vendredi 14 janvier 2022

[Lapertot, Céline] Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance

 


 

 

J'ai beaucoup aimé

Titre : Ce qu'il nous faut de remords
            et d'espérance

Auteur : Céline LAPERTOT

Parution : 2021 (Viviane Hamy)

Pages : 224

 

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

À 10 ans, Roger Leroy vit comme une trahison l’arrivée dans sa vie de son demi-frère, Nicolas Lempereur. C’est le début d’une haine que rien ni personne ne saura apaiser.
Bien des années plus tard, Roger, garde des Sceaux d’un gouvernement populiste, œuvre à la réhabilitation de la peine de mort. Nicolas, lui, est une véritable rock star, pacifiste et contre toute forme de discrimination. Un fait divers impliquant un pédophile récidiviste rallie bientôt l’opinion publique à la cause du garde des Sceaux, et la peine de mort est rétablie. Mais quand Nicolas est accusé du meurtre d’une jeune femme et clame son innocence, la querelle fraternelle qui l’oppose à Roger devient alors un enjeu sociétal et moral. Ce qu’il nous faut de remords et d’espérance est la chronique annoncée d’une tragédie contemporaine ; un roman coup de poing, criant de vérité.
 

   

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Céline Lapertot est professeur de français à Strasbourg. Depuis l’âge de 9 ans, elle ne cesse d’écrire. Avec ses trois romans, Et je prendrai tout ce qu’il a à prendre, Des femmes qui dansent sous les bombes et Ne préfère pas le sang à l’eau, - plébiscités unanimement aussi bien par les lecteurs que par les médias tels que Le Monde des livres, L’Express ou Télérama et les libraires -, elle s’est imposée comme un écrivain au talent prometteur de la littérature française contemporaine.

Dans Ce qui est monstrueux est normal, son récit autobiographique, elle établit un lien entre celle qu’elle fut jadis – une enfant qui sourit en permanence pour cacher sa détresse et qui découvrira bien trop tôt que toutes les mères et tous les pères ne sont pas comme ceux des autres, pétris d’amour et de bienveillance – et la femme qu’elle est aujourd’hui. À travers de courts chapitres, elle offre donc un texte intime et sans pathos qui permet au lecteur d’approcher et de découvrir au plus près un cheminement singulier.

 

 

Avis :

Une haine viscérale, dont les racines remontent à l’enfance, oppose Roger Leroy, garde des Sceaux d’un gouvernement populiste, à son demi-frère, Nicolas Lempereur, rock star aux idées larges. Leur querelle prend un tour inédit, lorsque, à peine Roger vient-il de faire rétablir la peine de mort grâce à l’indignation provoquée par la récidive d’un tueur pédophile, Nicolas est accusé du meurtre d’une jeune femme.

Quarante ans après son abolition en France, la peine de mort et la question de son rétablissement continuent de peser dans les sondages et les déclarations de certains politiques. Céline Lapertot prend ici le contre-pied, dans un vibrant plaidoyer alignant scènes fortes, phrases percutantes et moments d’émotion : si, dans sa peur et sa colère, la foule trouve en la mort du criminel une vengeance et un apaisement à son angoisse, la peine capitale n’a jamais fait baisser la criminalité, juste rendu irréversibles les erreurs judiciaires.

Mais, si cette histoire fait froid dans le dos, ce n’est certainement pas seulement pour les exécutions auxquelles elle nous fait assister, rendant l’acte concret pour que chacun en mesure bien toute la réalité. C’est aussi largement pour ce qu’elle pointe des actuelles dérives sociétales qui permettent aux populistes de prétendre s’imposer. Roger, mégalomane puisant l’essentiel de ses motivations dans ses failles et rancunes personnelles, n’est entouré que du cynisme et de l’arrivisme de ses conseillers. Ayant trouvé, dans le rétablissement de la peine de mort, l’opportunité commode de sortir du lot, mais aussi un exutoire à la colère qui l’étouffe depuis l’enfance, il fait feu de tout bois sans la moindre vergogne, surfant sur l’émotivité de l’opinion et l’emballement des réseaux sociaux. Son entêtement n’a d’égal que son aveuglement, et aucune considération, fut-ce la vie de son propre frère, ne lui rend jamais le moindre discernement : un comportement et une absence de garde-fous dont, bien au-delà de l’exemple ici de la peine de mort, on imagine aisément le danger quand ils mettent en jeu la conduite d’un pays.

Ce livre choc qui n’a pas peur des mots, fussent-ils triviaux, dénonce un bien peu reluisant échiquier politique et médiatique. Balayant les autres pièces (nommées King, Királynö ou reine en hongrois, Maréchal...) grâce à une opinion publique dont les réseaux sociaux favorisent les jugements hâtifs et la manipulation par l’émotion, émergent des Leroy, qui, emportés par leur arrivisme et leurs névroses, n’hésitent pas à brandir n’importe quel argument populiste pour devenir calife à la place de Lempereur. Accablant. (4/5)

 

Citations :

Nous sommes dans un siècle où l’émotivité est la clé de la réussite. Fais hurler les gens, de terreur, d’indignation, de rage, d’espoir et de croyances en n’importe quoi, et tu la tiens, ta réussite. Tu n’imagines pas la valeur de l’émotivité du peuple.

Il n’y en avait pas beaucoup dans cet hémicycle, des contradicteurs de talent capables de lui couper la chique. Ça se contente de huer et de faire des mimiques de singe en observant ses camarades essayer de placer quelques bons mots que pas grand monde n’écoute. Parce que c’est devenu ainsi, dans l’hémicycle : se cambrer quand la caméra de LCP Public Sénat passera près de votre visage, histoire de montrer qu’on est présent et que notre gueule en vaut la peine, quelques huées entre deux parties de solitaire sur le portable, quelques remarques sexistes aux femmes qui s’imaginent qu’on a le droit de porter des jupes en toutes circonstances, leur souligner qu’elles ont un beau collier mais un QI de pervenche.

Il aurait envie d’arpenter un autre couloir, de ne pas se risquer à la punk à chiens déguisée dans une petite robe noire, mais ce sont ses yeux qu’il rencontre. Et c’est foutu pour lui, il l’a compris. Elle pourra lui filer toutes ses chansons, toutes ses idées de scénarios, il prendra tout. Ce qu’il voit dans ce regard-là, c’est la profondeur des maisons ravagées par les ouragans, c’est l’apprentissage du froid et de la soif, c’est l’ardeur de vivre, la peau sèche et les lèvres fissurées, c’est ce putain de trou dans le ventre quand la vie ne donne que trois grains de riz d’un plat gigantesque et enivrant à souhait. Il reconnaît que c’est là que tout se joue, quand deux êtres qui ont plongé les mains nues dans les profondeurs de leur mal-être se regardent pour la première fois.

Elle aussi le considère, vieilli, grossi, grisonnant, l’air d’un homme respectable qu’on ne soupçonnerait pas si on le voyait passer à la terrasse d’un café. Elle se demande qui il est, s’il a encore quelque chose de commun avec le jeune homme qu’elle a jadis élevé. C’est en elle un mélange de curiosité malsaine, de dégoût et de culpabilité, une réminiscence de ce qu’elle avait éprouvé autrefois, mais on ne peut pas dire qu’elle aime ce qu’elle a sous les yeux. Ce n’est pas lui qu’elle vient sauver, mais elle, à travers lui. Elle cherche les mots qui la consoleraient, elle veut entendre de sa bouche ce qui laverait la salissure et la certitude d’avoir fauté. C’est son statut de mère qu’elle vient blanchir, une sorte d’absolution pour se dévêtir de cette couche de crimes qui ne lui appartient pas. Voilà ce qu’elle a passé tant d’années à se répéter : ses crimes ne sont pas les miens. Je n’y suis pour rien, je ne suis pas coupable, pas responsable, en aucun cas je n’endosse la responsabilité. Elle le pense pourtant chaque jour : la petite fille à la chaussette manquante ne fait que lui rappeler cette mauvaise pensée, lancinante. Alors elle lui demande, parce que c’est la seule chose qu’elle est venue chercher :  — Dis-moi, qu’est-ce que j’ai mal fait ?
 
Oui, c’est toujours un peu injuste de crever comme ça, alors qu’on n’a rien eu le temps de prouver. Alors qu’on n’a pas eu le temps de bien se connaître. Voilà ce qu’il emportera dans sa tombe, avec sa tête posée sur son ventre, entourée de ses deux mains ; les regrets de ne jamais avoir pu comprendre d’où venait son mal, les regrets d’avoir senti en lui son désir morbide empirer, alors qu’il rêvait de tout étouffer. Le regret de ne pas avoir trouvé de formule magique pour enfin être quelqu’un de bien. Lalbenc meurt en ayant conscience de sa monstruosité. Il ne meurt pas en paix, non, ce serait faux d’affirmer une telle chose, mais il meurt avec une sorte de lucidité accrue, celle qui lui dit qu’il n’y avait pas d’autre chemin à emprunter.

Écrire ce n’est rien d’autre que converser en étant certain de ne jamais subir l’affront de se faire couper la parole.

C’est ainsi que l’on juge un homme, se dit-il. C’est ainsi que les civilisations trop douces qui ne connaissent plus les guerres tuent leurs compatriotes pour tromper leur ennui. Parce qu’il faut passer le temps et que la Justice est le meilleur échiquier qui soit. Parce qu’on craint le ramollissement – des mœurs, des cœurs, des cerveaux, des valeurs –, on craint que sans quelques poings serrés sur la gorge des fauteurs de troubles la Société se livre à la décadence.

Tu lèches, tu lâches, tu lynches. Telle est la dure loi de la politique. Monarchie, Empire, République, la règle est identique : on te suce, jusqu’à ce qu’on t’ait assez vidé pour planter ta tête au bout d’une pique.

Il n’y a rien de pire que le regard des hommes. Rien de pire que le fait de se sentir jugé, acculé à la justification, devoir sortir de soi des trésors d’intelligence pour parvenir à faire entendre sa petite voix jusqu’à cette masse informe qui n’a pas envie d’écouter. Il pense au juge d’Outreau. À sa pâleur morbide face aux questions de la commission d’enquête parlementaire, ses cernes si noirs qu’on pouvait y lire la liste de ses chagrins et de ses dépits. Il ne veut pas ressembler à ça. Il ne veut avouer sa défaite que s’il prouve qu’il est capable de se relever. C’est à ce prix que s’avoue une défaite, sinon, hors de question d’abdiquer. Ce trait de caractère-là, il le conçoit aussi chez Thibault.
Ma dignité, songe-t-il.
Qu’importe le reste, qu’importe tout, pourvu que je conserve ceci : ma dignité.


 

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