J'ai beaucoup aimé
Titre : Nous avons toujours vécu au château
(We Have Always Lived in the Castle)
Auteur : Shirley JACKSON
Traduction : Jean-Paul GRATIAS
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 1962,
en français à partir de 1971
(Payot & Rivages en 2012)
Pages : 240
Présentation de l'éditeur :
Je m’appelle Mary Katherine Blackwood. J’ai dix-huit ans, et je vis avec
ma sœur, Constance. J’ai souvent pensé qu’avec un peu de chance,
j’aurais pu naître loup-garou, car à ma main droite comme à la gauche,
l’index est aussi long que le majeur, mais j’ai dû me contenter de ce
que j’avais. Je n’aime pas me laver, je n’aime pas les chiens, et je
n’aime pas le bruit. J’aime bien ma sœur Constance, et Richard
Plantagenêt, et l’amanite phalloïde, le champignon qu’on appelle le
calice de la mort. Tous les autres membres de ma famille sont décédés.
Ainsi commence le chef-d’œuvre de la romancière Shirley Jackson
(1915-1965), également auteur de la célèbre nouvelle La loterie et du
roman La maison hantée, porté à l’écran par Robert Wise (La maison du
diable).
Nouvelle traduction intégrale.
Nouvelle traduction intégrale.
Un mot sur l'auteur :
Shirley Jackson (1916-65) est une romancière américaine connue pour ses récits fantastiques et d'horreur. Son livre Maison hantée est considéré par Stephen King comme l'un des meilleurs romans fantastiques du XXe siècle.Avis :
Affectueusement surnommée « cette petite folle de Merricat » par son aînée Constance, la narratrice Mary Katherine a dix-huit ans, même si, à la lecture de son seul récit, alors qu’elle se complaît à se cacher dans les cabanes qu’elle construit, à enterrer des objets dans le jardin et à jouer avec son chat en rêvant de se réfugier sur la lune, là où personne ne lui imposerait de compagnie indésirable, on la prendrait volontiers pour une enfant. Avec sa sœur bientôt trentenaire et son vieil oncle impotent Julian, elle est l’un des trois derniers occupants de l’imposante maison Blackwood.
Cachée au plus profond de son vaste parc à l’abandon, en surplomb du village où Merricat est la seule à se rendre, avec la plus extrême répugnance, pour les courses hebdomadaires, la demeure semble en vérité se replier sur ses habitants, comme pour les protéger d’un monde extérieur qui ne serait que menace et hostilité. C’est d’abord au travers des sous-entendus perfides des villageois et des moqueries de leurs enfants, puis bientôt par la bouche de ce vieil original d’oncle Julian, aussi obsédé par ce qui s’est passé qu’incrédule d’y avoir survécu, que l’on réalise que les trois Blackwood se remettent à peine d’une énigmatique tragédie, qui, six ans plus tôt, a coûté la vie aux autres membres de la famille. Tous ont péri, mystérieusement empoisonnés. Tous, sauf Julian – très diminué depuis -, et les deux sœurs, dont la rumeur continue sans répit d’incriminer l’aînée.
Une impression d’étrangeté plane sur le récit mené par la déconcertante Merricat. Pour conjurer ce qu’elle perçoit de malfaisance chez les villageois qui la harcèlent, la jeune fille s’invente mille rituels protecteurs et bascule dans des images mentales emplies de haine noire lorsqu’ils sont sans effet. Chez elle, toujours flanquée de son chat, elle ne se départit de ses comportements sauvages et fantasques que pour se perdre en adoration devant la douce Constance. Les deux sœurs vivent dans un troublant état fusionnel, l’une mi-elfe mi-sorcière, l’autre véritable fée du logis permettant au trio de poursuivre son existence comme si de rien n’était, le dos tourné à la réalité. Et, pendant que dans la tête de la plus âgée, le temps semble s’être pétrifié dans une maison figée à l’heure du drame, comme si maintenir chaque objet à sa place pouvait effacer la mort de leurs propriétaires, les velléités protectrices de la cadette vont bientôt prendre une tournure inattendue lorsque surgira un cousin, visiblement tout sauf désintéressé.
Intrigué par un drame passé qu’il lui faut plus ou moins deviner au travers du seul prisme de personnages à la psyché de plus en plus manifestement dérangée, baigné dans une atmosphère d’étrangeté ambiguë laissant planer l’inquiétude, le lecteur se retrouve insensiblement entraîné dans une plongée obsédante au coeur de la névrose et de la paranoïa. Un classique adapté au cinéma à redécouvrir, pour son mystère, mais surtout pour son tableau troublant, notamment parce que vu de l’intérieur, de la maladie mentale. (4/5)
Cachée au plus profond de son vaste parc à l’abandon, en surplomb du village où Merricat est la seule à se rendre, avec la plus extrême répugnance, pour les courses hebdomadaires, la demeure semble en vérité se replier sur ses habitants, comme pour les protéger d’un monde extérieur qui ne serait que menace et hostilité. C’est d’abord au travers des sous-entendus perfides des villageois et des moqueries de leurs enfants, puis bientôt par la bouche de ce vieil original d’oncle Julian, aussi obsédé par ce qui s’est passé qu’incrédule d’y avoir survécu, que l’on réalise que les trois Blackwood se remettent à peine d’une énigmatique tragédie, qui, six ans plus tôt, a coûté la vie aux autres membres de la famille. Tous ont péri, mystérieusement empoisonnés. Tous, sauf Julian – très diminué depuis -, et les deux sœurs, dont la rumeur continue sans répit d’incriminer l’aînée.
Une impression d’étrangeté plane sur le récit mené par la déconcertante Merricat. Pour conjurer ce qu’elle perçoit de malfaisance chez les villageois qui la harcèlent, la jeune fille s’invente mille rituels protecteurs et bascule dans des images mentales emplies de haine noire lorsqu’ils sont sans effet. Chez elle, toujours flanquée de son chat, elle ne se départit de ses comportements sauvages et fantasques que pour se perdre en adoration devant la douce Constance. Les deux sœurs vivent dans un troublant état fusionnel, l’une mi-elfe mi-sorcière, l’autre véritable fée du logis permettant au trio de poursuivre son existence comme si de rien n’était, le dos tourné à la réalité. Et, pendant que dans la tête de la plus âgée, le temps semble s’être pétrifié dans une maison figée à l’heure du drame, comme si maintenir chaque objet à sa place pouvait effacer la mort de leurs propriétaires, les velléités protectrices de la cadette vont bientôt prendre une tournure inattendue lorsque surgira un cousin, visiblement tout sauf désintéressé.
Intrigué par un drame passé qu’il lui faut plus ou moins deviner au travers du seul prisme de personnages à la psyché de plus en plus manifestement dérangée, baigné dans une atmosphère d’étrangeté ambiguë laissant planer l’inquiétude, le lecteur se retrouve insensiblement entraîné dans une plongée obsédante au coeur de la névrose et de la paranoïa. Un classique adapté au cinéma à redécouvrir, pour son mystère, mais surtout pour son tableau troublant, notamment parce que vu de l’intérieur, de la maladie mentale. (4/5)
Citation :
Avant de venir à table, j'avais bien vérifié ce que j'avais l'intention
de dire. "L'amanite phalloïde", commençai-je en m'adressant à lui,
"contient trois poisons différents. D'abord, il y a l'amanitine, le plus
lent des trois mais aussi le plus puissant. Ensuite, la phalloïdine, à
effet immédiat, et enfin la phalline, qui dissout les globules rouges,
même si c'est le moins vénéneux. Les premiers symptômes n'apparaissent
qu'entre sept et douze heures après l'ingestion, dans certains cas pas
avant vingt-quatre heures, voire quarante. Les symptômes commencent par
de violentes douleurs stomacales, des sueurs froides, des
vomissements...
- Ecoute", fit Charles en reposant le morceau de poulet, "tu arrêtes ça tout de suite, tu m'entends ?"
Constance gloussait. "Oh, Merricat", fit-elle, un rire étouffé entrecoupant ses paroles, "quelle petite bécasse tu fais. Je lui ai montré, dit-elle à Charles, qu'il y avait des champignons près du ruisseau et dans les prés, et je lui ai appris à reconnaître ceux qui sont mortels. Oh, Merricat !
- La mort survient entre cinq et dix jours après l'ingestion, dis-je.
- "Je ne trouve pas ça drôle", fit Charles.
"Petite folle de Merricat", dit Constance.
- Ecoute", fit Charles en reposant le morceau de poulet, "tu arrêtes ça tout de suite, tu m'entends ?"
Constance gloussait. "Oh, Merricat", fit-elle, un rire étouffé entrecoupant ses paroles, "quelle petite bécasse tu fais. Je lui ai montré, dit-elle à Charles, qu'il y avait des champignons près du ruisseau et dans les prés, et je lui ai appris à reconnaître ceux qui sont mortels. Oh, Merricat !
- La mort survient entre cinq et dix jours après l'ingestion, dis-je.
- "Je ne trouve pas ça drôle", fit Charles.
"Petite folle de Merricat", dit Constance.
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