mercredi 23 février 2022

[Schlogel, Gilbert] Les Princes du sang

 


 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les Princes du sang

Auteur : Gilbert SCHLOGEL

Parution : 1992 (Fayard)
                   Le Livre de Poche (1994)

Pages : 650

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Cette passionnante saga romanesque retrace l'histoire de la chirurgie depuis le XVIIIe siècle à travers la vie de cinq chirurgiens d'une même famille.

Les acteurs en sont des hommes qui tentent de survivre au milieu des tempêtes qui ont marqué leur siècle. Ils ont été pris dans la tourmente de la Révolution et des guerres napoléoniennes, ils ont subi la défaite en 1870, la victoire en 1918 et 1945, et les souffrances de la guerre d'Algérie. Ils ont vu naître l'anesthésie générale, l'asepsie, la radiologie, les antibiotiques, les greffes d'organes, et le triomphe de l'informatique. Ils ont connu tous les stades de la notoriété: misérables barbiers sous Louis XVI, novateurs pendant la Révolution, glorieux vainqueurs sous l'Empire, ils sont devenus, dès la fin du XIXe siècle, de grands notables riches et respectés. Ils étaient des artistes prestigieux, ils sont considérés aujourd'hui comme des techniciens de haut rang qui ne peuvent plus se passer d'électronique. Ils n'en restent pas moins des hommes soumis à des pulsions sentimentales plus ou moins avouables. Ils aiment, haïssent, souffrent au même titre que ceux auxquels ils consacrent leur énergie et leur science. Ils sont tenaillés par l'ambition, l'appât du gain ou le goût de la célébrité, mais chaque jour, devant leur table d'opération, ils ont rendez-vous avec l'angoisse tragique de ce combat pour la vie qu'ils ont mené à toutes les époques.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Gilbert Schlogel est chirurgien. Il a été interne des hôpitaux de Paris puis chef de clinique à la Faculté. Pendant la guerre d'Algérie, il était chef d'antenne chirurgicale. Depuis 1964 il exerce en pratique privée, mais il a été longtemps chargé d'enseignement à la faculté de Paris XII. Il est l'auteur d'ouvrages techniques ou romanesques sur le thème de la médecine et a reçu, en 1985, le prix Littré, décerné par le Groupement des écrivains médecins.

 

 

Avis :

Du 18e siècle à nos jours, cinq générations de chirurgiens se succèdent dans la famille La Verle. Le récit romanesque de leurs parcours est le prétexte d’un panorama historique qui retraçe l’évolution de leur profession sur les trois cents dernières années. Et il y a de quoi s’ébahir, frémir, et se féliciter des incommensurables progrès accomplis !

Les barbiers-chirurgiens, sans autre formation que leur apprentissage sur le tas, furent longtemps les maîtres du rasage et de la saignée, les praticiens des accidents et des plaies et bosses principalement. Il fallut attendre la seconde moitié du 19e siècle pour que la chirurgie entame une gigantesque révolution, grâce à l’anesthésie, l’antisepsie et l’asepsie, pourtant très controversées à leurs débuts. Des noms, auxquels l’auteur rend hommage, ont émaillé cette histoire. On en retrouve un grand nombre en énumérant les hôpitaux parisiens. Aujourd’hui, technologie, hyper-spécialisation, médiatisation, n’ont pas fini de bousculer les compétences des chirurgiens et les espérances des opérés.

Certes assez rapidement survolés pour permettre au récit de couvrir cinq générations, les personnages sont malgré tout vivants et attachants. Gilbert Schlogel parvient agréablement à nous glisser dans leur peau pour nous faire vivre de l’intérieur les différentes époques et le sort qu’elles réservaient aux patients, les tâtonnements des soignants et les combats qu’ils ont menés pour percer et avancer. L’on est frappé de l’impact des conflits armés, qui, de la Révolution aux guerres napoléoniennes, de la défaite de 1870 aux deux guerres mondiales, sans oublier la guerre d’Algérie, n’épargnent aucune génération des La Verle. Mais ce sont bien la chirurgie militaire et son importance pour le pouvoir politique qui ont, d’abord, permis la reconnaissance du métier de chirurgien…

On l’aura compris, c’est bien l’exploration historique qui rend cette lecture captivante. Fluide et sans temps mort, elle emporte le lecteur de surprises en découvertes, dans une narration vivante, parfois pittoresque, souvent terrifiante, tant le manque de connaissances et les croyances de chaque époque ont pu faire commettre d’erreurs et d’atrocités. Que de chemin parcouru depuis le charlatanisme et la boucherie sans anesthésie, que de débats encore quant au système de santé actuel, mais aussi, que de passion, par dévouement, par appât du gain ou par souci de notoriété, chez chacun des chirurgiens La Verle. Un livre aussi instructif que plaisant. (4/5)

 

Citations :

Tu vois, j’ai fait mentir la règle. Quand on met la pipe entre les dents de l’opéré, il serre tant qu’il peut. S’il meurt, sa pipe tombe et se casse. Moi j’ai cassé ma pipe, et je suis toujours vivant.

D’après eux, tout ce qui avait été dit par les Anciens ne devait plus être pris pour argent comptant. Chaque homme avait le droit de réfléchir à sa manière, et de proposer des solutions nouvelles aux problèmes posés.

Dans l’esprit de ce temps, la fièvre puerpérale était un tribut payé au Seigneur, une sorte d’impôt obligatoire, et il fallait encore remercier le Ciel d’avoir préservé l’enfant !
 
Ce qui l’étonna le plus, c’était la vélocité de James Syme dont l’adresse était prodigieuse. Celui-ci commençait à utiliser l’éther, comme son concurrent londonien Robert Liston qu’il exécrait. Mais il était si pressé qu’il n’attendait pas les effets de l’anesthésie, et le patient s’endormait généralement quand l’intervention était terminée !

— Ce Semmelweis est une sorte de juif moldave qui parle avec un fort accent, et que personne ne peut supporter tant il est désagréable. C’est un fils d’épicier qui n’a même pas de reconnaissance pour le professeur Klein, qui lui a donné sa situation. Figurez-vous que cet illuminé prétend que la fièvre puerpérale est provoquée par les médecins eux-mêmes. Ce ne serait pas, d’après lui, une maladie autonome, mais la conséquence, pour les parturientes, d’une inoculation par des « particules de cadavre » ! Il suffirait de se laver les mains pour sauver les jeunes mères. Vous vous rendez compte !     
Damien se souvenait de cette conférence de Holmes, à Boston. Ne tenait-il pas le même discours ?     
— Et avec quoi faut-il se laver les mains ? demanda-t-il innocemment.     
— Une solution chlorée.     
— De l’eau de Javel, par exemple.     
— Exactement. C’est insensé !

À son tour il raconta ce qu’il avait vu à Boston, et son enthousiasme pour l’anesthésie. Là encore il fut frappé du scepticisme de son interlocuteur. (...)       
— Tout cela c’est bon pour faire un geste rapide, mais la douleur est inhérente à la chirurgie, affirmait Charles, et tu verras qu’on découvrira bientôt que cette méthode a plus d’inconvénients que d’avantages, j’en suis convaincu. En tout cas, pour l’accouchement, on n’en est pas là ! 
 
— Mon jeune ami, à vous entendre, on penserait que si certains de nos patients ont le malheur de décéder, c’est de notre faute, parce que nous ne nous lavons pas les mains ! Vous rendez-vous compte de la responsabilité que vous voulez faire supporter à l’ensemble du corps médical ? Vous qui êtes un élève de l’Hôtel-Dieu, vous sous-entendez que Desault, Bichat, Dupuytren, votre grand-père, notre maître Roux sont de grands criminels !  
 — Mais aucun d’entre eux ne savait jusqu’ici…  
 — Nous ne vous avons pas attendu pour réfléchir sur les causes de l’infection, monsieur de La Verle. La fièvre puerpérale est une maladie autonome qui décime nos jeunes mères, personne n’y peut rien. Et s’il suffisait de se laver les mains pour leur sauver la vie, croyez-moi, nous le saurions.

Fabriquée en grande série, cette prothèse coûterait, disons, mille francs. Alors que celles qui sont sur le marché à ce jour, coûtent jusqu’à dix ou vingt mille francs. La Sécurité sociale les rembourse toutes au prix où on les lui facture, sans discuter. Un fabricant est venu me supplier de lui accorder l’exclusivité de notre modèle en proposant de me ristourner, personnellement, pour chaque prothèse posée, la somme que je demanderai. Mille, deux mille, trois mille francs, ce que je veux… Et sur un compte à Genève. Pour lui ce n’est qu’un problème d’addition, la Sécurité sociale financera la différence.  
— Et voilà ! intervint Alexandre. C’est l’assuré social qui paie, mais indirectement. Et il risque d’en être bientôt de même pour toutes les prothèses : articulaires ou artérielles. Ainsi que pour les pacemakers et toutes les autres fournitures chirurgicales remboursables.
Guillaume continua :  
— Si je parviens à convaincre les pouvoirs publics que ma prothèse est la meilleure, bien qu’elle ne vaille que mille francs, qui m’en saura gré ? En tout cas, je sais qu’il y aura demain, dans la presse spécialisée, dix publications prouvant que ma prothèse est nulle, et que les autres sont beaucoup mieux.

Dans l’échelle sociale, quelle place occupons-nous donc ? Il est tout de même plus difficile de tenir un bistouri qu’un micro ! Greffer un foie, c’est mieux que de marquer un but ! Et pourtant, il n’y a aucune commune mesure entre la rétribution d’un chirurgien de renommée internationale et un international de football !

Le développement des transplantations, et la difficulté d’obtenir des donneurs, ne risquaient-ils pas de susciter des sentiments pervers dans l’âme de ceux qui espéraient ? Quand on n’est assuré de survivre qu’au prix de la mort d’un autre, comment ne pas souhaiter qu’il meure !


 

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