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Titre : Le gardien de Téhéran
Auteur : Stéphanie PEREZ
Parution : 2023 (Plon)
Pages : 240
Présentation de l'éditeur :
L'histoire du gardien du musée de Téhéran, un
homme seul face à la menace des religieux fanatiques qui a réussi à
sauver 300 chefs d’œuvre d'art moderne, le trésor de l'Impératrice des
arts.
Un mot sur l'auteur :
Née en 1973, Stéphanie Perez est grand reporter pour France Télévisions depuis plus de vingt-cinq ans. Elle s'est rendue plusieurs fois en Iran et a
couvert plusieurs conflits, comme la guerre en Irak et en Syrie, ou
récemment en Ukraine. Le gardien de Téhéran est son premier roman.
Avis :
Deux ans avant la chute du Shah d’Iran et à l’instigation de l’impératrice Farah Pahlavi soucieuse de promouvoir les relations culturelles de son pays avec l'étranger, est inauguré à Téhéran un musée abritant la plus vaste collection d’art moderne et contemporain jamais rassemblée en dehors de l’Occident. Monet, Toulouse-Lautrec, van Gogh, Derain, Picasso, Dali, Rothko, Pollock, Vasarely, Warhol... : la fortune inouïe des Pahlavi a permis de réunir un trésor artistique inestimable, qu’en 1979, la Révolution iranienne et l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny menacent directement. Alors que la rigueur islamiste s’abat sur le pays, que vont devenir ces œuvres, jugées choquantes et décadentes par le nouveau régime qui vomit l’Occident ?Seul à n’avoir pas fui, un jeune et modeste employé du musée, qui, avant d’en devenir le factotum, n’avait jamais eu le moindre contact avec l’art, endosse la lourde et dangereuse responsabilité de leur sauvegarde. A force de ruses, il parvient à détourner l’attention des religieux fanatiques et à maintenir les tableaux dans l’oubli des sous-sols de l’institution, qui, désormais aux mains d’un comité révolutionnaire, n’expose plus que des œuvres de propagande glorifiant les martyrs du soulèvement. Il faut attendre 2017 et l’approche d’élections présidentielles en Iran, pour qu’une partie de la collection – intacte, grâce à son ange-gardien improvisé, si ce n’est le portrait, irrémédiablement lacéré, de l’impératrice par Andy Wharol – commence à retrouver le grand jour et les cimaises du musée.
Grand reporter à l’international et spécialiste des conflits du Moyen-Orient, Stéphanie Perez connaît bien l’Iran. Les difficultés posées par la réalisation d’un reportage sur cette histoire vraie l’ont poussée à la travestir en roman et à faire apparaître le véritable gardien du musée iranien sous les traits d’un personnage de reconstitution. Marqué par une patte néanmoins très journalistique dont on pourra regretter l’écriture et la trame narrative malgré tout assez plates, le récit suit scrupuleusement le déroulé historique des faits pour en dresser un tableau d’une parfaite clarté.
De la montée de la rage populaire – quand, entre misère et terreur redoutablement entretenue par la police politique, les Iraniens observent le luxe tapageur dans lequel baigne le pouvoir et se scandalisent de réformes déconcertantes menant brusquement le pays vers une modernité à l’occidentale – à l’espoir de changement porté par les représentants d’une certaine tradition religieuse, puis aux désillusions d’une nouvelle dictature encore plus violente que la précédente, l’on vit avec les personnages la fatalité d’une privation de libertés qui trouve ici son acmé symbolique dans le sort incertain d’un patrimoine artistique d’une valeur inestimable pour l’humanité tout entière, mais aussi dans la résistance humblement héroïque d’un homme ordinaire jeté au coeur de la mêlée, frappant écho à l’actualité insurrectionnelle iranienne.
Récit de l’incroyable destin d’un héros ordinaire, ce premier roman retrace quarante ans d’une histoire iranienne dont s’écrit peut-être, aujourd’hui, un nouveau chapitre décisif. Au coeur des enjeux de pouvoir et des combats pour la liberté, deux symboles cristallisent toujours les tensions autour de l’obscurantisme : les œuvres d’art et les femmes. Si les trésors du musée de Téhéran ont commencé à retrouver la lumière, les Iraniennes tentent toujours de se débarrasser du voile que leurs grands-mères avaient d’abord revêtus en signe de dissidence et de défiance au régime de leur époque. (3,5/5)
Citations :
Ali est, comme leurs voisins de l’immeuble, commerçant au grand bazar de Téhéran. Dans les allées animées et bruyantes, au milieu des effluves d’aromates et de cuir, il vend des vêtements pour hommes, sans compter ses heures, toujours levé aux aurores pour aller chercher ses stocks, toujours le dernier à fermer son échoppe. Une vie consacrée au labeur. Ces temps-ci, les brusques changements sociaux et la modernité tapageuse artificiellement imposés par les Pahlavi le déconcertent de plus en plus. Comme des milliers d’Iraniens, il se méfie de cette occidentalisation hâtive. Épris d’ordre, jusqu’à présent toujours respectueux de l’autorité, il a, comme Azadeh, du mal à dissimuler sa rage grandissante contre ces privilégiés qui, lorsqu’ils ne se noient pas dans une débauche indécente, se protègent derrière un régime qui abuse de son pouvoir et muselle son peuple miséreux. Lui qui n’était pas particulièrement religieux, s’est laissé pousser la barbe, ne lâche plus son Coran et ne manque plus une prière. Il se rend désormais à la mosquée tous les soirs, alors qu’il n’y avait pas mis les pieds depuis dix ans. Ali se met à rêver de révolution, et il n’est pas le seul.
Pendant deux jours, Cyrus reste cloîtré là, aux côtés de son patron. Les deux hommes plongent les toiles dans une nuit contrainte. Pourvu qu’elle ne soit pas une éternité ! Dans la réserve, les tableaux condamnés à l’invisibilité sont soigneusement accrochés sur des rails métalliques, alignés sur ces cadres grillagés comme les barreaux d’une prison. Cyrus les imagine faire connaissance avec leurs voisins de cellule, s’entrechoquer, à travers les époques et les styles. Dans la pénombre du sous-sol, l’espace-temps est bouleversé. La sensuelle Gabrielle de Renoir, égérie du XIXe siècle, ira-t-elle parler d’amour au couple homosexuel de Bacon qui s’est aimé au XXe ? Quels secrets peuvent-ils bien partager ? Il aime voir les tableaux esseulés se confronter dans un étrange ballet de couleurs et de mouvements, s’apprivoiser, se mélanger et dialoguer pour survivre à cet exil forcé.
— Tu as décidé de porter le hijab ?
— Ah, ça ? C’est juste pour leur montrer qu’on ne veut plus de leur modèle américain ! On est contre la société de consommation ! On est Iraniens, il faut respecter nos racines !
— Mais… tu ne fais pas tes prières, tu ne vas jamais à la mosquée. Tu crois vraiment que le Coran peut organiser la société ? Tu peux manifester sans te voiler, non ?
— Cela n’a rien à voir, Cyrus ! Ce n’est pas un signe religieux ! On montre notre opposition de cette manière, c’est un moyen de reconnaissance. Cette révolution n’est pas religieuse ! Je porte un foulard comme les femmes du reste du pays, nous sommes toutes unies contre le chah !
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