Coup de coeur đ
Titre : Un jour vendra (Un giorno verrĂ )
Auteur : Giulia CAMINITO
Traducteur : Laurent BRIGNON
Parution : en italien en 2019
en français (Gallmeister) en 2021
Pages : 288
Présentation de l'éditeur :
Ă
Serra deâ Conti, sur les collines des Marches italiennes, Lupo et
Nicola vivent dans une famille pauvre et sans amour. Fils du boulanger
Luigi Ceresa, le jeune Lupo, fier et rebelle, sâest donnĂ© pour mission
de protéger son petit frÚre Nicola, trop fragile, trop délicat avec son
visage de prince. Flanqués de leur loup apprivoisé, les deux frÚres
survivent grĂące Ă lâaffection indestructible qui les unit. Leur destin
est intimement lié à celui de Zari, dite Soeur Clara, née au lointain
Soudan et abbesse respectĂ©e du couvent de Serra deâ Conti. Car un
mensonge sépare les frÚres et un secret se cache derriÚre les murs du
monastĂšre. Alors que souffle le vent de lâHistoire, et que la Grande
Guerre vient Ă©branler lâItalie, le jour viendra oĂč il leur faudra
affronter la vérité.
Dans une langue aussi tendre et rude que lâamour entre deux frĂšres, Giulia Caminito donne voix Ă des personnages intenses en lutte face au chaos du monde.
Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :
Avis :
NĂ©s Ă la toute fin du 19e siĂšcle dans une famille pauvre de Serra deâ Conti, dans les Marches italiennes, Lupo et Nicola nâont que leur indĂ©fectible affection pour survivre Ă la rudesse de lâenvironnement oĂč ils grandissent. Mais la Grande Guerre qui ravage bientĂŽt lâItalie a tĂŽt fait de sĂ©parer les deux frĂšres Ă peine entrĂ©s dans lâĂąge adulte. Encore ne sont-ils pas au bout de leurs Ă©preuves, puisquâil leur faudra aussi affronter un secret familial celĂ© derriĂšre les murs du couvent qui domine leur village.
Brodant autour du souvenir de son grand-pĂšre anarchiste, lâauteur sertit lâhistoire romanesque de la famille Ceresa dans une fresque historique et sociale passionnante. Son profond rĂ©alisme doit beaucoup Ă lâhabiletĂ© suggestive de son mode narratif, qui, de petites touches en dĂ©tails bien choisis, construit peu Ă peu une galerie de personnages, rĂ©els et fictifs mĂȘlĂ©s, dâune grande force et dâun parfait naturel. Câest au plus prĂšs de leur ressenti, alors que, submergĂ©s par les Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs et les soubresauts de lâHistoire, ils entreprennent chacun Ă leur maniĂšre de se rĂ©volter et de rĂ©sister Ă la fatalitĂ©, que lâon dĂ©couvre cette pĂ©riode de lâItalie : lâorganisation quasi fĂ©odale de son agriculture, la misĂšre et les brigandages qui en dĂ©coulent, la montĂ©e de lâanarchisme et du fascisme, et, dans un crescendo apocalyptique, lâenfer de la Grande Guerre et lâhĂ©catombe de la grippe espagnole.
UsĂ©s jusquâĂ lâĂąme par leurs tragĂ©dies personnelles sur fond de tourmente gĂ©nĂ©rale, les personnages de Giulia Caminito ont en commun lâultime instinct de prĂ©servation de ceux qui nâont plus rien Ă perdre et qui jettent toutes leurs forces dans la dĂ©fense de ce quâils ont de plus cher, le prix Ă en payer nâayant plus dâimportance. LibertĂ© pour lâindomptable Lupo, attachement fraternel pour le fragile Nicola, principes religieux et charitĂ© chrĂ©tienne pour lâinoxydable Moretta : tous ne survivent que par, et pour, la sauvegarde de leur intĂ©gritĂ©-mĂȘme, avec cette force du dĂ©sespoir propre Ă soulever les rĂ©volutions. En cela, Un jour viendra est avant tout un splendide hommage Ă toutes les rĂ©sistances. Coup de coeur. (5/5)
Brodant autour du souvenir de son grand-pĂšre anarchiste, lâauteur sertit lâhistoire romanesque de la famille Ceresa dans une fresque historique et sociale passionnante. Son profond rĂ©alisme doit beaucoup Ă lâhabiletĂ© suggestive de son mode narratif, qui, de petites touches en dĂ©tails bien choisis, construit peu Ă peu une galerie de personnages, rĂ©els et fictifs mĂȘlĂ©s, dâune grande force et dâun parfait naturel. Câest au plus prĂšs de leur ressenti, alors que, submergĂ©s par les Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs et les soubresauts de lâHistoire, ils entreprennent chacun Ă leur maniĂšre de se rĂ©volter et de rĂ©sister Ă la fatalitĂ©, que lâon dĂ©couvre cette pĂ©riode de lâItalie : lâorganisation quasi fĂ©odale de son agriculture, la misĂšre et les brigandages qui en dĂ©coulent, la montĂ©e de lâanarchisme et du fascisme, et, dans un crescendo apocalyptique, lâenfer de la Grande Guerre et lâhĂ©catombe de la grippe espagnole.
UsĂ©s jusquâĂ lâĂąme par leurs tragĂ©dies personnelles sur fond de tourmente gĂ©nĂ©rale, les personnages de Giulia Caminito ont en commun lâultime instinct de prĂ©servation de ceux qui nâont plus rien Ă perdre et qui jettent toutes leurs forces dans la dĂ©fense de ce quâils ont de plus cher, le prix Ă en payer nâayant plus dâimportance. LibertĂ© pour lâindomptable Lupo, attachement fraternel pour le fragile Nicola, principes religieux et charitĂ© chrĂ©tienne pour lâinoxydable Moretta : tous ne survivent que par, et pour, la sauvegarde de leur intĂ©gritĂ©-mĂȘme, avec cette force du dĂ©sespoir propre Ă soulever les rĂ©volutions. En cela, Un jour viendra est avant tout un splendide hommage Ă toutes les rĂ©sistances. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Lupo connaissait cette histoire par cĆur, comme chacun dâentre eux, ils savaient tous ce que signifiait ne rien possĂ©der hormis ses bras.
Chaque annĂ©e, une trĂšs grosse moitiĂ© de la rĂ©colte des champs en mĂ©tayage revenait au propriĂ©taire, et le paysan utilisait ce qui lui restait pour replanter, affourrager, si bien que, de moins de la moitiĂ©, ce qui lui restait fondait Ă un tiers, câest-Ă -dire pas assez, et personne nâarrivait Ă joindre les deux bouts.
Le propriĂ©taire faisait la loi dans ses champs, il dĂ©terminait qui Ă©tait autorisĂ© Ă travailler et qui ne lâĂ©tait pas, qui Ă©tait autorisĂ© Ă se marier et qui ne lâĂ©tait pas, combien ils devaient ĂȘtre autour de leur table, le propriĂ©taire chassait les enfants en trop. Les propriĂ©taires Ă©taient des Ă©trangers, les terres confisquĂ©es aux prĂȘtres, ni le roi ni le gouvernement ne les avaient distribuĂ©es aux gens.
Chaque annĂ©e, une trĂšs grosse moitiĂ© de la rĂ©colte des champs en mĂ©tayage revenait au propriĂ©taire, et le paysan utilisait ce qui lui restait pour replanter, affourrager, si bien que, de moins de la moitiĂ©, ce qui lui restait fondait Ă un tiers, câest-Ă -dire pas assez, et personne nâarrivait Ă joindre les deux bouts.
Le propriĂ©taire faisait la loi dans ses champs, il dĂ©terminait qui Ă©tait autorisĂ© Ă travailler et qui ne lâĂ©tait pas, qui Ă©tait autorisĂ© Ă se marier et qui ne lâĂ©tait pas, combien ils devaient ĂȘtre autour de leur table, le propriĂ©taire chassait les enfants en trop. Les propriĂ©taires Ă©taient des Ă©trangers, les terres confisquĂ©es aux prĂȘtres, ni le roi ni le gouvernement ne les avaient distribuĂ©es aux gens.
La fonction dâabbesse passait de femme en femme, une autonomie fĂ©minine conquise avec peine, une possibilitĂ© de se gouverner seules perpĂ©tuĂ©e avec dĂ©vouement.
Les religieuses se choisissaient leur guide elles-mĂȘmes, la personne qui devrait surveiller les comptes, distribuer des tĂąches adaptĂ©es Ă chacune, redresser les parcours bancals, tirer de la torpeur les esprits Ă©garĂ©s, et surtout ne pas se laisser tyranniser par le monde, parce que tous les jours ils seraient nombreux Ă venir frapper Ă la porte du monastĂšre pour demander une audience, une aide, une priĂšre, mais aussi pour insulter, railler, mĂ©priser et elle, pareille Ă une digue, elle laisserait lâeau douce couler et repousserait lâeau malsaine en amont, elle tiendrait les marĂ©cages Ă©loignĂ©s, permettrait aux affluents de courir Ă leur embouchure.
De fait une rĂšgle trĂšs ancienne interdisait aux religieuses de voir les visiteurs sauf en cas de force majeure, et sĆur Clara avait lâintention de respecter les coutumes qui les avaient maintenues en vie jusque-lĂ : sans rĂšglement elles auraient racorni dans leur bocal comme des coings privĂ©s de sirop.
Le monastĂšre nâavait jamais Ă©tĂ© fermĂ©, les habitants de Serra y avaient toujours trouvĂ© un refuge pour leurs confessions, leurs pleurs, leurs joies, leur faim.
Le monastĂšre les couvait depuis ses hauts murs, aigle sur son nid il prenait appui sur ses pattes prĂȘt Ă dĂ©ployer ses ailes, Ă attaquer Ă coups de bec les tĂȘtes obstinĂ©es de ses ennemis, cette statue de pierre savait cependant Ă©tendre ses racines, sâagripper aux fondations des maisons, passer sous les rues, ronger la pierre et gagner la terre.
Si on va Ă lâĂ©cole pendant deux ans seulement on sait compter sur ses doigts, quand on grandit et quâon travaille Ă la journĂ©e les chiffres câest lâargent gagnĂ©, on lâempoche et on le rapporte chez soi, lui quand il comptait moins de doigts il arrĂȘtait de se prĂ©senter au travail, quand il en comptait plus il devenait soupçonneux parce que les patrons ne sont certainement pas lĂ pour faire des cadeaux, sâils donnent plus câest quâils veulent plus.
Elle nâĂ©tait pas nĂ©e avec des rĂȘves de famille, elle avait toujours dĂ©sirĂ© quitter la maison de son pĂšre pour entrer dans une autre qui ne soit pas celle dâun mĂ©tayer de Serra deâ Conti, dĂšs lâenfance elle avait refusĂ© de devenir comme sa mĂšre et comme la mĂšre de sa mĂšre, ces femmes qui savaient Ă©lever un agneau, plumer une poule, recoudre une blessure, tenir les vers Ă soie au chaud, ces femmes Ă cailles et Ă pigeons, qui ne pouvaient se rendre aux veillĂ©es quâaccompagnĂ©es.
Au mariage de sa sĆur Agata qui avait Ă©pousĂ© un paysan comme de rigueur, elle avait vu sa future belle-mĂšre la dĂ©vorer des yeux, comme on convoite un objet pour lâenfermer ensuite Ă la cave.
Il disait quâon ne doit pas voter mĂȘme si maintenant on a le droit, que placer ses espoirs dans le gouvernement câest comme attendre que la lune tombe dans la mer, il disait que les diffĂ©rences et les injustices ne devraient pas exister, quâon ne devrait pas travailler pour dâautres mais seulement pour nous, quâil ne devrait y avoir ni patrons ni propriĂ©taires, ni prĂȘtres ni Ă©glises, ni lois ni obligations ni interdits, Ă part ceux pour notre bien, pour vivre ensemble, collaborer, ĂȘtre tous Ă©gaux, et que câest Ă nous de nous battre pour ça.
Les yeux de Lupo balayaient les collines et les clĂŽtures, leur terre des Marches oĂč les forĂȘts Ă©taient petites et Ă©paisses, oĂč le blĂ© Ă©tait toujours soigneusement rĂątelĂ©, leur terre bien entretenue, astiquĂ©e et lustrĂ©e, oĂč chacun creusait, crachait, semait sur des lopins de plus en plus petits, ils allaient finir par se disputer les flaques et les plates-bandes, il nây avait pas une parcelle sans barriĂšres, pas un buisson abandonnĂ©, chaque pente Ă©tait la vallĂ©e de quelquâun, gare Ă vous si vous entriez dans le mauvais champ, ne laissez pas vos bĂȘtes gambader dans les pĂąturages dâautrui.
Les seuls dĂ©lits passĂ©s sous silence Ă©taient ceux commis aux dĂ©pens des propriĂ©taires par les fermiers et les paysans pour protester, les vaches abattues sans autorisation, les poules vendues au marchĂ©, le blĂ© cachĂ© dans les faux plafonds : dâune maniĂšre ou dâune autre, il fallait bien rĂ©sister, ne pas mourir.
Sous lâapparence lisse de leurs formes gĂ©omĂ©triques parfaites se cachaient le poison de la pauvretĂ©, la triste faute des voleurs et des mendiants, les priĂšres des brigands.
Une personne gĂȘne, deux personnes dĂ©rangent, mille personnes font table rase de tout : les mots entendus dans les meetings lui revenaient inlassablement Ă lâesprit quand il se couchait le soir.
CâĂ©tait une cause juste de refuser de partir Ă la guerre, de ne pas toucher la paie qui leur revenait, dâenvoyer Nicola Ă lâĂ©cole, une cause juste que Gaspare conserve la moitiĂ© de ce quâil cultivait, de ne pas crever en volant une pomme, une cause juste que les terres retirĂ©es aux prĂȘtres leur soient donnĂ©es, Ă eux qui les habitaient, les travaillaient, les aimaient, puis la police ouvrit le feu.
SĆur Clara le regarda quitter la piĂšce des registres et se laissa tomber sur sa chaise. Si elle nâavait pas Ă©tĂ© une femme de nerfs et de sang mais la petite flamme que sa mĂšre laissait toujours allumĂ©e Ă la fenĂȘtre, Ă prĂ©sent, en silence, elle se serait Ă©teinte.
Son pĂšre croyait quâelle serait un garçon, et Ă sa naissance, aprĂšs avoir jetĂ© un coup dâĆil entre ses jambes et compris quâil y manquait quelque chose il Ă©tait parti en claquant la porte, on ne lâavait pas revu jusquâau lendemain.
Le clavier avait Ă©tĂ© un refuge et un choix, une volontĂ© primitive, la possibilitĂ© de toucher ce quâil nâest pas donnĂ© de toucher sur cette terre, de vivre le souffle de lâair, de le palper de ses doigts exercĂ©s, dâen sentir la pression sur sa lĂšvre supĂ©rieure, de vibrer, de rogner lâespace du bruit pour laisser place Ă la musique, câĂ©tait un tour de force exĂ©cutĂ© en douceur, une marĂ©e qui engloutissait tout sans la moindre vague.
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