dimanche 13 février 2022

[Weller, Lance] Le cercueil de Job

 


 
 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le cercueil de Job (Job's Coffin)

Auteur : Lance WELLER

Traducteur : François HAPPE

Parution : en anglais (Etats-Unis) et
                   en français (Gallmeister) en 2021

Pages : 480

 

 

 
 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Alors que la Guerre de Sécession fait rage, Bell Hood, jeune esclave noire en fuite, espère gagner le Nord en s’orientant grâce aux étoiles. Le périple vers la liberté est dangereux, entre chasseurs d’esclaves, combattants des deux armées et autres fugitifs affamés qui croisent sa route. Jeremiah Hoke, quant à lui, participe à l’horrible bataille de Shiloh dans les rangs confédérés, plus par hasard que par conviction. Il en sort mutilé et entame un parcours d’errance, à la recherche d’une improbable rédemption pour les crimes dont il a été le témoin. Deux destinées qui se révèlent liées par un drame originel commun, emblématique d’une Amérique en tumulte. 

Doté d’un souffle épique qui emporte tout sur son passage, Le Cercueil de Job est un somptueux roman qui rend justice aux plus beaux espoirs humains.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Lance Weller est né en 1965 à Everett dans l'État de Washington. Il est l’auteur de nombreuses nouvelles qui lui ont valu diverses récompenses littéraires. Il a été nominé pour un Pushcart Prize et pour le Prix Médicis Étranger. On lui doit deux romans : Wilderness, publié en 2012 aux États-Unis, et Les Marches de l'Amérique. Il vit actuellement à Gig Harbor, dans l’État de Washington, avec sa femme et ses chiens.

 

 

Avis :

En pleine guerre de Sécession, la jeune esclave noire Bell Hood prend la fuite vers le Nord et la liberté. Engagé parmi les confédérés, Jeremiah Hoke survit mutilé à la terrible bataille de Shiloh, et, hanté par les atrocités auxquelles il a assisté, se lance lui aussi sur les routes avec au coeur l’espoir de se racheter. Leur dangereux périple sur le fond d’un pays à feu et à sang les mène tous deux vers les mêmes lieux, faisant à nouveau se croiser leurs destins déjà marqués par un drame commun.

Le Cercueil de Job est un astérisme dans la constellation du Dauphin. Si ce nom lugubre résonne sur le récit comme une malédiction, il est aussi pour Bell Hood, au travers des histoires dont son père a bercé son enfance, le symbole de l’espoir en une autre vie possible, dans un lieu rêvé où les Noirs disposeraient librement et sans peur d’eux-mêmes. C’est cette image, seule lumière rescapée du cauchemar de la plantation, qui lui donne la force de s’échapper, puis de poursuivre sa route malgré les embûches. Dans la profonde noirceur qui pèse sur la narration, elle est la petite flamme, fragile mais inextinguible, qui entrouvre l’avenir vers une Amérique différente, celle qui, un jour, comme en témoigne l’entame de chaque chapitre, commencera à reléguer dans ses archives historiques le traumatisant souvenir de toute cette violence.

En attendant, entre exécutions d’esclaves et boucherie des champs de bataille, le roman se déploie dans un réalisme cru et violent, dessinant dans le sang et la boue une fresque historique étourdissante, encadrée par deux temps forts : la bataille de Shiloh, qui, en 1862, horrifia les deux camps par l’ampleur alors sans précédent de son carnage, et celle, deux ans plus tard, de Fort Pillow, tristement célèbre pour la polémique que suscita le massacre de prisonniers nordistes, majoritairement noirs. Heureusement, de ce chaos et de cette folie se détachent quelques bribes d’humanité, comme autant de bouffées d’oxygène empêchant le lecteur de céder à l’accablement. Elles sont incarnées par une poignée de personnages secondaires attachants, formant, comme les étoiles qui guident Bell Hood, une constellation placée sous l’égide de l’entraide et de la bonté.

S’il m’a parfois semblé un peu pesant à la lecture, Le cercueil de Job est un grand et puissant roman, probablement majeur pour comprendre l’Histoire de l’Amérique, et pour que l’on n’oublie jamais avec quelle férocité les démons de la ségrégation y ont longtemps refusé d’enfin céder le pas. (4/5)

 

Citations :

Une autre truite fit un saut au-dessus de la surface et sembla rester suspendue en l’air l’espace d’un instant telle une parenthèse ouverte dans l’interminable phrase de la rivière.

C’était une femme légèrement grassouillette qui n’avait vraisemblablement qu’une seule fois dans sa vie pensé au fond de son cœur qu’elle était tout sauf quelconque – le jour de son mariage. (…)
Il se dit qu’elle donnait l’impression – tout comme son mari – d’être une personne qui se retrouve finalement acculée à la frontière de ce qu’elle considérait certainement comme la vieillesse, mais qui possède suffisamment de ressources en elle pour retarder le franchissement de cette frontière encore un peu. Mais juste un peu.
 
Tout de même, l’amour et la haine ? C’est de drôles de choses, non ? Compliquées. Comme si votre cœur et votre âme erraient dans un endroit quelconque, en plein désert. Alors même que vous savez que vous êtes pris entre les deux, au milieu, quelque part.

— La crainte que nous soyons tous damnés, et que nous le soyons depuis très, très longtemps. Damnés pour ce que nous avons fait, pour ce que nos pères ont fait, et ce que les pères de nos pères ont fait, ou ce qu’ils ont commencé, ou ont entretenu.

De ma vie, je n’ai vu que cette seule bataille. Celle sur laquelle vous n’arrêtez pas de poser des questions. À Fort Pillow, ce jour-là. Et encore, je n’ai vu que quelques scènes, pas la totalité. Parce que, comment j’aurais pu ? Comment quelqu’un aurait pu voir une chose aussi terrible et savoir en même temps ce qu’il était en train de voir ? C’est trop grand, c’est trop… tout, et je ne crois pas que quelqu’un aurait pu comprendre ce qu’il était en train de voir. Sur le moment, je veux dire. C’est comme ça avec une calamité. Le cœur ne peut pas supporter tout en bloc, alors il aborde cette calamité morceau après morceau.

— Regarde-le, dit-il. Tu crois que ça aurait changé quelque chose s’il avait eu un fusil ? Certainement pas. Il se serait retrouvé dans le même pétrin. Mais s’il en avait eu un, peut-être qu’il n’aurait pas été attaché comme ça. Peut-être qu’il faut avoir un fusil pour pouvoir mourir d’une façon plus digne que celle dont on a vécu.

(…) nous pourrons dire que nous avons pris notre liberté. Que personne ne nous l’a donnée en pensant que nous l’avions méritée, mais que nous l’avons prise parce qu’elle nous a toujours appartenu.

 

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