samedi 14 mai 2022

[Pagan, Hugues] Le carré des indigents

 



 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le carré des indigents

Auteur : Hugues PAGAN

Parution : 2022 (Rivages)

Pages : 384

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Dans «Le Carré des indigents, nous retrouvons l’inspecteur principal Claude Schneider, protagoniste récurrent des romans d’Hugues Pagan. Nous sommes dans les années 1970, peu avant la mort de Pompidou et l’accession de Giscard au pouvoir. Schneider est un jeune officier de police judiciaire, il a travaillé à Paris et vient d’être muté dans une ville moyenne de l’est de la France, une ville qu’il connaît bien. Dès sa prise de fonctions, un père éploré vient signaler la disparition de sa fille Betty, une adolescente sérieuse et sans histoires. Elle revenait de la bibliothèque sur son Solex, elle n’est jamais rentrée. Schneider a déjà l’intuition qu’elle est morte. De fait le cadavre de la jeune fille est retrouvé peu après, atrocement mutilé au niveau de la gorge.

 

Un mot sur l'auteur :

Ancien flic, Hugues Pagan est aujourd'hui écrivain et scénariste. Il a été élevé au rang de Chevalier des arts et des lettres en 1998.


 

Avis :

Hugues Pagan était encore flic lui-même lorsqu’il créa Schneider, son personnage récurrent présentant suffisamment de points communs avec lui pour que certains y voient, au moins en partie, une sorte de lointain alter ego. Ce nouvel opus nous ramène en 1973, quand, « après un passage par l’armée et la guerre d’Algérie dont il ne s’est pas remis », l’inspecteur principal Schneider choisit de revenir s’enterrer dans sa petite ville de province, plutôt que de faire carrière à Paris. Là, entre certains policiers aux pratiques plus que borderline héritées de leur expérience sous l’Occupation ou pendant la guerre d’Algérie, et une population modestement industrieuse qui subit en silence les crimes dont les autorités se soucient davantage pour des raisons politiques et carriéristes que par réel souci de justice, il tente d’accomplir imperturbablement ses missions.

Elles ne sont à vrai dire en rien spectaculaires et s’enchaînent tristement, au rythme des faits divers marquant le morne quotidien de cette France invisible qui joint laborieusement les deux bouts. Ainsi, Betty, une adolescente de quinze ans dont le projet de devenir institutrice faisait toute la fierté d’un père usé par une vie de labeur ouvrier comme tant de générations avant lui, a disparu entre son domicile et la bibliothèque dont elle revenait en solex. Son corps sans vie ne tarde pas à être retrouvé. Commence, pour l’équipe de Schneider, un méthodique travail de fourmi, destiné à mettre au jour les pitoyables circonstances qui ont abouti à l’effacement de cette pauvre vie et au désespoir d’un père voué au malheur. En même temps qu’il s’efforce de faire toute la lumière sur cette affaire, avant que, vite oubliée, elle ne cède la place à la suivante pour non plus guère que quelques lignes dans les journaux, Schneider, le flic taciturne et intègre, se retrouve aux premières loges d’une réalité sociale qu’il observe sans illusion, avec autant de tristesse que de colère rentrée.

C’est précisément cet aspect de la narration qui la rend si particulière et remarquable. Peu importent ici suspense et péripéties. L’essentiel est dans l’atmosphère et le rendu désenchanté d’un quotidien insignifiant où l’on meurt invisible. Et si le rythme, lent et lancinant, finit par envoûter, c’est aussi parce que l’inimitable rugosité de l’écriture d’Hugues Pagan donne à sa narration d’indubitables accents de vérité, et que le réalisme de son texte finit par vous pénétrer et vous habiter durablement.

Ce roman noir et social cultive, jusque dans son style, une authenticité sans concession qui en fait un coup de gueule en même temps qu’un hommage aux anonymes de la France d’en bas. Un très bon cru. (4,5/5)

 

Citations : 

Il y a une grande différence entre vous et moi, Manière. Je n’attends rien de personne. Je ne tiens dans la main de personne. Je n’ai à plaire ou à déplaire à personne. Je ne fais pas une carrière. Je fais un métier. Aussi bien, je pourrais en faire un autre. Je n’ai pas l’intention de calmer le jeu, parce que je ne joue pas.

Schneider en conclut qu’il était capable de haine. En tant qu’homme, il le déplorait plus ou moins, la haine n’étant souvent que la traduction agressive et brouillonne d’une terrible souffrance intérieure. En tant que chef d’unité, il se reprochait de ne l’avoir jamais détecté auparavant.

Ainsi, nos vies sont-elles comme un long sommeil éveillé, où les rêves seuls tiennent lieu de mémoire.


 

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