vendredi 16 juillet 2021

[Krawczyk, Johanna] Avant elle

 




J'ai beaucoup aimé 

 

Titre : Avant elle

Auteur : Johanna KRAWCZYK

Editeur : Héloïse d'Ormesson  

Parution : 2021              

Pages : 160

 

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Carmen est enseignante, spécialiste de l'Amérique latine. Une évidence pour cette fille de réfugiés argentins confrontée au silence de son père, mort en emportant avec lui le fragile équilibre qu'elle s'était construit. Et la laissant seule avec ses fantômes. 
Un matin, Carmen est contactée par une entreprise de garde-meubles. Elle apprend que son père y louait un box. Sur place, un bureau et une petite clé. Intriguée, elle se met à fouiller et découvre des photographies, des lettres, des coupures de presse. Et sept carnets, des journaux intimes. 

Faut-il préférer la vérité à l'amour quand elle risque de tout faire voler en éclats ? Que faire de la violence en héritage ? Avec une plume incisive, Johanna Krawczyk livre un premier roman foudroyant qui explore les mécanismes du mensonge et les traumatismes de la chair.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Johanna Krawczyk est née en 1984. Elle est scénariste. Avant elle est son premier roman.

 

 

Avis :

Traumatisée par le suicide de sa mère lorsqu’elle était encore enfant, Carmen, jeune enseignante française, navigue entre alcool et dépression. Le décès soudain de son père la laisse définitivement seule face à ses questions sans réponse. Jusqu’à ce qu’elle découvre que cet homme muré dans le silence louait secrètement un box chez un garde-meubles : un bureau, une petite clé, et la voilà plongée dans un paquet de lettres, de photographies et de coupures de presse, au contenu pour le moins explosif...

Curieuse prescience qu’a l’être humain, capable de ressentir sans se l’expliquer le malaise qui l’entoure et qu’on lui cache, au point d’en approcher les rivages de la folie. Mais si l’ignorance, et ce qu’elle prend avec culpabilité pour un abandon et un rejet de la part de ses parents, l’ont empêché de se construire et ont miné sa personnalité, Carmen pourra-t-elle se remettre de révélations tardives, pour le coup totalement dévastatrices ? Pour autant, a-t-on le droit de se taire pour protéger ceux que l’on aime ?

Des années trente à quatre-vingts, en passant par la période péroniste et par la dictature militaire, c’est toute l’histoire de l’Argentine qui se déverse au travers des carnets d’un homme au terrible parcours. Nombreuses sont les scènes difficiles, tandis que se succèdent les violences et les crimes de la police politique. Pour les familles des disparus, enlevés, torturés et massacrés, la quête de vérité n’est toujours pas terminée. Et même si, quarante ans après les faits, quelques procès se sont tenus, combien des bourreaux d’alors ont échappé à toute poursuite ? Protéger les faits par le secret revient à prolonger indéfiniment leur pouvoir de dévastation.

Ce livre bouleversant sur l’avant et l’après « elle », la dictature, est un vibrant plaidoyer sur la nécessité de faire émerger la vérité, si douloureuse soit-elle, pour la mémoire des disparus, pour la résilience de leurs familles, et pour l’avenir de toute l’Argentine. Un premier roman foudroyant, à l’écriture fine et sensible, qui n’en finit pas de faire résonner son multiple questionnement. Et un nouvel auteur à suivre. (4/5)

 

Citations : 

J’étais si rarement à la hauteur, tu te souviens ? Mes amis, mes lectures, mes choix de vie et mes goûts, rien ne correspondait jamais à ton idéal. J’ai parfois eu le sentiment de ne pas être ta fille mais l’ombre de celle que tu aurais rêvé d’avoir.

J’ai manqué de flancher, mon pas s’est ralenti, puis je me suis remémoré mon commandant C., monsieur Martín, et les mots de Flaubert : « Il ne faut jamais penser au bonheur, cela attire le diable, car c’est lui qui a inventé cette idée-là pour faire enrager le genre humain. »

Assise en tailleur dans le bac à douche, prostrée, je m’interroge : comment les gens réussissent-ils à cautionner l’enfer ; par ignorance, désintérêt, peur de mourir, illusion de liberté ? Par conviction idéologique ? Non, ceux-là sont une minorité. Toi – une minorité. C’est le confort du plus grand nombre qui permet à l’horreur de s’ériger en système, il est tellement plus confortable d’obéir plutôt que de prendre position, tellement plus confortable de ne rien dire pour ne pas se sentir concerné, de se transformer en automate pour continuer de vivre en se croyant libre. C’est rassurant, l’autorité. Et l’homme sait si bien s’accommoder des faits pour situer sa conscience du bon côté. Mais ; torturer, violer, tuer ? Torturer, torturer, torturer. Elle est là, cette vérité effrayante qui résiste à ma compréhension. Comment autant d’individus ont-ils pu ? Pour se sentir exister, moins misérables, survivants dans une vie faite d’incertitude et d’angoisse ? Comment l’homme peut-il oublier à ce point son humanité ? Comment as-tu pu l’oublier, toi, après tout ce que tu as traversé ?

En 1983, la dictature s’est effondrée. Les chiffres officiels sont tombés. Le régime a entraîné la disparition de 30 000 personnes, l’assassinat de 15 000 autres, l’emprisonnement de 9 000 détenus politiques, et le vol d’au moins 500 bébés.


 

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