mercredi 30 avril 2025

[Arnaud, Clara] Et vous passerez comme des vents fous

 



 

J'ai aimé

 

Titre : Et vous passerez comme des vents fous

Auteur : Clara ARNAUD

Parution : 2023 (Actes Sud)

Pages : 384

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Gaspard, un berger pyrénéen, s’apprête à remonter en estive avec ses brebis, hanté par l’accident tragique survenu la saison précédente. Dans le même temps, Alma, une jeune éthologue, rejoint le Centre national pour la biodiversité, avec le projet d’étudier le comportement des ours et d’élaborer des réponses adaptées à la prédation.
Sur les hauteurs, les deux trentenaires se croisent de loin en loin, totalement dévoués à leurs missions respectives. Mais bientôt les attaques d’une ourse les confrontent à leurs failles. Les audaces de la bête ravivent les peurs archaïques, révélant la crise du pastoralisme et cristallisant des visions irréconciliables de la montagne : elle devient l’ennemie à abattre.
Dans cette vallée où jadis le dressage des ours était une tradition, la réintroduction du plantigrade exacerbe les tensions. L’histoire de Jules, jeune saltimbanque parti faire fortune à New York avec son animal, à l’orée du XXe siècle, scande le récit principal et résonne puissamment avec le présent.
Interrogeant notre rapport au sauvage, Clara Arnaud offre une plongée saisissante, minutieusement documentée, dans la vie pastorale moderne. Elle signe un roman sensuel, immersif et tellurique, célébrant la beauté de la montagne sans taire sa violence.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Clara Arnaud, née en 1986, est l'autrice d'un premier roman, L'Orage, publié aux éditions Gaïa en 2015, et de deux récits de voyage. Elle travaille depuis dix ans dans le domaine de la coopération et a vécu en Chine, en République démocratique du Congo et au Honduras. Après La Verticale du fleuve (2021), Et vous passerez comme des vents fous (2023) est son deuxième roman publié chez Actes Sud.

 

Avis :  

Grands espaces kirghizes et sibériens, montagnes tibétaines, Afrique subsaharienne et Amérique centrale : après vingt ans à arpenter le monde au plus près de ses espaces encore sauvages, à pied, à vélo, à cheval, en voyage ou lors de missions de développement international, Clara Arnaud a posé ses valises dans les Pyrénées. Dans ces montagnes dont, comme partout où elle passe, elle s’est attachée à s’imprégner, elle observe l’explosive confrontation entre l’ours et les éleveurs. Ici, la symphonie pastorale s’est faite chant de guerre…

Question sensible, la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées déclenche toutes les passions, la violence s’invitant volontiers dans l’affrontement de deux positions irréconciliables : d’un côté, les anti-ours, qui crient à la confiscation des pâturages d’estive par ce prédateur friand de leurs brebis ; de l’autre, les défenseurs de la vie sauvage, de l’écosystème et de la biodiversité, qui dénoncent l’hystérie des éleveurs et l’absence de dialogue pour la mise en place de protocoles de cohabitation.

Appelée en renfort du programme de réintroduction pour étudier finement le comportement des ours, leurs relations à leur habitat et leurs modes de prédation sur les troupeaux, la jeune éthologue Alma en fait bien vite les frais, lorsque sabotages, insultes et menaces, et même commandos de chasseurs, s’en prennent à elle et à ses longues opérations d’observation. Habile à se fondre dans l’âpre et splendide écrin de la montagne, l’animal demande patience et longueur de temps dans son approche, toutes choses dont ne disposent guère ses défenseurs face à la colère et à la détermination de leurs opposants. Des opposants dont, sans juger, le récit permet de comprendre le drame, au travers notamment des déboires de Gaspard, un berger tentant désespérément de concilier le respect des ours et la sécurité des près de neuf cents brebis, que, pour le compte de différents éleveurs, il emmène estiver toujours plus en altitude, dans des coins de plus en plus inaccessibles, en raison des pâturages desséchés par le dérèglement climatique.

Un drame s’est produit l’année précédente, dont le souvenir hante Gaspard jusqu’à lui faire redouter ce nouvel été, seul avec chiens et brebis dans les alpages. Cette ombre sur laquelle s’interroge le lecteur ajoute au climat d’incertitude et de prescience de nouveaux incidents susceptibles de dégénérer rapidement. Et, pendant que là-haut, tout à leurs tâches incessantes dans une nature prégnante, somptueuse et implacable, Alma et Gaspard espère pour l’une, redoute pour l’autre, la rencontre avec l’ourse noire qu’ils savent rôder dans les parages avec ses petits, l’agitation d’en-bas dans la vallée ne cesse de faire monter le huis clos en pression. A cette tragédie moderne des derniers souffles de vie sauvage « sur une portion congrue d’un territoire partout anthropisé », se mêle, en un rappel historique de ce que fut la relation de l’homme avec les ours jusqu’à leur quasi disparition en France, une dernière trame narrative : l’histoire de Jules au tournant du XXe siècle, jeune et pauvre montagnard fier de son audacieuse capture, dans sa tanière-même, d’un ourson qui, une fois dressé, lui offrira la vie itinérante de ces montreurs d’ours si en vogue à l’époque.

Placé sous l’égide du poète arménien Hovhannès Chiraz avec ces vers qui lui servent de titre et d’excipit : « Nous étions en paix comme nos montagnes  / Vous êtes venus comme des vents fous. / Nous avons fait front comme nos montagnes / Vous avez hurlé comme les vents fous. / Éternels nous sommes comme nos montagnes / Et vous passerez comme des vents fous », ce roman au style quand même assez plat a pour lui la sincérité, l’intelligence et l’empathie de son approche holistique d’un sujet et d’une région dont on sent l’auteur pénétrée. La guerre de l’ours a bien lieu et Clara Arnaud s'en fait ici le reporter. (3,5/5)

 

Citations : 

Elle savait combien les lâchers d’ours précédents avaient été polémiques, créant des remous dans tout le pays. L’ours charriait avec lui des siècles de mythologie, convoquait des terreurs archaïques. Le débat dépassait l’enjeu de sa présence, il s’agissait du rapport de la société au monde sauvage, à ce qui échappait au champ du prévisible. Tout cela ne pouvait se régler sur le zinc. Elle savait aussi avec quel mépris, quelle méconnaissance du contexte, la politique de l’ours avait été conduite ici. Certains ne l’avaient jamais digérée, ils s’arc-boutaient contre un nouvel état des choses, le retour durable de l’ours dans leurs montagnes.
 

Leur rythme naturel, c’est d’agneler au printemps, mais si on les laisse faire ça, on a cinquante pour cent d’agneaux perdus là-haut… Alors on les fait mettre bas à l’automne, même si c’est contre-nature, lui avait expliqué Jean la première année. Les jeunes agneaux auraient été des casse-croûte bien trop faciles pour les prédateurs. Le compromis faisait toujours partie de l’équation, dans l’élevage de montagne, Gaspard l’apprenait année après année.
 

Avant son retour [l’ours] dans la zone, les vieux du coin avaient pris l’habitude de garder à l’escabot. Ils laissaient les bêtes seules en montagne s’organiser en petits lots et se contentaient de passer une fois par semaine. Et puis, il était revenu, c’en était fini du libre pâturage. Les éleveurs avaient alors embauché de nouveau des bergers. Dans certains quartiers où le risque de prédation était avéré, il fallait désormais garder les brebis serrées, selon des virées précises, les conduire le soir aux couchades choisies ou aux parcs et se faire assister par des chiens de protection. Toute la relation aux bêtes, à l’estive, avait été chamboulée.
La perception de la montagne avait changé aussi, le prédateur était là, il profitait de la géographie escarpée des lieux pour attaquer. Certaines zones lui étaient abandonnées. Les bêtes risquaient d’y être attaquées ou de dérocher en fuyant l’ours, ses assauts les stressaient, provoquaient fausses couches et amaigrissement chez certaines. L’organisation de la garde avait été repensée pour assurer la sécurité des brebis, tout en leur permettant d’accéder aux meilleurs quartiers. La nuit était le moment de tous les dangers, certains choisissaient de mettre les bêtes en parc au crépuscule. Gaspard, lui, les rassemblait, mais ne se résolvait pas à les enfermer. Les parcs étaient difficiles à installer dans certaines zones, ils pouvaient se révéler contre-productifs si l’ours y pénétrait, semant le chaos. Et puis, les brebis aimaient être actives le matin tôt, il leur arrivait même de se goinfrer lors des nuits de pleine lune. Gaspard tenait à leur laisser cette liberté. Et il s’agaçait de ceux qui vendaient aux bergers des solutions miracles. S’il suffisait d’avoir quelques chiens et d’enfermer les brebis la nuit dans les parcs pour faire cesser toute prédation, l’ours n’aurait pas fait tant débat. En réalité, le fauve mettait les bergers à rude épreuve. La saison était longue, le rythme difficile, il fallait s’adapter en permanence, à la météo, à l’état de l’herbe, aux comportements des brebis, aux agressions des ours, chiens, parasites. Il y avait quantité de variables à l’équation fragile du maintien en état du troupeau. La topographie était exigeante, les surfaces ouvertes maigres en comparaison des combes et trouées où des lots entiers pouvaient se soustraire à la surveillance. Il fallait arbitrer entre les avantages et les risques liés à l’utilisation de chaque espace, au fil de l’été.


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire