Coup de coeur đ
Titre : L'os de Lebowski
Auteur : Vincent MAILLARD
Parution : 2021 (Philippe Rey)
Pages : 208
Présentation de l'éditeur :
Je mâappelle Jim Carlos, je suis jardinier. Jâai disparu le 12 janvier 2021. Un de mes derniers chantiers sâest deÌrouleÌ aux PreÌs Poleux, dans la proprieÌteÌ des Loubet : Arnaud et Laure. Lui est reÌdacteur en chef aÌ la teÌleÌvision, elle est professeure dâeÌconomie dans lâenseignement supeÌrieur. Chez eux tout est aussi harmonieux, aussi faux quâune photographie de magazine de deÌcoration. Tout, meÌme leurs cordiales invitations aÌ partager des cafeÌs ou des deÌjeuners au bord de leur piscine, vers laquelle je me dirigeais avec autant dâentrain que pour descendre au bloc opeÌratoire...
Vous trouverez dans ce livre les deux cahiers que jâai eÌcrits lors de mon aventure chez ces gens. Mais aussi lâenqueÌte meneÌe par la juge Carole Tomasi apreÌs ma disparition. Lebowski est le nom de mon chien. Tout est sa faute. Ou bien tout le meÌrite lui en revient. Câest selon. Maintenant il est mort. Et moi, suis-je encore vivant ?
Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :
Ancien grand reporter, Vincent Maillard est aujourdâhui reÌalisateur de documentaires, et sceÌnariste pour la teÌleÌvision. Lâos de Lebowski est son second roman, apreÌs Springsteen-sur-Seine (EÌditions Fanlac, 2019).
Avis :
Lebowski, Golden Retriever aussi massif que placide, accompagne imperturbablement son maĂźtre, Jim Carlos, sur ses chantiers de jardinier-paysagiste. Cette fois, ils se rendent sur la luxueuse propriĂ©tĂ© des Loubet, qui dĂ©sirent ajouter une touche dâĂ©cologie Ă leur image de rĂ©ussite et de perfection bourgeoises. Mais Jim et Lebowski y tombent littĂ©ralement sur un os, et, Ă force de creuser, finissent par se retrouver en bien mauvaise posture face au vrai visage de cette famille, bien moins avenante quâil nây paraĂźt.
Personnage Ă part entiĂšre et Ă lâĂ©vident capital de sympathie, le chien Lebowski est celui par qui tout arrive : le coup de patte qui va incidemment venir troubler lâimage policĂ©e des Loubet, comme le coup de coeur qui va valoir Ă ce livre le Prix littĂ©raire 30 millions dâAmis. Et câest vrai que lâon sâattache Ă cet animal, dont la prĂ©sence rĂ©aliste et souvent comique doit beaucoup Ă la chienne de lâauteur et Ă lâironie de Jim, le narrateur de leurs mĂ©saventures. Entre le flegme innocent du chien et lâexaspĂ©ration du maĂźtre face Ă la comĂ©die humaine quâil observe avec autant de luciditĂ© que de dĂ©rision, le lecteur est dâemblĂ©e happĂ© par la vivacitĂ©, lâoriginalitĂ© et lâhumour du rĂ©cit, habilement tendu autour des contradictions et de lâhypocrisie de plus en plus inquiĂ©tantes des Loubet. Le suspense ne tarde pas Ă sâen mĂȘler, entretenu par la construction soigneusement Ă©tudiĂ©e de ce qui se rĂ©vĂšle une tragi-comĂ©die aussi noire que rĂ©jouissante. Dans les placards des apparences lisses et policĂ©es, dorment bien des squelettes quâil peut ĂȘtre dangereux de prĂ©tendre chatouillerâŠ.
Cocktail pĂ©tillant de suspense, dâhumour et de satire sociale, cette lecture originale et divertissante se dĂ©guste sourire aux lĂšvres. Coup de coeur. (5/5)
Personnage Ă part entiĂšre et Ă lâĂ©vident capital de sympathie, le chien Lebowski est celui par qui tout arrive : le coup de patte qui va incidemment venir troubler lâimage policĂ©e des Loubet, comme le coup de coeur qui va valoir Ă ce livre le Prix littĂ©raire 30 millions dâAmis. Et câest vrai que lâon sâattache Ă cet animal, dont la prĂ©sence rĂ©aliste et souvent comique doit beaucoup Ă la chienne de lâauteur et Ă lâironie de Jim, le narrateur de leurs mĂ©saventures. Entre le flegme innocent du chien et lâexaspĂ©ration du maĂźtre face Ă la comĂ©die humaine quâil observe avec autant de luciditĂ© que de dĂ©rision, le lecteur est dâemblĂ©e happĂ© par la vivacitĂ©, lâoriginalitĂ© et lâhumour du rĂ©cit, habilement tendu autour des contradictions et de lâhypocrisie de plus en plus inquiĂ©tantes des Loubet. Le suspense ne tarde pas Ă sâen mĂȘler, entretenu par la construction soigneusement Ă©tudiĂ©e de ce qui se rĂ©vĂšle une tragi-comĂ©die aussi noire que rĂ©jouissante. Dans les placards des apparences lisses et policĂ©es, dorment bien des squelettes quâil peut ĂȘtre dangereux de prĂ©tendre chatouillerâŠ.
Cocktail pĂ©tillant de suspense, dâhumour et de satire sociale, cette lecture originale et divertissante se dĂ©guste sourire aux lĂšvres. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Jâai rejoint lâautoroute A10. Lâautoroute de Bordeaux. OrlĂ©ans, Tours, Poitiers, la France tranquille, ni la horde sauvage estivale de lâautoroute du Soleil, ni la destination TĂ©lĂ©rama-fruits de mer de lâautoroute de Rennes ou de Nantes (mettons de cĂŽtĂ© les punis et les bannis de lâEst, quâirait-on faire en Lorraine quand on nây est pas nĂ© ?), quelque chose entre les deux, bon chic-mi-raisin.
Je me suis arrĂȘtĂ© sur lâaire de Poitou-Charentes â Nord. (âŠ)
Je suis allĂ© mâoccuper de mon cas dans le vaste manĂšge multicolore des machines Ă sous Lavazza, des canettes rouge Coca et bleu Red Bull, des sandwichs de Chez Paul et des livres de chez Jacques a dit. Des ribambelles dâĂȘtres humains de tous Ăąges et de tous sexes, mais presque tous en short, mi-Ă©nervĂ©s mi-joyeux, Ă©voluaient dans cet espace comme sâils Ă©taient chez eux. Je me sentais comme un acteur en noir et blanc dans un film en couleurs.
La route principale faisait un coude pour contourner le centre du village. Il nây avait pas plus de voitures que de piĂ©tons. Jâai repĂ©rĂ© le cafĂ©, fermĂ©. Je me suis assis sur un banc qui nâavait pas besoin dâĂȘtre Ă lâombre car le ciel Ă©tait nuageux, gris clair. Jâai remarquĂ© les guirlandes dâampoules colorĂ©es entre les platanes. Une sorte de buvette et des installations de bois, un four Ă pain, un endroit taillĂ© pour lâanimation et la fĂȘte. Mais aux heures ouvrables, donc. Jâavais lâair du gars qui a Ă©tĂ© invitĂ© Ă une noce mais qui sâest trompĂ© de date.
Milos est loin des hordes touristiques, loin des foules selfisĂ©es et des dĂ©lires Instagram. Vous savez, des tas de gens choisissent leur destination de voyage en fonction des rĂ©percussions Instagram », disait Arnaud dâun air consternĂ©, avant dâajouter : « Enfin, il paraĂźt que le phĂ©nomĂšne lui-mĂȘme sâessouffle et que les gens cherchent dĂ©sormais Ă vivre une expĂ©rience plus authentique, plus personnelle, loin de ces mises en scĂšne de soi-mĂȘme. » En y rĂ©flĂ©chissant ensuite, je me suis dit que son raisonnement tournoyait en sâabĂźmant dans un vortex sans fond. Que ce soit pour se mettre avantageusement en scĂšne, ou bien au contraire pour mettre en scĂšne sa discrĂ©tion, sa diffĂ©rence, il sâagissait toujours de se distinguer, de briller par son absence, dâexister coĂ»te que coĂ»te. Imaginant la surface de la piscine comme celle dâun ocĂ©an, jây projetais des milliards de minuscules ĂȘtres agitant leurs bras. Ils veulent, nous voulons tous ĂȘtre sauvĂ©s de ce que nous considĂ©rons comme une noyade : lâanonymat.
Je me suis arrĂȘtĂ© sur lâaire de Poitou-Charentes â Nord. (âŠ)
Je suis allĂ© mâoccuper de mon cas dans le vaste manĂšge multicolore des machines Ă sous Lavazza, des canettes rouge Coca et bleu Red Bull, des sandwichs de Chez Paul et des livres de chez Jacques a dit. Des ribambelles dâĂȘtres humains de tous Ăąges et de tous sexes, mais presque tous en short, mi-Ă©nervĂ©s mi-joyeux, Ă©voluaient dans cet espace comme sâils Ă©taient chez eux. Je me sentais comme un acteur en noir et blanc dans un film en couleurs.
La route principale faisait un coude pour contourner le centre du village. Il nây avait pas plus de voitures que de piĂ©tons. Jâai repĂ©rĂ© le cafĂ©, fermĂ©. Je me suis assis sur un banc qui nâavait pas besoin dâĂȘtre Ă lâombre car le ciel Ă©tait nuageux, gris clair. Jâai remarquĂ© les guirlandes dâampoules colorĂ©es entre les platanes. Une sorte de buvette et des installations de bois, un four Ă pain, un endroit taillĂ© pour lâanimation et la fĂȘte. Mais aux heures ouvrables, donc. Jâavais lâair du gars qui a Ă©tĂ© invitĂ© Ă une noce mais qui sâest trompĂ© de date.
Milos est loin des hordes touristiques, loin des foules selfisĂ©es et des dĂ©lires Instagram. Vous savez, des tas de gens choisissent leur destination de voyage en fonction des rĂ©percussions Instagram », disait Arnaud dâun air consternĂ©, avant dâajouter : « Enfin, il paraĂźt que le phĂ©nomĂšne lui-mĂȘme sâessouffle et que les gens cherchent dĂ©sormais Ă vivre une expĂ©rience plus authentique, plus personnelle, loin de ces mises en scĂšne de soi-mĂȘme. » En y rĂ©flĂ©chissant ensuite, je me suis dit que son raisonnement tournoyait en sâabĂźmant dans un vortex sans fond. Que ce soit pour se mettre avantageusement en scĂšne, ou bien au contraire pour mettre en scĂšne sa discrĂ©tion, sa diffĂ©rence, il sâagissait toujours de se distinguer, de briller par son absence, dâexister coĂ»te que coĂ»te. Imaginant la surface de la piscine comme celle dâun ocĂ©an, jây projetais des milliards de minuscules ĂȘtres agitant leurs bras. Ils veulent, nous voulons tous ĂȘtre sauvĂ©s de ce que nous considĂ©rons comme une noyade : lâanonymat.
En cette matiĂšre, comme en toutes matiĂšres, jâĂ©tais le gars modeste, mĂȘme mes rĂȘves de bateaux Ă©taient modestes : un Zodiac peut-ĂȘtre ? Un petit Boston Whaler dâoccasion au mieux. Mais, Zodiac ou Boston, il faut bien un peu dâeau pour les faire flotter, habiter au bord de la mer, dâun lac. Un rĂȘve modeste, de retraitĂ© ; un rĂȘve de plouc. Je ne me suis pas Ă©tendu, jâai essayĂ© de renverser la vapeur en fermant mon bec pour la laisser parler davantage. Elle mâa racontĂ© des vacances en famille Ă bord dâun Dufour 63, un monocoque de dix-neuf mĂštres. Deux mois en MĂ©diterranĂ©e : Corse, Sardaigne, Sicile, GrĂšce, CrĂšte. Est-ce quâils nâĂ©taient que tous les quatre ? Oui, mais avec un skipper quand mĂȘme. Son pĂšre, mâa-t-elle dit, avait pris des cours de voile, il avait « fait les GlĂ©nans », mais il nâĂ©tait pas « trĂšs courageux ». Elle mâa racontĂ© que ce bateau Ă©tait sans doute le seul souvenir agrĂ©able de sa vie en famille. Je me suis dit que ce perroquet dĂ©croissant assis sur mon canapĂ© avait des goĂ»ts de millionnaire, mais ce devait ĂȘtre la jalousie. Il y a ceux qui prennent la mer, et ceux qui en rĂȘvent. Je devais appartenir Ă cette espĂšce de marin par posture, mĂȘme pas dâeau douce, un de ces types qui passent leur vie Ă construire un bateau qui ne sera jamais mis Ă flot. Ce ne serait donc pas seulement une histoire dâargent. PlutĂŽt une question dâaudace, de courage ? Mais Jeanne disait elle-mĂȘme que son pĂšre manquait de courage. Or il ne manquait pas dâargent. Et il avait emmenĂ© tout le monde sur la mer pourpre dâHomĂšre, tandis que je creusais la terre.
Elle et moi sentions quâil y avait entre nous cette distance trĂšs spĂ©ciale qui autorise les grands dĂ©ballages de printemps. Elle avait suffisamment voyagĂ© pour savoir que lâon ne se confie vraiment quâĂ certains Ă©trangers que lâon croise parfois, en sachant quâon ne les reverra jamais, et Ă qui lâon parle pour se parler Ă soi-mĂȘme.
On a eu une petite discussion sur ce quâil entendait par « entretien global », par « redonner de la vie au parc », par « redonner un peu dâoxygĂšne Ă la nature », il ne sâarrĂȘtait plus dans ses variations sur le thĂšme. Jâai compris que la « vague Ă©cologiste » Ă©tait bel et bien montĂ©e jusquâici, jusquâĂ venir lĂ©cher les murs du domaine des PrĂ©s Poleux ; que lâaspect « jardins du marquis » avec son gazon Ă la coupe en brosse militaire et ses haies taillĂ©es comme celles du TroisiĂšme Reich faisait ringard et quâil fallait rĂ©introduire du sauvage lĂ -dedans, tout en gardant le contrĂŽle, un peu comme les vĂȘtements de Laure lorsque la mode du grunge avait touchĂ© les grands couturiers, ou bien lorsque les petits camarades mĂąles dâAmandine du lycĂ©e de Sainte-Marie-des-Vertus parlaient avec lâaccent wesh-wesh des citĂ©s : fallait faire genre, un minimum, mais avec la distinction discrĂšte qui fait toute la diffĂ©rence. Il fallait faire ce que la bourgeoisie faisait depuis toujours : faire semblant, imiter les pulsions de la vie pour mieux les Ă©touffer.
Comme tous les cĂ©libataires, jâavais fait une brĂšve incursion sur les sites de rencontres qui mâavaient irrĂ©mĂ©diablement fait penser Ă ces machines Ă pince de fĂȘtes foraines oĂč, pour cinquante centimes, on doit, avec lâaide dâun mini-grappin, parvenir Ă agripper une mini-peluche, dĂ©concertante Ă tous les coups. Quand elle sâĂ©chappe, on est déçu, et quand on lâattrape, davantage encore.
Elle et moi sentions quâil y avait entre nous cette distance trĂšs spĂ©ciale qui autorise les grands dĂ©ballages de printemps. Elle avait suffisamment voyagĂ© pour savoir que lâon ne se confie vraiment quâĂ certains Ă©trangers que lâon croise parfois, en sachant quâon ne les reverra jamais, et Ă qui lâon parle pour se parler Ă soi-mĂȘme.
On a eu une petite discussion sur ce quâil entendait par « entretien global », par « redonner de la vie au parc », par « redonner un peu dâoxygĂšne Ă la nature », il ne sâarrĂȘtait plus dans ses variations sur le thĂšme. Jâai compris que la « vague Ă©cologiste » Ă©tait bel et bien montĂ©e jusquâici, jusquâĂ venir lĂ©cher les murs du domaine des PrĂ©s Poleux ; que lâaspect « jardins du marquis » avec son gazon Ă la coupe en brosse militaire et ses haies taillĂ©es comme celles du TroisiĂšme Reich faisait ringard et quâil fallait rĂ©introduire du sauvage lĂ -dedans, tout en gardant le contrĂŽle, un peu comme les vĂȘtements de Laure lorsque la mode du grunge avait touchĂ© les grands couturiers, ou bien lorsque les petits camarades mĂąles dâAmandine du lycĂ©e de Sainte-Marie-des-Vertus parlaient avec lâaccent wesh-wesh des citĂ©s : fallait faire genre, un minimum, mais avec la distinction discrĂšte qui fait toute la diffĂ©rence. Il fallait faire ce que la bourgeoisie faisait depuis toujours : faire semblant, imiter les pulsions de la vie pour mieux les Ă©touffer.
Comme tous les cĂ©libataires, jâavais fait une brĂšve incursion sur les sites de rencontres qui mâavaient irrĂ©mĂ©diablement fait penser Ă ces machines Ă pince de fĂȘtes foraines oĂč, pour cinquante centimes, on doit, avec lâaide dâun mini-grappin, parvenir Ă agripper une mini-peluche, dĂ©concertante Ă tous les coups. Quand elle sâĂ©chappe, on est déçu, et quand on lâattrape, davantage encore.
Merci pour cette dĂ©couverte. Un roman qui atterrit direct dans ma liste d'envies.đ
RĂ©pondreSupprimerBonne lecture Caroline.
SupprimerEt si le coeur vous en dit, revenez partager en quelques mots votre ressenti. Ce sera un plaisir d'Ă©changer nos impressions.