dimanche 25 avril 2021

[Andrea, Jean-Baptiste] Des diables et des saints

 






Coup de coeur 💓💓

Titre : Des diables et des saints

Auteur : Jean-Baptiste ANDREA

Année de parution : 2021

Editeur : L'Iconoclaste

Pages : 268






 

 

Présentation de l'éditeur : 

Joseph est un vieil homme qui joue divinement du Beethoven sur les pianos publics. On le croise un jour dans une gare, un autre dans un aéroport. Il gâche son talent de concertiste au milieu des voyageurs indifférents. Il attend. Mais qui, et pourquoi ?

Alors qu’il a seize ans, l’adolescent est envoyé dans un pensionnat religieux des Pyrénées, Les Confins. Tout est dans le nom. Après Les Confins, il n’y a plus rien. Ici, on recueille les abandonnés, les demeurés. Les journées sont faites de routine, de corvées, de  maltraitances. Jusqu’à la rencontre avec Rose.



Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. D’abord réalisateur-scénariste, il s’est ensuite lancé dans l’écriture : un premier roman au succès immédiat, Ma reine (douze prix littéraires dont le Femina des lycéens et le prix du Premier Roman). Son deuxième roman, Cent millions d’années et un jour, confirmera cet accueil enthousiaste des lecteurs.


Avis :

Le vieux Joseph gâche ses talents de pianiste concertiste en jouant Beethoven à la perfection dans les gares et les aéroports, où il semble indéfiniment guetter quelqu’un. Cinquante ans plus tôt, un adolescent débarque au pensionnat religieux Les Confins, dans les Pyrénées. Récemment orphelin, il découvre privations et brimades dans cet établissement quasi pénitentiaire, où échouent enfants abandonnés ou différents. Mais il y aperçoit aussi Rose, une jeune fille dont la famille possède une résidence à proximité.

Le coeur du roman est très sombre, puisqu’il nous plonge dans la violence et la maltraitance subies par des enfants confiés à un pensionnat religieux. L’aperçu des conditions de vie ineptes, soigneusement camouflées pour ne pas transparaître au-dehors – châtiments corporels, mise à l’isolement, malnutrition, humiliations… –, s’accompagne du portrait au vitriol d’un homme d’église au coeur sec, totalement dépourvu d’empathie, obsédé par une discipline brutale et vengeresse. Sa cruauté, perversement dissimulée sous une façade charitable et paterne destinée aux occasionnels témoins extérieurs, s’exerce sans frein dans l’enceinte fermée qui livre à sa merci des victimes sans recours.

Pourtant, jamais le récit ne cède tout à fait à la noirceur. L’amitié et la solidarité entre pensionnaires, puis bientôt l’amour pour une jeune fille elle-même en rébellion contre la condition féminine de son milieu bourgeois, viennent préserver émotion et humanité dans un texte traversé par l’espoir, l’envie de liberté, et la beauté musicale. Nombreux sont les personnages bouleversants. A commencer par le vieux professeur de piano de Joseph autrefois, un génie bougon et exigeant qui n’aura jamais su à quel point il aura servi de tuteur à son élève. Mais aussi, Momo, l’enfant que sa déficience rend doublement orphelin, de sa famille et de lui-même, et pour qui l’enfer du pensionnat vaut encore mieux que ce qui l’attend au-dehors. Et bien sûr, Joseph vieilli, qui se souvient, et dont on devine, au travers des non-dits, le gouffre qu’est demeuré sa vie, lui permettant du même coup, avec une cruauté ironique, d’atteindre à son tour la perfection musicale.

L’on retrouve avec plaisir le style de Jean-Baptiste Andrea, son juste choix des mots et des images, avec toutefois le regret que l’écriture paraisse un peu moins travaillée que dans Cent millions d’années et un jour. Même si cette déception est toute relative, je n’ai pas retrouvé aussi nettement et aussi souvent la beauté des phrases qui m’avait alors séduite au-delà du coup de coeur, faisant de ce précédent roman de l’auteur une de mes lectures phares de l’année 2019. Cela n’empêche pas Des diables et des saints de rejoindre mes coups de coeur de 2021, la nuance de jugement s’établissant seulement entre l’excellent et l’exceptionnel. (5/5)


Citations :

Une motrice TGV s’échoue voie L, haletant par toutes ses ouïes. Une baleine électrique qui nage depuis Nice à trois cents kilomètres-heure, le fretin indigeste qu’elle recrache sur le quai, tourbillonnant en une pâte lourde de verre fondu. Les corps qui se déplient et foncent vers le sommeil, l’alcool, la crise cardiaque, l’ennui, que sais-je. Tout est là, espoirs et délaissements. Vous ne l’entendez pas.

Mes parents m’élevaient comme un projet, avec une fougue de dictateurs. Ils m’aimaient comme on aime un plan quinquennal. Mais ils m’aimaient. J’étais leur plan quinquennal.

Le rythme ! gueulait Rothenberg. Le rythme ! » Le vieux Rothenberg m’enseignait le piano. Il était froissé comme du papier, visage, cou, mains, un braille de rides à donner le vertige. J’avais envie de le repasser chaque fois que je le voyais.

En 1908, en Sibérie, une onde de choc d’origine mystérieuse vitrifia la terre, abattit soixante millions d’arbres, souffla tout ce qui pouvait l’être sur cent kilomètres. Elle envoya un vortex de poussière et de cendres jusqu’en Espagne. On ne trouva pas la moindre trace d’impact, pas le moindre débris au sol. Les explications scientifiques les plus récentes attribuent le phénomène à l’explosion d’un météore à moins de dix kilomètres de la Terre.

Elle paraissait fâchée, je n’avais pourtant rien fait. Je n’avais pas encore acquis cette sagesse des hommes mûrs, qui savent qu’en matière de susceptibilité, il en va des femmes comme de l’Église. Que l’on a forcément péché, en-pensée-en-parole-par-action-et-par-omission, et qu’il faut savoir demander pardon même si l’on n’a rien fait, puisqu’il ne sert à rien de s’opposer à un décret divin.

Mieux ici. Momo préférait Les Confins à la vie qui l’attendait dehors. Je me plaignais de mon statut de réprouvé, de paria, depuis mon arrivée. Il suffit de deux mots, mieux ici, pour me faire comprendre que nous avions de la chance. Qu’il y avait pire que d’être orphelin de ses parents, c’était d’être orphelin de soi.


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