samedi 29 mars 2025

[Heller, Peter] La pommeraie

 


 

 

J'ai beaucoup aimé 

Titre : La pommeraie (The Orchard)

Auteur : Peter HELLER

Traduction : Céline LEROY

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2019
                  en français (Actes Sud) en 2025

Pages : 272

 

  

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Frith a six ans quand sa mère Hayley, professeure et traductrice de poésie chinoise, décide de plaquer sa carrière universitaire pour venir s’installer dans une cabane rustique au pied des montagnes du Vermont et s’inventer une vie libre et belle. Ce retour à la terre est rude, mais toutes deux subsistent grâce à la pommeraie qui flanque leur terrain et au sirop d’érable qu’elles produisent. Scolarisée à domicile, l’intrépide Frith s’imagine reine de leur paradis sauvage, ignorant tout des peines et des regrets qui ont poussé Hayley à se réfugier ici. Saison après saison, mère et fille vivent en autarcie, affrontant “le monde et ses déceptions main dans la main”, jusqu’au jour où Rose, une artiste locale, frappe à leur porte et bouleverse leur existence. Près de trente ans plus tard, Frith se remémore les jours heureux d’avant les tragédies et revisite sa relation fusionnelle avec Hayley à travers les sublimes poèmes qu’elle lui a légués.
L’auteur de La Rivière signe un roman tout en pudeur et délicatesse, nimbé d’une mélancolie tchékhovienne, sur les pertes de l’enfance, les amitiés indéfectibles et la force inébranlable de l’amour entre mère et fille.
 

   

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Poète, grand reporter nature et aventure, ardent pratiquant du kayak, de la pêche et du surf, et adepte des voyages à sensations fortes, Peter Heller est devenu romancier avec son page-turner post-apocalyptique et néanmoins solaire, La Constellation du chien (Actes Sud, 2013) et salué comme une révélation. Talent qu'il n'a cessé de confirmer et de développer depuis avec Peindre, pêcher et laisser mourir (Actes Sud, 2015), Céline (Actes Sud, 2019), La Rivière (Actes Sud, 2021) et Le Guide (Actes Sud, 2023).

 

 

Avis :

Sa grossesse la renvoyant avec toujours plus d’insistance au souvenir de sa mère, Frith, professeur de lettres en Californie, trouve enfin le courage d’ouvrir le petit coffre que, bien des années plus tôt, celle-ci lui a laissé. A mesure que la jeune femme en effeuille le contenu, principalement des poèmes traduits par sa mère, en son temps une éminente spécialiste de la poésie chinoise ancienne, s’échappent de cette boîte de Pandore réminiscences et fantômes d’un passé qui, par-delà l’absence et la perte, finira par servir de boussole à un présent jusqu’ici indécis.

Hayley n’est encore qu’au début de la trentaine, lorsque, tournant le dos à sa vie de professeur associé et à sa renommée internationale dans le monde très pointu de la traduction de poésie chinoise ancienne, elle choisit de venir s’installer avec sa fille de six ans, Frith, dans une cabane sans eau ni électricité au milieu d’une pommeraie en déshérence dans le très rural Vermont. Rustique et précaire, leur existence à toutes deux s’organise entre école à domicile, récolte des pommes et du sirop d’érable, solidarité et amitié entre voisins, enfin omniprésence rude mais enchanteresse d’une nature authentique et sauvage.

Pour l’enfant à mille lieues de se représenter les douleurs et les désillusions motivant chez sa mère cette retraite loin du monde, les saisons passent dans une insouciance libre et joyeuse, nourrie des bonheurs simples d’une vie au naturel qu’un amour maternel fusionnel semble sanctuariser. Jusqu’au jour où tout bascule, selon cette loi universelle dont Frith fait simplement l’apprentissage beaucoup trop tôt et qui veut que sur cette « terre d’une beauté sans pareille », « ce qui est certain, c’est que nous finissons par tout perdre. »

D’une profonde mélancolie, le texte chante les joies et les rudesses d’une vie proche de la nature et de ses magnificences, le bonheur d’une existence en harmonie avec son entourage et son environnement, la nécessité de profiter au jour le jour de ce fragile mais merveilleux cadeau qu’est notre courte vie. Lent et contemplatif à ses débuts, le récit ponctué de poèmes soulignant à travers les siècles l’universalité de nos destins humains se charge au fil des pages d’une nostalgie de plus en plus prégnante, la tristesse et les larmes menant en définitive à une prise de conscience, une reprise en mains d’une destinée qui avait fini par s’égarer loin de son sens fondamental.

L’on retrouve ici des thèmes chers à l’auteur, sa passion pour la nature et sa propre expérience du Vermont lui ayant inspiré un roman tout en retenue et en sensorialité pour une quête intime d’une très touchante mélancolie. Loin du suspense et de l’esprit d’aventure de La rivière, un récit plus profond, plus contemplatif, d’une grande beauté. (4/5)

 

Citations :

C’est ce qui fait la beauté de la jeunesse, ce temps où le monde est essentiellement malléable, où les petits événements peuvent devenir grands et les grands disparaître.


L’absence produit elle aussi un bruit qui peut être aussi bruyant que ce qui l’a précédée. Parfois elle est même plus bruyante.


Je l’avais regardée taper ses notes sur son ordinateur portable et m’étais interrogée sur les moyens qui nous sont donnés pour approcher un univers chaotique, une terre d’une beauté sans pareille, une existence où la perte est une constante.


Si bien que nous passons la moitié de notre temps à avoir le cœur brisé, une autre à être perdus, une autre à nous demander pourquoi nous avons pris tel chemin, une autre encore à chantonner, tout excités d’explorer une nouvelle voie, et je sais que ce temps mis bout à bout dépasse largement les cent pour cent, ce qui constitue d’ailleurs une partie de notre problème.


Hayley prenait-elle les libertés qu’elle semble avoir prises ? Sans doute. C’est ce que fait un grand traducteur. Parce que celui qui reste trop près du texte “gère des voies ferrées, m’a dit Hayley un jour. Il ne fait qu’aiguiller les mots comme si c’étaient des wagons”.


La vérité est peut-être belle, mais elle fend aussi le cœur. C’est certain. Parce que la vérité, ou ce qui est certain, c’est que nous finirons par tout perdre.


Quand un proche meurt, on a tendance à se concentrer sur nos propres désirs. On le fait quand on est enfant, mais aussi à l’âge adulte. C’est d’un égoïsme terrible. Le désir que cette personne jamais ne disparaisse. Qu’elle reste près de nous, nous serre dans ses bras, qu’elle soit présente pour nous écouter quand on a quelque chose à raconter, quand on a du chagrin. Qu’elle passe la main sur nos cheveux, les ébouriffe ou nous les démêle. Qu’elle rie face à notre perspicacité. Qu’elle soit là, pour toujours. On imagine si rarement ce qu’elle-même pourrait vouloir : un matin supplémentaire avec un brouillard aussi épais que du coton au fond de la vallée. Une autre question agaçante de sa petite fille. Une autre tasse de thé. Une nuit dans les bras l’une de l’autre. Un poème.

 

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