J'ai beaucoup aimé
Titre : Cinq jours de bonté
Auteur : Michel LAMBERT
Parution : 2023 (Le beau jardin)
Pages : 252
Présentation de l'éditeur :
« J’étais le veilleur. Celui qui
veillait, ou était censé veiller, sur Raya. Pendant cinq jours. Pas un
de plus. Il fallait rentrer à l’heure dite à la clinique. Aucun retard,
quelle qu’en soit l’excuse, ne serait toléré. »
Un couple séparé par la maladie dispose de cinq jours pour se retrouver. Parenthèse enchantée ou retour cruel à la réalité ? Pour cette première sortie
depuis tellement longtemps, il emmène Raya à Ostende. Goûter au vent de
la mer et de la liberté. Il va y en avoir, des choses à rattraper.
Retrouver la parole. La proximité. L’intimité. Il faudra aussi lui apprendre toutes les nouvelles survenues depuis
son hospitalisation. Les bonnes et les mauvaises. Les renoncements, les
pertes, les trahisons.Comment tout faire tenir en cinq jours ? Comment, sans violence,
offrir à cette femme encore si faible en apparence à la fois le rire et
les larmes, la douceur et la vérité ?
Michel Lambert dépeint avec une grande délicatesse les rapports ambigus de la bonté et de la cruauté.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Michel Lambert est un écrivain belge, né à Oischa en République démocratique du Congo. Il vit dans la région de Bruxelles. Plusieurs de ses livres
ont obtenu des prix en France et en Belgique, entre autres le prix
Rossel, le prix de la nouvelle de l’Académie royale de Belgique, le prix
triennal du roman de la Communauté française de Belgique et le Grand
Prix de la nouvelle de la Société des Gens de lettres. Ses deux derniers
ouvrages ont figuré dans la sélection de printemps du prix Renaudot.
Avis :
« Il faudra être vigilant » a averti le médecin. Alors, c’est avec la sensation de « bombes invisibles » les attendant « à chaque coin de rue, à chaque coin de pensée », ne sachant trop à quoi s’attendre sinon à n’avoir « plus droit à l’erreur », que le narrateur Thomas Noble emmène son épouse pour sa première autorisation de sortie depuis son hospitalisation en établissement psychiatrique. Plutôt que leur domicile bruxellois, où l’on devine que c’est là qu’eut lieu l’ultime crise, violente, probablement dépressive, qui fit exploser leur vie, l’homme a choisi de passer ces cinq jours de retrouvailles à Ostende, où doivent précisément se dérouler le Carnaval et le Bal du Rat Mort, une trêve symboliquement placée sous les auspices de la fraternité et de la bonté.
Mais, en fait d’exorciser leur malaise, le climat ambiant d’insouciance joyeuse de la ville balnéaire ne soulignera-t-il pas plus cruellement encore le tragique de leur situation ? Alors que l’un et l’autre s’évertuent tant bien que mal à se montrer naturels et enjoués dans leur rôle, l’angoisse les étreint et les paralyse, lui d’ailleurs plus encore qui devrait pourtant s’avérer le plus solide des deux. Il s’agit chez lui d’un sentiment diffus et d’autant plus pernicieux, mêlant à des bouffées de « frayeur subite et sans fondement » une sensation d’impuissance honteuse et coupable. Coupable des mauvaises nouvelles - la perte de son travail, la mort d’un ami, ses errances et trahisons amoureuses - que, dans sa fragilité à elle, il ne se sent pas de lui annoncer, mais que, dans sa maladresse à lui mentir, alors qu’à fleur de peau elle devine et pressent tout, il finit par lâcher un peu à tort et à travers. Coupable, peut-être, comme dans le cas de cet ami en réalité suicidé, de quelque responsabilité – que n’a-t-il dit, fait ou pas fait, manqué ou provoqué, qui ait pu contribuer au désespoir de deux de ses proches ? Coupable enfin de sa honte et de ses difficultés face à cette maladie, de sa peur alors que sa femme et sa vie lui échappent désormais, de son malaise en société quand il faut assumer le regard d’autrui.
En réalité, la maladie psychiatrique de son épouse a transformé la vie du narrateur en champ de mines. Tout est devenu imprévisiblement dangereux et explosif, et tandis que le monde poursuit sa course – « cette vie qui éclatait partout » –, lui se sent à ce point dépossédé qu’il pense à qui il était avant comme à un autre, « cet homme qui lui ressemblait ». Déstabilisé et incertain, voulant bien faire mais ne sachant s’y prendre, il en vient à paraître encore plus déséquilibré que sa moitié, pour sa part sagement résignée à son protocole médical et réussissant aussi dignement que bravement à faire face à toutes les embûches de ces cinq jours. Et finalement, c’est grâce à son calme à elle, alors qu’elle se montre souriante et aimante, pressée de parler à son fils envolé outre-Atlantique, rassurée de se sentir utile lorsqu’il lui arrive même de remonter le moral d’un couple d’amis, qu’en dépit des maladresses et des faux-fuyants, cette parenthèse de tous les doutes prend le virage de la tendresse. Ces deux-là s’aiment toujours, et si leur avenir reste pavé d’incertitudes et d’interrogations, au moins ce séjour les aura-t-il rassurés sur ce plan.
Avec un art consommé de la suggestion, Michel Lambert use de mille détails, comme l’état changeant du ciel du nord semblant refléter tout au long de la narration les émotions des personnages, l’ambiance carnavalesque évoquant jeux de masques et faux-semblants, le tableau de couverture mais aussi celui dont le narrateur ne parvient pas à décider s’il veut le garder ou le vendre, ce chapeau qui ne cesse de se perdre ou cette maison rose inaccessible depuis la plage, pour souligner sans les dire la souffrance des personnages, leurs fêlures et leurs ambiguïtés, leur sentiment de perte et d’impuissance, leurs doutes et leurs contradictions. Alors, plongé dans leur vie le seul temps de ce bref intermède, ne pouvant que conjecturer, et leur passé, et leur avenir, sur la base d’indices ouvrant toutes les questions, c’est un peu de leur égarement et de leur vacillement face à cette maladie aux contours impalpables dont le lecteur se sent à son tour envahi.
Un livre qui vous taraude longtemps, entre ambiguïtés de ses personnages, souffrance et désarroi face à la maladie mentale et, au final, persistance des sentiments chez ce couple naufragé. A l’image du tableau d’Edward Hopper figurant en couverture et ouvrant si largement le champ de ses interprétations possibles, de l’isolement, l’anxiété et la solitude, à l’introspection, la respiration et la sérénité, les pages de ce roman ne cesseront de vous suggérer mille lectures et perceptions différentes, aussi changeantes et nuancées que le ciel d’Ostende. (4/5)
Mais, en fait d’exorciser leur malaise, le climat ambiant d’insouciance joyeuse de la ville balnéaire ne soulignera-t-il pas plus cruellement encore le tragique de leur situation ? Alors que l’un et l’autre s’évertuent tant bien que mal à se montrer naturels et enjoués dans leur rôle, l’angoisse les étreint et les paralyse, lui d’ailleurs plus encore qui devrait pourtant s’avérer le plus solide des deux. Il s’agit chez lui d’un sentiment diffus et d’autant plus pernicieux, mêlant à des bouffées de « frayeur subite et sans fondement » une sensation d’impuissance honteuse et coupable. Coupable des mauvaises nouvelles - la perte de son travail, la mort d’un ami, ses errances et trahisons amoureuses - que, dans sa fragilité à elle, il ne se sent pas de lui annoncer, mais que, dans sa maladresse à lui mentir, alors qu’à fleur de peau elle devine et pressent tout, il finit par lâcher un peu à tort et à travers. Coupable, peut-être, comme dans le cas de cet ami en réalité suicidé, de quelque responsabilité – que n’a-t-il dit, fait ou pas fait, manqué ou provoqué, qui ait pu contribuer au désespoir de deux de ses proches ? Coupable enfin de sa honte et de ses difficultés face à cette maladie, de sa peur alors que sa femme et sa vie lui échappent désormais, de son malaise en société quand il faut assumer le regard d’autrui.
En réalité, la maladie psychiatrique de son épouse a transformé la vie du narrateur en champ de mines. Tout est devenu imprévisiblement dangereux et explosif, et tandis que le monde poursuit sa course – « cette vie qui éclatait partout » –, lui se sent à ce point dépossédé qu’il pense à qui il était avant comme à un autre, « cet homme qui lui ressemblait ». Déstabilisé et incertain, voulant bien faire mais ne sachant s’y prendre, il en vient à paraître encore plus déséquilibré que sa moitié, pour sa part sagement résignée à son protocole médical et réussissant aussi dignement que bravement à faire face à toutes les embûches de ces cinq jours. Et finalement, c’est grâce à son calme à elle, alors qu’elle se montre souriante et aimante, pressée de parler à son fils envolé outre-Atlantique, rassurée de se sentir utile lorsqu’il lui arrive même de remonter le moral d’un couple d’amis, qu’en dépit des maladresses et des faux-fuyants, cette parenthèse de tous les doutes prend le virage de la tendresse. Ces deux-là s’aiment toujours, et si leur avenir reste pavé d’incertitudes et d’interrogations, au moins ce séjour les aura-t-il rassurés sur ce plan.
Avec un art consommé de la suggestion, Michel Lambert use de mille détails, comme l’état changeant du ciel du nord semblant refléter tout au long de la narration les émotions des personnages, l’ambiance carnavalesque évoquant jeux de masques et faux-semblants, le tableau de couverture mais aussi celui dont le narrateur ne parvient pas à décider s’il veut le garder ou le vendre, ce chapeau qui ne cesse de se perdre ou cette maison rose inaccessible depuis la plage, pour souligner sans les dire la souffrance des personnages, leurs fêlures et leurs ambiguïtés, leur sentiment de perte et d’impuissance, leurs doutes et leurs contradictions. Alors, plongé dans leur vie le seul temps de ce bref intermède, ne pouvant que conjecturer, et leur passé, et leur avenir, sur la base d’indices ouvrant toutes les questions, c’est un peu de leur égarement et de leur vacillement face à cette maladie aux contours impalpables dont le lecteur se sent à son tour envahi.
Un livre qui vous taraude longtemps, entre ambiguïtés de ses personnages, souffrance et désarroi face à la maladie mentale et, au final, persistance des sentiments chez ce couple naufragé. A l’image du tableau d’Edward Hopper figurant en couverture et ouvrant si largement le champ de ses interprétations possibles, de l’isolement, l’anxiété et la solitude, à l’introspection, la respiration et la sérénité, les pages de ce roman ne cesseront de vous suggérer mille lectures et perceptions différentes, aussi changeantes et nuancées que le ciel d’Ostende. (4/5)
Citations :
Je l’ai regardée s’approcher de moi, raide et mécanique, traînant sa valise à roulettes tel un automate aveugle et sourd, et je me suis demandé si son cœur aussi cassait la baraque ou si la camisole des médicaments l’avait transformée en un robot programmé à revenir ici même, dans ce lieu de relégation, cinq jours plus tard, à l’heure dite, l’esprit toujours sage, dressé une fois pour toutes à ne plus penser. À ne plus se souvenir. À ne plus souffrir.
J’avais l’impression d’être un figurant dans un film muet, car aucun bruit ne me parvenait distinctement tant je m’étais claquemuré à double-tour dans mes pensées. Peu à peu la rumeur des voitures, le glissement métallique d’un tram sur ses rails, sans compter le roulement de la valise que je traînais, entrecoupé de brefs hoquets entre deux pavés, m’ont fait prendre conscience que nous n’étions plus dans le couloir de la mort, mais dans celui de la vie.
C’est vrai que nous avions fait beaucoup de choses plus vite que tous les autres. Mariés en deux mois, un enfant sept mois après, l’appartement qui, l’année suivante, nous était tombé de la cassette de son père, et un an plus tard, la société de fret maritime créée à trois, Jean-Paul, Brice et moi. Sans compter la résidence secondaire.
J’avais l’impression d’être un figurant dans un film muet, car aucun bruit ne me parvenait distinctement tant je m’étais claquemuré à double-tour dans mes pensées. Peu à peu la rumeur des voitures, le glissement métallique d’un tram sur ses rails, sans compter le roulement de la valise que je traînais, entrecoupé de brefs hoquets entre deux pavés, m’ont fait prendre conscience que nous n’étions plus dans le couloir de la mort, mais dans celui de la vie.
C’est vrai que nous avions fait beaucoup de choses plus vite que tous les autres. Mariés en deux mois, un enfant sept mois après, l’appartement qui, l’année suivante, nous était tombé de la cassette de son père, et un an plus tard, la société de fret maritime créée à trois, Jean-Paul, Brice et moi. Sans compter la résidence secondaire.
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