samedi 19 février 2022

[Maillard, Vincent] L'os de Lebowski

 

 

 

 

Coup de coeur 💓

 

Titre : L'os de Lebowski

Auteur : Vincent MAILLARD

Parution : 2021 (Philippe Rey)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :  

Je m’appelle Jim Carlos, je suis jardinier. J’ai disparu le 12 janvier 2021. Un de mes derniers chantiers s’est déroulé aux Prés Poleux, dans la propriété des Loubet : Arnaud et Laure. Lui est rédacteur en chef à la télévision, elle est professeure d’économie dans l’enseignement supérieur. Chez eux tout est aussi harmonieux, aussi faux qu’une photographie de magazine de décoration. Tout, même leurs cordiales invitations à partager des cafés ou des déjeuners au bord de leur piscine, vers laquelle je me dirigeais avec autant d’entrain que pour descendre au bloc opératoire...
Vous trouverez dans ce livre les deux cahiers que j’ai écrits lors de mon aventure chez ces gens. Mais aussi l’enquête menée par la juge Carole Tomasi après ma disparition. Lebowski est le nom de mon chien. Tout est sa faute. Ou bien tout le mérite lui en revient. C’est selon. Maintenant il est mort. Et moi, suis-je encore vivant ?

  

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur : 

Ancien grand reporter, Vincent Maillard est aujourd’hui réalisateur de documentaires, et scénariste pour la télévision. L’os de Lebowski est son second roman, après Springsteen-sur-Seine (Éditions Fanlac, 2019).

 

 

Avis :

Lebowski, Golden Retriever aussi massif que placide, accompagne imperturbablement son maĂźtre, Jim Carlos, sur ses chantiers de jardinier-paysagiste. Cette fois, ils se rendent sur la luxueuse propriĂ©tĂ© des Loubet, qui dĂ©sirent ajouter une touche d’écologie Ă  leur image de rĂ©ussite et de perfection bourgeoises. Mais Jim et Lebowski y tombent littĂ©ralement sur un os, et, Ă  force de creuser, finissent par se retrouver en bien mauvaise posture face au vrai visage de cette famille, bien moins avenante qu’il n’y paraĂźt.

Personnage Ă  part entiĂšre et Ă  l’évident capital de sympathie, le chien Lebowski est celui par qui tout arrive : le coup de patte qui va incidemment venir troubler l’image policĂ©e des Loubet, comme le coup de coeur qui va valoir Ă  ce livre le Prix littĂ©raire 30 millions d’Amis. Et c’est vrai que l’on s’attache Ă  cet animal, dont la prĂ©sence rĂ©aliste et souvent comique doit beaucoup Ă  la chienne de l’auteur et Ă  l’ironie de Jim, le narrateur de leurs mĂ©saventures. Entre le flegme innocent du chien et l’exaspĂ©ration du maĂźtre face Ă  la comĂ©die humaine qu’il observe avec autant de luciditĂ© que de dĂ©rision, le lecteur est d’emblĂ©e happĂ© par la vivacitĂ©, l’originalitĂ© et l’humour du rĂ©cit, habilement tendu autour des contradictions et de l’hypocrisie de plus en plus inquiĂ©tantes des Loubet. Le suspense ne tarde pas Ă  s’en mĂȘler, entretenu par la construction soigneusement Ă©tudiĂ©e de ce qui se rĂ©vĂšle une tragi-comĂ©die aussi noire que rĂ©jouissante. Dans les placards des apparences lisses et policĂ©es, dorment bien des squelettes qu’il peut ĂȘtre dangereux de prĂ©tendre chatouiller
.

Cocktail pĂ©tillant de suspense, d’humour et de satire sociale, cette lecture originale et divertissante se dĂ©guste sourire aux lĂšvres. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

J’ai rejoint l’autoroute A10. L’autoroute de Bordeaux. OrlĂ©ans, Tours, Poitiers, la France tranquille, ni la horde sauvage estivale de l’autoroute du Soleil, ni la destination TĂ©lĂ©rama-fruits de mer de l’autoroute de Rennes ou de Nantes (mettons de cĂŽtĂ© les punis et les bannis de l’Est, qu’irait-on faire en Lorraine quand on n’y est pas nĂ© ?), quelque chose entre les deux, bon chic-mi-raisin.

Je me suis arrĂȘtĂ© sur l’aire de Poitou-Charentes – Nord. (
)
Je suis allĂ© m’occuper de mon cas dans le vaste manĂšge multicolore des machines Ă  sous Lavazza, des canettes rouge Coca et bleu Red Bull, des sandwichs de Chez Paul et des livres de chez Jacques a dit. Des ribambelles d’ĂȘtres humains de tous Ăąges et de tous sexes, mais presque tous en short, mi-Ă©nervĂ©s mi-joyeux, Ă©voluaient dans cet espace comme s’ils Ă©taient chez eux. Je me sentais comme un acteur en noir et blanc dans un film en couleurs.

La route principale faisait un coude pour contourner le centre du village. Il n’y avait pas plus de voitures que de piĂ©tons. J’ai repĂ©rĂ© le cafĂ©, fermĂ©. Je me suis assis sur un banc qui n’avait pas besoin d’ĂȘtre Ă  l’ombre car le ciel Ă©tait nuageux, gris clair. J’ai remarquĂ© les guirlandes d’ampoules colorĂ©es entre les platanes. Une sorte de buvette et des installations de bois, un four Ă  pain, un endroit taillĂ© pour l’animation et la fĂȘte. Mais aux heures ouvrables, donc. J’avais l’air du gars qui a Ă©tĂ© invitĂ© Ă  une noce mais qui s’est trompĂ© de date.

Milos est loin des hordes touristiques, loin des foules selfisĂ©es et des dĂ©lires Instagram. Vous savez, des tas de gens choisissent leur destination de voyage en fonction des rĂ©percussions Instagram Â», disait Arnaud d’un air consternĂ©, avant d’ajouter : « Enfin, il paraĂźt que le phĂ©nomĂšne lui-mĂȘme s’essouffle et que les gens cherchent dĂ©sormais Ă  vivre une expĂ©rience plus authentique, plus personnelle, loin de ces mises en scĂšne de soi-mĂȘme. Â» En y rĂ©flĂ©chissant ensuite, je me suis dit que son raisonnement tournoyait en s’abĂźmant dans un vortex sans fond. Que ce soit pour se mettre avantageusement en scĂšne, ou bien au contraire pour mettre en scĂšne sa discrĂ©tion, sa diffĂ©rence, il s’agissait toujours de se distinguer, de briller par son absence, d’exister coĂ»te que coĂ»te. Imaginant la surface de la piscine comme celle d’un ocĂ©an, j’y projetais des milliards de minuscules ĂȘtres agitant leurs bras. Ils veulent, nous voulons tous ĂȘtre sauvĂ©s de ce que nous considĂ©rons comme une noyade : l’anonymat.
 
En cette matiĂšre, comme en toutes matiĂšres, j’étais le gars modeste, mĂȘme mes rĂȘves de bateaux Ă©taient modestes : un Zodiac peut-ĂȘtre ? Un petit Boston Whaler d’occasion au mieux. Mais, Zodiac ou Boston, il faut bien un peu d’eau pour les faire flotter, habiter au bord de la mer, d’un lac. Un rĂȘve modeste, de retraitĂ© ; un rĂȘve de plouc. Je ne me suis pas Ă©tendu, j’ai essayĂ© de renverser la vapeur en fermant mon bec pour la laisser parler davantage. Elle m’a racontĂ© des vacances en famille Ă  bord d’un Dufour 63, un monocoque de dix-neuf mĂštres. Deux mois en MĂ©diterranĂ©e : Corse, Sardaigne, Sicile, GrĂšce, CrĂšte. Est-ce qu’ils n’étaient que tous les quatre ? Oui, mais avec un skipper quand mĂȘme. Son pĂšre, m’a-t-elle dit, avait pris des cours de voile, il avait « fait les GlĂ©nans Â», mais il n’était pas « trĂšs courageux Â». Elle m’a racontĂ© que ce bateau Ă©tait sans doute le seul souvenir agrĂ©able de sa vie en famille. Je me suis dit que ce perroquet dĂ©croissant assis sur mon canapĂ© avait des goĂ»ts de millionnaire, mais ce devait ĂȘtre la jalousie. Il y a ceux qui prennent la mer, et ceux qui en rĂȘvent. Je devais appartenir Ă  cette espĂšce de marin par posture, mĂȘme pas d’eau douce, un de ces types qui passent leur vie Ă  construire un bateau qui ne sera jamais mis Ă  flot. Ce ne serait donc pas seulement une histoire d’argent. PlutĂŽt une question d’audace, de courage ? Mais Jeanne disait elle-mĂȘme que son pĂšre manquait de courage. Or il ne manquait pas d’argent. Et il avait emmenĂ© tout le monde sur la mer pourpre d’HomĂšre, tandis que je creusais la terre.

Elle et moi sentions qu’il y avait entre nous cette distance trĂšs spĂ©ciale qui autorise les grands dĂ©ballages de printemps. Elle avait suffisamment voyagĂ© pour savoir que l’on ne se confie vraiment qu’à certains Ă©trangers que l’on croise parfois, en sachant qu’on ne les reverra jamais, et Ă  qui l’on parle pour se parler Ă  soi-mĂȘme.

On a eu une petite discussion sur ce qu’il entendait par « entretien global Â», par « redonner de la vie au parc Â», par « redonner un peu d’oxygĂšne Ă  la nature Â», il ne s’arrĂȘtait plus dans ses variations sur le thĂšme. J’ai compris que la « vague Ă©cologiste Â» Ă©tait bel et bien montĂ©e jusqu’ici, jusqu’à venir lĂ©cher les murs du domaine des PrĂ©s Poleux ; que l’aspect « jardins du marquis Â» avec son gazon Ă  la coupe en brosse militaire et ses haies taillĂ©es comme celles du TroisiĂšme Reich faisait ringard et qu’il fallait rĂ©introduire du sauvage lĂ -dedans, tout en gardant le contrĂŽle, un peu comme les vĂȘtements de Laure lorsque la mode du grunge avait touchĂ© les grands couturiers, ou bien lorsque les petits camarades mĂąles d’Amandine du lycĂ©e de Sainte-Marie-des-Vertus parlaient avec l’accent wesh-wesh des citĂ©s : fallait faire genre, un minimum, mais avec la distinction discrĂšte qui fait toute la diffĂ©rence. Il fallait faire ce que la bourgeoisie faisait depuis toujours : faire semblant, imiter les pulsions de la vie pour mieux les Ă©touffer.

Comme tous les cĂ©libataires, j’avais fait une brĂšve incursion sur les sites de rencontres qui m’avaient irrĂ©mĂ©diablement fait penser Ă  ces machines Ă  pince de fĂȘtes foraines oĂč, pour cinquante centimes, on doit, avec l’aide d’un mini-grappin, parvenir Ă  agripper une mini-peluche, dĂ©concertante Ă  tous les coups. Quand elle s’échappe, on est déçu, et quand on l’attrape, davantage encore.


 

2 commentaires:

  1. Merci pour cette dĂ©couverte. Un roman qui atterrit direct dans ma liste d'envies.😊

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    1. Bonne lecture Caroline.
      Et si le coeur vous en dit, revenez partager en quelques mots votre ressenti. Ce sera un plaisir d'Ă©changer nos impressions.

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