J'ai beaucoup aimé
Titre : Le bal des sirènes
(Ren yu ji)
Auteur : LI Wei Jing
Traduction : Lucie MODDE
Parution : en chinois (Taïwan) en 2019
en français en 2024
(Mercure de France)
Pages : 192
Présentation de l'éditeur :
Jeune trentenaire solitaire, Hsia-t’ien a une passion folle : la danse
de salon de style latino-américain – cha-cha-cha, rumba, pasodoble et
jive. Dans ce monde très hiérarchisé, aux interactions codifiées par le
genre, elle doit trouver sa place entre amatrice et compétitrice, et
surtout trouver un partenaire masculin. « Les hommes mènent, les femmes suivent », c’est la règle d’or de la discipline.
Pour Hsia-t’ien, danser est une bénédiction : cette école de la rigueur lui permet de reprendre possession de son corps, de surmonter ses complexes et de connaître d’intenses moments de bonheur. Mais l’exigence de ce sport la met aussi face à ses limites.
Li Wei Jing nous entraîne dans l’univers singulier de danseurs passionnés : analyses du style des champions, descriptions des costumes et des coiffures, confidences sur les coulisses... un monde fascinant et ignoré du grand public.
Pour Hsia-t’ien, danser est une bénédiction : cette école de la rigueur lui permet de reprendre possession de son corps, de surmonter ses complexes et de connaître d’intenses moments de bonheur. Mais l’exigence de ce sport la met aussi face à ses limites.
Li Wei Jing nous entraîne dans l’univers singulier de danseurs passionnés : analyses du style des champions, descriptions des costumes et des coiffures, confidences sur les coulisses... un monde fascinant et ignoré du grand public.
Un mot sur l'auteur :
Avis :
Roman posthume d’une plume taïwanaise disparue à moins de trente ans, Le bal des sirènes raconte la solitude et le mal-être d’une jeune femme à travers sa passion pour la danse de salon, ses efforts pour trouver sa place dans l’univers corseté de la compétition de haut niveau semblant une métaphore de la difficulté à être femme et à disposer de son corps dans la société taïwanaise tout court.
« Avant, les gens pensaient que c’était une danse d’escort girl, ce n’est que récemment que les jeunes se sont entichés de ce sport. Cinquante ans, c’est aussi le temps qu’il a fallu à notre île pour passer de la loi martiale à une société libérée. On parle souvent de l’enfermement mental lié au régime mais il allait de pair avec un enfermement physique. »
Alors, on le comprend, se faire accepter dans ce sport de contact pour Hsia-t’sien, la trentenaire célibataire dont le corps se couvre d’allergies comme le signe de son mal-être habituel, relève bien plus que d’une simple passion pour la danse. Comme semble le suggérer l’auteur, l’enjeu pour elle, dans ce microcosme réglé comme du papier à musique, qu’il s’agisse de ses chorégraphies ou de ses codes et de sa hiérarchie aussi stricts qu’immuables, est fort symboliquement sa place de femme, autant physique que morale, dans une société où, encore et toujours, « l'homme conduit et la femme suit. »
Sans partenaire attitré et sans argent – les compétiteurs assument seuls les dépenses liées à leurs entraînements, y compris celles de leur enseignant –, sans un strict respect de la tradition chorégraphique et sans programmation, voire sacrifice, de la vraie vie amoureuse – peu importe l’amour, le mariage des partenaires simplifie grandement leur stabilité professionnelle – et des éventuelles grossesses, Hsia-t’sien découvre auprès des danseurs tant amateurs que professionnels qu’il n’y a point de salut et que l’apparente liberté des corps dans la danse cache en réalité un carcan de règles rigides rappelant en miniature le corpus de principes organisant la société dans son ensemble.
Découverte fort réaliste d’un univers sportif méconnu, un livre qui, symboliquement, en dit long aussi sur le rapport au corps, le poids des traditions et le délicat équilibre au sein des couples dans nos sociétés. (4/5)
« Avant, les gens pensaient que c’était une danse d’escort girl, ce n’est que récemment que les jeunes se sont entichés de ce sport. Cinquante ans, c’est aussi le temps qu’il a fallu à notre île pour passer de la loi martiale à une société libérée. On parle souvent de l’enfermement mental lié au régime mais il allait de pair avec un enfermement physique. »
Alors, on le comprend, se faire accepter dans ce sport de contact pour Hsia-t’sien, la trentenaire célibataire dont le corps se couvre d’allergies comme le signe de son mal-être habituel, relève bien plus que d’une simple passion pour la danse. Comme semble le suggérer l’auteur, l’enjeu pour elle, dans ce microcosme réglé comme du papier à musique, qu’il s’agisse de ses chorégraphies ou de ses codes et de sa hiérarchie aussi stricts qu’immuables, est fort symboliquement sa place de femme, autant physique que morale, dans une société où, encore et toujours, « l'homme conduit et la femme suit. »
Sans partenaire attitré et sans argent – les compétiteurs assument seuls les dépenses liées à leurs entraînements, y compris celles de leur enseignant –, sans un strict respect de la tradition chorégraphique et sans programmation, voire sacrifice, de la vraie vie amoureuse – peu importe l’amour, le mariage des partenaires simplifie grandement leur stabilité professionnelle – et des éventuelles grossesses, Hsia-t’sien découvre auprès des danseurs tant amateurs que professionnels qu’il n’y a point de salut et que l’apparente liberté des corps dans la danse cache en réalité un carcan de règles rigides rappelant en miniature le corpus de principes organisant la société dans son ensemble.
Découverte fort réaliste d’un univers sportif méconnu, un livre qui, symboliquement, en dit long aussi sur le rapport au corps, le poids des traditions et le délicat équilibre au sein des couples dans nos sociétés. (4/5)
Citations :
Pour que Tzu-en reste, Tony assume seul toutes les dépenses liées à leurs entraînements, des titres de transport aux costumes. Lorsqu’ils prennent un cours cher, c’est lui qui paie la part de Tzu-en. S’ils se produisent dans un cadre privé, il donne tout ce qu’ils gagnent à Tzu-en. Tout ce qu’il veut, c’est qu’elle continue à danser, qu’elle continue à danser avec lui. Il faut qu’elle danse pour qu’il puisse danser. Lui aimerait aller tous les ans à Blackpool pour pouvoir se confronter aux meilleurs danseurs du monde et se faire un nom dans le milieu. Si leur duo devait se stabiliser, il serait même prêt à se marier avec elle, ce qui simplifierait beaucoup les choses pour les compétitions internationales, tant sur le plan du voyage que de l’administratif. « Peu importe qu’on ait une relation amoureuse, l’important c’est tout le temps qu’on va passer ensemble, dans cette situation-là l’arrangement le plus simple c’est le mariage, c’est ce que tout le monde fait. Je ne pourrai pas coucher ni avoir des enfants avec elle, mais je pourrai m’occuper d’elle aussi bien qu’un hétéro. Je n’ai pas d’objection à ce qu’elle ait des relations avec d’autres hommes tant que cela ne nuit pas à notre pratique. »
S’il veut une bonne cavalière, c’est pour pouvoir briller à Blackpool, parce que ce sont les règles.
S’il veut une bonne cavalière, c’est pour pouvoir briller à Blackpool, parce que ce sont les règles.
Lorsqu’un prof et son élève assistent à une compétition organisée à l’étranger, la règle veut que toutes les dépenses de l’enseignant – repas, hébergement, titres de transport – soient prises en charge par son élève. Les élèves les plus attentionnés donnent même un peu d’argent en plus à leur prof, qui a pris sur son temps pour les former ailleurs que dans le cadre habituel. Si un élève et son professeur deviennent partenaires de danse et participent ensemble à des compétitions ou des représentations d’envergure variable, c’est également à l’élève de payer toutes les dépenses de son enseignant, en plus de quoi il doit également le rémunérer.
(…) La marche est haute pour ceux qui souhaitent intégrer le monde de la danse. Il y a la règle du binôme, qui fait beaucoup souffrir les danseurs sans partenaire, mais il y a aussi cette nouvelle règle, qui fait beaucoup souffrir les danseurs pauvres.
Seuls les idiots se concentrent sur les mouvements de bras des danseurs ; quand on s’y connaît un peu plus, c’est aux pieds qu’on s’intéresse. Sur ce point-là, la danse et la vie sont étonnamment raccord : lorsqu’on est assommé, aveuglé par le joyeux bazar qui nous entoure et qu’on finit par se perdre soi-même de vue, la solution est de revenir aux pas de base, et donc de s’intéresser aux pieds.
Indiquer puis se mettre en mouvement. C’est par sa main que l’homme donne la direction, la femme reçoit le signal, il y a un décalage de deux petites secondes entre l’homme et la femme, un changement subtil qui s’opère dans l’orientation des muscles – contraction, extension –, un jeu poignant d’attraction-répulsion entre ces deux corps collés, comme un yo-yo contrôlé d’une main de maître ou une poulie suspendue tournant sur eux-mêmes en des cercles de plus en plus larges. Ces deux secondes représentent l’essence même de la danse de couple. Il n’y a que ceux qui en ont fait l’expérience, comme les juges au sourire sibyllin ou les danseurs ayant eu la chance de tomber sur un partenaire vraiment bon, qui sont capables de voir tout ce qui s’échange dans ce court intervalle.
Pour Tony, les très rares profs de sa génération ont beaucoup sacrifié pour pouvoir danser. À Taïwan, ce n’était pas autorisé. Avant les années quatre-vingt, aucun habitant n’avait le droit de danser, il y avait une prohibition de la danse. Ça voulait dire qu’on contrôlait les corps, que personne ne pouvait bouger comme il l’entendait, qu’il était interdit de laisser son corps osciller librement au rythme de la musique et du mouvement du sang. C’était un péché, un acte de dépravation, la danse n’était ni un instinct physique ni une activité normale dans les relations sociales, la danse c’était le règne du corps et celui du sexe, elle relevait de la catégorie des choses impures et donc nuisibles à tout point de vue.
Avant, les gens pensaient que c’était une danse d’escort girl, ce n’est que récemment que les jeunes se sont entichés de ce sport. Cinquante ans, c’est aussi le temps qu’il a fallu à notre île pour passer de la loi martiale à une société libérée. On parle souvent de l’enfermement mental lié au régime mais il allait de pair avec un enfermement physique.
(…) entre la grossesse et le fait de devoir ensuite s’occuper d’un nourrisson, trois ans risquaient d’être sacrifiés. Ils ont décidé que leur cause ne souffrait aucune interruption, qu’ils ne voulaient pas prendre ce risque et ont abandonné le projet d’avoir des enfants, préférant se dédier à leur art. Ils sont ainsi devenus des grands noms de la danse sportive et ont ouvert leur studio.
Les danseurs de la génération suivante, un peu plus jeunes que le prof de Tony et un peu plus âgés que lui, ont eux aussi fondé leurs studios. L’exemple de leurs prédécesseurs leur avait appris que danse et grossesse n’étaient pas compatibles : les hommes de cette génération-là ont donc opté pour se marier avec leur cavalière avant leur service militaire et avoir un enfant pendant leur service, qui dure un peu plus d’un an. Un plan parfait. À leur démobilisation, les hommes reprenaient leur carrière de danseur avec leur cavalière en faisant garder leurs enfants par les grands-parents ; c’est ainsi qu’ils ont pu continuer à participer à des compétitions et à faire des tournées un peu partout dans le monde, tout en sachant qu’ils pourraient confier leur studio à leurs enfants le temps venu.
On peut changer quelques petites choses mais il faut que la tradition reste la tradition, sinon ça ne marche pas.
— Sinon on ne peut pas gagner ?
— C’est ça.
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