Coup de coeur 💓
Titre : Homesman (The Homesman)
Auteur : Glendon SWARTHOUT
Traduction : Laura DERAJINSKI
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 1988
en français en 1992
(titre : Le Chariot des damnés)
et en 2014 (Gallmeister)
Pages : 288
Présentation de l'éditeur :
Inoubliable portrait d’une femme hors du commun et de son compagnon taciturne, aventure et quête à rebours, Homesman se dévore de la première à la dernière page.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Diplômé de l'université du Michigan à Ann Arbor, Glendon Swarthout
commence par écrire des publicités pour Cadillac. Après une année de
cette activité, il se lance dans le journalisme puis dans la rédaction
de ses premiers romans. Il publie son premier roman, Willow run, en 1943.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est envoyé en Europe et
participe à un seul combat dans le sud de la France avant d'être renvoyé
aux États-Unis. À son retour, il enseigne à l'université du Michigan et
écrit de nouveaux romans. C'est après la première adaptation
cinématographique en 1958 de l'une de ses œuvres, Ceux de Cordura, qu'il peut se consacrer pleinement à l'écriture.
Swarthout devient un auteur prolifique et s'illustre dans quasiment
tous les genres littéraires de fiction à l'exception de la
science-fiction. Il laisse derrière lui une œuvre foisonnante et
inclassable. Il est néanmoins surtout reconnu comme un des plus grands
spécialistes de l’Ouest américain et du western.
Il est l'auteur de seize romans, dont plusieurs best-sellers. Neuf d’entre eux ont été portés à l’écran, dont Le Tireur, qui fut le dernier film de John Wayne et The Homesman,
second film de Tommy Lee Jones. Deux fois nommé pour le prix Pulitzer,
lauréat de nombreux prix littéraires, Glendon Swarthout meurt le
23 septembre 1992 en Arizona.
Avis :
L’on est bien loin de La petite maison dans la prairie ou des westerns classiques lorsque l’on découvre les histoires de ces quatre malheureuses, chacune plus affligeante et tragique l’une que l’autre. Isolées, d’interminables et implacables hivers durant, dans leurs rudimentaires maisons-terriers creusées dans la terre, trimant comme des bêtes pour d’aléatoires récoltes qui ne leur épargnent ni la faim ni les dettes, épuisées par les grossesses puis dévastées par une mortalité infantile accablante, ces épouses de colons sont usées à vingt ans, si encore elles ne s’effondrent pas auparavant. Comme il est tout autant impossible pour les maris de survivre avec une moitié désormais inutile que de quitter la concession où ils ont tout investi, ne leur reste plus qu’à renvoyer ces ombres d’épouses là où ils les ont trouvées, dans des familles qui les placeront peut-être dans les asiles qui n’existent pas sur la Frontière. Mais le trajet-retour est lui-même une gageure : comment mener sans encombre, au travers d’un territoire hostile, quatre femmes folles à lier, d’ailleurs elles-mêmes possiblement dangereuses ?
C’est un duo improbable qui se lance dans l’aventure. Mary Bee est une femme mûre que son éducation et son intégrité, autant que son autorité, sa solidité et son indépendance, rendent bien trop déconcertante pour les hommes de son époque et condamnent à une insupportable solitude. Briggs est un chien errant transformé par ses déboires en dur-à-cuire sans foi ni loi, rustre mais parfaitement adapté à ce brutal bout du monde où vient se disloquer jusqu’à la notion-même d’humanité. Ces deux-là vont devoir s’entendre pour faire face aux mille épreuves et dangers de leur sinistre convoyage, dont le noir récit parviendra néanmoins à offrir quelques fugaces et touchantes éclaircies dans une plaine aussi oppressante que splendide, puis dans une ville toute aussi surprenante, où le pire côtoie le meilleur.
Cet anti-western singulièrement féministe présente une bien sombre, mais très réaliste vision de la Conquête de l’Ouest, quand des convois de pionniers, partis au prix d’immenses sacrifices au devant d’un Ouest fabuleux, essuyèrent de terribles désillusions et firent surtout la fortune d’affairistes et de spéculateurs sans scrupules. Une lecture passionnante, bouleversante et terriblement noire, qui remet à l’endroit une mémoire historique pervertie par le mythe. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
C’était une tempête de glace, un phénomène climatique typique des Grandes Plaines. Des nuages de cristaux de glace presque aussi fins que de la farine étaient projetés au ras du sol par un vent rugissant. Aucun homme, aucun animal ne pouvaient les affronter. À découvert, le visage d’un homme était aussitôt maculé de givre, ses paupières gelaient, son souffle se coupait et ses vêtements étaient soudain si constellés de glace que son corps tout entier s’en trouvait figé. Seule la protection du chariot et de la bâche sauva ces voyageurs. La bâche se mit à claquer et les fouetta avec une telle violence qu’ils durent l’attraper et la tirer avant de la lester de tout leur poids. Même dans leur maigre abri, les animaux souffraient terriblement. Au bout d’une heure, leurs corps furent recouverts de glace ; au bout de deux heures, leurs têtes étaient grosses comme des paniers en osier, entourées d’une couche de glace créée par leur respiration congelée. Bientôt, ni les mules ni les chevaux ne purent soutenir ce fardeau encombrant, aussi inclinèrent-ils la tête contre le sol. Des heures durant, la tempête attaqua le chariot et ses occupants. (…)
Vers le matin, le vent cessa de souffler aussi brusquement qu’il avait commencé et le seul bruit sur terre était celui des animaux qui respiraient par les orifices dans la glace au niveau de leurs naseaux. Il faisait encore nuit noire, mais l’obscurité finit par se délaver en gris, puis un immense soleil doré se hissa à l’horizon, le premier soleil qu’ils aient vu depuis onze jours, et, en quelques minutes, ses rayons transformèrent le paysage de glace en un paysage de diamants. Il brillait d’une intensité presque divine. Le sol semblait recouvert d’un feu blanc d’un mètre d’épaisseur.
Le cœur de Garn se serrait en pensant à elle. Et la vue de sa femme lui faisait honte. Il l’avait épousée bien trop jeune, il l’avait emmenée dans des contrées trop sauvages, il ne lui avait donné qu’un trou dans la terre pour vivre. Quel endroit infernal, avait dit Jessup, pour grandir quand on est une fille. Oh, c’était lui, Garn, qui était fautif. Mais comment aurait-il pu deviner à quel point elle devrait travailler dur, ici ? Comment aurait-il pu deviner qu’elle aurait trois bébés en trois ans ? Comment aurait-il pu deviner qu’Arabella Sours, la plus belle femme qu’il ait jamais vue, finirait parfois par paraître aussi vieille que sa propre mère ?
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