vendredi 18 avril 2025

[Jollien-Fardel, Sarah] La longe

 





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La longe

Auteur : Sarah JOLLIEN-FARDEL

Parution : 2025 (Sabine Wespieser)

Pages : 160

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Chaque jour, au réveil, Rose lutte pour ne pas être assaillie par la réalité, dans la chambre aux parois boisées où elle vit désormais attachée à une longe. Tout a basculé trois ans auparavant, quand la police est venue lui annoncer l’accident : Anna, sa petite fille, a été fauchée par une camionnette. Depuis lors, Rose interroge le passé, tente d’élucider les circonstances du drame et, chemin faisant, nous révèle celles de son enfermement. Avant, l’existence était simple et belle, scandée par la phrase gravée sur une poutre du bistrot de sa grand-mère adorée : « Tu es d’une espèce qui aime la lumière et déteste la nuit et les ténèbres. » Rose a grandi dans un village haut perché des montagnes valaisannes. C’est là, alors qu’ils étaient encore des enfants, qu’elle a rencontré Camil, devenu bien plus tard son mari et son indéfectible soutien. Leurs lectures, leurs promenades dans une nature âpre et complice, leurs retrouvailles bien plus tard à Lausanne, la naissance de leur fille, leurs métiers qu’ils aiment : Rose, évoquant ce quotidien heureux, s’efforce d’y traquer les failles. Elle cherche désespérément à comprendre quels excès l’ont conduite à sa situation de recluse. Un jour pourtant, quand elle perçoit une présence inconnue derrière sa porte close et croit entendre la phrase d’un livre de Marguerite Duras lu naguère, nous, lecteurs, avons l’intuition que la lumière pourrait gagner.

Toute la force de ce roman est dans la manière dont son autrice parvient à domestiquer la violence de la situation et des personnages qu’elle a imaginés, construisant un magnifique portrait de femme et nous entraînant, à notre grande surprise, dans la plus pudique des histoires d’amour.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Née en 1971, Sarah Jollien-Fardel a grandi dans un village du district d’Hérens, en Valais. Elle a vécu plusieurs années à Lausanne, avant de se réinstaller dans son canton d’origine. Journaliste, elle a écrit pour bon nombre de titres en Suisse. Tout comme son premier roman, Sa préférée, qui a rencontré un magnifique succès lors de sa parution en 2022 (prix Fnac, choix Goncourt de la Suisse, Goncourt des détenus), La Longe, qui paraît en janvier 2025, est ancré dans l’âpre et somptueux paysage de montagne où elle vit.

 

 

Avis :

Après Sa préférée, premier roman coup de poing très remarqué sur les traces psychologiques laissées par la violence familiale subie dans l’enfance, Sarah Jollien-Fardel relève le défi d’un très attendu second ouvrage en explorant le sujet de la résilience après la mort d’un enfant.

Il est encore ici question de violence extrême, celle qui frappe une mère à la mort de son enfant. Pas le temps de respirer ni de se laisser aller à l’émotion, le lecteur est cueilli d’emblée par l’implacable brutalité du désespoir de Rose et par le choc d’une scène à peine concevable : cette mère foudroyée vit entravée par une longe dans la chambre où elle est enfermée. Que s’est-il donc passé ? L’on en vient même à se demander si, dangereuse, elle n’aurait pas commis quelque folie qui lesterait sa douleur du poids d’une terrassante culpabilité.

Commence alors, entrecoupé de brefs et douloureux retours au présent, le récit par Rose de tout ce qui a précédé et devait déboucher sur ce tableau d‘épouvante : une enfance heureuse dans les montagnes du Valais, cisaillée à onze ans par la maladie, puis la mort de la mère ; les années suivantes sauvées par les grands-mères quand père et frère n’étaient plus qu’affrontements amers ; les études d’ostéopathie et les retrouvailles, puis l’amour, avec Camil, l’ami d’enfance ; enfin, la naissance impromptue d’Anna, suivie huit ans plus tard de l’accident et de trois longues années à sombrer toujours plus profond dans un désespoir plombé par la culpabilité et la colère.

Forcées par la réclusion, les ruminations de Rose se font peu à peu l’occasion d’un début de prise de recul. Le passé avait ses failles que le drame a ouvertes en grand. Il fallait que Rose le comprenne pour sortir de l’aveuglement de la colère, contre le monde et surtout contre elle-même. L’armure de sa rage une fois fendue, alors seulement pourra-t-elle, avec le soutien résolu de Camil, d’une inconnue passée par les mêmes affres et des mots puisés dans la littérature, chez Duras ou Rilke, entreprendre enfin les premiers pas menant au long chemin de la résilience.

Sarah Jollien-Fardel évite heureusement l’écueil du sensationnalisme auquel sa longe aurait pu faire penser si elle n’en avait fait le symbole du contre-choc nécessaire à Rose pour se sortir de son impasse psychologique, aux confins de la démence. Davantage que le désespoir et la folie, l’on retient au final de magnifiques portraits de femmes, de Rose et de sa presque anonyme consœur dans le malheur, mais surtout des deux grands-mères, si dissemblables et pourtant mues par les mêmes ressorts, l’amour pour leur petite-fille et leur détermination silencieuse face à ce qui, à y bien regarder, relève d’un sort un jour où l’autre universellement partagé : la douleur et la perte.

Un roman court, dense et éruptif, menant progressivement, dans le superbe écrin des montagnes du Valais, à la prévalence de la lumière sur l’ombre, par la dure acceptation que la mort fait partie de la vie. (4/5)

 

 

Citations :

Écrire, c’est écouter. (Jon Fosse)


Contrairement à mes parents bohèmes et naturels, à ma grand-mère avant-gardiste et franche, eux compartimentaient leur existence. Ils avaient une vie domestique, une autre conjugale et une autre publique. Les coulisses et l’avant-scène : j’observais amusée, et aussi peinée pour grand-mère Lucie, cette distribution des rôles.
Partageant leur intimité, je découvre un autre visage à cette grand-maman raffinée et pincée, mais pas émancipée. Elle est plus tendre que son allure étudiée, curieuse, ouverte. Pas à pas, notre nouvelle complicité grandit, elle me raconte des bribes de son enfance, pas aussi flamboyante que je l’imaginais. Nous allons au cinéma une fois par semaine, elle m’inscrit au cercle des nageurs de la ville, elle pourrait s’encanailler, mais son éducation la rattrape toujours. Même ses désirs ne dépassent pas le cadre. Elle a un certain goût, dresse les tables comme personne, suit des cours de cuisine gastronomique, lit « pour se distraire », ne discute jamais les décisions de son mari, alors que, à la maison, débattre nous passionne. Elle avait voulu être fleuriste, son père a imposé une école de secrétariat. Elle a été formatée pour le mariage, élever les enfants, faciliter la vie de l’époux, qui, lui, a grimpé les échelons professionnels pour offrir à sa famille une vie idéalisée. Elle est sans rêves à elle.
 
 
Ce drôle de duo de grands-mères, la citadine dépendante et la fille de la montagne rebelle, m’entoure, me protège, m’encourage à croire que tout, vraiment tout m’est accessible. Sans conditions, elles me soutiennent, défendent mes projets. Elles m’exhortent, me couvent sans me contrôler, m’encouragent à entretenir mes conversations avec mon fantôme maternel. Nous nous sommes aimées. Absolument. Grâce à elles, je pensais survivre à tout.

 

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