samedi 5 février 2022

[Villain, Isabelle] De l'or et des larmes

 

 

 

 

J'ai aimé

 

Titre : De l'or et des larmes

Auteur : Isabelle VILLAIN

Parution : 2022 (Taurnada)

Pages : 256

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Jean-Luc Provost, le très médiatique entraîneur de gymnastique français, meurt dans un accident de voiture. La thèse du suicide, à seulement six mois des prochains jeux Olympiques de 2024, est très vite écartée. L'affaire, considérée comme sensible et politique, est confiée au groupe de Lost. Pourquoi vouloir assassiner un homme qui s'apprêtait à devenir un héros national ? Rebecca et son équipe se retrouvent immergées dans un monde où athlètes et familles vivent à la limite de la rupture avec pour unique objectif l'or olympique. Ils sont prêts à tous les sacrifices pour l'obtenir.
Jusqu'au jour où le sacrifice demandé devient insurmontable…

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Née au Maroc en 1966, Isabelle Villain a travaillé pendant une quinzaine d'années dans la publicité, l'évènementiel et l'organisation de salons professionnels. Amatrice de littérature policière depuis l'enfance, elle obtient en 2015 le prix Maurice Bouvier pour Peine capitale, et en 2016 le prix polar du festival Jeter l'Encre pour Âmes battues.

 

 

Avis :

Au sein de la brigade criminelle installée Porte de Clichy à Paris, c’est le groupe dirigé par Rebecca de Lost qui se voit confier l’enquête politiquement ultrasensible sur la mort, à première vue accidentelle, du très en vue Jean-Luc Provost. Entraîneur de gymnastique, l’homme venait de réussir à faire de l’équipe française la favorite des imminents Jeux Olympiques de 2024. Les coulisses du sport de haut niveau réservent bien des surprises aux enquêteurs…

Les lecteurs des précédents romans de l’auteur ont déjà pu accompagner Rebecca de Lost dans différentes enquêtes. Cette fois, c’est le milieu sportif qui défraye la chronique, en particulier le milieu de la gymnastique, réputé pour l’extrême exigence imposée à ses athlètes. La brièveté des carrières de gymnastes, notamment pour les filles dont la puberté constitue une étape réellement critique quant à leur gabarit, accentue encore compétition et pression, dans un sport parmi les plus éprouvants physiquement. Y viser l’excellence implique d’immenses sacrifices aux multiples répercussions. Traumatisé à répétition et depuis le plus jeune âge, le corps des gymnastes paye un lourd et durable tribut à la pratique extrême de ce sport, tandis que sur le plan affectif et moral, les jeunes sportifs ont à composer avec le vase clos strictement délimité par leur centre de formation et par leur entraîneur, loin de leurs familles : une situation de totale dépendance qui, vécue dans la peur d’être un jour évincé des sélections, s’avère propice à de multiples abus, ainsi que de bien réels scandales concernant maintes disciplines sportives l’ont récemment révélé.

S’inspirant librement de faits réels ayant entaché le milieu sportif, elle-même ancienne sportive et fille de sportif de haut niveau, Isabelle Villain nous livre une histoire fictive efficacement représentative, dont le mérite essentiel est la description limpide du piège où se retrouvent enfermées sans recours les victimes. Percutante dans sa simplicité, l’intrigue pourra peut-être décevoir les amateurs d’intrigues policières aux rebondissements sophistiqués. Ici, pas de coup de théâtre ni de suspense haletant, mais un récit aux allures de reportage sur un fait de société resté longtemps ignoré. Fluide et agréable, la narration pourra paraître par ailleurs relativement sèche, l’exploration du sujet par des enquêteurs extérieurs au drame conférant à l’ensemble une forme de distanciation un peu froide. L’on observe, l’on dissèque, mais l’on peine à s’émouvoir malgré la gravité du sujet...

D’une lecture facile et plaisante, cette enquête simple et efficace sur un sujet d’actualité s’imagine très aisément en épisode de série policière télévisuelle. Avis aux amateurs. (3/5)

 

 

Citations :

Je vais vous avouer une chose. Ce sont la plupart du temps les parents qui poussent leurs enfants à se dépasser. Lorsque vous discutez avec eux et que vous creusez un peu leur motivation, vous trouverez très souvent une mère qui aurait adoré être gymnaste ou bien un père qui aurait rêvé jouer au football ou au rugby à un niveau national et pas juste dans son club de quartier. Le rêve de toutes ces familles, c’est l’or olympique. Décrocher la première place. Leur vie entière n’est que privations. Pas de vacances. Pas de loisirs. Pas de sorties. Tout est organisé autour de leur enfant. Pour leur enfant. Pour qu’il puisse atteindre un jour le sommet. Même les frères et sœurs passent toujours au second plan.

Et moi, je fais partie de cette génération qui était devant la télévision en 76, aux Jeux de Montréal, bouche bée face à la prestation de Nadia Comaneci. Je me souviens de mes parents scotchés à l’écran. On était tous subjugués par cette gosse de 14 ans. À la minute où elle a terminé son mouvement aux barres asymétriques, on sentait qu’il s’était passé un truc. Les juges n’avaient pas prévu la note parfaite de 10. Seuls trois chiffres étaient à leur disposition sur le tableau d’affichage et lorsque le résultat est tombé, on a tous vu apparaître le chiffre « 1.00 ». Pendant quelques secondes, c’était l’incompréhension. On se disait : “Mais ce n’est pas possible après une telle performance, ce 1 ne veut rien dire.” Et puis, le commentateur a annoncé : “Mesdames et messieurs, première historique dans ce sport : un 10 parfait !” Ce moment fut d’une intensité rare.

Je savais que la gym était un sport très exigeant, mais pas à ce point. Les méthodes d’entraînement de la team Provost sont drastiques. Les corps des athlètes sont soumis à de nombreux traumatismes. J’ai discuté avec un médecin qui m’a expliqué que, chez les filles, le pic de croissance et la puberté sont décalés, ce qui implique des perturbations hormonales. Leurs règles n’arrivent que vers l’âge de 15 ou 16 ans. Le stress et le régime alimentaire très restrictif n’arrangent rien évidemment. Les contraintes mécaniques sur le squelette sont telles que la croissance osseuse ne peut pas se faire. Les chocs sont répétitifs. La gymnastique artistique est le sport où les volumes d’entraînement sont les plus importants, environ cinq heures par jour et sept jours sur sept pendant les mois qui précèdent une compétition. Sans compter les phases de récupération, les séances vidéo où chaque image est décortiquée, chaque erreur analysée, et enfin les cours par correspondance.

Il faut que vous compreniez que la gym, ce n’est pas juste un sport. Avant les compètes, on a peur. Peur de tomber. Peur de se blesser. Peur de rater un mouvement. Peur de décevoir son coach. On doit sans cesse repousser nos limites. On flirte constamment avec le danger. Quand vous êtes sur une poutre qui mesure dix centimètres de largeur à plus d’un mètre de hauteur, le moindre faux pas et c’est la fin. La barre asymétrique supérieure est quant à elle à deux mètres cinquante de haut. Inutile de vous dire que les chutes peuvent être dramatiques. Mais lorsque l’exercice est terminé et que ce dernier est bien exécuté, c’est le paradis. On se sent invincible. On sait qu’on est allé au bout du bout. On devine la fierté dans le regard du coach, de notre famille. Le public nous applaudit. C’est un moment magique. On est sur le toit du monde.
 
Le coach m’a repérée au Pôle Espoir à l’âge de 12 ans. Pendant les premières années, tout était parfait. J’enchaînais les heures d’entraînement sans effort. J’étais souvent la dernière à quitter le gymnase. Puis un jour, quelque chose s’est détraqué en moi. J’ai eu mes règles assez tard, vers 16 ans. Mon corps ne répondait plus et je me suis mise à grignoter. En cachette, bien évidemment. J’ai grossi. Pas beaucoup, mais quelques kilos de trop. En gym, la prise de poids n’est pas tolérable. L’épreuve de la pesée devenait un cauchemar pour moi. On annonçait notre chiffre inscrit sur la balance devant tout le monde grâce à un porte-voix. Pour bien nous faire sentir que le problème, c’était nous. Si l’équipe n’y arrivait pas, c’était de votre faute. J’ai entendu des horreurs sur mon compte. On me comparait à un oiseau qui ne pouvait plus voler. “À ce train-là, tu vas bientôt ressembler à ta mère… comment veux-tu gagner avec un cul comme le tien ?”

Même si les mentalités évoluent et que l’âge minimum pour participer aux Jeux a été relevé à 16 ans pour les filles, les clichés ont la vie dure. À 20 ans, vous êtes encore souvent considérée comme une vieille, proche de la retraite. Usée. Sans avenir. Les sportifs de haut niveau font fantasmer, un peu comme les top-modèles. On valorise les silhouettes fines et les poids plumes. Alors on s’interdit de parler des problèmes qui fâchent pour ne pas briser le rêve, jusqu’à ce que quelqu’un termine à l’hôpital. Je suis devenue anorexique. À 18 ans, je mesurais un mètre cinquante-huit et je pesais trente-quatre kilos. Je ne dormais plus. Je n’avais plus de force, plus de muscle. Je ressemblais à un véritable zombie.

Et puis un jour, je me suis décidée à parler. Je suis allée à la Fédération et vous savez ce qu’ils m’ont répondu ? “Écoute, tu comprends, ça se passe comme ça dans le sport. Tiens, en ce moment, ce sont les soldes. Va t’acheter un truc, ça te changera les idées.” Le type m’a tendu un billet de 50 euros. 50 euros pour le prix de mon silence. C’est là que j’ai réalisé que nous n’étions rien du tout. Que personne ne nous croirait et qu’il était préférable de rendre les armes sans se battre. Et quelques semaines plus tard, j’ai été exclue du centre. [Anecdote véridique tirée du reportage Team USA sur les violences sexuelles au sein de la fédération de gymnastique américaine].

Quand les athlètes décident de briser cette omerta, c’est qu’ils ne sont plus dans le circuit. C’est déjà très compliqué de parler quand on n’a plus rien à perdre, alors lorsque vous appartenez à l’équipe de France et que vous allez aux Jeux, vous vous taisez.


 

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