se doutent pas encore que la tartine beurrée inexplicablement collée au plafond de leur salon augure une journée difficile. Mais un premier coup de sonnette retentit. Le coup d’envoi d’une cavalcade d’ennuis tous plus rocambolesques les uns que les autres est donné.

C’est écrit comme un roman, mais cela a tout d’une pièce de théâtre. Le rideau s’ouvre à peine, pardon la première page vient juste de se tourner, que les deux acteurs groggy commencent à subir ce qui ne va plus aller que crescendo, dans un loufoque ballet d’allées et venues surprises. De quoi ébranler ce couple bourgeois jusqu’ici pétri de certitudes tranquilles, du genre « Les emmerdes ne volent pas forcément en escadrille » selon le titre de l’ouvrage que Monsieur, psychologue clinicien de profession, s’enorgueillit d’avoir publié.

En vérité, rien dans la vie ne se passe comme dans les livres. Et la pantalonnade de tourner en ridicule nos fort illusoires prétentions au confort d’une existence qu’un certain nombre de conventions protègeraient du pire. Ainsi de celle du couple, puisqu’on nous a tous « mis dans la tête qu’il fallait vivre à deux », alors qu’un couple est « névrotique pas essence », occupé qu’il est à « résoudre à deux les problèmes qu’on n’aurait jamais eus tout seul ». Sous la moquerie, la critique sociale n’est pas loin, qui met en cause les « schémas paternalistes archaïques » et leur fonction de garde-fous sociétaux  –  « Tant qu’on crie sur son conjoint, on ne se révolte pas contre le pouvoir. »

Ceux, qu’un peu trop léger pour convaincre, le message pourra laisser sceptiques, auront toujours en main la carte de l’humour plaisamment jouée par l’auteur. A condition toutefois de goûter l’absurdité d’une farce des plus tirées par les cheveux. (2/5)

 

Citations : 

– Excusez-moi, je suis fatiguée. Quelle était votre question ?  
– Eh bien, j’ai remarqué votre tartine collée au plafond…  
– Oui, je sais… soupire Anna.  
– Je me demandais… Comment elle fait pour tenir ?  
Anna lève les yeux vers la tartine et la fixe un long moment.  
– Vous posez la seule vraie question, cher monsieur. Comment on fait tous pour tenir ?


Comme disait l’autre, le couple, c’est résoudre à deux les problèmes qu’on n’aurait jamais eus tout seul. Les emmerdements seraient-ils indissociables du couple ? La réponse est oui. Mais prenons le temps d’y réfléchir. Et si c’était une bonne nouvelle ? Et si l’on changeait de regard sur la dispute conjugale ? Il est temps de réévaluer l’enjeu inestimable de la scène de ménage : la possibilité offerte de déployer toute notre mesquinerie face à un partenaire qui nous renvoie la balle avec la même bassesse. Dans tout autre cadre – professionnel, amical ou familial – nous serions disqualifiés par l’expression de notre petitesse. Partout en société, nous devons nous montrer irréprochables, performants, lumineux, aimables. Cette terrible pression sociale, qui nous oblige à faire taire les pires versions de nous-même, seule l’intimité du couple nous en affranchit. Sans autre témoin qu’un partenaire capable de se montrer aussi minable que nous, nous pouvons laisser s’exprimer la version la plus honteuse de notre être pour une expérience cathartique des plus salutaires. À condition bien entendu d’avoir pour conjoint un partenaire de même niveau de jeu que nous, pas une victime à écraser.
 
 
– Le couple est névrotique par essence, insiste l’intrus. Il n’est pas naturel de cohabiter avec quelqu’un tous les jours, toutes les nuits, pendant des années. Comment ne pas prendre l’autre en grippe avec sa présence permanente à vos côtés ? Son regard porté sur vous à chaque instant, ses jugements, sa mauvaise foi, sa lucidité, c’est insupportable ! M. et Mme Godart, votre conjoint vous agace, n’est-ce pas ?  
JL et Anna sont affalés dans le canapé, somnolents.  
– Ça ne vous regarde pas… J’aime Anna…  
– Moi aussi, je t’aime, mais il a raison… Qu’est-ce que tu peux m’agacer parfois…  
– Toi aussi, tu m’agaces, qu’est-ce que tu crois…  
– Vous voyez ? Vous vous insupportez, et c’est normal. Le couple n’est pas une structure naturelle, mais tout est fait pour que l’on vive à deux. Car la société a besoin du couple pour s’appuyer sur des bases stables. Si tout le monde change de partenaire sans cesse, c’est le retour à la loi de la jungle. Sans la famille, c’est l’anarchie.  
– La société a besoin du couple, annone Anna, mais pas l’individu…  
– D’où l’affluence de patients chez les psys. Vous vivez tous les deux sur le dos du couple névrotique, miné à la base par des frustrations, des déceptions, des rancœurs.  
– Par le sentiment d’avoir été privé de sa liberté… soupire Anna.  
– Par l’obligation de rendre des comptes… renchérit JL dans son demi-sommeil.  
– La nécessité de se montrer disponible…  
– D’être fidèle…  
– D’entretenir la flamme…  
– D’offrir des fleurs à sa femme…  
– De se soumettre à des schémas paternalistes archaïques…  
– De forcer sa nature, brider ses désirs, étouffer ses pulsions…
– D’où les disputes, les inévitables scènes de ménage…  
– C’est le but recherché, conclut l’intrus.  
– Le couple est l’espace de la tension, murmure Anna. On garde ainsi la colère du citoyen au cœur de la cellule familiale.  
– Tant qu’on crie sur son conjoint, chuchote JL, on ne se révolte pas contre le pouvoir.  
– L’État ne survit que grâce à la névrose du couple.  
– C’est ça, confirme l’intrus. Le pire, ce sont les célibataires qui se gâchent la vie en cherchant désespérément à être en couple.  
– Alors qu’ils vivent la situation idéale…  
– On leur a mis dans la tête qu’il fallait vivre à deux.  
– On leur a fait un lavage de cerveau.  
– On nous a fait à tous un lavage de cerveau.


 

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