mardi 19 mai 2020

[Sorente, Isabelle] Le complexe de la sorcière






J'ai moyennement aimé

 

Titre : Le complexe de la sorcière

Auteur : Isabelle SORENTE

Editeur : JC Lattès

Année de parution : 2020

Pages : 300

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

«  Les histoires que je lis sont celles de femmes accusées d’avoir passé un pacte avec le diable parce qu’un veau est tombé malade. Les histoires que je lis sont celles de femmes qui soignent alors qu’elles n’ont pas le droit d’exercer la médecine, celles de femmes soupçonnées de faire tomber la grêle ou de recracher une hostie à la sortie de la messe. Et moi, je revois le cartable que m’a acheté ma mère pour la rentrée de sixième, un beau cartable en cuir, alors que j’aurais voulu l’un de ces sacs en toile que les autres gosses portent sur une seule épaule, avec une désinvolture dont il me semble déjà que je ne serai jamais capable. Je revois mon père tenant ma mère par la taille un soir d’été, je le revois nous dire, à mon frère et à moi, ce soir, c’est le quatorze juillet, ça vous dirait d’aller voir le feu d’artifice  ? Cette contraction du temps qui se met à résonner, cet afflux de souvenirs que j’avais d’abord pris pour un phénomène passager, non seulement ne s’arrête pas, mais est en train de s’amplifier.  »

En trois siècles, en Europe, plusieurs dizaines de milliers de femmes ont été accusées, emprisonnées ou exécutées. C’est l’empreinte psychique des chasses aux sorcières, et avec elle, celle des secrets de famille, que l’auteure explore dans ce roman envoûtant sur la transmission et nos souvenirs impensables, magiques, enfouis.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Isabelle Sorente est romancière. Elle est notamment l’auteure de La Faille et du magnifique 180 jours, basé sur une enquête de plusieurs mois dans les élevages industriels, qui ont tous deux reçu un très bel accueil du public. Avec Le complexe de la sorcière, paru en janvier 2020, c’est l’empreinte psychique des chasses aux sorcières qu’elle reconstitue dans un récit envoûtant. Isabelle Sorente tient aussi une chronique sur France Inter et collabore avec Philosophie Magazine.

 

Avis :

La narratrice, la quarantaine, est poursuivie par la vision d’une sorcière. Intriguée, elle se lance dans une recherche documentaire sur les persécutions dont furent victimes quantité de femmes en Europe au prétexte de sorcellerie. Simultanément, lui reviennent en mémoire de douloureux souvenirs de son adolescence, traumatisée par plusieurs années de harcèlement scolaire.

Dès les premières lignes s’installe le sentiment de parcourir un récit autobiographique, mêlé à une réflexion sur l’hypothèse d’un lien entre une expérience de harcèlement vécue par la narratrice, et les traces qu’aurait laissées la persécution des sorcières, autrement dit des femmes, dans nos esprits modernes.

J’aurais bien aimé profiter davantage des investigations de l’auteur sur le thème des chasses aux sorcières, et trouver dans ce livre une analyse plus aboutie et mieux argumentée de ce qui a les a motivées. Sur ce point, j’avais trouvé bien plus intéressant l’épilogue de la trilogie des Dames de Brières de Catherine Hermary-Vieille : alors oui, les sorcières ont été inventées par peur de la différence et par volonté de soumettre les femmes trop indépendantes au pouvoir masculin et religieux.

Et oui, peut-être peut-on, à la rigueur, y voir une vague similarité avec les processus actuels de rejet de la différence au travers du racisme, de l’homophobie, de la misogynie, du harcèlement : la différence n’est toujours pas comprise ni acceptée de tous, elle génère encore des comportements violents et de la persécution.

Mais de là à affirmer, sans autre argument qu’une vision persistante, que nos comportements actuels sont inconsciemment influencés par les chasses aux sorcières vieilles de quatre siècles, qu’au travers de l’épigénétique nous en avons tous hérité un traumatisme qui impacte nos comportements, qu’en l’homme sévit un inquisiteur en puissance et que les femmes sont désormais conditionnées au rôle de victimes brisées psychologiquement, ce qui expliquerait le harcèlement subi par la narratrice adolescente, il y a un raccourci qui prête presque à rire.

Les souffrances et les séquelles psychologiques de la protagoniste du livre, son douloureux parcours vers la reconstruction au travers d’une longue psychanalyse, ne peuvent qu’émouvoir et éclairer la nécessité de rompre le silence qui entoure encore souvent les drames du harcèlement, aujourd’hui démultipliés par les réseaux sociaux. L’on comprend le mal-être de l’adulte qui a dû se construire sur cette blessure, mais l’on s’inquiète de le voir s’accrocher à ce qu’on pourrait qualifier d’élucubrations, pour tenter de parvenir à l’équilibre. La narratrice s’intéresse à toutes les théories d’analyse psychologique, dont notamment les très récentes épigénétique et psychogénéalogie, et à toutes les pratiques de développement personnel à la mode, dont la méditation et les retraites sous la férule d’un maître zen. Elle semble avoir tiré de sa quête un étrange salmigondis de convictions parfois fantaisistes qui, à défaut de réalisme, l’aideront peut-être à vivre mieux.

En tous les cas, ce livre singulier construit sur des raccourcis hasardeux me paraît avoir pour principal intérêt le sujet du harcèlement et des durables blessures psychologiques qu’il occasionne, bien plus que les histoires de sorcières abordées sous un angle à mes yeux trop fantaisiste. (2/5)


 

Citation :

L’une des façons de savoir si une femme était sorcière était de la jeter à l’eau. Si elle flottait, c’est qu’elle était coupable, et on la repêchait pour mieux la brûler. Si elle se noyait, elle mourait innocente. Les démonologues croyaient que les sorcières se reconnaissaient à une légèreté anormale. Sinon, comment auraient-elles pu s’envoler pour se rendre au sabbat ? Cette logique implacable pouvait conduire à noyer les accusées ou, procédure moins cruelle et surtout moins fatale, à les peser. J’imagine les magistrats plaçant, sur les plateaux d’une grande balance, d’un côté une Bible et de l’autre une femme. Même si les Bibles de l’époque pouvaient peser une vingtaine de kilos, l’accusée avait toutes les chances de s’en tirer lorsqu’elle était soumise à ce test plutôt que jetée à l’eau. Il arrivait même que les femmes soupçonnées de sorcellerie par leurs voisins demandent un pesage en bonne et due forme, à l’issue duquel un certificat de normalité leur était délivré. Elles pesaient le bon poids, elles n’étaient pas sorcières. Elles pouvaient retourner chez elles et reprendre une vie normale (jusqu’à la prochaine accusation).
Je ne peux m’empêcher de penser qu’aujourd’hui, le critère de poids s’est inversé. La mauvaise femme n’est plus celle qui flotte dans ses vêtements, mais celle qui pèse trop lourd. Le mal a changé de camp, le bien aussi. Mais cinq siècles plus tard, le rituel demeure, les femmes continuent à se soumettre à la pesée. Et personne n’irait questionner l’habitude de monter sur une balance, personne n’aurait l’idée de se demander d’où elle vient. On dit que les femmes sont obsédées par leur apparence, on dit qu’elles ne sont jamais satisfaites de leur poids. Et si c’était autre chose ? Comme le besoin d’être pesée pour prouver son innocence, comme la répétition d’un rituel de survie dont nous avons oublié le sens ? C’est le genre de questions que je commence à me poser, achevant la lecture d’une histoire de l’Inquisition, découvrant la pensée des démonologues et les méthodes d’interrogatoire.
Et aussi : De quelles autres traces n’avons-nous pas conscience ?

 

A propos des sorcières sur ce blog :

 


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