J'ai beaucoup aimé
Titre : Ce qui vient après
(What Comes After)
Auteur : JoAnne TOMPKINS
Traduction : Sophie ASLANIDES
Parution : 2021 en anglais (américain),
2023 en français (Gallmeister)
Pages : 528
Présentation de l'éditeur :
Dans l’État brumeux de Washington, Jonah a tué son meilleur ami Daniel,
avant de se suicider sans laisser la moindre explication. Sidérés par
cette tragédie, leurs parents, autrefois amis, s’évitent désormais,
séparés par leur incommensurable douleur. Jusqu’à l’arrivée salutaire
d’Evangeline, une vagabonde de seize ans, enceinte, que chacun souhaite
aider et qui apporte de la lumière dans leur vie. Mais une révélation
éclate, risquant de briser ce nouvel équilibre : la jeune fille a croisé
le chemin des deux garçons quelques jours avant leur mort.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
JoAnne Tompkins s’est tournée vers l’écriture après avoir travaillé dans la justice comme médiatrice, où elle a pu observer les capacités de résilience humaines. Elle est diplômée en creative writing du Goddard College et a publié des textes dans divers journaux. Ce qui vient après est son premier roman. Elle vit à Port Townsend, État de Washington.Avis :
Que peut-il advenir après un drame qui a coûté la vie à deux adolescents ? Quand l’un a tué l’autre avant de se suicider ? Et que leurs parents restent voisins sans plus désormais supporter de se croiser ? Ancienne médiatrice de justice, JoAnne Tompkins évoque la résilience et la rédemption après l’irréparable, dans un premier roman juste et délicat, tendu comme un thriller.Mis à part le lecteur, qui lui aura accès, avant qu’il ne le détruise et par brefs chapitres intercalés tout au long du roman, au journal tenu par Jonah entre son crime et son suicide, personne ne saura jamais ce qui aura bien pu passer par la tête du lycéen, pour que lui, si effacé et à la dévotion de Daniel, son charismatique ami de toujours, s’acharne ainsi au couteau sur le jeune homme, abandonne son corps pour participer aux infructueuses battues pour le retrouver, et mette finalement fin à ses jours en se dénonçant sans plus d’explication. C’est donc tenu en haleine par le récit par Jonah des événements et de ce qui, en une longue et silencieuse maturation, les a précédés, que l’on assiste en parallèle au malheur, torturé de questions sans réponse, des parents des deux garçons. A vrai dire, des éléments de réponse, ils en ont malgré tout dont ils peuvent se douter, puisqu’eux savent bien, au fond, ce qui couvait de violence sous les apparences ordinaires de leur vie de famille.
Mais voilà qu’au beau milieu de ce champ de ruines surgit un personnage qui pourrait bien bouleverser ce qui semblait déjà scellé sous la dalle du chagrin et de l’hostilité muette. Evangeline a à peine seize ans, elle est enceinte, sans famille ni domicile. Lorsqu’elle frappe à la porte du quaker Isaac Balch, seul avec son deuil et son chien depuis la mort de son fils Daniel, elle et le futur bébé pourraient bien finir par combler le vide à leur manière, voire même briser la rancune qui a grandi entre lui et sa voisine, Lorrie, mère de Jonah. A moins que de nouvelles révélations ne viennent à nouveau tout compromettre quand il s’avère qu’Evangeline avait un peu plus que croisé les deux garçons peu avant le drame…
JoAnne Tompkins a trouvé le ton juste pour construire sans pathos ni sentimentalisme une histoire à la fois captivante et intelligente sur la solitude d’êtres enfermés dans leur incommunicabilité, entre jalousie et rancoeur, frustrations, remords et regrets, mais trouvant néanmoins suffisamment de bienveillance autour d’eux pour accéder au pardon et à la rédemption. Pas un des protagonistes à ne cacher quelque secrète ambivalence, les plus solaires gardant leur part d’ombre et les plus sombres leur lot d’humanité. Est-ce l’expérience de l’auteur dans la justice ? Dans son récit, le mal est une tumeur proprioceptive, une attaque de circonstances propres à vous faire perdre l’équilibre, mais, comme l'exprime Jonah, ce n’est pas parce la gravité vous fait tomber par terre qu’il faut en déduire que vous êtes la gravité – et donc le mal – incarnée. De l’ensemble sourd au final une lumière doucement réconfortante, discrètement alimentée par la touchante et fragile part d’âme de chacun, y compris celle de l‘affreux mais irrésistible Rufus, curieux croisement de labrador et de pitbull, et personnage à part entière du roman.
C’est ainsi que de la noirceur de ce sordide fait divers, JoAnne Tompkins réussit à extraire une histoire par contraste d’autant plus lumineuse, attachante et addictive. Ce qui vient après ? N’est-ce pas la bienveillance, indispensable terreau de résilience ? Un premier roman diablement bien campé, dénotant chez l’auteur une impressionnante acuité d’observation. (4/5)
Citations :
J’ai compris alors que le monde a besoin du vice. Le bien est toujours à la recherche d’un mal à anéantir, n’est-ce pas ? Est-ce que ça ne rend pas le mal au moins un tout petit peu bien, cette façon de donner au bien l’occasion de faire ses preuves ?
En biologie, M. Balch nous parlait parfois de désordres bizarres, comme des tumeurs qui vous font perdre votre proprioception, ce truc qui fait que vous savez comment se situe votre corps dans l’espace. Avec une tumeur comme celle-là, la gravité fiche la pagaille. Vous êtes toujours en train de tomber.
Et c’est ainsi que ça marche pour moi, il semblerait que ma proprioception pour le mal est cassée, à cause d’un défaut de câblage que j’ai hérité de mon père. Le problème, c’est que quand vous êtes la proie du mal, quelqu’un d’autre en paye le prix. C’est moi qui suis malade, mais c’est vous qui tombez.
Après chacune des crises de mal de papa, il jurait que ça n’arriverait plus. Mais il était plein de lignes de fracture cachées, alors il avait beau tout bien verrouiller, le monstre s’infiltrait et pénétrait chez nous, nous mettant tous par terre. Mon père ne pouvait pas empêcher le mal d’agir sur lui, tout comme les gens qui ont ces tumeurs ne peuvent pas empêcher la gravité de les mettre par terre.
M. Balch dit que des tas de chercheurs s’intéressent au problème de la proprioception. Certains ont même fabriqué un prototype de casque qui permet aux patients de tenir debout, de marcher et de mener une vie à moitié normale. Je voudrais tellement un casque pareil, un qui m’aiderait à résister au mal même s’il se réveille avec fureur. Mais personne n’étudie ça. Parce que, vous voyez, trop de gens pensent que quelqu’un comme moi est le mal incarné. Ce qui revient à dire que quelqu’un peut être la gravité incarnée si la gravité le fait tomber par terre.
J’ai la même chose que papa, ce monstre qui s’infiltre, qui vous fait faire des choses que vous ne faites jamais, des choses qui vous rendent malade. Papa ne voulait pas nous faire de mal. Il nous aimait. Et finalement, il nous l’a prouvé, non ? Il n’y avait qu’une seule façon de nous sauver de ce monstre, et il savait exactement comment faire. Il a renoncé à tout pour nous. C’est un héros. Vraiment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire