mercredi 15 novembre 2023

[Seethaler, Robert] Le café sans nom

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le café sans nom
           (Das Café ohne Namen)

Auteur : Robert SEETHALER

Traduction : Élisabeth LANDES
                       et Herbert WOLF

Parution :  2023 en allemand (Autriche)
                   et en français
                   (Sabine Wespieser)

Pages : 248

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Chaque matin, en allant au marché des Carmélites où il travaille comme journalier, dans un faubourg populaire de Vienne, Robert Simon scrute l’intérieur du café poussiéreux dont il rêve de reprendre la gérance. Encouragé par l’effervescence qui s’est emparée de la ville, en pleine reconstruction vingt ans après la chute du nazisme, il décide, la trentaine venue, de se lancer dans une nouvelle vie. Comme le lui dit sa logeuse, une veuve de guerre : « il faut toujours que l’espoir l’emporte un peu sur le souci. Le contraire serait vraiment idiot, non ? ».

En cette fin d’été 1966, c’est avec un sentiment d’exaltation qu’il remet à neuf le lieu qui va devenir le sien. Homme modeste, de peu de mots, il trouverait prétentieux de lui donner son propre patronyme : ce sera donc le « Café sans nom », où va bientôt se retrouver un petit monde d’habitués. Le succès est tel que Robert ne tarde pas à proposer à Mila, une jeune couturière juste licenciée par son usine, de venir le seconder.

En quelques traits, en quelques images saisissantes, l’écrivain rend terriblement attachantes les figures du quotidien qui viennent, le temps d’un café, d’une bière ou d’un punch, partager leurs espoirs ou leurs vieilles blessures. Et si, au fil des saisons et des années, des histoires d’amour se nouent, bagarres et drames ne sont jamais loin, battant le pouls de la ville.

Robert Seethaler puise en effet l’inspiration de son nouveau et magnifique roman dans l’endroit qui l’a vu naître : ses descriptions de Vienne émergeant des décombres, à l’ombre tutélaire de la Grande Roue du Prater, confèrent aux personnages du Café sans nom, et notamment à celui qui en est l’âme, une tendresse et une saveur bien particulières.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né en 1966 à Vienne, Robert Seethaler est également acteur et scénariste. Il vit à Berlin.
Le Tabac Tresniek (2014), Une vie entière (2015), Le Champ (2020) et Le Dernier Mouvement (2022), tous parus chez Sabine Wespieser éditeur, l’ont imposé en France comme l’un des écrivains de langue allemande les plus importants de sa génération. Son œuvre est traduite dans le monde entier, et il jouit en Allemagne et en Autriche, où certains de ses livres ont atteint des ventes de plus d’un million d’exemplaires, d’une formidable notoriété.
Das Café ohne Namen (Le Café sans nom) paraît à Berlin, chez Claassen (Ullstein), en avril et en France, chez Sabine Wespieser éditeur, en septembre 2023.

 

 

Avis : 

Robert Seethaler aime les gens ordinaires, ces ombres de tous les jours qui ne laisseront ni  traces ni souvenirs mais qui n’en sont pas moins la chair et l’âme de leur époque. Déjà, son roman Le champ se faisait l’écho de la rumeur de leur vie en laissant les morts d’un petit cimetière raconter leurs existences oubliées et raviver un temps le souffle d’un passé éteint. Cette fois, il convoque les modestes habitués qui, en 1966 – l’année de sa naissance –, fréquentaient un petit bistrot de quartier, à Vienne, sa ville natale, pour évoquer en transparence les prémices d’un temps nouveau hésitant à fleurir sur les ruines encore visibles de la guerre et sur le souvenir d’un glorieux passé impérial.

Journalier au marché des Carmélites, un faubourg populaire proche du Prater et de son emblématique Grande Roue, le trentenaire Robert Simon réalise un vieux rêve en reprenant la gérance d’un vieux café abandonné. L’établissement qui, récuré à l’huile de coude, a fait peau neuve sans que le nouveau maître des lieux ne trouve à le baptiser – « Tout compte fait, le Danube existait avant que quelqu’un l’appelle Danube. Alors, ton café restera sans nom et c’est très bien comme ça », déclare tranquillement un ami boucher –, devient bientôt le point de ralliement du quartier, un havre où il fait bon s’attarder pour bavarder ou simplement se taire, boire un verre, et surtout partager un peu de chaleur humaine.

Croquant en quelques traits saillants les silhouettes attablées, restituant le bourdon sonore de leurs menus propos, c’est une peinture du rien et de l’ordinaire qui, par mille détails choisis, restitue peu à peu l’atmosphère et la trame, sans grand rêve et souvent pleine d’accrocs, de la vie des petites gens de ce quartier. Une vie insignifiante qui ne pèse pas lourd mais les écrase parfois, ne leur laissant plus guère que leur dignité fière et leur indéfectible magnanimité les uns envers les autres. Mais, îlot assiégé par la transformation de la ville – « Les temps présents n’étaient qu’une tumeur qui proliférait sur le terreau d’un passé pourri, dévoyé, et finirait forcément par attaquer l’avenir et mener à la perte irrémédiable de tout ce qui rendait la vie encore un peu supportable. » –, le café sans nom ne pourra empêcher bien longtemps la vie de quartier de s’éteindre. Avec lui disparaîtra un de ces « dernier[s] endroit[s] auquel se raccrocher », où l’« on peut parler quand on en a besoin et se taire quand on en a envie ».

« Maintenant vous allez peut-être vous dire : ils n’ont qu’à aller ailleurs, ces pauvres bougres, le changement ça fait mal, rien n’est éternel, etc. Et bien sûr vous avez raison. Mais je connais des gens pour qui le bout de la rue, c’est déjà trop loin. Ceux-là, ce n’est pas le changement qui leur fait mal, mais tout le corps, parce qu’ils passent leur journée à crapahuter sur un chantier ou à se courber devant une machine, ou simplement parce qu’ils sont trop vieux ou trop abîmés ou les deux à la fois. »

De sa plume aisément reconnaissable, l’écrivain autrichien signe un nouveau roman tout en retenue et douce mélancolie, une ode d’une extrême humanité à la Vienne des années soixante. (4/5)

 

 

Citations :

Les gens qui ont des choses à dire, généralement ils ne parlent pas. 

Ils n’avaient pas eu d’enfants et jamais parlé d’amour, leur vie commune avait pris une certaine forme d’évidence qui leur suffisait. Elle s’était d’autant plus étonnée de l’allégresse avec laquelle il était parti à la guerre. Il rayonnait littéralement le jour de son départ, disait-elle. Et pour la première fois, l’idée l’avait effleurée que les hommes se languissaient leur vie durant d’être ailleurs que dans les bras d’une épouse ou derrière un guichet de l’administration des postes et des télégrammes.
Quand, un an et demi plus tard, lui parvint une lettre qui parlait d’accomplissement du devoir de soldat et de sincères condoléances, elle n’éprouva pas de chagrin, tout au plus une sorte d’amer ressentiment à l’encontre de cette guerre qui lui avait surtout pris l’illusion d’une vie réussie.

Les temps présents n’étaient qu’une tumeur qui proliférait sur le terreau d’un passé pourri, dévoyé, et finirait forcément par attaquer l’avenir et mener à la perte irrémédiable de tout ce qui rendait la vie encore un peu supportable.

 

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