mardi 10 mai 2022

[Malzieu, Mathias] Le guerrier de porcelaine

 



 

Coup de coeur 💓💓

 

Titre : Le guerrier de porcelaine

Auteur : Mathias MALZIEU

Parution : 2022 (Albin Michel)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

En juin 1944, le père de Mathias, le petit Mainou, neuf ans, vient de perdre sa mère, morte en couches. On décide de l’envoyer, caché dans une charrette à foin, par-delà la ligne de démarcation, chez sa grand-mère qui a une ferme en Lorraine. Ce sont ces derniers mois de guerre, vus à hauteur d’enfant, que fait revivre Mathias Malzieu, mêlant sa voix à celle de son père. Mainou va rencontrer cette famille qu’il ne connaît pas encore, découvrir avec l’oncle Emile le pouvoir de l’imagination, trouver la force de faire son deuil et de survivre dans une France occupée.

Il aura fallu plus de six ans à Mathias Malzieu pour écrire ce Guerrier de porcelaine, son roman le plus intime, où, alliant humour et poésie, il retrace l’enfance de son père et s’interroge sur les liens puissants de la filiation.

 

 

Un mot sur l'auteur :  

Mathias Malzieu entame sa carrière d’homme poétique en 1993 en fondant le groupe de rock Dionysos. Peu enclin à choisir entre sa vocation de chanteur et d’auteur, il développe depuis lors un univers sous forme de livres, de disques et de films. Il connaît un immense succès populaire en 2007 avec La Mécanique du cœur, traduit dans plus de vingt pays et adapté au cinéma ; son bouleversant récit autobiographique, Journal d’un vampire en pyjama (2016), a reçu le Prix Essai France Télévisions et le Grand Prix des Lectrices de Elle, et son dernier roman, Une Sirène à Paris (2020), s’est accompagné d’un disque et d’un film éponyme réalisé par Mathias Malzieu avec Nicolas Duvauchelle et Marilyn Lima.

 

 

Avis :

Alors qu’il était hospitalisé pour une greffe de moelle osseuse et qu’il se battait pour sa vie, l’auteur demandait pour la première fois à son père de lui raconter les détails de son enfance. Six ans plus tard, il publie l’histoire du petit Mainou, qui, en 1944, sa mère venant de mourir en couches, est envoyé par son père chez sa grand-mère en Lorraine, de l’autre côté de la ligne de démarcation. Il y vit la dernière année de guerre, caché à la ferme familiale, sous la protection de l’aïeule, de l’oncle Emile et de la tante Louise, qu’il ne connaissait pas auparavant.

Humour, tendresse et poésie : Mathias Malzieu a trouvé l’exacte justesse de ton pour nous faire vivre à hauteur d’enfant le séisme qui anéantit l’existence d’un garçonnet au décès brutal de sa mère et à son exil clandestin chez des inconnus, sa sidération face à ce qu’il percevra des réalités de l’Occupation, et sa courageuse résilience au contact de très braves gens qui compteront désormais énormément pour lui. Le danger est de tous les instants, pendant le trajet puis au quotidien, le contraignant à vivre confiné à la ferme dont il connaît bientôt tous les recoins, à commencer par la cave où tous se serrent pendant les bombardements, mais pas encore le grenier qui semble abriter un mystérieux fantôme. Les adultes s’y laissent percevoir au travers de son regard et de ses raisonnements d’enfant, et c’est à la lumière de ses chagrins et de ses angoisses, de sa curiosité et de ses étonnements, que l’on s’attache avec lui à chacun de ces si humains personnages. Si tous acquièrent une authenticité et une présence remarquables, l’on éprouvera une affection toute particulière pour l’oncle Emile et son imagination poétique, à l’origine de quelques reparties et considérations savoureuses. Sans oublier, bien sûr, le cigogneau Marlene Dietrich…

Davantage encore que l’habileté de l’auteur à recréer des personnages impressionnants de vie et d’humanité, c’est son écriture à fleur d’émotions qui marque sans doute le plus durablement le lecteur. Délicieusement inventive et imagée, elle nous fait traverser la tragédie sur un nuage de légèreté aussi naïve que sincère, aussi pleine de bon sens que de fantaisie merveilleuse, aussi drôle que touchante. Et l’on ressort conquis de ce voyage de Mathias Malzieu dans l’enfance de son père, à qui il adresse ici le plus beau message d’amour filial qui soit. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

– En réalité… ce bombardement est un bon médicament pour lutter contre les nazis. C’est un traitement difficile à supporter, mais il faut être patient. Ça va marcher, dit Grand-mère, le chignon haut en bataille.  
En moi la colère bout. Les questions cuisent et me brûlent.
– Comment ça ?
– Les bombes que l’on reçoit sur la tête sont celles de nos Alliés, explique l’Émile. Les Britanniques attaquent les Allemands pour les chasser au-delà du Rhin. Comme nous sommes désormais chez eux, c’est comme si nous étions nous-mêmes des Allemands. Sans les avantages, avec seulement les inconvénients… C’est un « traitement difficile à supporter » comme dit ta grand-mère, mais ça nous permettra peut-être de guérir la région de l’infection nazie. 
 

Parfois, j’ai droit à un concerto pour ronflements de la tante Louise. Elle ronfle comme elle psalmodie. On se croirait à la messe, mais avec des ours.  
La journée, c’est la messe mais sans les ours. Je ne voudrais pas me moquer mais des fois, quand elle se met à fermer les yeux pour parler à Dieu, j’ai la connerie qui monte.  
– C’est sa façon à elle de s’échapper, m’a dit l’Émile. La Bible, c’est l’autoroute de l’imagination, livrée avec notice d’utilisation. Ce qui est mal, ce qui est bien, ce qu’il faut faire, ne pas faire. Je trouve ça d’un ennui mais bon… Louise doit avoir une des dernières bibles de la région. Même ce livre-là est interdit. Personnellement, je ne crois pas que ses prières nous feront gagner la guerre, mais si ça la réconforte, pourquoi pas !  
– Donc tante Louise est une résistante ?
– Hum… pas vraiment, non. Enfin, à sa façon, si. Continuer à être soi-même, quel que soit le soi-même, est un acte de résistance, en zone occupée. Jeanne te l’a expliqué, nous sommes ici en territoire ennemi. Ça me fait mal de le dire, mais la Lorraine désormais, c’est l’Allemagne nazie. 
 

– Il faut que tu trouves le bon dosage d’imagination ! dit l’Émile (...). Si tu inventes trop, tu risques de perdre le contact avec la réalité !  
– Vu la gueule de la réalité, c’est pas forcément un problème…
– Si ! Justement ! Ton imagination doit te servir à la transformer, à la rendre meilleure, pas à la quitter. C’est comme le dosage d’une grenadine, tu vois.  
– Oui oui ! j’ai dit.
« Non non ! » j’ai pensé.
– L’eau c’est la réalité, le sirop c’est ton imagination. Si tu mets trop de grenadine, ça devient imbuvable. Si tu n’en mets pas assez, ça manque de saveur. Ça se voit à la couleur, tu dois apprendre à le sentir. 
 

Parfois ton souvenir se décolore comme le font les photos avec le temps. Alors je t’écris, ça ralentit le processus de disparition. Tremper la plume dans l’encrier me donne l’impression d’être un capitaine de chalutier. Je rapetisse et embarque en moi-même. La cabine de pilotage se situe à l’intérieur du cœur. Ça fait un boucan émotionnel de tous les diables, mais je me retrouve. Je te retrouve. Enfin. J’imagine, je remonte le temps des souvenirs. Ils sont tellement usés qu’il m’arrive d’en inventer de nouveaux.  
Parfois je n’écris rien. Je dessine des dinosaures et j’invente des constellations. Parfois j’écris tout. Le fond de mon cœur. Tu es toujours morte. Je ne m’y ferai sans doute pas avant que je sois mort à mon tour. En attendant, je crois que je voudrais écrire un livre. C’est doux d’écrire un livre. On peut toujours tout recommencer. 
 
 
– Ton oncle est un rêveur. Mais il oublie que quand on rêve trop grand, on passe sa vie à être déçu de la réalité.
– Ta tante est une rêveuse. Mais elle oublie que quand on ne rêve pas ses propres rêves, on s’emmerde. 


Je me suis mis à préférer les souvenirs que je m’invente. Certains d’entre eux se passent dans le futur. J’imagine que mon cœur est une machine à voyager dans le temps. J’ai passé tellement longtemps enfermé dans la cave et dans ta chambre que j’ai appris à m’échapper par l’esprit. À force de t’écrire, j’ai construit tout un monde où je te retrouve.  
Je ne suis pas devenu un fada qui croit à ce qu’il ne voit pas, ne t’inquiète pas. C’est une forme de magie plus artisanale, comme faire pousser des trucs dans le jardin. Le jardin, c’est moi. L’eau, c’est l’Émile. L’engrais, c’était Sylvia. Je me sers de l’odeur de ta lessive, disons du souvenir de l’odeur de ta lessive car le parfum a définitivement disparu de tes habits. Je respire le flacon laissé par Sylvia, avant que ça ne s’évapore complètement. Je prends quelques vrais souvenirs aussi, puis je les agrandis, je leur fais des suites. Je sculpte. Quand j’obtiens un tout nouveau souvenir tout neuf, j’ai l’impression d’avoir voyagé dans le temps.  
Les vrais souvenirs, même les bons, sont des aimants à mélancolie. Alors que mes petites créations me rendent doucement joyeux. C’est artificiel, soluble dans l’air, mais je m’en vaporise l’esprit souvent. J’arrose ce cœur tout sec, j’huile ses engrenages. 

 

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