J'ai beaucoup aimé
Titre : La danseuse
Auteur : Patrick MODIANO
Parution : 2023 (Gallimard)
Pages : 112
Présentation de l'éditeur :
« La danseuse arrivait, le matin, à sept heures quarante-cinq, gare du
Nord. Ensuite le métro jusqu’à la place de Clichy. Le bâtiment du studio
Wacker était vétuste. Au rez-de-chaussée, une dizaine de pianos
d’occasion, rangés en désordre comme dans un dépôt. Aux étages, une
sorte de cantine avec un bar et les studios de danse. Elle prenait des
cours avec Boris Kniaseff, un Russe que l’on considérait comme l’un des
meilleurs professeurs… Une odeur particulière de vieux bois, de lavande
et de sueur. »
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Le narrateur, qui ressemble à l’auteur à s’y méprendre, ne se reconnaît plus dans le Paris trépidant d’aujourd’hui. A cette ville qui lui est devenue étrangère, il préfère substituer dans son esprit celle qui lui fut chère cinquante ans plus tôt. Tout jeune homme écrivant des chansons dans sa chambre de bonne non chauffée, sans savoir encore que certaines deviendraient célèbres, il y fréquentait un monde un peu décalé, presque interlope, entre un bar qui s’appelait Le Bastos et un restaurant La Boîte à Magie. Il venait juste de rencontrer « un étrange éditeur », Maurice Girodias, qui publierait plus tard le futur best-seller Lolita de Nabokov, refusé par toutes les maisons d’édition, et qui, pour l’heure, lui demandait d’ajouter des épisodes à des romans censurés dans les pays anglo-saxons. Et puis, de temps à autre, il s’occupait d’un garçonnet de dix ans, le fils d’une danseuse se formant au renommé studio Wacker, où enseignait alors Boris Kniaseff.
De cet enfant et de la danseuse ne subsistent aujourd’hui que des silhouettes fantomatiques, à la fois floues et précises, sans plus de nom. Leur surgissement du passé abolit soudain le temps, le passé est à nouveau présent, un passé qui n’aura jamais de futur puisque rien ne permet plus de savoir ce que tous deux sont devenus. Peu importe, à cet instant, la jeune ballerine et l’apprenti écrivain sont chacun au début de leur trajectoire, avec ceci de commun qu’à la force des bras, ils sont en train de s’arracher à la violence et aux mauvaises fréquentations de leur milieu d’origine. « La danse, disait Kniaseff, est une discipline qui vous permet de survivre. » De même, constate un autre personnage s’adressant au narrateur jeune : « Je suppose que vous travaillez à cette table sur toutes ces feuilles, parce que vous aussi vous avez besoin d’une discipline. » Subtile façon de laisser entendre combien l’écriture, ascétique discipline de l’esprit comme la danse peut l’être pour le corps, joua d’importance salvatrice dans l’existence de l’auteur, « donn[ant] vraiment un sens à [s]a vie et [l’]empêchant] de partir à la dérive. »
Réinventant inlassablement la mélodie du temps qui passe sans jamais vraiment s’en aller, la plume reconnaissable entre toutes de Patrick Modiano se joue si bien du passé et du présent qu’elle en devient intemporelle, l’ombre d’un souvenir et d’un personnage lui suffisant à incarner en un minimum de pages des thèmes aussi intimes et universels que l’écriture et la survie. On ne se lasse décidément pas du mystère Modiano… (4/5)
Citations :
C'était la période la plus incertaine de ma vie. Je n'étais rien. Jour après jour, j'avais l'impression de flotter dans les rues et de ne pas pouvoir me distinguer de ces trottoirs et de ces lumières, au point de devenir invisible.
C'était cela, la danse, avait-il l'habitude de dire à ses élèves. Tant de travail pour donner l'illusion que l'on s'envole sans effort à quelques mètres du sol...
On a beau faire de son mieux et se croire hors d’atteinte, on n’échappe pas toujours aux fantômes.
Il n'y avait pas de passé, ni d'étoile morte, ni d'années-lumière qui vous séparent à jamais les uns des autres, mais ce présent éternel.
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