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samedi 9 novembre 2024

[Loubière, Sophie] Obsolète

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Obsolète

Auteur : Sophie LOUBIERE

Parution : 2024 (Belfond)

Pages : 528

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

2224. Depuis le Grand Effondrement de la civilisation fossile et les crises qui ont suivi, l’humanité s’est adaptée. Économiser les ressources, se protéger du soleil, modifier son habitat, ses besoins, et adhérer au tout-recyclage. Y compris celui des femmes. Afin d’enrayer le déclin de la population, toute femme de cinquante ans est retirée de son foyer pour laisser la place à une autre, plus jeune et encore fertile. L’heure a sonné pour Rachel. Solide et sereine, elle est prête. Mais qu’en est-il de son mari et de ses enfants ? Car personne n’est jamais revenu du Grand Recyclage. Et Rachel sent bien que le Domaine des Hautes-Plaines n’est pas ce lieu de rêve que promet la Gouvernance territoriale aux futures Retirées…

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :   

Romancière et journaliste, Sophie Loubière a longtemps partagé sa carrière professionnelle entre écriture et radio. Elle est l’autrice d’une douzaine de romans, de recueils de nouvelles et de nombreuses fictions audio. En 1999, son premier roman sort dans la collection Le Poulpe, sous la direction de Jean-Bernard Pouy. Suivront plusieurs romans, dont Dernier parking avant la plage (Les Belles Lettres, 2003 ; rééd. Phénix noir, 2023), Dans l’œil noir du corbeau (Le Cherche-Midi, 2009), L’Enfant aux cailloux (Fleuve noir, 2011), traduit dans une vingtaine de pays et récompensé de cinq prix littéraires, ou encore Cinq cartes brûlées (Fleuve noir, 2020), lauréat du prix Landerneau polar, disponibles aux éditions Pocket. Obsolète est son premier roman à paraître chez Belfond Noir.

 

 

Avis:   

2224. Après le Grand Effondrement de la civilisation fossile, les hommes ont appris à vivre différemment. Terminées la consommation de masse et l’exploitation à tout va de la planète, l’autosuffisance est la règle dans une société qui, affranchie de toute considération politique, économique et religieuse, vit en harmonie avec son environnement, sans conflit ni crise puisque les humeurs sont régulées par un bracelet hormonal implanté dans la peau dès la puberté.

Un problème subsiste néanmoins : la survie de l’espèce alors que les perturbateurs endocriniens ont largement féminisé les fœtus et que les hommes non stériles sont en sous-nombre. La polygamie ayant été écartée en raison des tensions qu’elle suscite dans les familles, l’on a, pour optimiser la procréation, adopté la solution du Grand Recyclage des femmes cinquantenaires. Parvenues à l’âge fatidique, elles doivent laisser leur place à des épouses plus jeunes et fertiles, et à moins de choisir « l’euthanasie raisonnée » dont la plus faible empreinte carbone permet l’attribution de crédits aux enfants, partir pour le Domaine des Hautes Plaines, un lieu inconnu dont personne n’est jamais revenu mais où, depuis l’enfance, on leur promet qu’un autre avenir les attend.

C’est ainsi qu’en même temps que deux de ses amies, Rachel reçoit sa lettre de notification de retrait. Elle et les siens sont en plein préparatifs de son départ, un véritable arrachement pour chacun d’entre eux malgré le long conditionnement y préparant, lorsqu’un autre coup de tonnerre les ébranle un peu plus. On retrouve les corps de trois fillettes, d’évidence assassinées alors que l’on n’avait plus vu ni crime ni violence depuis des lustres. « L’Homme n’obéissait plus à ses pulsions de mort. Il œuvrait avant tout à la survie de son espèce. On lui inculquait l’empathie, l’altruisme, la tempérance, on lui enseignait la gestion des conflits. Il baignait dans un milieu paisible, bienveillant et solidaire. » Comment une telle déviance a-t-elle pu se produire ?

Voilà donc le lecteur sous le joug d’un double suspense, l’affaire criminelle à vrai dire presque au second plan tant l’on se pique de curiosité pour ce qui attend les Retirées. « Le Domaine des Hautes-Plaines. Le Grand Recyclage. Tout ça ne serait qu’un immense canular. (…) Quand j’étais gosse, j’ai entendu mes mères parler d’une broyeuse géante, et ça m’a fichu une sacrée frousse. » Pourtant, conditionnés par Maya, la bienveillante IA au service de la Gouvernance Territoriale qui accompagne chacun depuis le berceau, tous acceptent le sacrifice pour la perpétuation de l’humanité, la séparation définitive sonnant comme une mort, on l’espère seulement sociale, assortie de la promesse non vérifiable d’un paradis réservé aux femmes.

Suspense donc, mais aussi humour noir et critique grinçante de notre époque à laquelle le récit, dans son ensemble terriblement inquiétant malgré l’imagination souvent savoureuse et plutôt positive accompagnant ses mille détails, tend une sorte de miroir grossissant. A noter que si le monde de 2224 a accompli globalement dans cette histoire de gros progrès qu’il nous oppose, à nous les humains de 2024, de toute la hauteur de son incrédulité face à nos erreurs, reste, en plus des dangers du mensonge et de la manipulation ouvrant la porte à toutes les dérives, même insoupçonnées, une variable d’ajustement : l’éternel sacrifice de la condition féminine. Là encore, l’auteur attire l’attention sur une réalité contemporaine, poussant jusqu’à l’obsolescence l’invisibilité ressentie par les femmes, une fois la cinquantaine passée.

L’on s’amuse autant que l’on frémit de la projection complète et réfléchie que Sophie Loubière fait de notre avenir dans un savant dosage de suspense et d’humour : une projection dystopique qui ne fait qu’outrer notre présent pour une critique en règle. (4/5)

 

 

Citations :

Voyager un jour à travers les étoiles jusqu’à Mars. Mais à quelle fin ? Pour découvrir comment cette planète sœur de la Terre était devenue aride et froide alors qu’elles étaient identiques il y a 3,7 milliards d’années ?


Ôtez-nous nos croyances, et nous les réinventerons toutes.


L’amour que l’on éprouve, que l’on reçoit ou que l’on donne, cette pierre angulaire de notre société nouvelle, ne devait en aucun cas se fissurer. Qu’elle se brise, et ce serait l’humanité tout entière qui dégringolerait. Quoi qu’on fasse, on en revenait toujours au même point : le destin de l’homme se résumait au contact d’une paume sur la tête d’un nouveau-né. À ce qui lui serait donné – ou pas. L’amour maternel, ce faux instinct pétri d’influences, d’antécédents et de craintes, ce mythe d’innocence et de pureté, était à l’origine de tout.


D’aussi loin que remontait l’histoire de l’Homme, de tous ses crimes, le plus grand demeurait sa faculté à en nier l’existence. Parfois, il allait même jusqu’à les effacer.


Au XVIIIe siècle, dans la première édition de l’Encyclopédie, on définit l’homme comme un être sentant, réfléchissant et pensant, qui se promène librement sur la surface de la Terre, domine le monde animal et vit en société. Un être capable de bonté et de méchanceté, qui a inventé des sciences et des arts, qui s’est donné des maîtres et s’est fait des lois. La femme, elle, est définie comme la femelle de l’homme. Ça en dit long, non ?


— Qu’est-ce qu’une femme, au fond, sinon un homme non accompli ? s’interrogeait-elle avec ironie. (…)
— Ces messieurs chargés de cogiter sur la question pensaient que nous étions des hommes ratés, que nos ovaires étaient des testicules restés coincés au niveau du pubis. Quelle absurdité ! (…)
— Des médecins très sérieux avaient même décrété que nos règles n’étaient ni plus ni moins que des hémorroïdes masculines !… Ce que j’ai retenu de mes études de l’histoire de la médecine, c’est que l’homme, défini par son sexe, a toujours été au cœur des préoccupations. Les maladies des êtres masculins constituaient la seule grille de lecture. Le mâle était la norme. Les traitements médicaux étaient adaptés à leur physiologie, pas à la nôtre.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

mercredi 4 septembre 2024

[Vida, Vendela] Dompter les vagues

 



 Coup de coeur 💓

 

Titre : Dompter les vagues
            (We Run the Tides)

Auteur : Vendela VIDA

Traduction : Marguerite CAPELLE

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2021
                  en français (Albin Michel)
                  en 2024

Pages : 304

 

 


 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Eulabee et ses trois amies, Maria Fabiola, Julia et Faith, vivent sur les hauteurs de Sea Cliff, quartier huppé de San Francisco. Elles en connaissent les moindres recoins, les plages secrètes et les personnages excentriques. Elles fréquentent le collège de Spragg, établissement privé réservé aux filles, et partagent une amitié comme seules des adolescentes peuvent en vivre.

Un matin, elles sont témoins d’une scène apparemment banale : un homme à bord d’une voiture leur demande l’heure. Eulabee regarde sa montre ; Maria Fabiola s’indigne d’un acte « choquant ». Qui dit vrai ? Si Julia et Faith acquiescent docilement à la version de Maria Fabiola, Eulabee la conteste, ce qui lui vaut d’être exclue de la bande. Quelques mois plus tard, Maria Fabiola disparaît, secouant la paisible communauté et menaçant de faire voler en éclats des vérités cachées.

Entre suspense et émotion, le nouveau roman de Vendela Vida aborde avec une finesse remarquable les mues de l’adolescence et la fin de l’innocence, à la manière de Jeffrey Eugenides dans Virgin Suicides ou de Joyce Carol Oates dans Confessions d’un gang de filles.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Figure de l’avant-garde intellectuelle et littéraire de la côte Ouest des États-Unis, Vendela Vida est éditrice du magazine The Believer, fondé avec son mari Dave Eggers. On lui doit déjà trois romans parus en français, Sans gravité et Soleil de minuit aux Éditions de l’Olivier ; Se souvenir des jours heureux chez Albin Michel, qui tous furent encensés par la presse.

 

Avis : 

Ancien épicentre du mouvement hippie et pas encore capitale de la high-tech, la San Francisco du milieu des années 1980 est au creux de la vague quand Eulabee la narratrice et ses amies Maria Fabiola, Julia et Faith, alors entre treize et quatorze ans, se retrouvent elles aussi dans ce ressac entre deux rivages qu’est l’adolescence. Jusqu’ici inséparable, le quatuor vit sa première dissension lorsque Maria Fabiola, devenue, à la faveur d’une puberté plus précoce, l’incarnation de tous les fantasmes à Spragg, la chic école privée pour filles de leur quartier huppé de Sea Cliff, se mue peu à peu en reine narcissique et affabulatrice. Pour avoir pris ses distances avec les mensonges de son amie, Eulabee fait les frais d’un ostracisme général au collège. C’est alors que la disparition de Maria Fabiola, « héritière d’un célèbre empire du sucre »,  fait croire à son enlèvement.

Autant portrait d’une ville que regard sur l‘adolescence, ce roman, aussi captivant que le polar qu’il n’est pas, possède un charme fou, tant la narration à hauteur d’adolescente, dans l’atmosphère tristement décadente d’un quartier passé de mode où se draper dans un prestige fané n’empêche pas toujours les adultes de se suicider, s’avère piquante et savoureuse, tandis que, vibrant du sarcasme né de la rage, elle aligne les ridicules du monde alentour. A l’âge où l’enfance se dessille et découvre les faiblesses des adultes, quelle n’est pas en plus la stupeur d'Eulabee de voir germer en son amie, depuis toujours comme un double d’elle-même, un nouvel être à la fois fascinant, traître et menteur, n’hésitant pas à l’éjecter de son monde pour mieux en devenir le centre.

Après la tourmente et le désastre de ces quelques mois d’adolescence, la narration saute directement et brièvement à 2019, le temps d’une rencontre de hasard entre une Eulabee et une Maria Fabiola parvenues à l’âge mûr, et comme si entre temps rien d’autre ne s’était passé qu’une invisible parenthèse. Ces quelques pages suffisent à nous laisser combler cette ellipse de l’évolution pathologique d’une Maria Fabiola cachant mal le vide intérieur révélé par sa mythomanie. Semblable au délicat passage entre les deux plages de Sea Cliff que seuls parviennent à négocier ceux respectant un chronométrage précis à marée basse, l’adolescence est une traversée que l’on n’effectue pas toujours sauf.

Un roman d’atmosphère subtil et addictif qui, faisant la part belle à une ville et à une époque que l’auteur connaît bien, joue des situations de transition, notamment adolescente, pour explorer le thème des fantasmes et du mensonge. Coup de coeur. (5/5)
 

 

Citation : 

Mes pieds font un bruit de galop en dégringolant les quatre-vingt-treize marches. La plage est déserte, par cette matinée lugubre. Une fois sur le sable, je me débarrasse précipitamment de mes chaussures et de mes chaussettes. Je cours vers le rivage et l’océan glacé me lèche les orteils. Sans avoir besoin de le toucher, je sens que mon visage est humide de brume, de larmes et de sueur. Je reste là, au seuil de l’océan, et je l’écoute prendre une inspiration sonore. Et puis il se retire, emportant toute mon enfance avec lui – les poupées de porcelaine, les chaussures à claquettes, les vieux billets de concert, tous les petits trophées, et cette longue, si longue balançoire.


 

jeudi 25 avril 2024

[Lazar, Liliana] Carpates

 





J'ai aimé

 

Titre : Carpates

Auteur : Liliana LAZAR

Parution :  2024 (Plon)

Pages : 320

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Un voyage dans les Carpates ne s’improvise pas.
Piégés par la neige au cœur de la montagne roumaine, Jeanne et Boris, un couple de Français, trouvent refuge dans un étrange hameau – la Colonie – dirigée par des femmes.
Alors qu’ils se croient sauvés, débute une plongée vertigineuse dans le monde des vieux-croyants, une communauté aux lois archaïques, qui protège un impensable secret.

 

 

Un mot sur l'auteur : 

Née en Moldavie en 1972, Liliana Lazar vit en France depuis 1996 et écrit en français. Son roman Terre des Affranchis a reçu le Prix de la Romancière Francophone 2010.

 

 

Avis :

Si elle vit depuis près de trente ans en France, Liliana Lazar est à ce point habitée par la forêt de son enfance, en Moldavie roumaine où son père était garde-forestier, que l’on retrouve encore et toujours ce lieu « du sauvage, de l'animalité et de la force païenne » au coeur de ses romans. Elle nous transporte au plus touffu des épicéas de la montagne des Carpates, là où une étrange communauté religieuse vit discrètement au rythme de pratiques mystérieuses.

Nous sommes en 1992, pas si longtemps après la chute de Ceausescu. Deux Français, Boris et Jeanne, lui boxeur professionnel, elle anthropologue sachant parler roumain, se rendent à Rodna, une petite ville des Carpates, pour y recueillir des témoignages utiles à la thèse de la jeune femme. Déjà fragilisée – elle ne lui a pas annoncée qu’elle est enceinte, il lui cache le courrier rejetant sa candidature pour le poste universitaire qu’elle convoite –, l’entente au sein du couple résiste mal au climat déstabilisant qui accompagne leur périple. Après une nuit agitée dans l’atmosphère inquiétante d’une auberge isolée, voilà que leur Peugeot 504 tombe en panne en pleine montagne, sur une route peu fréquentée que la neige de plus en plus abondante est en passe de rendre impraticable.

Aventurés dans la forêt en quête de secours, les deux naufragés rejoignent une étrange communauté, totalement coupée du monde, composée de Lipovènes – vieux-croyants orthodoxes chassés de la Russie tsariste et réfugiés entre Ukraine, Roumanie et Moldavie – et de femmes diversement poussées à les rejoindre par la maltraitance des hommes. Tous vivent en autarcie, sous la houlette matriarcale et résolument misandre d’une certaine mama Otilia. Si, chez Jeanne, l’anthropologue trouve aussitôt de quoi s’accommoder de ce que les conditions météorologiques annoncent comme une longue réclusion, le bouillant Boris n’a qu’une hâte : regagner la civilisation. C’est sans compter les règles de cette microsociété, peu soucieuse de voir divulgué le secret de son existence...

S’inspirant très librement de la géographie de son enfance et d’ingrédients culturels originaux, tout droits venus de profondeurs historiques et religieuses d’un autre âge, la plume de cette auteur qui a si admirablement adopté la langue française excelle à épaissir une atmosphère mystérieuse et inquiétante, tendue autour de l’étrangeté de gens nous imposant bientôt leur oppressant huis clos. Fallait-il pour autant charger la mule jusqu’à l’invraisemblance ? Si l’intrigue en gagne en péripéties mouvementées jusqu’à un final des plus haletants que ne renierait pas le cinéma d’épouvante, l’on pourra sentir poindre le regret que, aussi récréatif et prenant que cela soit, l’ensemble finisse par gêner aux entournures d’un féminisme exacerbé jusqu’à la haine et la folie.

Un excellent roman d’atmosphère donc, pour une lecture pleine d’angoisse et d’étrangeté, mais un grand point d’interrogation quant à la forme outrancière qu’y revêt le féminisme, à la manière par exemple de Sophie Pointurier dans Femme portant un fusil. (3/5)

 

 

Citation :

Placée en exergue de la première page, une citation piquait la curiosité : « L’étranger ne voit que ce qu’il connaît déjà. » Dans l’introduction, Jeanne expliquait sa méthode, son « approche guidée par le pragmatisme et l’humilité. Partir à la découverte de l’Autre, dépasser les apparences, se faire discrète, dans l’espoir de percer les mystères d’un monde qui, pour une part, restera toujours inconnu ». Combien de fois ne s’était-elle comparée à ces passionnés qui peuvent passer des jours entiers à assembler un puzzle sans connaître le modèle à réaliser ? Car, pour comprendre les sociétés humaines, « on ne fait que rassembler des parcelles du réel ».


 

dimanche 28 janvier 2024

[Hassaine, Lilia] Panorama

 



 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Panorama

Auteur : Lilia HASSAINE

Parution :  2023 (Gallimard)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

« C’était il y a tout juste un an.
Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais.
On m’a chargée de l’enquête, et ce que j’ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s’agissait pas d’un simple fait-divers, mais d’un drame attendu, d’un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie. »

Hélène, ex-commissaire de police, reprend du service pour retrouver un couple et leur petit garçon, Milo. Elle rencontre les dernières personnes à avoir été en contact avec eux. Depuis que la France a basculé dans l’ère de la Transparence, ces hommes et ces femmes vivent dans un monde harmonieux, libéré du mal, où chacun évolue sous le regard protecteur de ses voisins. Mais au cours de son enquête, Hélène va dévoiler une vérité aussi surprenante que terrifiante.
À travers cette contre-utopie, c’est le monde d’aujourd’hui que l’auteur interroge. Ce roman haletant montre des êtres en proie à leurs pulsions et à leurs fêlures derrière leur apparente perfection.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Lilia Hassaine a trente et un ans. Elle a déjà publié aux Éditions Gallimard L’œil du paon (2019, Trophée Folio - Elle) et Soleil amer (2021).

 

 

Avis :

Extrapolant à l’extrême nos tendances contemporaines, Lilia Hassaine imagine une crédible contre-utopie, où la dictature de l’ultra-transparence aboutit au triomphe de l’hypocrisie dans une société retranchée derrière les apparences.

Nous sommes en 2049. Depuis que, vingt ans plus tôt, la « Revenge Week » – semaine de la vengeance – a tourné à la révolution sanglante lorsque les victimes de harcèlement, de crimes familiaux et de délits écologiques ont entrepris de se faire justice dans la violence, et que, pour apaiser le pays, le gouvernement a adopté une nouvelle Constitution, la France métamorphosée vit sous le règne de la Transparence, un « pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle ». Ceux qui le désirent – précisons : et qui en ont les moyens – peuvent vivre en totale sécurité dans des quartiers transparents, constitués d’habitations de verre qui les livrent au regard bienveillant et protecteur d’autrui. Les autres sont libres de s’entasser en marge, à leurs risques et périls, dans des zones de non-droit – devenues, il faut le dire, de plus en plus défavorisées au fil du temps.

C’est dans l’un de ces quartiers de verre, où ni secrets ni criminalité n’existent plus, qu’à la stupéfaction générale, une famille s’évapore au nez et à la barbe de tous. Ravie de reprendre du service alors qu’elle n’était plus depuis longtemps qu’une « gardienne de protection », une ex-commissaire est chargée d’enquêter. Car, crime il y a bien eu. Et, malgré les déboires de sa propre vie privée et, bientôt, les pressions dans cette société boule de verre propice aux effets de loupe, il va lui falloir faire la part des mensonges et des hypocrisies pour mettre au jour les vérités sordides camouflées sous la perfection affichée.

Captivé par le suspense et par l’original – mais jamais invraisemblable – imaginaire de ce récit habilement construit, dans une langue vive et élégante, entre fable et polar, l’on se retrouve face au miroir, pas si déformant, qu’avec une lucidité critique, l’auteur tend à la société d’aujourd’hui. Montée des populismes, libertés sacrifiées aux obsessions sécuritaires, confusion entre opinion et justice. Vies privées mises en vitrine sur des réseaux sociaux favorisant par ailleurs l’isolement, le conformisme et l’emballement émotionnel au détriment de la réflexion. Vie liquide de l’éphémère et de l’immédiateté, mirage et dictature des apparences dans un monde où tout le monde surveille tout le monde, se compare, aime ou déteste en stigmatisant la différence. Nettoyage des textes de tout ce qui peut paraître incorrect, wokisme : autant de glissements actuels de la société qu’il suffit juste à l’auteur de prolonger pour nous présenter une vision de cauchemar dont il faut bien reconnaître qu’elle paraît à peine dystopique.

C’est un panorama bien inquiétant que nous présente ce roman d’anticipation auquel on n’a aucun mal à croire, tant il reflète de vérités sur les tendances de la société contemporaine. Plus encore qu’une dystopie originale et un polar addictif, ce troisième livre de Lilia Hassaine est un puissant roman social, riche de sens et fort habilement construit. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Aujourd’hui elle a seize ans (...). Pour elle, l’amour est un projet. Pour moi, je le sais désormais, l’amour est une fugue. Au sens musical. Les voix s’accordent un court instant, mélodieuses, puis se séparent, en contrepoint. Je n’ai jamais autant aimé mon mari qu’en son absence. Sa liberté, c’était mon pays imaginaire, celui de mes élucubrations et de mes angoisses. Je l’aimais parce qu’il n’existait pas. Je l’aimais parce que je pouvais le réinventer sans cesse, à chaque printemps de mes journées, le convoquer dans mes songes, le parer de toutes sortes de mystères. Je l’aimais parce que je l’attendais.


Ma fille est une professionnelle du spectacle, et le spectacle, c’est elle. Si elle le pouvait, elle se promènerait avec un lampadaire au-dessus de la tête pour être toujours éclairée à son avantage. Je dois vous paraître rétrograde, mais je suis consciente que ce mouvement a démarré il y a longtemps déjà, quand chaque photo Instagram était une fenêtre sur nos vies. On dévoilait nos intérieurs, nos corps et nos opinions. Très vite, la discrétion a eu l’air d’une affreuse prétention. Refuser de montrer, c’était dissimuler.
Dans la sphère professionnelle, beaucoup d’entreprises avaient déjà aboli les murs. Un être humain isolé dans un bureau représentait un risque : et s’il ne travaillait plus ? Et s’il passait son temps à gérer ses affaires personnelles, ou à jouer à des jeux en ligne ? En abattant les cloisons, les patrons faisaient des économies de surface, mais ils pouvaient surtout savoir qui arrivait à quelle heure, s’assurer que tout le monde était bien occupé à sa tâche et s’éviter deux ou trois affaires de mœurs au passage. Tout cela était présenté comme un gain de convivialité. On est tous ensemble, on est une équipe. La convivialité consistait donc à entendre les conversations téléphoniques de Clara, à subir les bruits de bouche de Michel et à voir Sylvain s’éclipser tous les jours à 11 heures aux toilettes. La société a pris le même chemin. Elle s’est muée en un gigantesque open space.
Les réseaux sociaux ont connu leur apogée au moment de la révolte de 2029. L’avenir était alors au métavers, on nous promettait que l’homme du futur s’échapperait du monde matériel grâce à des casques de réalité virtuelle. Personne n’avait anticipé le scénario inverse : une société où, sans casque ni lunettes connectés, on jouerait chaque jour à être l’avatar de soi-même.


La maison est spartiate. Un vieux frigo, pas de table basse, pas de vitrécran ni de télévision, des fauteuils en cuir craquelé, patiné, une bibliothèque dont je ne peux décrocher mon regard. En ville, elles ont peu à peu disparu des intérieurs. On préfère désormais les tablettes numériques, plus légères, plus pratiques. Surtout, elles permettent de lire la dernière version en date d’un ouvrage : depuis que les auteurs peuvent retoucher leur texte après publication, le livre n’est plus cet objet poussiéreux, figé dans le passé, il évolue, s’adapte à l’époque. Les maisons d’édition ont même recruté des modérateurs professionnels, chargés de retravailler et de nettoyer certains passages à la place de l’auteur. Trois versions d’un même ouvrage (une version brute, pour les universitaires, une version abrégée, pour les impatients, et une version normalisée, pour les plus sensibles) sont aujourd’hui disponibles grâce aux nouvelles tablettes.


Je sais que ce soir David sera là et qu’il fera comme si de rien n’était. Je sais aussi que je ferai comme lui. Je sais le mensonge de nos existences, l’image qu’on veut donner, parce que vivre en dehors du bonheur, c’est déjà être déclassé.
 
 
Moi-même, j’y croyais, je regardais ces photos [influenceuses] avec une pointe de jalousie et pas mal d’envie, ça avait l’air si simple, le bonheur, il suffisait d’aller à l’hôtel Machin, de manger dans tel restaurant, d’acheter telle crème, telle fringue, de payer tel coach, à grand renfort de codes promotionnels. Je regardais la vie des autres défiler et j’en oubliais la mienne, que je trouvais sans intérêt. Je ne pouvais ni consommer, ni même devenir un produit de consommation, comme certaines de mes amies aux parents permissifs. Elles se filmaient dans leur intimité, et plus c’était intime, plus l’algorithme les encourageait à recommencer. Plus elles dévoilaient de morceaux de peau, plus elles devenaient visibles, et plus elles étaient récompensées. Le like est l’équivalent numérique de la croquette pour chiens, me répétait mon père, professeur de philosophie au crâne dégarni. Il m’interdisait tout ça. Je vivais seule avec lui, dans un lotissement pavillonnaire, et je m’ennuyais à en crever. Il me disait : Prends un livre comme il m’aurait dit : Prends un médicament, et il s’imaginait que j’allais l’écouter.
J’avais aimé les livres. Le problème n’était pas que je ne les aimais plus, mais que je ne savais plus comment les faire fonctionner. Il n’y avait pas de bouton latéral, pas de mode veille. Et, même quand je parvenais à me concentrer pendant deux ou trois pages, je sentais mon cœur palpiter d’agacement, les phrases étaient trop longues, trop bavardes, elles ne s’adressaient pas à moi, c’était à moi de faire l’effort de les lire et de les comprendre. Mon smartphone était bien plus puissant, il ne me demandait rien, il anticipait mes désirs, et tout semblait gratuit. Plus tard, j’ai compris qu’il se nourrissait de mon ennui et que j’avais payé tous ces gens de mon temps. J’avais cru les belles parleuses, celles qui se piquaient de sororité et de bienveillance alors qu’elles s’enrichissaient sur le dos de mes complexes d’adolescente.


Je me suis souvent demandé à partir de quel âge on devenait vieux. Peut-être est-ce à partir du jour où l’on met en terre l’un des siens. On peut devenir vieux très jeune. À la mort de mon père, je n’avais que dix-neuf ans. J’ai dépassé cette année l’âge qu’il avait quand il m’a quittée. Ça non plus, on n’y est pas préparé. Les morts ont pour toujours l’âge qu’ils avaient au moment de mourir.


Les enfants ont disparu des rues, ils ne jouent plus au ballon et passent leurs journées avec des casques de réalité virtuelle vissés sur le crâne. Ils partent en vacances dans des paysages éphémères et construisent des châteaux de sable sur des plages virtuelles face à des océans artificiels. Quand ils retirent leurs casques, leurs parents ne leur semblent pas plus réels. Ils ont tout fait pour incarner ce qu’ils rêvaient d’être, physiquement et professionnellement, devenant peu à peu leurs propres avatars. Soyez vous-même en mieux, promet la publicité de la clinique Élite, à Chareau, spécialiste du ravalement esthétique.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

jeudi 18 janvier 2024

[Manook, Ian] Ravage

 






J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Ravage

Auteur : Ian MANOOK

Parution :  2023 (Paulsen)

Pages : 352

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Red Arctic, hiver 1931. Une meute d’une trentaine d’hommes armés, équipés de traîneaux, d’une centaine de chiens et d’un avion de reconnaissance pourchasse un homme. Un seul. Tout seul.  C’est la plus grande traque jamais organisée dans le Grand Nord canadien. Pendant six semaines, à travers blizzards et tempêtes, ces hommes assoiffés de vengeance se lancent sur la piste d’un fugitif qui les fascine. Cette course-poursuite va mettre certains d’eux face à leur propre destin. Car tout prédateur devient un jour la proie de quelqu’un d’autre…

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Ian Manook a sillonné le monde pour son plaisir, puis en qualité de journaliste avant de se consacrer à l’écriture. Il se fait remarquer en 2013 avec le roman policier Yeruldelgger (Albin Michel). L’ancien routard s’est ensuite consacré à une trilogie de thrillers islandais, pays dont les légendes et croyances l’ont séduit et inspiré pour ce nouveau roman imprégné de culture insulaire et maritime.
À Islande ! a reçu le Prix Compagnie des Pêches de Saint-Malo lors du festival Étonnants Voyageurs (juin 2022).

 

 

Avis :

Spécialisées en littérature de voyage et d’exploration, les éditions Paulsen accueillent pour la seconde fois l’écrivain bourlingueur Ian Manook, qui, après une série de thrillers consacrés aux rudes terres d’Islande, nous embarque dans une traque échevelée à travers le Grand Nord canadien, d’après un fait divers survenu au tout début des années 1930.

Qui était-il et d’où venait-il ? Nul n’a jamais su précisément, mais surnommé le « Trappeur Fou de la Rat river », il est entré dans la légende de la région d’Aklavik, un village des Territoires du Nord-Ouest Canadien, en zone arctique. L’histoire débute en plein hiver 1931, par les moins quarante degrés habituels, lorsque des Loucheux – ainsi nomme-t-on les Indiens locaux – viennent porter plainte contre un nouveau venu, un colosse au farouche tempérament, apparu sans tambour ni trompette et désormais installé avec ses lignes de trappe, sans en demander l’autorisation, à quelque cent trente kilomètres du village. Une équipe de la Gendarmerie royale est diligentée sur place pour une mission de contrôle qui tourne au drame. Des coups de feu sont échangés, un policier est blessé et il faut dynamiter sa cabane pour en extraire le forcené. L’homme ayant réussi à prendre la fuite, commence une traque dantesque, à travers blizzards et tempêtes, qui durera six semaines, engagera des forces a priori disproportionnées – trente hommes armés, soixante-dix chiens de traîneaux, un avion de reconnaissance – et, après avoir laissé se développer le sentiment d’une invincibilité quasi surnaturelle du fugitif, s’achèvera dans le sang d’un hallali sauvage et vengeur.

Raconté du point de vue des poursuivants, eux aussi des individus au physique et au mental hors du commun, le roman oscille entre l’état d’esprit plus pondéré des représentants des forces de l’ordre et la soif de vengeance des trappeurs déchaînés auxquels ils ont fait appel pour les aider à courser le fugitif. Si tous sont impressionnés par les incroyables capacités du fuyard, en telle osmose avec leur infernal environnement que sa résistance et ses ruses semblent les narguer à les en rendre fous, ils savent aussi, depuis que l’un, puis deux des leurs se sont retrouvés au tapis, le premier blessé, l’autre tué, qu’il n’y aura pas de pitié ni de justice autre que celle de ces espaces sauvages et glacés, torturés par le blizzard, asphyxiés par les brouillards, égarés dans le grand blanc. Et tant pis si cet homme qui n’avait jamais que prétendu à une vie solitaire, loin des hommes et de leurs lois, n’a toujours agi qu’en légitime défense. On n’échappe pas ainsi au monde, qui entend contrôler jusqu’au dernier lambeau de territoire sauvage et qui règle parfois ses comptes sans autre forme de procès, avec le pire acharnement.

Entre les dangereuses somptuosités d’une nature blanche et glacée et le tragique aveuglement de la vindicte humaine, ce polar noir mené tambour battant sur la trame de faits réels est aussi un superbe roman d’aventure que l’on n’a aucun mal à imaginer projeté sur un autre écran blanc, cinématographique cette fois. (4/5)

 

 

Citations :

En meute, les hommes ne sont pas des loups. Ils ne respectent pas les consignes et la stratégie de l’alpha. Être en bande leur donne un courage malsain. Ce n’est pas une force organisée, mais un assemblage de violences individuelles. 
 

Le soleil ne se couche pas. Il ne s’est pas montré de la journée. La clarté du jour se noie juste dans la nuit qui se glisse entre les ombres. La nuit ne tombe pas, c’est un mensonge, elle monte de la terre, sournoise, et surprend les hommes qui la cherchent encore dans le ciel.
 

La ville est enterrée sous une épaisse croûte de neige, les maisons arc-boutées contre les assauts d’un vent hystérique. Chaque bourrasque est un assommoir. Dans les rues désertes, des rubans de neige s’agitent au ras du sol comme des serpents haineux, puis se redressent en lanières de fouet et leur cinglent le visage. Le vent frise les toits de lambrequin d’un givre abrasif qui poudroie dans les rares éclairages ouatés par la neige.
 

Ils décollent sans difficulté deux heures plus tard, mais le ciel change aussitôt. Wright n’avait pas piloté dans des conditions aussi épouvantables depuis son mercy flight vers Fort Vermilion. Une tempête de neige haute et dense comme l’Everest. Un tourbillon de flocons que des bourrasques fantasques tordent en brusques tornades de cristaux de glace, jusqu’à trois cents mètres au-dessus du sol. Dans la seconde, plus aucune visibilité, ni du sol ni du ciel. Wright navigue aux instruments, les yeux rivés sur sa boussole et son altimètre. Il pense que le vent du nord, fusant depuis la banquise de la mer de Beaufort et canalisé par la chaîne des monts Mackenzie, est un vent rasant. Qu’il devrait suffire, pour s’en protéger, de monter à mille deux cents mètres dans les nuages, mais il n’a jamais été confronté à ce cas de figure. Là-haut, ce sont des vents d’ouragan. Des vents haineux de poudrin qui poncent la carlingue. Déchaînés, violents, rageurs. L’avion est malmené, le bruit du grésil sur le cockpit assourdissant. C’est une force surnaturelle, démesurée, obstinée, appliquée à les détruire. Plusieurs fois, le vent de face tabasse si fort que les trois hommes sont projetés vers l’avant, comme dans une collision, le corps meurtri par leur ceinture. Wright a beau donner toute la puissance du moteur, le carburateur ouvert au maximum, les vents contraires condamnent le Bellanca à faire du sur-place. Des tourbillons de neige enveloppent l’avion, et la ronde hystérique des flocons leur donne plusieurs fois l’illusion terrifiante qu’ils volent à reculons.
 

Jones ne se laissera jamais prendre vivant.
— Comment pouvez-vous en être si sûr ?
— Parce que c’est un coureur de bois. Empêchez-le de courir et il préférera mourir. Il n’est plus du même monde que nous, Wright, il est passé de l’autre côté. Du côté des lagopèdes, des bœufs musqués, des caribous et des loups. Un animal, ça ne se rend pas. Ça se fait abattre par surprise, ça fuit ou ça fait face jusqu’à la mort.
 
 
Ce brave Bauwen appartient désormais à ce que les Indiens appellent « le temps long ». Celui des morts, des esprits, des éternités promises…
— Le temps long de ceux qui restent, aussi, lance Wright. Du vide, de l’attente, des souvenirs… Je plains sa femme.
Ils gardent le silence pendant le reste du vol. Mais, quand ils survolent Aklavik sous un ciel dégagé pour la première fois, Wright ne peut s’empêcher de penser que ce bourg reculé ne demande qu’à s’abandonner au temps long. Les gens qui vivent ici sont moitié perdus, moitié condamnés. Loin du temps fou des grandes villes. 


— Alors pourquoi avoir accepté cette mission contraire à vos principes ?
— Je vous l’ai dit, Walker, je suis un témoin privilégié de l’époque. À voir les choses de haut, on devient lâche. J’apporte mon aide, mais je continue à vendre mes services de pilote pour conserver mon confort de vie. C’est le confort qui mènera ce monde à sa perte, Walker, en étouffant nos indignations, nos révoltes, nos colères pour un aspirateur ou un autoradio dernier cri. C’est pour ça que vous n’aurez pas Jones vivant.
— Je ne vois pas le rapport.
— Jones n’a plus rien à perdre. Sa mort ne le privera de rien.
— De sa vie, quand même, excusez du peu.
— Quelle vie, Walker ?


Comment peut-on traquer un homme depuis cinq semaines déjà pour le mettre à mort sans rien savoir de lui ? Rien. Pas même son nom. Quelle mécanique absurde s’est enclenchée pour condamner un inconnu ? Pas de nom, pas d’adresse, pas de passé, pas d’histoire. C’est pourtant le principe même de la justice. Chercher à connaître l’homme pour comprendre le geste. D’après ce que Wright a recueilli des uns et des autres, Jones trappait depuis six mois sur la Rat River sans que personne ait eu à se plaindre de lui. Il avait fait exactement ce qu’il avait annoncé lorsque Bauwen l’avait interrogé sur ses intentions : se retirer pour trapper et se faire oublier. Et il avait suffi de la dénonciation d’un Loucheux pour tout faire basculer. Quelques mots. Même pas consignés. Sans preuve. Bien sûr, le système est ainsi fait qu’il s’auto-justifie. C’est précisément pour aller chercher des preuves que Bauwen aura envoyé Billy et Barnhard jusqu’à la cabane. C’est pour son silence obstiné que Walker aura envoyé quatre hommes armés avec un mandat de perquisition. C’est parce que l’attitude du trappeur aura été considérée comme un outrage à la Gendarmerie royale que l’usage de la force sera légitimé. Et même s’il s’est avéré depuis que le fougueux Billy a menti et qu’il a bien fait feu le premier, le tir de Jones sera considéré comme une tentative d’homicide. Volontaire, même. D’ailleurs, Jones finira par tuer Bauwen – preuve s’il en est qu’il était bien, dès le départ, l’assassin qu’on fera de lui. Ainsi va et se perpétue le système… 


— Ce Jones n’est pas fait en mousse de nombril, murmure Wright.
— Il doit être d’une force incroyable, répond le médecin, mais ce n’est pas l’essentiel. Ce qu’il faut vraiment pour endurer tout ça, c’est une volonté d’acier, une force de caractère hors du commun.
— Ou c’est un obstiné, un têtu, corrige Wright, un type déjà mort qui n’a plus rien à perdre. Parfois, j’ai l’impression d’avoir affaire à un animal.
— Il est plus nuancé que l’animal. L’animal connaît deux modes : proie, il prend la fuite, prédateur, il attaque. Quelques animaux sont capables des deux. J’ai entendu dire que les léopards qui se sentent traqués décrivent un large cercle pour rattraper et prendre à revers ceux qui suivent leur piste. Mais pas pour jouer. Pour attaquer. Notre horde est à ses trousses depuis des semaines, pourtant Jones ne fuit pas vraiment et n’attaque jamais. Il adopte une sorte de stratégie défensive.
— Pour quelle raison, d’après vous ? Söderlund réfléchit et Wright le regarde d’un autre œil. Cette façon qu’il a d’être à l’aise dans la tourmente. Un homme qui sait marcher avec des raquettes au fin fond d’une forêt canadienne en hiver. Un homme qui en a vu d’autres. Étonnamment solide pour son âge.
— Peut-être parce qu’on s’acharne à l’empêcher de vivre comme il le veut.


C’est un lendemain de la veille, comme on dit, un matin de gueule de bois. Les hommes émergent des tentes, rasés avec une biscotte et coiffés en pétard, la tête bourrée d’étoupe, pour constater que le monde n’est plus. Un vide compact. Dense et vaporeux à la fois. Il commence si près de l’ouverture des tentes qu’ils n’osent poser une main en dehors, de peur de tomber dans un vide sidéral. Ils s’appellent sans se voir, leurs réponses étouffées par le brouillard. Plus rien n’existe au monde que la tente de chacun.


— Comment Hattaway peut-il savoir qu’il va neiger ?
— Il le sait. Il a des instruments et des livres, il fait des calculs, déclare fièrement Huapikun. Il a dit deux jours de neige et de brouillard.
— Comment peut-il neiger dans le brouillard ? s’étonne Claudel, le nez dans son bol de soupe.
— Mon homme dit que ce brouillard-là est une sorte de neige en suspension. Quand l’humidité aura saturé le nuage, les flocons vont se former et se mettre à tomber. C’est ce qu’il a dit.


— Ce Jones est quand même un mystère. Et dire qu’on ne sait toujours pas qui c’est…
— On ne sait pas qui il a été, mais on sait très bien qui il est. Un homme malin, courageux, endurant, intuitif, dur au mal, résolu. Un type qui vit selon ses convictions, même si elles sont contraires aux nôtres, et qui pense ne faire que se défendre. Un type qui n’a peur ni de nous, ni du blizzard, ni du grand froid, ni de la montagne, ni même de la mort, mais qui fuit les hommes…
— Attention, inspecteur, à vous entendre, on pourrait bien croire que vous l’admirez, ce Jones, se moque Hattaway.
— Oui, on pourrait le croire. C’est vrai qu’à défaut d’admirer l’homme, ce qu’il endure force l’admiration.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 

 

dimanche 27 août 2023

[Ellis, Bret Easton] Les éclats

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les éclats (The Shards)        

Auteur : Bret Easton ELLIS

Traduction : Pierre GUGLIELMINA

Parution : en anglais (américain)
                  et en français en
2023
                  (Robert Laffont)

Pages : 616

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Los Angeles, 1981. Bret, dix-sept ans, plongé dans l’écriture de Moins que zéro, entre en terminale au lycée privé de Buckley. Avec Thom, Susan et Debbie, sa petite amie, il expérimente les rites de passage à l’âge adulte : alcool, drogue, sexe et jeux de dupes.
L’arrivée d’un nouvel élève fait voler leurs mensonges en éclats. Beau, charismatique, Robert Mallory a un secret. Et ce secret pourrait le lier au Trawler, un tueur en série qui sévit dans les parages. Terrorisé par toutes sortes d’obsessions, Bret se met à suivre Robert. Mais peut-il se fier à son imagination paranoïaque pour affronter un danger menaçant ses amis et lui-même, et peut-être la ville et le pays entier ?

Dans White, son livre précédent, Ellis écrivait : « Je grandissais au pied des collines de Sherman Oaks, mais juste au-dessous s’étendait la zone grisâtre du dysfonctionnement extrême. Je l’ai perçu à un âge très précoce et je m’en suis détourné en comprenant une chose : j’étais seul. » Les Éclats est le roman de ce détournement et de cette solitude.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Bret Easton Ellis est né à Los Angeles en 1964. Dès la publication de son premier livre Moins que zéro, en 1985, il connaît un succès foudroyant et s’impose comme l’un des écrivains majeurs de sa génération. Suivent Les Lois de l’attraction, American Psycho, Zombies, Glamorama, Lunar Park et Suite(s) impériale(s), tous parus au Éditions Robert Laffont. Traduite dans le monde entier, adaptée au cinéma, son œuvre est l’une des plus marquante de la littérature contemporaine.

 

 

Avis :

1980. Le narrateur Bret a dix-sept ans et entre en terminale au très sélect lycée privé de Buckley, à Los Angeles. Tout en écrivant son premier roman Moins que zéro qui paraîtra quelques années plus tard, il s’adonne à la frénésie d’alcool, de drogue et de sexe avec laquelle la jeunesse dorée californienne meuble le vide laissé par des parents bien trop accaparés par les paillettes et les dollars de l’industrie cinématographique. Mais l’arrivée d’un nouvel élève, le séduisant et charismatique Robert Mallory dont Bret se convainc bientôt qu’il pourrait bien avoir partie liée avec le tueur en série de jeunes filles qui sévit dans la ville, transforme ce qui semblait une autofiction en un thriller noir et paranoïaque.

Aujourd’hui presque sexagénaire, l’auteur du très controversé livre-culte American Psycho revient après treize ans de silence avec un coup de maître : le voilà qui, à quatre décennies d’intervalle, revisite son premier roman et, obsédé par son introspection jusqu’à réinventer sans cesse son histoire sous une nouvelle forme, enrichie et exagérée par son imagination débridée d’écrivain, se joue de son lecteur, mais également de lui-même, en une vraie-fausse autobiographie délibérément confondante, un collage libre des fragments d’un passé dont il ne reste aujourd’hui que des éclats de mémoire distordue.

L’on pourra aimer ou détester l’écriture sans concession, directe et crue, qui ne s’embarrasse d’aucune pudeur pour décrire précisément les scènes de sexe et de meurtre. L’on restera immanquablement fasciné par cette fresque générationnelle qui restitue sans fard la Californie clinquante des années quatre-vingts, cachant, sous son faste ensoleillé et ses strass hollywoodiens, le vertige d’un vide existentiel, affectif et moral que l’individualisme et le matérialisme les plus effrénés ne réussissent qu’à fort mal exorciser dans une surenchère de plaisirs luxueux et une orgie de tranquillisants, d’alcool et de stupéfiants. L’écrivain s’en donne à coeur joie dans les réminiscences, exhumant marques et objets emblématiques de l’époque, sonorisant son texte de références musicales, usant du name-dropping autant que d’une topologie précise des lieux pour mieux revivre une jeunesse et une époque disparues.

De tout cela sourd une incommensurable nostalgie, celle d’un homme de presque soixante ans qui se souvient, comme d’un paradis perdu, de ses apprentissages de jeune adulte en un temps de liberté, sans téléphones portables ni réseaux sociaux, sans fusillades de masse ni politisation à outrance des moindres enjeux. Ne manque pas même au tableau, sans que cela semble choquer le jeune Bret, ce producteur de cinéma à la Weinstein, secrètement homosexuel et usant sans vergogne de ses promesses de scénarios pour parvenir à ses fins. Bret est gay lui aussi et doit cacher ses tensions sexuelles adolescentes derrière un personnage de façade et la couverture d’une petite amie. En même temps que cet empêchement à être lui-même finit par susciter une certaine compassion chez le lecteur, il participe au climat d’étrangeté paranoïaque qu’en admirateur de Stephen King le narrateur entretient en un suspense longtemps latent, avant qu’il n’explose en l’on ne sait s’il s’agit vraiment d’une réalité dans l’intrigue ou des fantasmes d’un Bret emporté jusqu'à la psychose par son imagination d’écrivain.

Travaillant ses obsessions avec une inlassable minutie, Bret Easton Ellis réussit un nouveau roman aussi malsain et sulfureux que brillant et virtuose : un pavé-fleuve dans la mare woke et un défi à la tyrannie de la censure et de la « cancel culture », comme on aimerait en voir davantage. (4/5)

 

 

Citation :

Matt était plus autonome que n’importe qui dans l’école, le seul qui vivait de façon indépendante, dans un pool house avec son propre garage, au fond de l’immense propriété sur Haskell Avenue. À ce moment de son adolescence, Matt n’était plus très souvent contrôlé par ses parents – en fait, je n’avais jamais entendu Matt mentionner l’un d’eux et je n’avais aucune idée de ce que faisait son père. Ron et Sheila Kellner ne savaient pas que Matt n’allait plus à l’école depuis deux jours parce qu’il avait été, précisément, invisible très souvent, une semaine entière s’écoulant parfois sans qu’ils puissent même l’apercevoir. Ce qu’évoque cette dynamique est un autre exemple extrême de ce que nombre d’adolescents expérimentaient à la fin des années 1970 et dans la décennie suivante, le fait de ne pas avoir le moindre rapport avec leurs parents pendant des jours ne semblait pas particulièrement bizarre ou anormal – mes parents, par exemple, étaient absents depuis deux mois, en croisière en Europe, à l’automne 1981, quand j’avais dix-sept ans, et ni eux ni moi n’avions le moindre problème ou la moindre inquiétude à ce sujet.


 

mardi 23 mai 2023

[McCarthy, Cormac] Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Non, ce pays n'est pas pour
            le vieil homme
            (No Country For Old Men)

Auteur : Cormac McCARTHY

Traduction : François HIRSCH

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2005
                  en français en 2007
                  (Editions de l'Olivier)

Pages : 304

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Un matin, à la frontière du Texas et du Mexique, un homme tombe par hasard sur les traces d’un carnage : des cadavres, un agonisant, des armes, de l’héroïne, et plus de deux millions de dollars en liquide. L’auteur de cette macabre découverte se nomme Llewelyn Moss. En empochant l’argent, il sait qu’il se met en danger. Mais il ignore la nature exacte des puissances qu’il a reveillées. Elles prennent la forme d’une horde sauvage composée d’hommes de sac et de corde, d’un ancien officier des Forces spéciales, et surtout d’un tueur travaillant pour son propre compte, et dont il ne doit attendre aucune miséricorde.Face à ces envoyés du chaos, Moss et sa jeune femme paraissent bien vulnérables, et les « forces de l’ordre » bien incapables de les protéger. Commence alors une folle cavale à travers des paysages lunaires et des villes-fantômes, monde nocturne que vient seulement troubler le fracas des armes automatiques.

Après sept ans de silence, Cormac McCarthy est de retour avec cet extraordinaire roman noir qui, tout en plongeant sers racines dans le terreau le plus archaïque, décrit d’une manière incroyablement moderne la guerre qu’une société se livre à elle-même.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Cormac McCarthy est né en 1933 à Providence. Dès ses premiers livres (L'Obscurité du dehors, Actes Sud 1991, Un enfant de Dieu, Actes Sud 1992, Méridien de sang 1998), il est comparé à Herman Melville, James Joyce et William Faulkner, alternant entre western métaphysique et thriller rural. On découvre en 1993 De si jolis chevaux, premier volume de La Trilogie des confins (Actes Sud). Le livre remporte le National Book Award en 1992. Les deux autres volumes, Le Grand Passage et Des villes dans la plaine, ont paru aux Éditions de l'Olivier en 1997 et en 1999. Cormac McCarthy a également publié Suttree (Actes Sud 1994) ou encore Le Gardien du verger (1996). De si jolis chevaux a été adapté au cinéma par Billy Bob Thornton avec Matt Damon et Penelope Cruz. Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme, paru en 2007 aux Éditions de l'Olivier, a été adapté au cinéma par les frères Coen. La Route a été couronné par le prix Pulitzer.

 

Avis :

Parti chasser près de la frontière mexicaine dans le sud-ouest du Texas, le trentenaire Llewelyn Moss tombe sur un drôle de tableau : plusieurs cadavres criblés de balles autour de véhicules tout-terrain, l’un encore bourré de briques d’héroïne. Des traces de sang le conduisent un peu plus loin, auprès d’un dernier corps. L’homme n’a pas survécu à ses blessures et gît auprès d’une sacoche emplie de liasses de billets. Ebloui par cette soudaine chance d’offrir une nouvelle vie à sa jeune compagne Carla Jean, Moss s’empare de cette petite fortune, près de deux millions et demi de dollars. Il ne se doute pas encore du guêpier dans lequel il vient de se fourrer. Sa tête mise à prix par les trafiquants, il doit prendre la fuite, divers poursuivants aux trousses.

L’homme engagé par la mafia pour récupérer l’argent est un ancien lieutenant colonel de la guerre du Viêt Nam, reconverti tueur à gages. Un enfant de coeur comparé au second chasseur de primes qui s’est mis sur les rangs : le psychopathe Anton Chiguhr. Totalement incontrôlable dans son approche sacerdotale des missions mortelles qu’il entreprend, cet électron libre, si déterminé, froid et implacable dans sa violence sans affect qu’on le dirait programmé au meurtre comme une machine impossible à arrêter, ne tarde pas à apparaître comme une véritable incarnation du mal. Au point de faire douter le vieux shérif Ed Tom Bell, ancien combattant de la seconde guerre mondiale qui pensait avoir exorcisé ses lancinants souvenirs en endossant l’étoile du redresseur de torts, protecteur de la veuve et de l’orphelin, mais qui se sent de plus en plus dépassé par la violence des nouvelles formes de criminalité.

Tandis que Bell, réduit au rôle de figurant impuissant à empêcher un drame annoncé, suit chaque nouvelle étape de cette course poursuite sans merci, ses commentaires désespérés sur la glissade du monde vers un avenir de plus en plus noir, apocalyptique à considérer cet espèce d’antéchrist ou d’ange exterminateur que lui semble le monstrueux Chiguhr, viennent souligner de leur vision crépusculaire ce roman d’action hyperviolent, semés de cadavres troués comme des passoires par des armes ultra-puissantes, symboles obsessionnels d’une Amérique moderne en perdition.

Adapté au cinéma par les frères Cohen, ce polar noir et violent est aussi un western contemporain à rebours du rêve américain. Ode au parler texan aussi difficile à traduire que son titre, tiré d’un vers de Yeats et tellement plus percutant en anglais, sans doute séduira-t-il davantage les amateurs d’action et de dialogues taillés pour l’écran, que les amoureux du raffinement de la pensée et de la beauté stylistique. N’empêche, ses pages sont de celles qui tournent d’elles-mêmes, habitées par un vieil homme désemparé de voir tous ses principes balayés par la violence de l’Amérique d’aujourd’hui. (3,5/5)

 

 

Citations :  

Au temps de la guerre de la drogue là-bas le long de la frontière il n’y avait pas un seul pot d’un litre et demi à acheter. Pour y mettre les confitures, etc. Le frichti. On n’en trouvait nulle part. La raison c’est qu ils se servaient de ces pots-là pour y mettre des grenades à main. Si tu passais en avion au-dessus d’une maison ou d’une propriété et que tu lâchais des grenades les grenades explosaient avant d’arriver en bas. Alors voilà comment ils s’y sont pris : ils dégoupillaient les grenades et les mettaient dans le pot et revissaient le couvercle. Alors chaque fois que le pot touchait le sol le verre se brisait et libérait la cuillère, le levier. Ils remplissaient d’avance des caisses entières de ces machins-là. C’est difficile à croire qu’on puisse se balader la nuit dans un petit avion avec un chargement pareil, mais c’est ce qu’ils faisaient.
 

Je crois que si on était Satan et qu’on commençait à réfléchir pour essayer de trouver quelque chose pour en finir avec l’espèce humaine ce serait probablement la drogue qu’on choisirait. C’est peut-être ce qu’il a fait. J’ai dit ça à quelqu’un l’autre matin au petit-déjeuner et on m’a demandé si je croyais en Satan. J’ai dit c’est pas de ça qu’il s’agit. Et on m’a répondu je le sais mais t’y crois ? Il a fallu que je réfléchisse. Sans doute que j’y croyais quand j’étais jeune. Arrivé à la quarantaine j’étais un peu moins ferme dans mes convictions. À présent, je recommence à pencher de l’autre côté. Il explique pas mal de choses qui n’ont pas d’autre explication. Qui n’en ont pas pour moi.

 

 

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