lundi 22 juillet 2024

[Collin, Philippe] Le barman du Ritz

 



 

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Titre : Le barman du Ritz

Auteur : Philippe COLLIN

Parution : 2024 (Albin Michel)

Pages : 416

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Juin 1940. Les Allemands entrent dans Paris. Partout, le couvre-feu est de rigueur, sauf au grand hôtel Ritz. Avides de découvrir l’art de vivre à la française, les occupants y côtoient l’élite parisienne, tandis que derrière le bar œuvre Frank Meier, le plus grand barman du monde.
S’adapter est une question de survie. Frank Meier se révèle habile diplomate, gagne la sympathie des officiers allemands, achète sa tranquillité, mais aussi celle de Luciano, son apprenti, et de la troublante et énigmatique Blanche Auzello. Pendant quatre ans, les hommes de la Gestapo vont trinquer avec Coco Chanel, la terrible veuve Ritz, ou encore Sacha Guitry. Ces hommes et ces femmes, collabos ou résistants, héros ou profiteurs de guerre, vont s’aimer, se trahir, lutter aussi pour une certaine idée de la civilisation.
La plupart d’entre eux ignorent que Meier, émigré autrichien, ancien combattant de 1914, chef d’orchestre de cet étrange ballet cache un lourd secret. Le barman du Ritz est juif.
Philippe Collin restitue avec virtuosité et une méticuleuse précision historique une époque troublée. À travers le destin de cet homme méconnu, il se fait l’œil et l’oreille d’une France occupée, et raconte l’éternel affrontement entre la peur et le courage.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Producteur sur France Inter, auteur d’essais et scénariste de bandes dessinées, Philippe Collin est l’auteur de podcasts très suivis consacrés à Léon Blum, Napoléon, Simone de Beauvoir, Philippe Pétain ou encore aux Résistantes. Le Barman du Ritz est son premier roman.

 

Avis :

L’historien et homme de radio Philippe Collin publie son premier roman : une plongée dans une sorte de miniature de la France occupée, le bar du Ritz, quand pendant la seconde guerre mondiale s’y côtoient les officiers de la Wehrmacht et, dans une ambivalence teintée de toutes les nuances collaborationnistes n’excluant pas quelques actes secrets de Résistance, une clientèle d’habitués, Guitry, Chanel ou Cocteau, mêlée d’une faune hétéroclite, anciens hauts fonctionnaires, « comtesses » et voyous de tout poil, appliqués à jouer les caméléons pour rester dans l’orbite des puissants du moment. Tout cela sous les yeux d’un personnel partagé entre scrupules, peurs et confort de l’emploi, comme celui que l’on dit alors le meilleur barman au monde.

Juif ashkénaze vétéran de Verdun, Franck Meier est devenu, après un passage par les Etats-Unis, le célébrissime prince parisien des cocktails et, par la même occasion, le confident des grands de ce monde, parmi lesquels Hemingway et Fitzgerald. S’inspirant des nombreux éléments biographiques laissés par cet homme qui fut largement interviewé, qui fit l’objet de deux enquêtes de police pendant la guerre et qui publia un livre, « L’Art du cocktail » – réédité à la faveur du coup de projecteur occasionné par ce roman –, Philippe Collin en fait son personnage central, observateur privilégié lui-même aux prises avec toutes les ambiguïtés de son époque.

« Me voilà coincé dans le nid des Boches. » C’est en lui prêtant ces mots que l’auteur commence sa restitution romanesque. La narration va le voir louvoyer pendant toute l’Occupation, accumulant d’un côté les arrangements compromettants pour mieux cacher ses origines juives et pour ne pas perdre son emploi, s’engageant de l’autre, et presque malgré lui, dans quelques actions plus secrètes en soutien à des amis juifs ou résistants. De la confiance initiale de l’ancien poilu envers Pétain à la prise de conscience progressive des réalités terribles de cette « guerre qui s’appelle maintenant paix » et qui le ballotte « entre deux mondes qui coexistent et ne se croisent jamais : le monde du dedans, celui du Ritz, avec son faste, son confort et ses carnassiers, et le monde du dehors, celui de la faim, du froid et de l’humiliation », notre homme va, comme tant d’autres et non sans débats intérieurs, passer par toutes les nuances de gris d’une compromission la plus raisonnée possible, oscillant constamment entre courage et résignation. Mais qui peut-dire ce qu’il aurait fait à sa place ?

Documenté, habile à recréer l’atmosphère nauséabonde de cette période, Philippe Collin nous sert une vision troublante, loin du simple contraste entre le noir et le blanc, de certains comportements pendant l’Occupation, qu’il s’agisse parfois d’officiers allemands, capables d’instants d’humanité tout en exécutant par ailleurs des actes impensables, ou de Français ordinaires, dépourvus du courage sans mélange des Résistants de la première heure et ne sachant sincèrement plus quel parti prendre pour sauver leur peau ou celles des leurs. Dommage que le récit, dans l'intention sans doute de plaire au plus large public, s’autorise pour sa part quelques compromissions avec la facilité, comme son improbable et mièvre romance, ses personnages un peu trop schématisés et sa construction plutôt sommaire cochant toutes les cases d’une future adaptation télévisée.

Reste un roman raisonnablement plaisant et prenant, mais sans grande épaisseur : un de ces plats qui se mangent facilement mais qui ne remplissent pourtant pas leur homme, qui plus est mis en appétit par un bandeau beaucoup trop racoleur. (3/5)

 

Citations : 

Dans cette guerre qui s’appelle maintenant paix, Frank Meier se sent ballotté entre deux mondes qui coexistent et ne se croisent jamais : le monde du dedans, celui du Ritz, avec son faste, son confort et ses carnassiers, et le monde du dehors, celui de la faim, du froid et de l’humiliation. Frank n’arrive pas à se faire à la situation. Il s’y refuse, même. Il s’accroche au mince espoir que Pétain pourrait peut-être encore renverser la tendance, rendre aux Français l’existence digne et décente dont ils sont privés depuis des mois. Hier, au jardin des Tuileries, il a aperçu un vieillard affamé essayer vainement d’attraper un malheureux pigeon avec un filet.
 

Frank s’irrite en entendant le vieux speaker de Radio-Paris prétendre que la vie a repris son cours. Radio-Paris ment aux Français, Paris ment aux Allemands, chacun ment à tout le monde. Au moins, ne pas se mentir à soi-même, se promet Frank en sortant une nouvelle veste blanche de son placard. 
 

Depuis plusieurs jours, Frank s’étonnait de la présence de vieux vélos montés sur cales dans l’arrière-boutique du salon de coiffure. Un groom vient de la lui expliquer : Elmiger a embauché une équipe de cyclistes pour faire chauffer les casques à permanente à la force des mollets et des dynamos. Un vrai coup de génie. Les coupures de courant se multiplient dans Paris, mais les clientes auront leur mise en plis. Dehors, on traque les juifs, on fusille des gamins au mont Valérien, on meurt de faim, mais un palace se doit d’être irréprochable pour ce qui est des bigoudis. Le Ritz, lieu des illusions.


 

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