mardi 7 novembre 2023

[Modiano, Patrick] La danseuse

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La danseuse

Auteur : Patrick MODIANO

Parution : 2023 (Gallimard)

Pages : 112

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« La danseuse arrivait, le matin, à sept heures quarante-cinq, gare du Nord. Ensuite le métro jusqu’à la place de Clichy. Le bâtiment du studio Wacker était vétuste. Au rez-de-chaussée, une dizaine de pianos d’occasion, rangés en désordre comme dans un dépôt. Aux étages, une sorte de cantine avec un bar et les studios de danse. Elle prenait des cours avec Boris Kniaseff, un Russe que l’on considérait comme l’un des meilleurs professeurs… Une odeur particulière de vieux bois, de lavande et de sueur. »

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Patrick Modiano, né en 1945, est l'un des plus talentueux écrivains de sa génération. Explorateur du passé, il sait ressusciter avec une précision extrême l'atmosphère et les détails de lieux et d'époques révolues, comme le Paris de l'occupation, dans son premier roman, La Place de l'étoile, paru en 1968. Avec Catherine Certitude, il nous fait pénétrer dans l'univers tendre d'une petite fille au nom étrange, dont l'enfance se déroule dans le quartier de la gare du Nord, à Paris, au cours des années 1960.
Il est le quinzième écrivain français à recevoir la prestigieuse récompense, le Prix Nobel de littérature, le 9 octobre 2014.

 

Avis :

Chez Patrick Modiano, le temps n’est pas linéaire, ni même circulaire. C’est un millefeuilles dont les plans morcelés s’enchevêtrent, un caléidoscope qui, dans notre magma mémoriel, brasse des éclats de temps demeurés intacts, des instants vivant dans notre esprit un présent éternel. En ce très apaisé et lumineux roman tenant en une centaine de pages, il jette une fois de plus le filet dans les eaux du passé pour en exhumer, précieux butin à peine voilé par les brumes du souvenir, quelques images semblant un condensé de sa jeunesse.

Le narrateur, qui ressemble à l’auteur à s’y méprendre, ne se reconnaît plus dans le Paris trépidant d’aujourd’hui. A cette ville qui lui est devenue étrangère, il préfère substituer dans son esprit celle qui lui fut chère cinquante ans plus tôt. Tout jeune homme écrivant des chansons dans sa chambre de bonne non chauffée, sans savoir encore que certaines deviendraient célèbres, il y fréquentait un monde un peu décalé, presque interlope, entre un bar qui s’appelait Le Bastos et un restaurant La Boîte à Magie. Il venait juste de rencontrer « un étrange éditeur », Maurice Girodias, qui publierait plus tard le futur best-seller Lolita de Nabokov, refusé par toutes les maisons d’édition, et qui, pour l’heure, lui demandait d’ajouter des épisodes à des romans censurés dans les pays anglo-saxons. Et puis, de temps à autre, il s’occupait d’un garçonnet de dix ans, le fils d’une danseuse se formant au renommé studio Wacker, où enseignait alors Boris Kniaseff.

De cet enfant et de la danseuse ne subsistent aujourd’hui que des silhouettes fantomatiques, à la fois floues et précises, sans plus de nom. Leur surgissement du passé abolit soudain le temps, le passé est à nouveau présent, un passé qui n’aura jamais de futur puisque rien ne permet plus de savoir ce que tous deux sont devenus. Peu importe, à cet instant, la jeune ballerine et l’apprenti écrivain sont chacun au début de leur trajectoire, avec ceci de commun qu’à la force des bras, ils sont en train de s’arracher à la violence et aux mauvaises fréquentations de leur milieu d’origine. « La danse, disait Kniaseff, est une discipline qui vous permet de survivre. » De même, constate un autre personnage s’adressant au narrateur jeune : « Je suppose que vous travaillez à cette table sur toutes ces feuilles, parce que vous aussi vous avez besoin d’une discipline. » Subtile façon de laisser entendre combien l’écriture, ascétique discipline de l’esprit comme la danse peut l’être pour le corps, joua d’importance salvatrice dans l’existence de l’auteur, « donn[ant] vraiment un sens à [s]a vie et [l’]empêchant] de partir à la dérive. »

Réinventant inlassablement la mélodie du temps qui passe sans jamais vraiment s’en aller, la plume reconnaissable entre toutes de Patrick Modiano se joue si bien du passé et du présent qu’elle en devient intemporelle, l’ombre d’un souvenir et d’un personnage lui suffisant à incarner en un minimum de pages des thèmes aussi intimes et universels que l’écriture et la survie. On ne se lasse décidément pas du mystère Modiano… (4/5)

 

Citations :

Voilà qu'un instant du passé s'incruste dans la mémoire comme un éclat de lumière qui vous parvient d'une étoile que l'on croit morte depuis longtemps.

C'était la période la plus incertaine de ma vie. Je n'étais rien. Jour après jour, j'avais l'impression de flotter dans les rues et de ne pas pouvoir me distinguer de ces trottoirs et de ces lumières, au point de devenir invisible.

C'était cela, la danse, avait-il l'habitude de dire à ses élèves. Tant de travail pour donner l'illusion que l'on s'envole sans effort à quelques mètres du sol...

On a beau faire de son mieux et se croire hors d’atteinte, on n’échappe pas toujours aux fantômes.

Il n'y avait pas de passé, ni d'étoile morte, ni d'années-lumière qui vous séparent à jamais les uns des autres, mais ce présent éternel.

 

 

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