vendredi 21 novembre 2025

[Nothomb, Amélie] Tant mieux

 




 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Tant mieux

Auteur : Amélie NOTHOMB

Parution : 2025 (Albin Michel)

Pages : 216

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Tant mieux : la version joyeuse du sang-froid. » 
Pour la première fois, après son père dans Premier sang (2021) et Psychopompe (2023), Amélie Nothomb évoque sa mère, et le lien singulier qui les unissait.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Amélie Nothomb est née à Kobé en 1967. Dès son premier roman, Hygiène de l’assassin, elle s’est imposée comme une écrivaine singulière. En 1999, elle a obtenu le Grand Prix de l’Académie française pour Stupeur et tremblement et, en 2021, le prix Renaudot pour Premier sang. L'Impossible retour est son 33e roman. Elle publie cette année son 34e roman, Tant mieux.

 

 

Avis :

Dans la constellation littéraire d’Amélie Nothomb, Tant mieux s’inscrit comme le troisième volet d’un triptyque autobiographique affectif. Après avoir consacré Premier sang et Psychopompe à la figure paternelle, elle dédie cette fois son récit à sa mère, Adrienne, récemment disparue. Ce geste littéraire marque une étape de dévoilement intime, tout en retenue et poésie.

La perte maternelle a déclenché une peine si radicale qu’elle a longtemps réduit l’auteur au mutisme. De cette stupeur est né Tant mieux, réponse vitale au besoin de transfigurer l’absence par la fiction, dans un mouvement de réparation porté par une langue claire et vibrante. 

Adoptant les contours d’un conte stylisé, le récit s’attache à quelques épisodes de l’enfance d’Adrienne, confiée à sa grand-mère le temps d’un été, alors que la guerre fait rage. Coupée de l’amour parental, la fillette vit dans une maison glaciale, sous l’autorité d’une vieille femme pingre et cruelle, une ogresse solitaire n’ayant jamais aimé que ses chats. Là où sa propre mère en était restée traumatisée à jamais, Adrienne, à quatre ans, traverse l’épreuve avec une lucidité précoce et une force tranquille. Sans haine, elle résiste, et incarne déjà ce « tant mieux » qui donne au roman son rayonnement. 

Par sa brièveté, son intensité affective et son écriture cristalline, Tant mieux rejoint les œuvres les plus épurées de l’auteur, mais s’en distingue par une gravité sereine, presque testamentaire. Roman de deuil, de gratitude et d’adoration, il magnifie la figure maternelle dans sa part la plus fondatrice. Quelques tableaux suffisent pour inscrire le texte dans une forme elliptique savamment maîtrisée, nourrie par le flou des personnages secondaires, l’économie du verbe et une élaboration esthétique qui en décuplent la puissance poétique. Ce parti pris formel invite à une lecture sensible, attentive aux silences et à ce qui affleure en filigrane. 

Amélie Nothomb compose un geste d’amour pur, un livre qui relie les vivants et les absents dans une langue de lumière. Avec une tendresse recueillie et une précision poétique, elle fait de l’enfance d’Adrienne un creuset où la douleur devient force. Chaque scène révèle une manière d’être au monde, faite d’optimisme lucide, de résistance douce et d’acceptation sans renoncement. Offrande magnifique, ce récit trace la voie d’une fidélité intime, d’un lien qui continue à vivre dans l’écriture.

Par la rigueur de sa composition, Tant mieux illustre la puissance de la stylisation poétique à élever l’expérience intime au rang d’universel. En transfigurant la mémoire en forme, Amélie Nothomb fait de l’épreuve une matière esthétique et de l’absence un lieu d’émergence. Le réel, filtré par l’art, se fait espace de résonance et de transmission.

Épuré, lumineux, transcendant, un livre qui sculpte l’intime en esthétique universelle, dans la sobriété patiemment façonnée d’une épure. Une gemme délicatement chatoyante, précieuse par sa limpidité. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

Elle se rappela qu’au catéchisme, on lui avait expliqué le principe de la confession, mais se rendit compte soudain qu’elle ne croyait pas en Dieu. La foi lui parut incompatible avec les méfaits maternels. Et puis, à l’école, les religieuses étaient des femmes acariâtres qui ne cessaient de rabrouer les élèves. Les épouses de Dieu prouvaient, par leur aigreur, la déficience de l’époux.


Pour Adrienne, la guerre n’était pas finie. Les chats du quartier continuaient à disparaître. Et elle se doutait que ceux des autres zones de Bruxelles n’avaient pas un meilleur sort. Parfois, elle se jetait dans les bras de sa mère et lui déclarait son amour. Maman souriait et répondait tendrement à ses effusions.  
– Moi aussi je t’aime, ma chérie.  
La petite levait alors vers le visage maternel un regard adorateur. Les yeux disaient le tant mieux de l’amour, l’amour sans causalité, je t’aime, j’ai horreur de tes actes, je ne te changerai pas, tu ne changeras pas, je t’aime, ni donc, ni alors, ni par conséquent, ni malgré, ni rien. Tant mieux.


Sans indépendance, pas de tant mieux, songeait-elle. Cette magie qui était son secret le plus intime supposait de ne pas exagérément se souder à un destin autre que le sien propre. Nul cynisme dans ce constat : on ne peut être responsable que de soi-même. Si on lie son bien-être à celui d’un autre, cela ne peut que péricliter. Comment pourrait-on s’accorder en profondeur avec les mystères du monde si l’on s’en remet à autrui, fût-ce la personne que l’on aime d’amour fou ? Le paradoxe, découvrait-elle, c’est que si l’on veut vraiment aider quelqu’un, la meilleure méthode consiste à s’occuper de son jardin. À chercher à veiller sur celui de son voisin, on ruine celui-ci et le sien.

 

 

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