Coup de coeur 💓💓
Titre : L'empire de l'ombre
Guerre et terre au temps de l'IA
Auteur : Giuliano DA EMPOLI
Parution : 2025 (Gallimard)
Pages : 266
Présentation de l'éditeur :
Sur la scène : Donald Trump, Vladimir Poutine, Xi Jinping. Une fébrilité
planétaire – le risque d’une déflagration mondiale. Le spectacle est
impressionnant, mais que se passe-t-il vraiment dans l’ombre ?
Une transformation profonde est en cours. Il est devenu urgent de la comprendre. Des idéologues du Kremlin aux techno-césaristes de la Silicon Valley, de nouvelles élites cherchent à forger des empires. La puissance de feu, matérielle et intellectuelle, du projet qui s’impose depuis la Maison-Blanche est incontestable. Comme toujours en pareil cas, ses partisans ont tendance à le présenter comme inéluctable.
Mais l’acharnement avec lequel ils s’en prennent à l’Europe nous dit qu’ils la considèrent tout de même comme un obstacle à la mise en œuvre de leurs plans. S’en rendre compte, c’est prendre conscience que nous avons davantage de pouvoir que nous l’imaginons et construire un avenir alternatif.
Le point de départ doit être le refus de la soumission. Puisque le défi est philosophique et culturel, toute résistance commence par la connaissance.
C’est ce qui fait de ce quatrième volume de la revue un vademecum nécessaire à tout citoyen convaincu que la vassalisation heureuse ne peut pas être sa destinée. (Giuliano da Empoli)
Avec les contributions de Daron Acemoglu, Sam Altman, Marc Andreessen, Lorenzo Castellani, Adam Curtis, Mario Draghi, He Jiayan, Benjamín Labatut, Marietje Schaake, Vladislav Sourkov, Peter Thiel, Svetlana Tikhanovskaïa, Jianwei Xun, Curtis Yarvin.
Le Grand Continent, revue née en ligne et portée par une nouvelle génération, s’est imposé comme la plateforme de référence pour le débat stratégique, politique et intellectuel à l’échelle continentale.
Une transformation profonde est en cours. Il est devenu urgent de la comprendre. Des idéologues du Kremlin aux techno-césaristes de la Silicon Valley, de nouvelles élites cherchent à forger des empires. La puissance de feu, matérielle et intellectuelle, du projet qui s’impose depuis la Maison-Blanche est incontestable. Comme toujours en pareil cas, ses partisans ont tendance à le présenter comme inéluctable.
Mais l’acharnement avec lequel ils s’en prennent à l’Europe nous dit qu’ils la considèrent tout de même comme un obstacle à la mise en œuvre de leurs plans. S’en rendre compte, c’est prendre conscience que nous avons davantage de pouvoir que nous l’imaginons et construire un avenir alternatif.
Le point de départ doit être le refus de la soumission. Puisque le défi est philosophique et culturel, toute résistance commence par la connaissance.
C’est ce qui fait de ce quatrième volume de la revue un vademecum nécessaire à tout citoyen convaincu que la vassalisation heureuse ne peut pas être sa destinée. (Giuliano da Empoli)
Avec les contributions de Daron Acemoglu, Sam Altman, Marc Andreessen, Lorenzo Castellani, Adam Curtis, Mario Draghi, He Jiayan, Benjamín Labatut, Marietje Schaake, Vladislav Sourkov, Peter Thiel, Svetlana Tikhanovskaïa, Jianwei Xun, Curtis Yarvin.
Le Grand Continent, revue née en ligne et portée par une nouvelle génération, s’est imposé comme la plateforme de référence pour le débat stratégique, politique et intellectuel à l’échelle continentale.
Un mot sur l'auteur :
Giuliano da Empoli, né en à Neuilly-sur-Seine, est un
écrivain et conseiller politique italien et suisse. Il est le président
de Volta, un think tank basé à Milan, et enseigne à Sciences-Po Paris.
Avis :
La revue Le Grand Continent, fondée à Paris, est un espace de réflexion transdisciplinaire qui réunit intellectuels et écrivains autour des grandes mutations contemporaines. Elle paraît en format papier aux éditions Gallimard sous la forme d’un numéro annuel, dirigé par l’écrivain et conseiller politique italo-suisse Giuliano da Empoli. Cette quatrième parution, qui rassemble différents textes de figures comme Daron Acemoğlu, Sam Altman, Marc Andreessen, Mario Draghi ou encore Adam Curtis, est consacrée aux bouleversements géopolitiques et culturels liés à l’intelligence artificielle, aux conflits contemporains et aux nouvelles formes de pouvoir.Le volume met en scène les grandes puissances actuelles – Donald Trump, Vladimir Poutine, Xi Jinping – mais insiste surtout sur ce qui se joue « dans l’ombre » : la montée de nouvelles élites, des idéologues du Kremlin aux techno-césaristes de la Silicon Valley, qui cherchent à forger des empires à travers l’IA et les technologies numériques. L’ambition est de montrer que derrière le spectacle visible des tensions mondiales, une mutation souterraine est en cours, qui redessine en profondeur les équilibres mondiaux.
Dans ce contexte, les formes traditionnelles de domination se déplacent et se recomposent. La guerre devient hybride, menée à la fois dans le cyberespace et sur les terrains physiques, brouillant les frontières entre affrontement visible et invisible. La terre ne se réduit plus aux territoires matériels : elle inclut désormais les infrastructures numériques, les réseaux énergétiques et les espaces de données, devenus des enjeux de souveraineté. Quant aux rapports de force, ils se réorganisent sous l’effet de l’IA, qui fait émerger de nouvelles puissances – entreprises technologiques, idéologues, acteurs transnationaux – capables d’imposer souterrainement leur influence.
La démonstration proposée par ce numéro s’appuie sur un matériau singulier : non seulement les analyses des observateurs, mais aussi les textes, discours et manifestes produits par ces nouvelles élites elles-mêmes. En donnant à lire leurs propres paroles, la revue dévoile la logique interne de ces acteurs, leur rhétorique guerrière et leurs stratégies de conquête. On y perçoit la manière dont ils façonnent des récits de domination, manipulent les imaginaires collectifs par les réseaux sociaux, instaurent une forme d’« hypnose » de masse et redéfinissent le rapport au réel. Ces prises de position, souvent marquées par une défiance envers les institutions démocratiques, révèlent une volonté de substituer au débat public une vision autoritaire et technologique du pouvoir. L’ensemble met ainsi en lumière la cohérence d’un projet souterrain : celui d’élites qui, par la guerre des récits et la maîtrise des technologies, cherchent à imposer un nouvel ordre mondial à leur avantage.
« Être un modéré n’est pas une idéologie [...] c’est l’absence de pensée. » – Curtis Yarvin
« Il n’y a plus de beauté que dans la lutte [...] La technologie doit être un assaut violent. » – Marc Andreessen
« Les machines prennent les décisions à notre place [...] mais c’est largement compensé par la liberté née de l’abondance matérielle. » – Marc Andreessen
« Notre ennemi est le principe de précaution [...] Il est profondément immoral et nous devons nous en débarrasser. » – Marc Andreessen
« Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. » – Peter Thiel
« L’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes [...] ont rendu la démocratie capitaliste oxymorique [...] Seules les technologies pourraient créer de nouveaux espaces pour la liberté. » – Peter Thiel
Autant de déclarations que le lecteur reçoit comme des déflagrations, venant confirmer avec une force implacable les analyses sombrement lucides des spécialistes contributeurs de l’ouvrage. Pourtant, loin de se réduire à un constat désabusé, le livre s’attache tant bien que mal à l’espoir : en dévoilant la radicalité des imaginaires qui structurent ces nouvelles élites, il alerte sur l’ampleur des luttes en cours et invite chacun à mesurer les conséquences politiques et culturelles de ces visions. Cette mise en lumière, en rendant visibles les logiques souterraines, ouvre la possibilité d’une réaction collective, en particulier à l’échelle européenne, où se joue peut-être la capacité de bâtir un contre-modèle. Car c’est là que peut émerger une réponse fondée sur la démocratie, la culture et la coopération, capable de rivaliser avec les récits conquérants et de proposer une autre idée du progrès : un progrès partagé, inclusif et durable.
Une collection de textes saisissants qui, au-delà du constat, tracent les lignes de force d’un monde en recomposition. Ce numéro n'éclaire pas seulement les bouleversements : il en fait sentir l’urgence, en donnant au lecteur les clés pour comprendre – préalables indispensables à toute réaction. Comme toujours sous la direction de Giuliano da Empoli, l’ouvrage conjugue clarté et intensité, offrant une lecture accessible et percutante, qui secoue et arme l’esprit. Essentiel, parce qu’il ne s’agit plus seulement de lire le présent, mais de se préparer à le transformer collectivement. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Réduit à l’essentiel, le projet politique techno-césariste peut être décomposé en deux phases. D’abord, la machine à chaos des réseaux sociaux et autres outils numériques sape de l’intérieur les fondements mêmes des démocraties libérales. Le débat public sort des espaces réglementés dans lesquels il se déroulait pour rejoindre une sorte de Somalie numérique où les seules règles sont celles imposées par les seigneurs de la guerre, les propriétaires des grandes plateformes, qui remplacent l’opinion publique par un assemblage de tribus ennemies et multiplient leur fortune au passage. Cette phase implique l’élimination des anciennes élites modérées, sociales-démocrates et libérales qui ont gouverné nos sociétés jusqu’à présent, et leur substitution par des leaders extrémistes qui amplifieraient encore plus la déconstruction des institutions démocratiques et de tout ce qui pourrait freiner l’accélération en cours.
Passé cette première phase, la théorie du bonheur du techno-césarisme se révèle dans toute sa splendeur.
Elle implique l’adhésion des masses à un nouveau Léviathan, la machine algorithmique gouvernée par l’intelligence artificielle qui résoudra tous les problèmes de l’humanité, laissant présager un avenir d’abondance illimitée. Si Hobbes concevait déjà son Léviathan non pas comme une créature abstraite mais comme un corps physique, un « homme artificiel » ou, mieux, un « Dieu mortel », les techno-césaristes vont plus loin, en imaginant un Léviathan dont la domination s’étendrait au-delà des frontières de la Terre, en colonisant l’univers, et au-delà des frontières de la vie humaine, en vainquant la mort. En attendant que cet avenir radieux se réalise, le projet prévoit que les masses se soumettent à un régime de contrôle absolu, qui surveille et oriente chacun de leurs mouvements, afin que le fonctionnement de la société dans son ensemble, et de chacun des individus qui la composent, se conforme de plus en plus à celui de la machine.
Passé cette première phase, la théorie du bonheur du techno-césarisme se révèle dans toute sa splendeur.
Elle implique l’adhésion des masses à un nouveau Léviathan, la machine algorithmique gouvernée par l’intelligence artificielle qui résoudra tous les problèmes de l’humanité, laissant présager un avenir d’abondance illimitée. Si Hobbes concevait déjà son Léviathan non pas comme une créature abstraite mais comme un corps physique, un « homme artificiel » ou, mieux, un « Dieu mortel », les techno-césaristes vont plus loin, en imaginant un Léviathan dont la domination s’étendrait au-delà des frontières de la Terre, en colonisant l’univers, et au-delà des frontières de la vie humaine, en vainquant la mort. En attendant que cet avenir radieux se réalise, le projet prévoit que les masses se soumettent à un régime de contrôle absolu, qui surveille et oriente chacun de leurs mouvements, afin que le fonctionnement de la société dans son ensemble, et de chacun des individus qui la composent, se conforme de plus en plus à celui de la machine.
Avant même qu’il ne mette les pieds à la Maison-Blanche, J. D. Vance avait formulé les termes du marché de manière explicite : « Ne pensez pas que l’OTAN vous protégera si vous imposez des limites à nos plateformes numériques », avait-il dit. Et depuis, cette menace a été réitérée, sous différentes formes, par tous les hiérarques du nouvel empire. Accepter cet échange reviendrait à renoncer à une dimension de la souveraineté dont l’importance est désormais comparable à celle de la souveraineté territoriale. S’il n’exclut pas un volet territorial (le Groenland, le Canada, le Panama…), le projet techno-césariste se déploie en effet principalement dans la dimension numérique. Accepter l’échange de Vance, c’est donc se résigner à la dislocation de nos démocraties, à l’image de ce qui se passe aux États-Unis, et ouvrir tout grand la porte à l’autoritarisme numérique dont rêvent les oligarques de la Silicon Valley.
Il ne s’agit pas que de nouvelles règles. Comme le dit très bien Andre Wilkens, pendant trop longtemps, l’Europe s’est appuyée sur la croyance que l’utilisation abusive des plateformes numériques pouvait être traitée principalement par la réglementation, mais bien que des normes solides soient indispensables, « on ne gagne pas une guerre à coups de réglementations ».
La plupart des gens ne veulent pas que les moindres détails de leur vie soient gérés par une sorte de machine omnisciente toute-puissante, même si c’est pour leur bien. Être libre, ce n’est pas avoir un maître bienveillant, c’est ne pas avoir de maître du tout.
Prédire l’avenir est toujours un acte de pouvoir, mais imaginer des futurs alternatifs est toujours un acte de liberté.
Dans ce paysage évoluent deux figures emblématiques, à la fois créateurs et symboles de cette époque : Donald Trump et Elon Musk. Ils ne sont pas simplement deux individus puissants ; ils sont les apôtres de ce nouveau paradigme, forces opposées mais complémentaires dans la bataille pour la réalité.
D’un côté, Trump vide le langage : ses mots, répétés à l’infini, deviennent des signifiants vides, dénués de sens mais chargés d’un pouvoir hypnotique. De l’autre, Musk inonde notre imagination de promesses utopiques destinées à ne jamais se réaliser, entraînant les esprits dans une transe perpétuelle d’anticipation obsessionnelle. Ensemble, ils modulent nos désirs, réécrivent nos attentes et colonisent notre inconscient. Tous deux ont perfectionné l’art de susciter des crises pour ensuite se présenter comme la solution. Trump évoque des invasions imaginaires pour se poser en protecteur. Musk annonce des apocalypses liées à l’intelligence artificielle pour se proposer comme le gardien de l’humanité. Cette technique qui consiste à créer et à résoudre des problèmes imaginaires est la clef de toute hypnose.
Le capitalisme numérique n’est pas simplement une évolution du capitalisme. Les algorithmes ne sont pas de simples outils de calcul et de prédiction : ce sont des technologies hypnotiques de masse. Et l’économie de l’attention n’est pas qu’un modèle économique : c’est un système d’induction collective de transe.
L’illusion n’a jamais été aussi réelle – et l’idée de réalité n’a jamais été aussi illusoire.
Ce n’est pas une ère de contrôle direct. C’est une ère de manipulation subtile, où le pouvoir ne se manifeste pas par la force mais par la séduction. Le récit ne dicte pas de règles : il murmure des possibilités. Chaque image, chaque son, chaque mot se positionne comme une tesselle dans une mosaïque hypnotique. La répétition est son arme la plus puissante : non pas parce qu’elle contraint mais parce qu’elle capture.
Trump, comme nous l’avons vu, exploite et amplifie les impulsions régressives : la nostalgie d’un passé imaginaire, la peur de l’autre, le désir de vivre dans un monde simple. Son hypnose opère par la libération contrôlée d’énergies réprimées. Musk, en revanche, mobilise les impulsions progressistes, même chez les conservateurs : le désir de transcendance technologique, l’évasion de la finitude humaine, l’excitation pour la nouveauté. Son hypnose fonctionne par la sublimation technocratique des angoisses existentielles.
Leur opposition apparente – la régression de Trump face au progressisme de Musk – repose sur une complémentarité profonde : ils sont deux faces d’un même système qui opère par modulation des états de conscience collectifs, oscillant entre la nostalgie d’un passé imaginaire et l’anticipation d’un futur impossible.
Le véritable pouvoir de ces systèmes réside non dans leur capacité à censurer ou contrôler l’information, mais dans leur aptitude à façonner l’architecture même de la perception. TikTok, par exemple, ne se contente pas de distribuer du contenu : il exporte et propage une manière particulière de vivre le temps, l’identité et les relations. L’algorithme devient un outil de colonisation culturelle, plus subtil et profond que les formes traditionnelles d’impérialisme.
La capacité d’un État à exercer sa souveraineté ne dépend plus de sa force militaire ou économique, mais de sa capacité à maîtriser et à maintenir des architectures de la conscience convaincantes. Ainsi la victoire et la défaite ne se mesurent plus en termes de conquête territoriale, mais d’hégémonie perceptuelle.
Le rôle des entreprises technologiques a pris une dimension absolument inédite. Elles ne sont plus simplement des acteurs économiques, mais de véritables entités géopolitiques en compétition avec les formes traditionnelles de la souveraineté pour le contrôle des états de conscience. Leur pouvoir découle non pas du contrôle des territoires ou des ressources, mais de leur capacité à façonner les interfaces par lesquelles des milliards de personnes accèdent à la réalité elle-même.
Accélération. Réaction. L’alliage de ces deux métaux lourds – a priori incompatibles, en apparence contradictoires – définit l’alchimie du nouvel empire Trump.
D’un côté, l’accélération d’une partie des États-Unis qui veut s’affranchir de toute contrainte, de toute réglementation mais qui veut investir et s’élancer vers l’avenir ; une élite qui ne méprise pas la mondialisation mais veut la dominer ; un groupe au pouvoir qui entend imposer son propre canon linguistique et culturel dans une perspective futuriste.
De l’autre, la réaction de l’Amérique des petites villes, du travail manuel et du concret. Les territoires où vivent ceux qui sont les moins éduqués, où l’immigration est enchâssée au tissu productif.
C’est dans cette soudure mystérieuse que se crée la base de la nouvelle majorité électorale américaine. Elle est au fondement de la structure sociale imposée dans laquelle le haut, en route vers le futur – l’élite technologique et capitaliste –, coexiste avec le bas conservateur – le premier électorat de Trump et de sa promesse populiste. Elle définit le regard que la nouvelle administration portera sur les États-Unis et le reste du monde.
Le fer de lance de ce projet impérial s’appelle Elon Musk. Il n’est pas seulement le grand inspirateur de l’internationale réactionnaire. Pour l’administration Trump, il pourrait à lui seul, avec le soutien de l’oligarchie techno-césariste, jouer le rôle d’une nouvelle Compagnie des Indes – la société marchande privée qui a permis à l’Empire britannique de contrôler ses possessions et de barrer la route à ses adversaires pendant près de deux siècles. Dans cette manière anglo-américaine de concevoir la projection extérieure de la puissance – ce que Michael Mann a appelé la puissance infrastructurelle –, une osmose nouvelle entre le public et le privé permettrait à l’empire Trump de s’infiltrer là où les structures gouvernementales ne parviennent pas et aux grandes entreprises privées de former des monopoles ou des oligopoles.
Qu’il s’agisse d’efficacité au travail, de divertissement ou d’applications pratiques – l’un des slogans d’Apple était justement qu’il existe « une application pour presque tout » – les avantages offerts par ces technologies sont immédiats et tangibles. Cette situation presque magique a créé une sorte de déconnexion : un monde dans lequel les personnes – devenues des utilisateurs – bénéficient de technologies souvent gratuites sans saisir les conséquences plus profondes quant à la croissance et à l’influence des pourvoyeurs de ces technologies sur la démocratie, la géopolitique, la vie privée et la société dans son ensemble.
Les délibérations les plus cruciales, les défis liés à la collecte de données et les comportements anticoncurrentiels de ces entreprises restent souvent cachés. Nous voyons et expérimentons de première main les aspects positifs et passionnants de leurs produits sans remarquer les autres dynamiques qui font tout autant partie intégrante des activités de ces entreprises. C’est précisément en inventant des objets et des dispositifs qui nous plaisent que ces plateformes peuvent opérer, dans l’ombre, un transfert du pouvoir.
Il suffit de regarder de ce qu’a provoqué la diffusion massive de l’IA à l’échelle mondiale pour s’en rendre compte : les conditions qui ont rendu possible le coup d’État de la Silicon Valley demeurent. Plus le nombre d’utilisateurs de ChatGPT grandit, plus les gens s’émerveillent : « N’est-ce pas incroyable ? N’est-ce pas divertissant ? » En attendant, les questions les plus importantes restent sans réponse : « Ces informations sont-elles fiables ? Quelles données ont été utilisées ? Sont-elles discriminatoires à l’égard des personnes vulnérables ? Comment peut-on le savoir ? Où est l’obligation de rendre des comptes ? Y a-t-il un risque pour la sécurité nationale ? » Étonnamment, ce n’est pas ce qui vous vient à l’esprit lorsque vous demandez à OpenAI de vous chanter une version hip-hop de La Marseillaise. Pourtant, le même décalage continue d’opérer – entre les petites expériences individuelles et les effets cumulatifs que ces entreprises peuvent engranger de manière partiellement visible, voire totalement cachée. C’est ce qui fait l’originalité du coup d’État technologique : c’est un processus graduel, indolore, qui nous rend passif et étouffe le moindre soupçon avant même qu’il puisse être exprimé.
C’est pour cela que malgré son côté relativement lent et discret, il faut prendre le coup d’État de la Silicon Valley pour ce qu’il est : un transfert de pouvoir cumulatif – propulsé à moyen terme par des actions visant délibérément à induire en erreur, à échapper à la réglementation et à créer des technologies facilitant des comportements d’obstruction à la démocratie.
Il est facile de dire que les citoyens peuvent toujours faire quelque chose. C’est une banalité. Mais il n’est pas réaliste de penser que les utilisateurs individuels sont capables à eux seuls de s’opposer à des entreprises multimilliardaires et à leurs armées d’avocats, de designers, d’ingénieurs ; à leurs centres de données inaccessibles et à leurs systèmes verrouillés impénétrables. Pour le dire autrement : ces entreprises ont fait de nous des prisonniers de leurs dispositifs.
La prudence est donc de mise. Considérer l’IA du point de vue de l’intérêt public peut avoir du sens – mais à condition que cela signifie tout autre chose que de répondre à la pression des entreprises. Peu importe quel message elle véhicule – protéger, réindustrialiser, nous simplifier la vie, nous rendre heureux – une entreprise n’a toujours qu’un seul but : vendre ses produits et tirer le maximum de profits des interactions avec les consommateurs. En d’autres termes, ce n’est pas parce que des entreprises – par définition fortement incitées à commercialiser leurs produits – les présentent comme absolument nécessaires que la société et les gouvernements devraient les adopter sans précaution. Plutôt que la précipitation pour « gagner la course à l’IA », notre réponse devrait être la retenue.
J’utilise souvent une analogie avec la médecine. Si l’innovation est vitale dans le domaine de la santé, elle s’accompagne toujours d’essais cliniques rigoureux et de garanties solides avant qu’un nouveau traitement soit appliqué sur des personnes. Autrement dit, on ne se contente pas de dire : « Nous avons un médicament ou un vaccin potentiellement innovant, distribuons-le à tout le monde et voyons ce qui se passe. »
Il ne faudrait pas envisager l’IA autrement : il s’agit d’une expérimentation à grande échelle et en temps réel sur l’ensemble de la société. Les conséquences de cette expérimentation sont immenses et potentiellement dévastatrices. Elles vont de la désinformation à la dégradation climatique en passant par la santé et la sécurité nationale.
À cet égard, la plus grande inquiétude est la suivante : on ne connaît pas encore les risques que les modèles d’IA peuvent poser et il existe aujourd’hui peu, voire aucun mécanisme indépendant pour évaluer les risques que portent en eux ces nouveaux modèles.
Il ne faudrait pas envisager l’IA autrement : il s’agit d’une expérimentation à grande échelle et en temps réel sur l’ensemble de la société. Les conséquences de cette expérimentation sont immenses et potentiellement dévastatrices. Elles vont de la désinformation à la dégradation climatique en passant par la santé et la sécurité nationale.
À cet égard, la plus grande inquiétude est la suivante : on ne connaît pas encore les risques que les modèles d’IA peuvent poser et il existe aujourd’hui peu, voire aucun mécanisme indépendant pour évaluer les risques que portent en eux ces nouveaux modèles.
Les dictateurs se sentent toujours invincibles – jusqu’à leur chute. Ils survivent grâce à la peur, et lorsque celle-ci disparaît du peuple, de l’appareil et de l’armée, ils en paient le prix. Dans ces moments critiques, personne ne viendra les sauver. Pas même leurs alliés supposés, car ils savent que le dictateur n’est plus aux commandes. Il n’y a pas de confiance, pas de sincérité – quand vous n’êtes plus utile, vous serez abandonné.
Les tyrans et les empires finissent toujours par s’effondrer.
« Être un modéré n’est pas une idéologie. Ce n’est pas une opinion. Ce n’est pas une pensée. C’est l’absence de pensée. » (Curtis Yarvin)
Pour paraphraser un manifeste d’une autre époque et d’un autre lieu : « Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d’œuvre sans un caractère agressif. La technologie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l’homme. » (Marc Andreessen)
« Une critique courante de la technologie est qu’elle nous priverait de tout choix, les machines prenant les décisions à notre place. C’est vrai, sans aucun doute, mais aussi largement compensé par la liberté de créer notre vie qui découle de l’abondance matérielle créée par notre utilisation des machines. » (Marc Andreessen)
« Nous avons des ennemis.
Nos ennemis ne sont pas de mauvaises personnes – plutôt de mauvaises idées. Depuis six décennies, notre société actuelle est soumise à une campagne de démoralisation de masse – contre la technologie et contre la vie – sous des noms divers et variés tels que « risque existentiel », « durabilité », « ESG », « objectifs de développement durable », « responsabilité sociale », « capitalisme des parties prenantes », « principe de précaution », « confiance et sécurité », « éthique technologique », « gestion des risques », « décroissance », « limites de la croissance ».
Cette campagne de démoralisation est basée sur de mauvaises idées issues du passé – des idées zombies, souvent dérivées du communisme, désastreuses hier comme aujourd’hui – qui ont refusé de mourir.
Notre ennemi est la stagnation.
Notre ennemi est l’anti-mérite, l’anti-ambition, l’anti-effort, l’anti-réalisation, l’anti-grandeur. Notre ennemi est l’étatisme, l’autoritarisme, le collectivisme, la planification centrale, le socialisme.
Notre ennemi est la bureaucratie, la vetocratie, la gérontocratie, la déférence aveugle à la tradition. Notre ennemi est la corruption, la capture réglementaire, les monopoles, les cartels.
Notre ennemi, ce sont les institutions qui, dans leur jeunesse, étaient vitales, énergiques et à la recherche de la vérité, mais qui sont aujourd’hui compromises, corrodées et en train de s’effondrer – bloquant le progrès dans des tentatives de plus en plus désespérées pour rester pertinentes, essayant frénétiquement de justifier la poursuite de leur financement malgré la spirale des dysfonctionnements et l’escalade de l’ineptie.
Notre ennemi est la tour d’ivoire, la vision du monde des experts accrédités qui savent tout sur tout, qui se complaisent dans les théories abstraites, les croyances superficielles, l’ingénierie sociale, qui sont déconnectés du monde réel, qui sont délirants, qui ne sont pas élus et qui n’ont pas de comptes à rendre – ils jouent à Dieu avec la vie des autres, en s’isolant totalement des conséquences.
Notre ennemi est le contrôle de la parole et de la pensée – l’utilisation croissante, au vu et au su de tous, du 1984 de George Orwell comme manuel d’instruction.
Notre ennemi est la vision sans contrainte de Thomas Sowell, l’État universel et homogène d’Alexandre Kojève, l’utopie de Thomas More.
Notre ennemi est le principe de précaution – qui aurait empêché pratiquement tout progrès depuis que l’homme a maîtrisé le feu. Le principe de précaution a été inventé pour empêcher le déploiement à grande échelle de l’énergie nucléaire civile, peut-être l’erreur la plus catastrophique de la société occidentale de mon vivant. Le principe de précaution continue d’infliger d’énormes souffrances inutiles à notre monde aujourd’hui. Il est profondément immoral et nous devons nous en débarrasser avec une extrême sévérité. » (Marc Andreessen)
Nos ennemis ne sont pas de mauvaises personnes – plutôt de mauvaises idées. Depuis six décennies, notre société actuelle est soumise à une campagne de démoralisation de masse – contre la technologie et contre la vie – sous des noms divers et variés tels que « risque existentiel », « durabilité », « ESG », « objectifs de développement durable », « responsabilité sociale », « capitalisme des parties prenantes », « principe de précaution », « confiance et sécurité », « éthique technologique », « gestion des risques », « décroissance », « limites de la croissance ».
Cette campagne de démoralisation est basée sur de mauvaises idées issues du passé – des idées zombies, souvent dérivées du communisme, désastreuses hier comme aujourd’hui – qui ont refusé de mourir.
Notre ennemi est la stagnation.
Notre ennemi est l’anti-mérite, l’anti-ambition, l’anti-effort, l’anti-réalisation, l’anti-grandeur. Notre ennemi est l’étatisme, l’autoritarisme, le collectivisme, la planification centrale, le socialisme.
Notre ennemi est la bureaucratie, la vetocratie, la gérontocratie, la déférence aveugle à la tradition. Notre ennemi est la corruption, la capture réglementaire, les monopoles, les cartels.
Notre ennemi, ce sont les institutions qui, dans leur jeunesse, étaient vitales, énergiques et à la recherche de la vérité, mais qui sont aujourd’hui compromises, corrodées et en train de s’effondrer – bloquant le progrès dans des tentatives de plus en plus désespérées pour rester pertinentes, essayant frénétiquement de justifier la poursuite de leur financement malgré la spirale des dysfonctionnements et l’escalade de l’ineptie.
Notre ennemi est la tour d’ivoire, la vision du monde des experts accrédités qui savent tout sur tout, qui se complaisent dans les théories abstraites, les croyances superficielles, l’ingénierie sociale, qui sont déconnectés du monde réel, qui sont délirants, qui ne sont pas élus et qui n’ont pas de comptes à rendre – ils jouent à Dieu avec la vie des autres, en s’isolant totalement des conséquences.
Notre ennemi est le contrôle de la parole et de la pensée – l’utilisation croissante, au vu et au su de tous, du 1984 de George Orwell comme manuel d’instruction.
Notre ennemi est la vision sans contrainte de Thomas Sowell, l’État universel et homogène d’Alexandre Kojève, l’utopie de Thomas More.
Notre ennemi est le principe de précaution – qui aurait empêché pratiquement tout progrès depuis que l’homme a maîtrisé le feu. Le principe de précaution a été inventé pour empêcher le déploiement à grande échelle de l’énergie nucléaire civile, peut-être l’erreur la plus catastrophique de la société occidentale de mon vivant. Le principe de précaution continue d’infliger d’énormes souffrances inutiles à notre monde aujourd’hui. Il est profondément immoral et nous devons nous en débarrasser avec une extrême sévérité. » (Marc Andreessen)
« Plus important encore, je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. » (Peter Thiel)
« Ce qui me rend d’ailleurs plus pessimiste encore, c’est que la tendance va dans le mauvais sens depuis longtemps. Pour en revenir à la finance, la dernière dépression économique aux États-Unis qui n’a pas déclenché une intervention massive du gouvernement était la crise de 1920-1921. Elle fut très aiguë mais courte, et elle entraîna la « destruction créatrice » schumpétérienne qui peut aboutir à un véritable boom.
La décennie qui a suivi – les folles années 1920 – fut si forte que les historiens ont oublié qu’elle avait été inaugurée par une dépression économique. Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. Face à ces réalités, n’importe qui désespérerait s’il limitait son horizon au monde de la politique. Je ne désespère pas, car je ne crois plus désormais que la politique contienne tous les futurs possibles de notre monde. Aujourd’hui, la grande tâche des libertariens est de trouver un moyen d’échapper à la politique sous toutes ses formes, que ce soient les catastrophes totalitaires ou fondamentalistes ou le demos irréfléchi qui guide la soi-disant « démocratie sociale ».
La question centrale devient alors une question de moyen : comment trouver une issue, non pas en suivant la voie politique, mais en allant au-delà ? Parce qu’il n’y plus d’endroits réellement libres dans notre monde, je soupçonne que le mode d’évasion implique quelques moyens nouveaux et jusqu’ici inexplorés, qui nous conduiront vers des contrées inconnues ; et pour cette raison, j’ai focalisé mes efforts sur les nouvelles technologies qui pourraient créer de nouveaux espaces pour la liberté. » (Peter Thiel)
La décennie qui a suivi – les folles années 1920 – fut si forte que les historiens ont oublié qu’elle avait été inaugurée par une dépression économique. Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. Face à ces réalités, n’importe qui désespérerait s’il limitait son horizon au monde de la politique. Je ne désespère pas, car je ne crois plus désormais que la politique contienne tous les futurs possibles de notre monde. Aujourd’hui, la grande tâche des libertariens est de trouver un moyen d’échapper à la politique sous toutes ses formes, que ce soient les catastrophes totalitaires ou fondamentalistes ou le demos irréfléchi qui guide la soi-disant « démocratie sociale ».
La question centrale devient alors une question de moyen : comment trouver une issue, non pas en suivant la voie politique, mais en allant au-delà ? Parce qu’il n’y plus d’endroits réellement libres dans notre monde, je soupçonne que le mode d’évasion implique quelques moyens nouveaux et jusqu’ici inexplorés, qui nous conduiront vers des contrées inconnues ; et pour cette raison, j’ai focalisé mes efforts sur les nouvelles technologies qui pourraient créer de nouveaux espaces pour la liberté. » (Peter Thiel)
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