samedi 12 octobre 2019

[Andrea, Jean-Baptiste] Cent millions d'années et un jour





 

Au-delà du coup de coeur 
💓💓💓

Titre : Cent millions d'années et un jour

Auteur : Jean-Baptiste ANDREA

Année de parution : 2019

Editeur : L'Iconoclaste

Pages : 308






 

 

Présentation de l'éditeur :

1954. C’est dans un village perdu entre la France et l’Italie que Stan, paléontologue en fin de carrière, convoque Umberto et Peter, deux autres scientifiques. Car Stan a un projet. Ou plutôt un rêve. De ceux, obsédants, qu’on ne peut ignorer. Il prend la forme, improbable, d’un squelette. Apatosaure ? Brontosaure ? Il ne sait pas vraiment. Mais le monstre dort forcément quelque part là-haut, dans la glace. S’il le découvre, ce sera enfin la gloire, il en est convaincu. Alors l’ascension commence. Mais le froid, l’altitude, la solitude, se resserrent comme un étau. Et entraînent l’équipée là où nul n’aurait pensé aller.

De sa plume cinématographique et poétique, Jean-Baptiste Andrea signe un roman à couper le souffle, porté par ces folies qui nous hantent.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. Il est réalisateur et scénariste. 
Ma reine est son premier roman.


Avis :

Juillet 1954. Les récits d’un vieil homme aujourd’hui décédé ont convaincu Stan, paléontologue français d’une cinquantaine d’années, qu’un exceptionnel spécimen de squelette de dinosaure est caché dans une grotte, à proximité d’un glacier du massif des Dolomites, entre France et Italie. Se basant sur les maigres indices en sa possession, il entraîne trois hommes : son meilleur ami et scientifique Umberto, l’assistant de ce dernier, Peter, et un guide de haute montagne, Gio, dans une expédition de plusieurs semaines dont il espère enfin le couronnement de sa carrière.

Quel enchantement que ce livre ! C’est d’abord la beauté de l’écriture, le juste choix des mots, la poésie et l’humour des tournures, qui sautent aux yeux dès les premières pages. Puis, très vite, on se retrouve en apnée, embarqué dans une aventure dont l’issue dépendra autant des lois de la haute montagne, que des personnages venus dans cet implacable et dangereux huis-clos chargés des fantômes de leur passé.

Le récit, court et intense, est mené avec une efficace sobriété, dans un impitoyable enchaînement dont la fatalité et l’ironie se retrouvent jusque dans le titre, et où l’émotion, embusquée au plus profond des protagonistes, finira par prendre le lecteur à la gorge.

Récit d’aventure faisant la part belle à la montagne, cette histoire est aussi celle de la poursuite d’un rêve, le rêve de l’enfant blessé par la vie que fut Stan, et que l’adulte qu’il est devenu tentera finalement de réaliser à tout prix. Car quelle est la plus grande folie : perdre le sens de son existence en renonçant à ses rêves, ou risquer sa vie pour les réaliser ? Un livre coup de foudre, bien au-delà du coup de coeur. (6/5)


Citations :

Si tout commence souvent par une route, j’aimerais savoir qui a fait la mienne si tortueuse.

C’est un pays où les querelles durent mille ans. La vallée s’y enfonce, s’égare comme un sourire de vieillard. Tout au fond, pas loin de l’Italie, un cyprès immense cloue le hameau à la montagne. Les maisons font cercle, se bousculent et tendent leurs tuiles brûlantes pour le toucher. Les ruelles sont si étroites qu’on s’écorche les épaules à les parcourir. Ici, la place est rare et la pierre la convoite. À l’homme, elle ne laisse que des miettes.

Les seuls monstres là haut, sont ceux que tu emmènes avec toi.  

Le sentier s’est tari. Il ne coule maintenant plus qu’un filet de cailloux sous nos pieds, parfois entrecoupé d’une orgie de racines. La vallée se resserre, sa verticalité s’aggrave. On n’entend presque plus la rivière. Au-dessus de nos têtes, les épicéas disputent une course au ciel contre les falaises de granit. Leur arrogance dans la défaite, voilà ce qui fait la noblesse de ces arbres. La chaleur est revenue, plus intense encore, elle bourre le défilé d’une étoupe incandescente.

Le feu s’est endormi, bercé par ses craquements. Gio le ranime d’un coup de pied, l’éperonne d’une demi-bûche. Le feu sursaute, ça va, ça va, il est réveillé, danse la tarentelle d’un bois à l’autre.


Un glacier, de près. C'est un spectacle qu'il faut avoir vu une fois dans sa vie : la Terre bâille une langue énorme, crevassée, se lèche avec curiosité et attrape au passage, si elle y parvient, les alpinistes qui osent s'y risquer. Plus d'une histoire s'est effondrée là, dans un grand craquement bleu, dans le silence dur de cette mer sans poissons. 

J’ai la gentillesse ébouriffée des abeilles, je pique parfois sans m’en rendre compte la main qui approche, parce que je crois par habitude qu’elle va m’écraser. 

Je suis à cet instant charnière de la vie d’un homme, le point du fou, celui où plus personne ne croit en lui. Il peut reculer, une décision dont tout le monde, sans exception, louera la sagesse. Ou aller de l’avant, au nom de ses convictions. S’il a tort, il deviendra synonyme d’arrogance et d’aveuglement. Il sera à jamais celui qui n’a pas su s’arrêter. S’il a raison, on chantera son génie et son entêtement face à l’adversité. C’est l’heure grave de ne plus croire en rien, ou de croire en tout.

La troisième étape de l’hypothermie, la voilà. (...). Déshabillage paradoxal. Les muscles se relâchent, le sang revient d’un coup à la périphérie du corps. Sensation de chaleur intense. Sa température vient de tomber à vingt-huit degrés et la victime se dénude. Elle meurt de chaud alors qu’elle meurt de froid. C’est le royaume des hallucinations, les grands rêves d’opium du coma. À ce stade, il est déjà trop tard, l’esprit trop loin de lui-même pour espérer revenir.


J’en veux à tout ce blanc, ce blanc de neige qui nous rend fous et égare tout, hommes et bêtes. J’ai beau savoir qu’un prisme révélerait les couleurs qui s’y terrent, j’ai beau me répéter que ce blanc est une larve d’arc-en-ciel, décidément, je ne peux pas lui pardonner. Je suis coupable, oui, coupable de nous être crus capables de lui tenir tête.  

Hier soir, la solitude m’a rattrapé (…) Devant mon feu, j’ai pris conscience de ce que c’était que d’être seul. C’est une pression physique. L’air qui pousse pour m’écraser, l’univers tout entier qui me fait sentir à quel point je suis mesquin, inutile, une main sur mon visage qui m’impose le silence et m’empêche de respirer. On me répliquera qu’on peut être seul au milieu d’une foule. Foutaises. Je rêve de foule.  

Maintenant je sais. Je sais à quoi ressemble l'hiver dans ces montagnes. C'est une locomotive. Une machine furieuse, un délire d'étincelles qui danse sur ses rails, un rire d'acier à l'horizon. Elle hurle, elle se cabre, elle tire en bondissant son cargo de fonte. Je parle bien sûr de l'hiver pur, pas de la saison câline qui effleure chaque année nos existences de plaines et de villes. Je parle d'un dieu vorace dont la colère rabote les cimes et ponce les crêtes. Il donne de l'audace aux glaciers et souffle, perché sur ses montagnes, son mépris pour la vie. Il est destruction. Il est beauté à couper le souffle. 

Je déploie mes doigts devant mes yeux. La crasse, les cals, les rides et les blessures. Laquelle de ces lignes est ma ligne de vie ? On m’a parlé autrefois d’un aventurier qui, trouvant la sienne trop courte, l’avait prolongée d’un coup de couteau. Pour gagner quoi ? Couteau ou pas, on arrive vite à court de paume. Rallonger sa ligne de vie, quelle idée. Nos mains sont trop petites pour retenir quoi que ce soit d’important.


Il faut peu de chose pour tuer une étoile. Il suffit d’un réverbère.


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