lundi 24 janvier 2022

[Meurice, Guillaume] Le roi n'avait pas ri

 

 

 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le roi n'avait pas ri

Auteur : Guillaume MEURICE

Parution : 2021 (JC Lattès)

Pages : 300

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Guillaume Meurice fait revivre Triboulet, le bouffon du roi au XVIe siècle, comique hors pair, qui fit pourtant la blague de trop…

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Guillaume Meurice est comédien, humoriste et chroniqueur sur France Inter (Le moment Meurice) dans l'émission Par Jupiter depuis 2014. Le roi n'avait pas ri est sa cinquième publication.

 

 

Avis :

Jusqu’ici persécuté pour sa silhouette contrefaite, le jeune Nicolas est engagé comme fou du roi Louis XII. Rebaptisé Triboulet en référence à son vécu de souffre-douleur, affublé des couleurs jaune et vert des bannis, d’un chapeau à grelots et d’une marotte faisant office de sceptre, le voilà propulsé de la fange aux fastes de la Cour du XVIe siècle à Blois. Censé amuser le monarque par ses pitreries, le bouffon du roi gagne aussi l’exclusif privilège de pouvoir s’exprimer sans filtre et sans inquiétude, sa « folie » l’exonérant de la servilité courtisane de rigueur dans l’entourage royal. Reconduit dans ses fonctions par le jeune François 1er, Triboulet s’illustre par son esprit et son insolence, jusqu’à ce qu’une ultime plaisanterie ne le fasse tomber en irrémédiable disgrâce…

Curieuse position que celle de bouffon de Cour, comme exclu du commun des mortels par sa difformité, réduit à un état de jouet suffisamment ridicule et inconséquent pour ne susciter qu’indulgence et amusement, et, au final, familier du roi comme bien peu, seul à pouvoir renvoyer leurs quatre vérités aux Grands de ce monde qu’il lui est loisible de railler et d’insulter sans qu’il ne lui en cuise, avec une liberté d’expression et de jugement dont on peut d’ailleurs douter qu’elle existe encore de nos jours… C’est donc avec un certain ébahissement que l’on découvre cette biographie romancée à partir des quelques éléments historiques connus, mais aussi des vers de Clément Marot et de l’Eloge de la folie d’Erasme. La légende a rapporté quelques bons mots et reparties de Triboulet – ou des Triboulet, on ne sait pas, puisque plusieurs fous du roi portèrent ce nom -, certains franchement rabelaisiens, d’autres témoignant d’un formidable sens de la réplique, et l’on s’amuse souvent de bon coeur de tant de percutant à-propos.
 
Protégé par son irresponsabilité supposée, Triboulet n’en vit pas moins sur la corde raide de la faveur royale, au-dessus du gouffre haineux où confisent les puissants du royaume. Enragés par le pouvoir qu’à ce faquin de faire rire le roi à leurs dépens, tous n’attendent que de réduire l’insolent en charpie au premier signe de disgrâce. Et, fatalement, après maints chancellements rattrapés par un bon mot, vient un jour où le roi ne rit pas, par peur de déplaire à la favorite en titre. Plaisir d’amour est plus fort que joie d’humour… C’est la dernière tocade amoureuse du roi qui l’emporte !

Enlevé et facétieux, d’une lecture fluide et agréable, ce roman historique pointant le déstabilisant pouvoir du rire et la tentation des puissants de l’encadrer, entre forcément en résonance avec l’expérience d’humoriste de l’auteur. Comment ne pas penser au poids toujours plus grand du politiquement correct de nos jours, alors que le contrôle croissant du langage et les multiples auto-censures que nous nous imposons ne cessent de corseter davantage la libre expression ? Et bien sûr, comment ne pas frémir quand certains paient aujourd'hui de leur tête le prix d’une poignée de caricatures ? (4/5)

 

Citations :

Je me sentais nu, fragile, piteux, habité de cette solitude que seuls ceux ayant un jour essayé l’art délicat de faire rire peuvent toucher du cœur. Car une farce est un cadeau en même temps qu’un espoir. Une projection de soi, une attente de retour. Elle cherche le rire autant que la considération et ne tolère pas l’indifférence. Celle qui me faisait face en cet instant me glaçait le dos.

Laideron était mon surnom, à défaut d’avoir un prénom. Dernier de la lignée, né avec des yeux globuleux, des grandes oreilles, un nez de travers, les pieds en dedans et une bosse en dehors, ma venue au monde tint du miracle. Ma survie, de l’accident.
— R’garde-moi ça ! C’est pas une tête c’est un brouillon ! répétait sans cesse ma mère en me dévisageant.
De ses yeux suintait la rancune.
— Comment t’as pu le rater à ce point-là ? répondait mon père dans un sursaut.
Les ricanements fusaient des bouches édentées. Dans la pièce commune de notre vieille mansarde noircie par la tourbe, je n’avais nul endroit où fuir ni me cacher, excepté une vieille table sous laquelle je pouvais rester des heures. J’avais froid. J’avais faim.

Je me savais vilain, je me savais à part, mais je ne comprenais pas le rejet. Qu’est-ce que la beauté ? La norme ? La symétrie, la régularité ? Les proportions de la cathédrale Saint-Louis ? C’est précisément ce que moi, je trouvais laid. Trop attendu, trop millimétré. Conçu pour plaire aux puissants. « Regardez, monsieur, comme j’ai bien respecté toutes les règles ! Vous êtes content, hein ? » L’art ne devrait pas tolérer la perfection. J’aimais le presque, le loupé, le dommage. Je le portais sur ma tête, depuis ma naissance. On ne m’avait jamais dit que j’étais beau. Tant pis.

La suite de la soirée ne fut qu’amusements, réjouissances, libations. Des musiciens, des acrobates, des jongleurs, accordaient le plaisir de la bouche avec celui des yeux. Un danseur de corde souleva des clameurs lorsqu’il parcourut de part en part la longue pièce sur un fil tendu, manquant de chuter à chaque pas, faisant frémir l’assistance et déclenchant des tonnerres d’applaudissements. Et si telle était ma fonction ? Divertir sans glisser. Chercher la limite, le point d’équilibre entre le rire et l’offense. Entre la grâce et l’abîme.
 
— À la cour, on parle beaucoup de toi.
— Ah bon ?
— Oui, tu es aimé par certains, détesté par beaucoup, mais, surtout, craint par tout le monde.
Cela m’amusa. L’idée même que mes farces puissent engendrer de la peur était, en elle-même, une facétie des plus réjouissantes. Ainsi, de cible, je serais devenu archer ?
— Cela signifie que tu fais bien ton travail. Le roi a besoin de toi. Il n’est entouré que de flatteurs. Il lui faut quelqu’un pour lui souffler la vérité. Tu sais, dans la Rome antique, lorsqu’un empereur était consacré, lors du défilé durant lequel il parcourait la ville de part en part, un esclave se plaçait derrière lui pour lui répéter : « Hominem te esse. » Tu sais le latin ?
Je regardai Le Vernoy.
— « Rappelle-toi que tu n’es qu’un humain. »
— Bravissimo ! Aujourd’hui, c’est toi qui dis au roi qu’ils ne sont que de simples mortels. Memento mori !
— C’est ça que je fais ?
— En quelque sorte… Mais pas seulement. Tu sers également à remettre à leur juste place ses conseillers trop présomptueux. Crois-moi, tu es utile. Tu es même précieux.
— Vous exagérez…
— Je t’assure que non. Les princes ont besoin de ça. Tu es un fou. Un fou qui tient le rôle de garde-fous.
Il parlait d’un ton calme et doux.
— Tous les pouvoirs craignent le rire car il est libre comme un torrent de montagne. Alors ils tentent de le maîtriser, de lui donner des contours officiels. D’où ton costume. Fais attention à ne point te laisser emprisonner dans ton rôle.
— « J’aime mieux passer pour un fou et pour un être sans valeur, que d’être sage et morose. »
— Je vois que tu connais tes classiques.


 

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