vendredi 15 mai 2020

[Sackville-West, Vita] Au temps du roi Edouard




J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Au temps du roi Edouard
           (
The Edwardians)

Auteur : Vita SACKVILLE-WEST

Traductrice : Alice TURPIN

Parution : en anglais en 1930,
                en français en 1933 chez Grasset,
                en 2012 chez Livre de Poche

Pages : 264

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

« Margaret prétend qu'elle veut épouser un peintre, dit Sylvia, en regardant sa fille avec compassion. — Quoi ! s'écria la duchesse, un peintre ? Quel peintre ? A-t-on jamais entendu chose pareille ? La fille de lady Roehampton épouser un peintre ? Mais non, mais non... Vous épouserez Tony Wexford, et nous verrons après ce qu'on pourra faire pour le peintre », ajouta-t-elle, en lançant à Sylvia un coup d'œil rapide. Dans cette chronique grinçante de l'aristocratie anglaise du début du XXe siècle, Vita Sackville-West fait craquer sous les passions le vernis des bonnes manières.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Vita Sackville-West (1892-1962) fut amoureusement liée à Violet Trefusis, qu’elle connut dès l’enfance, et amie intime de Virginia Woolf. Écrivain prolifique (poèmes, biographies, manuels sur l’art du jardin, journaux, récits de voyage…), elle a signé recueils de nouvelles et romans dont le plus célèbre, Au temps du roi Édouard (1930), fait revivre avec grâce le monde de la haute aristocratie anglaise au début du XXe siècle.

 

 

Avis :

L’ère victorienne s’achève au tout début du vingtième siècle, avec le couronnement du roi Edouard VII en 1902 : encore très attachée aux sévères conventions de l’étiquette, l’aristocratie anglaise commence avec circonspection à sentir le souffle d’un vent nouveau, n’osant s’autoriser de libertés que soigneusement cachées derrière les apparences les plus traditionnellement respectables. Le jeune Sébastien, oscillant entre ordre ancien et émancipation moderne, se retrouve au coeur de déchirements sentimentaux où l’hypocrisie et la vanité pourraient bien l’emporter sur l’amour.

L’apprentissage de Sébastien n’est que le prétexte d’une virulente critique de la société édouardienne, que Vita Sackville-West connut durant son enfance : bien loin de se douter que l’ordre établi sera bientôt balayé par la première guerre mondiale, l’aristocratie britannique de l’époque s’accroche bec et ongles à la tradition, qui lui permet sans grande contrepartie de maintenir son prestige et ses privilèges, selon un mode de vie immuable hérité « du temps des Deux Roses ». L’auteur n’est pas tendre pour ses congénères et dénonce la mesquinerie quotidienne d’une coterie qui s’observe et dénigre impitoyablement le moindre travers derrière sourires et flatteries, la tartuferie morale d’adultères appliqués, envers et contre tout, à laisser sauve la façade de mariages respectables, tout comme l’hypocrisie sociale d’un paternalisme d’abord soucieux de préserver à son avantage une hiérarchie de classes inchangées depuis des siècles.

La plume acérée et sarcastique dessine les personnages et restitue leur contexte avec une précision et un réalisme qui donnent au lecteur l’impression d’évoluer dans leur quotidien. La lecture est fluide et passionnante, et amène à s’interroger sur la personnalité de l’écrivain : tandis que l’on est tenté d’imaginer Vita jeune se profiler sous les traits de Viola, la soeur de Sébastien, seule dans cette histoire à porter un regard lucide sur son milieu et à avoir le courage de s’affranchir de son hypocrisie, l’on ne peut également que sourire en se rappelant le conformisme social dont l’auteur fit preuve en menant sa vie amoureuse, homosexuelle et mouvementée, sous les apparences d’un mariage rangé. (4/5)

 

 

Citations :

Ce qui était inquiétant chez Sébastien, c’est qu’il n’avait jamais d’idées définitives sur aucun sujet. En un mot, il n’avait pas d’opinions, mais des humeurs, dont l’intensité dévastatrice n’égalait que la brièveté.

Viola regarda ce visage enfantin et troublé. Elle aurait voulu dire à Margaret : « Très bien, si vous voulez la vérité, la voilà. La société dans laquelle vous vivez est faite de gens à la fois dissolus et prudents. Ils veulent s’amuser sans renoncer à leur situation. Ils ont un certain vernis, mais au fond, ils ne comprennent que ceci : qu’ils ont besoin d’argent, qu’ils doivent se montrer dans certains endroits, avec certaines gens. Bien qu’ils tendent à n’être que des fantoches, il y a encore chez eux un coin d’humanité et ils s’accordent quelques histoires d’amour artificielles ou, parfois, trop vraies. Quoi qu’il arrive, il faut d’abord penser à ce que dira le monde, et cette hypocrisie fait des êtres vils et médiocres. De plus ils sont envieux, malveillants et vénaux, froids et arrogants. Quant à nous, leurs enfants, ils nous laissent dans une ignorance complète de la vie, nous inculquant seulement les idées auxquelles nous devons nous soumettre, et ils nous traitent avec une sauvage cruauté si nous manquons de nous y conformer. »

 

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